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17/10/2024 | FRANCE | N°22400959

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 17 octobre 2024, 22400959


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2


LM






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 17 octobre 2024








Cassation partielle




Mme MARTINEL, président






Arrêt n° 959 F-B


Pourvoi n° D 22-18.905










R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________

________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 OCTOBRE 2024




M. [R] [X], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° 22-18.905 contre l'arrêt rendu le 13 mai 2022, rectifié le 21 octobre 2022, par ...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 octobre 2024

Cassation partielle

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 959 F-B

Pourvoi n° D 22-18.905

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 OCTOBRE 2024

M. [R] [X], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° 22-18.905 contre l'arrêt rendu le 13 mai 2022, rectifié le 21 octobre 2022, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-8), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société [5], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la Société [8], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à la société [4], société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],

4°/ à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, dont le siège est [Adresse 7],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [X], de la SARL Ortscheidt, avocat de la société [4], et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 septembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 mai 2022, rectifié le 21 octobre 2022), M. [X] (la victime), salarié de la société [5] (l'employeur) et mis à disposition de la société [8] (l'entreprise utilisatrice), assurée auprès de la société [4] (l'assureur), a été victime le 26 septembre 2011 d'un accident, pris en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône (la caisse).

2. Une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale ayant jugé, par décision irrévocable, que cet accident était dû à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice, la victime a sollicité l'indemnisation de ses préjudices complémentaires.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La victime fait grief à l'arrêt de fixer à une certaine somme le montant de l'indemnisation du préjudice résultant de l'assistance temporaire par une tierce personne, alors « que, le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être réduit en cas d'assistance d'un membre de l'entourage ; que, pour écarter la demande de la victime tendant à ce que le calcul de l'indemnité au titre de l'assistance d'une tierce personne avant consolidation tienne compte des jours de congés payés et des jours fériés, et limiter à 32 614 euros le montant de l'indemnisation qui lui était due, la cour d'appel a énoncé que lorsque la tierce personne est assurée par une personne de l'entourage, l'indemnisation ne peut intégrer les congés payés, inhérents à l'existence d'un contrat de travail, comme les jours fériés, justifiant une majoration du taux horaire par une tierce personne spécialisée ; qu'en statuant ainsi, quand le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être réduit en cas d'assistance d'un membre de la famille, la cour d'appel a violé l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, ensemble le principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

4. Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être réduit en cas d'assistance familiale.

5. Pour évaluer l'indemnisation due au titre de l'assistance d'une tierce personne avant la consolidation, l'arrêt retient que lorsque l'aide est assurée par une personne de l'entourage, la victime ne peut prétendre à une indemnisation tenant compte des congés payés, inhérents à l'existence d'un contrat de travail, ou des jours fériés.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. La victime fait grief à l'arrêt de fixer à une certaine somme le montant de l'indemnisation du préjudice résultant des frais de logement adapté, alors « que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; que, pour solliciter une indemnité de 11 900 euros correspondant aux frais de notaire exposés lors de l'achat de son logement, la victime faisait valoir, dans ses conclusions, que la nécessité d'occuper un immeuble doté d'un ascenseur et surtout adapté à son handicap l'avait conduit à acquérir un bien immobilier, dans la mesure où il ne pouvait contraindre son bailleur à effectuer les importants travaux d'adaptation de son logement, rendus nécessaires par son handicap ; que, pour refuser de faire droit à cette demande indemnitaire, tout en reconnaissant la nécessité de procéder à des travaux spécifiques d'aménagement du logement au handicap de la victime, la cour d'appel a énoncé qu'il ne justifiait pas de la nécessité dans laquelle il se serait trouvé d'acquérir un logement alors qu'il était établi qu'il avait, le 2 janvier 2015, conclu un nouveau bail pour un logement équivalent à celui qu'il occupait avant l'accident, dans un immeuble équipé d'un ascenseur ; qu'en statuant ainsi, au regard de la seule contrainte liée à la présence d'un ascenseur pour accéder au logement, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, compte tenu de l'importance des travaux intérieurs d'aménagement nécessaires et du caractère provisoire de la location, l'acquisition d'un logement mieux adapté n'était pas nécessaire pour permettre à la victime de bénéficier de manière pérenne d'un habitat adapté au handicap causé par l'accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

8. Constitue un préjudice réparable en relation directe avec l'accident ayant causé le handicap de la victime le montant des frais que celle-ci doit débourser pour adapter son logement et bénéficier ainsi d'un habitat en adéquation avec ce handicap.

