LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 19-80.689 FS-B
N° 00280
RB5
22 MARS 2023
CASSATION PARTIELLE
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 MARS 2023
M. [S] [U] et la société [1] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-13, en date du 5 décembre 2018, qui, pour fraude fiscale et omission d'écritures en comptabilité, a condamné le premier, à un an d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, devenu sursis probatoire, la seconde, à 100 000 euros d'amende, et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.
Les pourvois ont été joints par arrêt en date du 11 septembre 2019.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de M. [S] [U] et de la société [1], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques et du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er février 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, MM. d'Huy, Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, Mme Fouquet, M. Gillis, Mme Chafaï, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [S] [U] et la société [1] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel des chefs, notamment, de fraudes à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), à l'impôt sur les sociétés et à l'impôt sur le revenu.
3. Par jugement du 17 mai 2016, le tribunal, après avoir rejeté les exceptions de nullité soulevées par l'avocat des prévenus, les a déclarés coupables des faits qui leur sont reprochés, a condamné M. [U] à un an d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, et a condamné la société [1] à une amende de 100 000 euros. Il a par ailleurs prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.
4. Les prévenus, puis le ministère public, ont interjeté appel de la décision.
Examen des moyens
Sur les deuxième et quatrième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen est pris de la violation de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, défaut de motifs et manque de base légale.
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité des poursuites diligentées à l'encontre de M. [U] et de la société [1] tirée de la violation de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui garantit le droit à un recours juridictionnel effectif, alors « qu'en vertu de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le législateur doit assurer le respect du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense ; qu'à la suite de la déclaration à intervenir, par le Conseil constitutionnel, de la non-conformité à ces principes des dispositions combinées des articles 173 et 385 du Code de procédure pénale, en ce qu'elles ne permettent pas à la personne poursuivie devant le tribunal correctionnel de contester la mesure de saisie ayant permis d'appréhender les éléments justifiant sa mise en cause, lorsque la saisie a été réalisée dans le cadre d'une procédure distincte à laquelle elle n'est pas partie, l'arrêt attaqué, qui a rejeté l'exception de nullité des poursuites diligentées à l'encontre de M. [S] [U] et de la Société [1], se trouvera dépourvu de fondement juridique ».
Réponse de la Cour
8. Par arrêt en date du 11 septembre 2019, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité posée par le demandeur et portant sur l'interprétation des dispositions des articles 173 et 385 du code de procédure pénale.
9. Cette décision rend sans objet le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de ces dispositions.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen est pris de la violation des articles 50 et 51 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, du principe ne bis in idem, des articles 1741 du code général des impôts, 6 et 593 du code de procédure pénale, défauts de motifs et manque de base légale.
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité des poursuites diligentées à l'encontre de M. [U] et de la société [1] tirée de la violation de l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et du principe ne bis in idem, alors :
« 1°/ que les dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adressent aux états membres lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union ; qu'en conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application conformément à leurs compétences respectives ; que nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ; qu'en décidant, pour rejeter l'exception de nullité invoquée par M. [U] et la société [1], que le principe non bis in idem garanti par l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne trouvait à s'appliquer qu'en matière de fraude fiscale à la TVA, à l'exclusion des fraudes commises en matière d'impôts sur le revenu et les sociétés, bien que ce principe ait été également applicable dans la mise en oeuvre du droit de l'Union en matière de fiscalité directe, la cour d'appel a voué sa décision à la cassation ;
2°/ qu'en décidant, pour rejeter l'exception de nullité invoquée par M. [U] et la société [1] tirée de la violation de l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et du principe non bis in idem, que les pénalités fiscales ne concernaient que la société La [1] et non M. [S] [U] personnellement, pour en déduire que les conditions d'application de la règle non bis in idem relative à l'identité de parties n'étaient pas remplies, après avoir constaté que la [1], qui avait fait l'objet de sanctions fiscales à raison de redressement en matière de TVA et d'impôt sur les sociétés, était pénalement poursuivie à raison des mêmes faits, ce dont il résultait que la condition d'application du principe non bis in idem tenant à l'identité de parties était remplie, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a exposé sa décision à la cassation ;
3°/ que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle des poursuites pénales peuvent être engagées contre une personne pour omission de verser la taxe sur la valeur ajoutée due dans les délais légaux, tandis que cette personne s'est déjà vue infliger, pour les mêmes faits, une sanction administrative définitive de nature pénale au sens de cet article 50, à condition notamment que cette réglementation contienne des règles assurant une coordination limitant au strict nécessaire la charge supplémentaire qui résulte, pour les personnes concernées, d'un cumul de procédures ; qu'en décidant néanmoins qu'au regard des diverses limites fixées par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, et notamment l'obligation pour le juge judiciaire de respecter le principe selon lequel le montant global des sanctions pénales et fiscales éventuellement prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l'une de celles encourues, les conditions d'un cumul de sanctions fiscales et pénales satisfait, en droit français, à l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, bien qu'une telle limite ait été impropre à assurer une coordination limitant au strict nécessaire la charge supplémentaire qui résulte pour le contribuable d'un cumul des procédures fiscale et pénale, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen en ce qu'il est proposé pour M. [U]
