LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :
Vu la loi des 16-24 août 1790, ensemble l'article 136 du décret du 17 mai 1809 relatif aux octrois municipaux ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par contrat du 24 février 1965, la commune du Raincy (la commune) a confié à Mme X... l'exploitation des marchés d'approvisionnement communaux ; que lui reprochant de ne pas avoir fait application de la clause contractuelle de révision des tarifs des droits de place depuis 1990, MM. Y..., Jean-Paul et Etienne Z... (les consorts Z...), venant aux droits de Mme X..., ont assigné la commune devant les juridictions de l'ordre judiciaire pour obtenir l'indemnisation du préjudice en résultant ; que le Conseil d'Etat, saisi par voie de question préjudicielle, a, par arrêt du 9 mai 2011, déclaré cette clause illégale ;
Attendu que pour dire que la commune est tenue de réparer le préjudice financier subi par les consorts Z... « du fait de la non-application de la clause de révision contractuelle entre 1990 et le 10 juin 2001 », l'arrêt retient qu'à défaut d'avoir fait application tant de la convention que d'un mécanisme négocié prenant en compte l'équilibre économique du contrat, la commune a engagé sa responsabilité au regard du droit commun des contrats administratifs ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si l'illégalité constatée par la juridiction administrative n'était pas d'une gravité telle qu'elle justifiât d'écarter l'application de la clause de révision litigieuse, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la commune du Raincy est tenue de réparer le préjudice financier subi par MM. Y..., Jean-Paul et Etienne Z... du fait de la non-application de la clause de révision contractuelle entre 1990 et le 10 juin 2001 et en ce qu'il renvoie les parties devant le tribunal de grande instance de Bobigny aux fins de liquidation du préjudice, l'arrêt rendu le 16 octobre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne MM. Y..., Jean-Paul et Etienne Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de MM. Y..., Jean-Paul et Etienne Z... et les condamne in solidum à payer à la commune du Raincy la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour la commune du Raincy
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit que la ville du RAINCY était tenue de réparer le préjudice financier subi par Messieurs Y... et Jean-Paul Z... et François Z... du fait de la non application de la clause de révision contractuelle entre 1990 et le 10 juin 2001 et d'avoir renvoyé les parties devant le tribunal de grande instance de Bobigny aux fins de liquidation du préjudice de Messieurs Y..., Jean-Paul et Etienne Z... ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « sur les conséquences de la décision d'illégalité de l'article 38 du Traité du 24 février 1965 sur la clause de révision et l'indemnité contractuelle de rupture (ou valeur résiduelle de leurs investissements) ; qu'à titre liminaire et comme le rappelle opportunément le Conseil d'Etat dans son arrêt confirmatif du 9 mai 2011, il revient à la seule autorité judiciaire, en l'espèce la cour, saisie par une commune et son fermier d'un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, d'apprécier si elle doit écarter le contrat et renoncer à régler le litige sur le terrain contractuel, eu égard à l'illégalité constatée par la juridiction administrative ; sur l'application de la clause de révision ; que la ville du RAINCY estime qu'il y a lieu de tirer les conséquences de la déclaration d'illégalité de l'article 38 et d'en constater l'inapplicabilité à peine de porter atteinte au pouvoir unilatéral de décision du conseil municipal relevant de ses prérogatives de puissance publique ; qu'elle fait valoir qu'en l'absence de caractère obligatoire d'une telle clause, elle n'a pu commettre une faute contractuelle en décidant de ne pas relever les tarifs de droits de place par application automatique de celle-ci ; qu'elle souligne par ailleurs que des révisions annuelles sont intervenues à la demande expresse des concessionnaires eux-mêmes qui ont accepté des augmentations tarifaires non conformes à la formule de la clause litigieuse, observation faite que ceux-ci n'ont jamais soutenu pouvoir exiger des tarifs conformes au contrat et n'ont pu agir contre leurs intérêts et qu'en conséquence il n'y a eu aucun bouleversement de l'économie du contrat ; que les consorts Z..., qui relèvent qu'il n'est pas contesté que la dernière révision date de 1990, soutiennent que si le Conseil d'Etat rappelle l'impossibilité de donner un caractère impératif à une clause de révision, cette illégalité ne peut affecter que le mode de calcul de l'indemnité ellemême, qu'elle est donc sans effet sur la responsabilité contractuelle de la ville du RAINCY dans la mesure où elle exprime la commune intention des parties sur la nécessité d'une adaptation financière du contrat de très longue durée et fournit un mécanisme permettant la mise en oeuvre de ce principe ; qu'en réalité, la question n'est pas celle du caractère automatique de l'évolution de la clause de variation ou du respect de la compétence exclusive de la commune de fixer comme elle l'entend ces tarifs et leur révision mais celle de la responsabilité de la commune au regard de la stabilité économique du contrat dont le non-respect entraîne l'obligation de compenser le préjudice né du déséquilibre ainsi créé ; qu'en conséquence, à défaut d'avoir fait application tant de la convention que d'un mécanisme négocié prenant en compte cet équilibre depuis 1990, la ville du RAINCY a engagé sa responsabilité contractuelle au regard du droit commun des contrats administratifs ; (...) ; sur les préjudices ; qu'à titre liminaire, le jugement du 29 mars 2011 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, produit à la demande de la cour est sans incidence sur la question du préjudice des appelants dès lors qu'il statue sur la période postérieure au 10 juin 2001 ; qu'en réponse à la demande des appelants de voir liquider leur