9. Pour rejeter la demande d'indemnisation des frais de mutation afférents à l'acquisition d'un appartement au titre des frais de logement adapté, l'arrêt retient que la victime ne justifie pas de la nécessité d'acquérir un logement alors qu'elle avait déjà emménagé dans un logement en location, situé dans un immeuble équipé d'un ascenseur, équivalent à celui dont elle était locataire lors de l'accident. Il ajoute que si le remplacement des volets métalliques rudimentaires et l'aménagement de la salle de bains étaient nécessaires pour adapter le logement à son handicap, la victime ne pouvait prétendre à l'indemnisation des frais notariés liés à cette acquisition.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, compte tenu de l'importance de ces travaux d'aménagement et du caractère provisoire de la location, l'acquisition d'un logement mieux adapté n'était pas nécessaire pour permettre à la victime de bénéficier de manière pérenne d'un habitat adapté au handicap causé par l'accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. La victime fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation du préjudice résultant de la perte de ses possibilités de promotion professionnelle, alors « que toute perte de chance ouvre droit à réparation ; que, pour débouter la victime de sa demande au titre de la perte de chance de promotion professionnelle, la cour d'appel a retenu qu'il ne pouvait être considéré qu'il rapportait « la preuve de perspectives sérieuses de promotion professionnelle » et, par motifs adoptés, qu'« il appartient [...] à celui qui prétend obtenir réparation au titre de la perte de chance de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue en établissant que la survenance de l'événement dont il a été privé était certaine avant la survenance du fait dommageable » et que « le caractère sérieux de la chance perdue [n'était] pas démontré » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a exigé de la victime qu'elle démontre l'existence d'une perte de chance sérieuse de promotion professionnelle, a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

12. L'assureur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est contraire à la position défendue par la victime devant les juges du fond.

13. Cependant, l'argumentation développée par la victime devant la cour d'appel, qui faisait valoir qu'une demande d'indemnisation d'un événement futur favorable n'est soumise qu'à la seule condition que cet événement ne soit pas simplement virtuel et hypothétique, n'est ni contraire ni incompatible avec le moyen de cassation.

14. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale :

15. Selon ce texte, indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu de l'article L. 452-2, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

16. Dès lors que la chance perdue est réelle et non hypothétique, toute perte de chance ouvre droit à réparation.

17. Pour rejeter la demande de la victime en indemnisation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle, l'arrêt énonce qu'elle ne rapporte pas la preuve de perspectives sérieuses de promotion professionnelle.

18. En statuant ainsi, alors que la réparation d'une perte de chance n'est pas subordonnée à la preuve du caractère sérieux de la chance perdue, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

19. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt fixant à une certaine somme l'indemnisation des préjudices subis par la victime résultant de l'assistance par une tierce personne et des frais de logement adapté, et rejetant la demande de la victime en indemnisation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle entraîne la cassation des chefs de dispositif fixant le montant total de l'indemnisation due à la victime et le montant de l'indemnité complémentaire mise à la charge de la caisse, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- fixe l'indemnisation du préjudice subi M. [X] résultant de l'assistance tierce personne à la somme de 32 614 euros,
- fixe l'indemnisation du préjudice subi M. [X] résultant des frais d'aménagement du logement à la somme de 16 562,69 euros,
- confirme le jugement en tant qu'il déboute M. [X] de sa demande formulée au titre de la perte de chance professionnelle,
- dit que le montant de l'indemnisation totale des postes de préjudice s'élève en conséquence à la somme de 163 912,77 euros dont il convient de déduire les sommes versées par la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône pour un montant total de 150 978,58 euros,
- rappelle que la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône devra verser l'indemnité complémentaire de 12 934,19 euros et qu'elle pourra en récupérer directement le montant auprès de la société [5], l'arrêt rendu le 13 mai 2022 et rectifié le 21 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.

Condamne la Société [8] et la société [4] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [4] et condamne la société [8] et la société [4] à payer à M. [X] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept octobre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 22400959
Date de la décision : 17/10/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Analyses

SECURITE SOCIALE, ACCIDENT DU TRAVAIL - Faute inexcusable de l'employeur - Indemnisations complémentaires - Perte ou diminution des possibilités de formation professionnelle - Existence d'une chance réelle - Nécessité

Dès lors que la chance perdue est réelle et non hypothétique, toute perte de chance ouvre droit à réparation. Viole l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale la cour d'appel qui, pour rejeter la demande d'indemnisation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle de la victime d'un accident du travail en cas de faute inexcusable de l'employeur, retient qu'il n'est pas démontré de perspective sérieuse d'une telle promotion


Références :

Article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.
Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix en Provence, 13 mai 2022

2e Civ., 16 novembre 1994, pourvoi n° 93-11177, Bull. 1994, II, n° 232 (cassation) ;

2e Civ., 24 novembre 2011, pourvoi n° 10-25133, Bull. 2011, II, n° 218 (cassation partielle) ;2e Civ., 16 juillet 2020, pourvoi n° 19-14982 (cassation partielle) ;

CE, 25 mai 2018, n° 393827, publié au Recueil Lebon ;2e Civ., 12 février 2015, pourvoi n° 13-17677 (cassation partielle) ;Soc., 29 février 1996, pourvoi n° 93-21778, Bull. 1996, V, n° 79 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 17 oct. 2024, pourvoi n°22400959


Composition du Tribunal
Président : Mme Martinel
Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade, SARL Ortscheidt

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:22400959
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