12. Le moyen est inopérant, dès lors qu'il n'y est pas allégué que M. [U] aurait fait l'objet de sanctions fiscales.
Mais sur le moyen en ce qu'il est proposé pour la société [1]
Vu les articles 50 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 1741 du code général des impôts sous les réserves résultant des décisions n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016 du Conseil constitutionnel :
13. Aux termes du premier de ces textes, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union européenne par un jugement pénal définitif conformément à la loi.
14. Il résulte du second, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, qu'une limitation du principe ne bis in idem peut être justifiée à la condition, notamment et également, que la loi nationale assure que les charges résultant, pour les personnes concernées, d'un tel cumul soient limitées au strict nécessaire afin de réaliser l'objectif visé, et ce par une coordination des procédures et des sanctions.
15. Les dispositions législatives qui luttent contre la fraude à la TVA, telles celles applicables à la cause, constituent une mise en œuvre du droit de l'Union et doivent par conséquent respecter le principe ne bis in idem garanti par l'article 50 de la Charte qui interdit un cumul de poursuites et de sanctions présentant une nature pénale pour les mêmes faits et contre une même personne (CJUE, arrêt du 26 février 2013, Akerberg Fransson, C-617/10). Il importe peu, de ce point de vue, que l'intéressé soit poursuivi et condamné pour une fraude aux impôts directs dès lors qu'il l'est également pour une fraude à la TVA.
16. Il résulte de l'article 1741, alinéa 1, du code général des impôts que quiconque s'est soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel de la TVA, notamment en dissimulant volontairement une part des sommes sujettes à l'impôt, à la condition que la dissimulation excède le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros, est passible de sanctions pénales, indépendamment des sanctions fiscales applicables en vertu de l'article 1729 du même code.
17. La Cour de cassation, appliquant une réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel (Cons. const., 24 juin 2016, décisions n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC, Cons. const., 22 juillet 2016, décision n° 2016-556 QPC et Cons. const., 23 novembre 2018, décision n° 2018-745 QPC), a posé pour principe que lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d'une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation (Crim., 11 septembre 2019, pourvois n° 18-81.067, n° 18-81.040 et n° 18-84.144, publiés au Bulletin).
18. Appliquant une autre réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel selon laquelle, si l'éventualité que deux procédures, pénale et fiscale, pour des faits de fraude fiscale soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues (Cons. const., 24 juin 2016, décisions n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC, Cons. const., 22 juillet 2016, décision n° 2016-556 QPC et Cons. const., 23 novembre 2018, décision n° 2018-745 QPC), la Cour de cassation a par ailleurs énoncé que lorsque le prévenu justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, le juge pénal n'est tenu de veiller au respect de l'exigence de proportionnalité que s'il prononce une peine de même nature (Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-81.067, publié au Bulletin).
19. Répondant à une question préjudicielle posée par la Cour de cassation par arrêt en date du 21 octobre 2020 (Crim., 21 octobre 2020, pourvoi n° 19-81.929, publié au Bulletin), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 5 mai 2022, Direction départementale des finances publiques de la Haute-Savoie, C-570/20) rappelle que selon une jurisprudence constante, une limitation du droit fondamental garanti à l'article 50 de la Charte peut être justifiée sur le fondement de l'article 52, § 1, de celle-ci, à condition d'être prévue par la loi et de respecter le contenu essentiel de ces droits et libertés.
