La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/03/2016 | FRANCE | N°15-11412

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 17 mars 2016, 15-11412


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :
Vu les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil et 145 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Numerix Radiologie, employeur de M. X..., suspectant des actes de concurrence déloyale de la part de son salarié, a saisi le président d'un tribunal de grande instance d'une demande de mesures d'instruction par une requête fondée sur

l'article 145 du code de procédure civile ; que cette requête ayant ét...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :
Vu les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil et 145 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Numerix Radiologie, employeur de M. X..., suspectant des actes de concurrence déloyale de la part de son salarié, a saisi le président d'un tribunal de grande instance d'une demande de mesures d'instruction par une requête fondée sur l'article 145 du code de procédure civile ; que cette requête ayant été accueillie par ordonnance du 2 septembre 2013, complétée le 25 octobre 2013, la mesure s'est déroulée au domicile de M. X... et de sa compagne, Mme Y...; que M. X... et Mme Y...ont assigné la société Numerix Radiologie en rétractation des ordonnances sur requête ;
Attendu que pour confirmer l'ordonnance du 7 mars 2014 ayant rejeté la demande de rétractation des ordonnances sur requête, l'arrêt se fonde pour partie sur une enquête confiée par l'employeur à un détective privé qui a procédé à une filature du salarié de la sortie de son domicile jusqu'à son retour, et retient que cette enquête ayant été réalisée sur sept jours dont six au cours desquels M. X... avait un planning d'activité précis à réaliser pour le compte de son employeur, elle est intervenue sur une période limitée, en vue d'opérer des constatations uniquement sur la voie publique, de sorte qu'elle ne présente aucun caractère disproportionné au regard de la nécessaire et légitime préservation des droits et intérêts de l'employeur, s'agissant de soupçons d'une activité de concurrence déloyale qui amenait le salarié à visiter des clients autres que ceux prévus par son employeur pendant le temps de son travail ;
Qu'en statuant ainsi, sans écarter un moyen de preuve illicite pour caractériser le motif légitime d'ordonner une mesure d'instruction avant tout procès, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les troisième et quatrième branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 novembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Numerix radiologie aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X... et à Mme Y...la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, signé par M. Liénard, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat aux Conseils, pour M. X... et Mme Y....
LE POURVOI REPROCHE A L'ARRÊT CONFIRMATIF ATTAQUÉ D'AVOIR rejeté la demande de rétractation de l'ordonnance rendue le 2 septembre 2013 par le président du tribunal de grande instance de Melun et celle du octobre 2013 ;
AUX MOTIFS QUE les appelants affirment que la requête du 25 juillet 2013 de la société Numerix et l'ordonnance se fondent sur un moyen de preuve illicite, à savoir l'enquête du détective privé, qui a suivi et surveillé M. X... en dehors de ses heures de travail ; que la société Numerix Radiologie fait valoir que le Président du Tribunal de Grande instance a pris soin de respecter les dispositions de l'article 9 du code de procédure civile ce qui résulte du dispositif de son ordonnance, qu'au surplus il s'est fait communiquer la lettre de mission du détective privé et qu'ainsi il a pu apprécier l'absence de disproportion des mesures demandées par rapport aux droits et intérêts en cause ; que l'article 145 du code de procédure civile dispose que « S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de foui intéressé, sur requête ou en référé » ; que l'article 812 du code de procédure civile dispose que le Président du tribunal de grande instance peut ordonner toutes mesures urgentes sur requête lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement ; que par lettre du 10 janvier 2013, la société Numerix Radiologie a notifié à M. X... son licenciement pour faute lourde, lui reprochant notamment un détournement de la clientèle visant précisément une commande du docteur Z...et des manquements graves à l'obligation de loyauté ; que, préalablement à cette décision, la société Numerix Radiologie avait relevé un certain nombre d'éléments étayant peu à peu ses soupçons et qu'elle a repris dans sa requête à savoir : la rupture du contrat passé avec le docteur Z...qui portait sur une commande de 129 000 ¿, intervenue de façon inattendue le 15avril 2013 alors que ce1ui- ci l'avait d'abord différée pour cause de travaux dans son cabinet, relevant un appel téléphonique passé le même jour entre M. X... et la société Drim, société concurrente qui récupérera ce marché, les relevés téléphoniques de la ligne téléphonique de M. X... mettant en évidence que celui avait appelé 27 fois au cours des 13 derniers mois le numéro du dirigeant de la société Drim, l'inscription depuis le 11 mars 2011 de M. X... au registre spécial des agents commerciaux ; que, si M. X... soutient que cette inscription correspond à une activité d'agent immobilier à laquelle il indique s'être essayé en 2011, il n'en demeure 15166 5 pas moins qu'aux termes de son contrat de travail, il s'était engagé à consacrer toute son activité aux tâches qui lui étaient confiées par la société Numerix Radiologie ; que les faits relatés mettaient en évidence des relations entretenues par M. X... avec une société concurrente de la société Numerix Radiologie laquelle avait au surplus bénéficié de l'annulation d'une commande importante par un client de la société Numerix Radiologie ; que c'est dans ces circonstances que la Société Numerix Radiologie a fait procéder à une enquête par un détective privé qui a procédé à une filature pendant 8 jours au cours du mois de mai de la sortie de son domicile jusqu'à son retour ; que, si M. X..., affirme que le 31 mai était un jour de congé et que la filature de ce jour-là a été mise en avant dans la requête de la société Numerix Radiologie, cette affirmation n'est pas pertinente puisque la société Numerix Radiologie a produit à l'appui de sa requête l'intégralité du rapport et la lettre de mission ; qu'en effet par lettre du 25juillet 2013, le Président du tribunal de grande instance de Melun a demandé au conseil de la société Numerix Radiologie de lui communiquer : « pour lisibilité les tirages en couleur de vos pièces numérotées 2 ; 4 ainsi que la planche photographique annexe au compte rendu GBI du 5 juillet 2013 (pièce 6), la lettre de mission ou/ et la convention fiant l'intervention de GBI pour le compte de votre client et dont le compte rendu précité constitue une pièce d'exécution » ; qu'il résulte de ce courrier que le Président du tribunal de grande instance de Melun a été en possession de la lettre de mission confiée par la société Numerix Radiologie à la société GBI et de l'entier rapport de celle-ci qu'il a visés et annexés à son ordonnance ; que M. X... soutient que la filature a constitué un moyen de preuve illicite, relevant qu'il était en congés le 31 mai 2013 ; que cette enquête a été réalisée sur sept jours dont 6 au cours desquels M. X... avait un planning d'activité précis à réaliser pour le compte de la société Numerix Radiologie ; qu'elle est donc intervenue sur une période limitée ; qu'elle a consisté à opérer des constatations uniquement sur la voie publique ; que dès lors elle ne présente aucun caractère disproportionné au regard pour l'employeur de M. X... de la nécessaire et légitime préservation de ses droits et intérêts, s'agissant de soupçons d'une activité concurrentielle déloyale qui amenait l'intéressé à visiter des clients autres que ceux prévus par son employeur pendant le temps de son travail ; que cette enquête a mis en évidence que M. X... se rendait dans des laboratoires qui n'étaient pas prévus à son planning ; que l'ensemble de ces éléments permettaient de penser que M. X... menait une concurrence déloyale à l'égard de la société Numerix Radiologie et ce au profit de la société Drim ; que les appelants soutiennent que la Société Numerix Radiologie n'avait pas demandé dans sa requête déposée le 25 juillet 2013 que les mesures se déroulent au domicile de M. X... ; que la société Numerix Radiologie produit un projet d'ordonnance soumis au président du tribunal afin « de se faire remettre ou rechercher par lui-même et de prendre copie y compris à partir du ou des ordinateurs qui seraient présents au domicile de M. X... Thibault demeurant ...» ; que l'ordonnance rendue le 2 septembre 2013 vise la requête en date d'enregistrement des 25 juillet et 8 août 2013 ainsi que l'ensemble des pièces à l'appui et mentionne le domicile de M. X... et son adresse ; que l'ordonnance modificative intervenue le 25 octobre 2013 a eu pour objet de proroger au 30 novembre 2013 la date d'expiration du délai d'exécution de l'ordonnance du 2 15166 6 septembre ; qu'en conséquence aucune omission n'a affecté l'ordonnance du 2 septembre 2013 ; que les appelants font valoir que l'ordonnance avait un caractère disproportionné en ce qu'elle autorisait l'huissier à procéder à des recherches dans tout l'appartement de l'intéressé, ordinateurs compris ; que l'ordonnance a visé « tous documents commerciaux (courriers, e-mails, fax), comptables au sociaux qui le cas échéant, établiraient l'existence et se rapporteraient à une activité déployée, dans le secteur de la vente d'appareils de radiologie ou d'échographie, au service ou au profit d'une entreprise autre que la société Numerix Radiologie » ; qu'en conséquence le champ d'investigation de l'huissier était restreint en ce qu'il ne concernait que des documents commerciaux et en lien avec l'activité dans le secteur de la vente d'appareils de radiologie ou d'échographie ; que l'ordonnance a également prévu les mesures destinées à protéger la vie privée et familiale de M. X... ; que les mesures prises l'ont été avec l'assentiment de M. X..., l'huissier indiquant que celui-ci ne s'est pas opposé aux mesures de recherche sur ses ordinateurs professionnel et personnel, « les réalisant lui-même ou à tout le moins prêtant son concours » ; qu'en conséquence c'est à juste titre par des motifs que la Cour adopte que le premier juge a rejeté la demande de rétractation des ordonnances rendues les 2 septembre et 25 octobre 2013 ;
ALORS D'UNE PART QU'une filature organisée par l'employeur pour contrôler et surveiller l'activité d'un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu'elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d'être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l'employeur ; qu'il ressort des propres constations de l'arrêt attaqué que pour ordonner la mission litigieuse, le juge s'est notamment fondée sur une enquête réalisée par un détective privé qui a procédé à une filature du salarié pendant huit jours au cours du mois de mai de la sortie de son domicile jusqu'à son retour en ce compris les jours de congés ; qu'en refusant de rétracter l'ordonnance litigieuse qui s'était fondée sur un moyen de preuve illicite pour missionner l'huissier, la cour d'appel a violé les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, 9 et 145 du code de procédure civile ;
ALORS D'AUTRE PART QUE le droit à un procès équitable et le principe de la loyauté de la preuve interdisent au juge de se fonder, même partiellement, sur un moyen de preuve illicite ; que la cour d'appel, qui a refusé de rétracter l'ordonnance litigieuse qui s'était notamment fondée sur l'enquête d'un détective privée ayant procédé à une filature de M. X... pendant plusieurs jours, a violé l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme, 9 du code civil, 145 du code de procédure civile, ensemble le principe de loyauté de la preuve ;
ALORS DE TROISIEME PART QUE ne constitue pas une mesure légalement admissible au sens de l'article 145 du code de procédure civile, la mission donnée à l'huissier de se rendre au domicile d'un salarié et de sa compagne aux fins de 15166 7 se faire remettre ou/ et de rechercher par lui-même, au besoin dans le ou les ordinateurs qui équiperaient les lieux, tous documents commerciaux, comptables ou sociaux qui établiraient l'existence et se rapporteraient à une activité déployée dans le secteur de l'entreprise requérante au service ou au profit d'une autre entreprise ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le principe de l'inviolabilité du domicile, ensemble les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 145 du code de procédure civile ;
ALORS ENFIN QUE la mission d'investigation confiée à l'huissier, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, portant atteinte à un droit fondamental tel le droit au respect dû à la vie privée n'est justifiée qu'à la condition que cette mesure soit strictement nécessaire à l'exercice des droits de la défense et proportionné au but recherché ; qu'en se bornant à retenir que le champ d'investigation de l'huissier, dont la mission était de se rendre au domicile de M. X... à l'objet de se faire remettre ou/ et rechercher, au besoin dans le ou les ordinateurs qui équiperaient les lieux, tous documents commerciaux comptables ou sociaux qui établiraient l'existence et se rapporteraient à une activité déployée dans le secteur d'activité de l'entreprise requérante, était restreint en ce qu'il ne concernait que des documents commerciaux en lien avec l'activité litigieuse, sans caractériser la nécessité de la mission litigieuse quant aux besoins de la défense et sa proportionnalité au but recherché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9 du code civil et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