20. La Cour rappelle que s'agissant du caractère strictement nécessaire d'une réglementation nationale limitant lesdits droits ou lesdites libertés, elle doit prévoir des règles claires et précises, lesquelles notamment permettent au justiciable de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l'objet d'un tel cumul de poursuites et de sanctions.
21. Elle dit en conséquence pour droit que le droit fondamental garanti à l'article 50 de la Charte, lu en combinaison avec l'article 52, § 1, de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que la limitation aux cas les plus graves du cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale en cas de dissimulations frauduleuses ou d'omissions déclaratives en matière de TVA, prévu par une réglementation nationale, ne résulte que d'une jurisprudence établie interprétant, de manière restrictive, les dispositions légales définissant les conditions d'application de ce cumul, à la condition qu'il soit raisonnablement prévisible, au moment où l'infraction est commise, que celle-ci est susceptible de faire l'objet d'un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale.
22. Elle souligne que la prévisibilité de la loi ne s'oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de l'affaire en cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé et qu'il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d'une grande prudence dans l'exercice de leur métier.
23. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments, d'une part, que les dispositions du code général des impôts telles qu'interprétées au paragraphe 17 ne sont pas en elles-mêmes contraires aux exigences de clarté et de précision imposées par le principe de prévisibilité résultant de l'application combinée des articles 50 et 52 de la Charte.
24. D'autre part, que le prévenu de fraude fiscale doit avoir été en mesure de prévoir, au moment où l'infraction a été commise, que ses agissements étaient susceptibles de faire l'objet d'un cumul de sanctions fiscale et pénale.
25. Répondant à une autre question préjudicielle posée par l'arrêt du 21 octobre 2020 précité, la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 5 mai 2022 précité) a par ailleurs dit pour droit que le droit fondamental garanti par l'article 50 de la Charte, lu en combinaison avec l'article 52, § 1, de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale de lutte contre la fraude à la TVA qui n'assure pas, dans le cas où le cumul de poursuites fiscale et pénale conduit au cumul d'une sanction pécuniaire et d'une peine privative de liberté, par des règles claires et précises, le cas échéant telles qu'interprétées par les juridictions nationales, que l'ensemble des sanctions infligées n'excède pas la gravité de l'infraction constatée.
26. En conséquence, les dispositions du code général des impôts telles qu'interprétées au paragraphe 18 ne suffisent pas pour assurer que le cumul de sanctions qu'elles autorisent, prises dans leur ensemble, n'excède pas ce qui est strictement nécessaire.
27. Les juridictions nationales ayant l'obligation d'interpréter le droit interne dans un sens conforme au droit de l'Union, il s'en déduit que lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, l'article 1741 du code général des impôts doit être appliqué de sorte que la charge finale résultant de l'ensemble des sanctions prononcées, quelle que soit leur nature, ne soit pas excessive par rapport à la gravité de l'infraction qu'il a commise.
28. Il résulte des considérations qui précèdent, en premier lieu, que, lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, d'une part, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier qu'il était raisonnablement prévisible, au moment où l'infraction a été commise, que celle-ci était susceptible de faire l'objet d'un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale, le cas échéant en tenant compte de la profession du prévenu et des conseils juridiques auxquels il pouvait recourir.
29. Il lui appartient, d'autre part, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de l'infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes.
30. Il résulte de ces mêmes considérations, en second lieu, que lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir constaté le montant des pénalités fiscales appliquées, d'une part, s'il prononce une peine de même nature, de vérifier que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
31. Il lui appartient, d'autre part, de s'assurer que la charge finale résultant de l'ensemble des sanctions prononcées, quelle que soit leur nature, ne soit pas excessive par rapport à la gravité de l'infraction qu'il a commise. Le juge est tenu de motiver sa décision au regard de ces éléments, sans préjudice des exigences résultant des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal concernant la motivation du choix de la peine.
32. En l'espèce, pour écarter le moyen pris de la nullité des poursuites pour fraude à la TVA, tiré de la méconnaissance de l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et du principe ne bis in idem, l'arrêt relève que l'article 50 de la Charte précitée ne trouve à s'appliquer que s'agissant des poursuites pénales pour fraude à la TVA, les fraudes fiscales commises en matière d'impôt sur les sociétés étant exclues, en l'état actuel, du droit européen.
33. Les juges retiennent par ailleurs que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 20 mars 2018, Menci, C-524/15) a jugé qu'en matière de soustraction à la TVA, l'article 50 de la Charte ne s'oppose pas à l'exercice de poursuites pénales à l'encontre d'une personne sanctionnée administrativement pour les mêmes faits de fraude, dès lors qu'un tel cumul poursuit un intérêt général, en l'espèce la lutte contre la fraude fiscale, permet d'atteindre comme en l'espèce des buts complémentaires, les poursuites pénales du chef de fraude fiscale, qui visent à réprimer des comportements délictueux tendant à la soustraction à l'impôt, ayant une nature et un objet différents de ceux des poursuites exercées par l'administration, dans le cadre du contrôle fiscal, qui tendent au recouvrement des impositions éludées, et repose sur une coordination limitant au strict nécessaire la charge supplémentaire qui résulte, pour les personnes concernées, d'un cumul de procédures et se trouve limité à ce qui est strictement nécessaire eu égard à la gravité des faits.
34. Ils énoncent enfin qu'au regard des diverses limites fixées tant par la jurisprudence de la Cour de cassation que par le Conseil constitutionnel, en particulier le fait qu'en cas de cumul entre une sanction administrative et une sanction pénale, le juge judiciaire est tenu de respecter le principe selon lequel le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l'une de celles encourues, ces conditions sont remplies en droit français.
35. En prononçant ainsi, la cour d'appel a insuffisamment justifié sa décision.
36. En premier lieu, si l'article 51, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne prévoit que ses dispositions s'adressent aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union et si, en l'espèce, les dispositions fiscales qu'il est reproché à la société [1] d'avoir méconnues, s'agissant du délit de fraude à l'impôt sur les sociétés, ne présentent aucun lien avec le droit de l'Union, cette circonstance est, en l'espèce, sans emport, dès lors que cette société est par ailleurs poursuivie pour fraude à la TVA.
37. En deuxième lieu, c'est à tort que la cour d'appel s'est abstenue, comme cela lui était demandé, de s'assurer qu'il était raisonnablement prévisible, pour la société [1], au moment où les infractions ont été commises, que celles-ci étaient susceptibles de faire l'objet d'un cumul de poursuites et de sanctions pénale et fiscale. Cependant l'arrêt n'encourt pas la censure de ce chef. En effet, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que ce cumul était raisonnablement prévisible pour l'intéressée, dès lors qu'à la date des faits poursuivis, antérieure aux décisions du Conseil constitutionnel précitées (paragraphe 17), les dispositions des articles 1729 et 1741 du code général des impôts permettaient le cumul de telles sanctions, quels que soient les faits en cause, la dissimulation excédant le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros.
38. En troisième lieu, la cour d'appel, qui a constaté que la société [1] avait fait l'objet de sanctions fiscales définitives pour les mêmes faits, après avoir caractérisé les éléments constitutifs des délits poursuivis au regard de l'article 1741 du code général des impôts et préalablement au prononcé de sanctions pénales, n'a pas vérifié que les faits retenus présentaient le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire notamment au regard des critères énumérés au paragraphe 17.
39. Enfin, après avoir énoncé le montant des pénalités fiscales, la cour d'appel, d'une part, ne s'est pas assurée que le montant global des sanctions de même nature prononcées ne dépassait pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues, d'autre part, ne s'est pas expliquée concrètement sur la proportionnalité de l'ensemble des sanctions pénales choisies et fiscales déjà prononcées au regard de la gravité des faits commis.
40. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par M. [U] :
Le REJETTE ;
Sur le pourvoi formé par la société [1] :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 5 décembre 2018, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité du chef de fraude fiscale prononcée à l'encontre de la société [1], ainsi qu'à la peine prononcée à son encontre, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille vingt-trois.