PROCEDURE CIVILE - Ordonnance sur requête - Mesure d'instruction in futurum - Conditions - Motif légitime - Office du juge - Détermination - Portée

MESURES D'INSTRUCTION - Sauvegarde de la preuve avant tout procès - Mesure admissible - Motif légitime - Relations entre l'employeur et le salarié - Applications diverses - Mesure de constat au domicile du salarié PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Respect de la vie privée - Atteinte - Contrat de travail - Surveillance du salarié à son insu - Filature par un détective privé PREUVE - Règles générales - Moyen de preuve - Moyen illicite - Applications diverses - Surveillance d'un salarié à son insu par l'employeur CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Pouvoir de direction - Etendue - Contrôle et surveillance des salariés - Procédés de surveillance - Validité - Condition

Viole les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 145 du code de procédure civile, la cour d'appel qui autorise une mesure de constat au domicile d'un salarié suspecté de visiter des clients autres que ceux prévus par son employeur pendant son temps de travail, sans écarter dans sa motivation le moyen de preuve illicite consistant dans une filature de ce salarié par un détective privé, pendant une semaine, de la sortie de son domicile jusqu'à son retour


Références :

article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

article 9 du code civil

article 145 du code de procédure civile

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 20 novembre 2014

Sur le caractère illicite du moyen de preuve consistant en une filature du salarié, à rapprocher :Soc., 4 février 1998, pourvoi n° 95-43421, Bull. 1998, V, n° 64 (cassation) ;Soc., 23 novembre 2005, pourvoi 03-41.401, Bull. 2005, V, n° 333 (cassation)

arrêt cité ;Soc., 18 mars 2008, pourvoi n° 06-45093, Bull. 2008, V, n° 64 (2) (cassation)

arrêt cité


Publications
Proposition de citation: Cass. Civ. 2e, 17 mar. 2016, pourvoi n°15-11412, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : Mme Flise
Avocat général : M. Girard
Rapporteur ?: M. Adida-Canac
Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Delaporte, Briard et Trichet

Origine de la décision
Formation : Chambre civile 2
Date de la décision : 17/03/2016
Date de l'import : 22/07/2017

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 15-11412
Numéro NOR : JURITEXT000032265706 ?
Numéro d'affaire : 15-11412
Numéro de décision : 21600389
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.cassation;arret;2016-03-17;15.11412 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award