préjudice, la ville du RAINCY s'oppose à toute évocation par la cour au nom du principe du double degré de juridiction, le tribunal de grande instance n'ayant pas vidé sa saisine sur ce point ; que le jugement déféré a effectivement sursis à statuer sur l'évaluation du préjudice des consorts Z... et, avant dire droit, ordonné une expertise à cette fin alors qu'aux termes de l'article 379 du code de procédure civile, le sursis à statuer ne dessaisit pas le juge et que dans cette hypothèse, aucune faculté d'évocation n'est envisagée par les textes ; qu'en conséquence, il y a lieu de renvoyer les parties devant le tribunal de grande instance de Bobigny pour voir statuer sur la liquidation des préjudices » (arrêt pages 6 à 8) ; ET AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES QUE « sur la responsabilité contractuelle de la Ville du RAINCY ; que les demandeurs sont délégataires de l'exploitation des marchés d'approvisionnement de la ville du RAINCY, selon convention intitulée « Traité et cahier des charges pour la concession des marchés publics communaux » en date du 24 février 1965, modifiée par l'avenant du 26 novembre 1969 ; que la convention comporte les articles 37 et 38 relatifs à la révision des tarifs de droits de place et de la redevance ; que cette clause de révision a néanmoins pour vocation de maintenir l'équilibre financier du contrat ; qu'en dépit des demandes réitérées de révision des tarifs, telles que formulées par courriers des 15 mars 1993, 20 juillet 1994, 20 février 1998, 20 mai 1998 et 27 août 2001 et des réponses de la Ville du RAINCY acceptant le principe d'une augmentation des tarifs ; qu'aucune révision n'a été cependant décidée depuis 1990 (avenant contractuel numéro 18) ; qu'ainsi, cette clause qui n'est pas d'application automatique, devait tout de même servir à définir l'économie générale du contrat donnant lieu soit à révision des tarifs soit à indemnisation pécuniaire des demandeurs ; qu'au delà, aucune indemnisation pécuniaire, liée à la perte financière consécutive à l'absence de révision des tarifs, n'est intervenue ; que la Ville du RAINCY en n'appliquant pas la clause de révision et en n'allouant toutefois pas de compensations financières aux délégataires des marchés, a commis une faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles dont elle doit réparation à raison du préjudice subi ; sur l'évaluation du préjudice ; que l'absence d'indemnisation pécuniaire ou l'absence de révision des tarifs par la Ville du RAINCY est de nature à cause un préjudice aux demandeurs ; que pour évaluer ce préjudice conformément à la rupture de l'équilibre financier du contrat, il convient d'évaluer le chiffre d'affaire qui aurait résulté de l'application de la clause de révision contractuelle depuis 1990 jusqu'au 10 juin 2001 ; qu'aux termes de l'article 232 du nouveau code de procédure civile, le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien ; qu'en l'espèce, il sera procédé à l'estimation de ce préjudice par un expert financier ; qu'en conséquence, il convient de commettre un expert, dans les termes et conditions fixées au dispositif et à cette fin, de surseoir à statuer sur les demandes relatives au montant de l'indemnisation ainsi qu'au mode de calcul de l'indemnité » (jugement pages 5 et 6) ;
1°) ALORS QUE toute déclaration d'illégalité d'un texte réglementaire par le juge administratif, même décidée à l'occasion d'une autre instance, s'impose au juge civil qui ne peut faire application de ce texte illégal ; qu'en condamnant la commune du RAINCY à réparer le préjudice financier subi par les consorts Z... du fait de la non application de la clause de révision contractuelle entre 1990 et le 10 juin 2001, quand la clause de révision contractuelle avait été déclarée illégale par le Conseil d'Etat dans sa décision du 9 mai 2011, la cour d'appel a violé le principe de séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16 et 24 août 1790 ;
2°) ALORS QUE les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en reprochant à la commune de n'avoir pas fait application d'un mécanisme négocié de révision ou de n'avoir pas alloué de compensations financières aux délégataires des marchés, quand la convention ne comportait aucune obligation à ce titre, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;
3°) ALORS QUE le régime des droits de place et de stationnement sur les halles et les marchés est défini conformément aux dispositions d'un cahier des charges ou d'un règlement établi par l'autorité municipale après consultation des organisations professionnelles intéressées ; qu'en affirmant que la responsabilité de la commune était engagée au regard de la stabilité économique du contrat dont le non-respect entraînait l'obligation de compenser le préjudice né du déséquilibre ainsi créé, sans préciser quelle obligation légale ou contractuelle obligeait la commune à assurer la stabilité économique du contrat, cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.2224-18 du code général des collectivités territoriales, ensemble l'article 136 du décret du 17 mai 1809 ;
4°) ALORS QUE si la juridiction administrative, saisie par voie de question préjudicielle, est compétente pour apprécier la légalité d'un contrat d'affermage des droits de place perçus dans les halles et marchés communaux, il revient au seul juge judiciaire, qui est compétent, en vertu de l'article 136 du décret du 17 mai 1809 relatif aux octrois municipaux, pour statuer sur les contestations qui s'élèvent entre une commune et son fermier à l'occasion de son exécution, d'apprécier s'il doit écarter le contrat et renoncer à régler le litige sur le terrain contractuel, eu égard à l'illégalité constatée, le cas échéant, par la juridiction administrative ; qu'en ne recherchant pas si l'illégalité constatée par la juridiction administrative justifiait que le contrat soit écarté et qu'il soit renoncé à régler le litige sur le terrain contractuel, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 136 du décret du 17 mai 1809, ensemble le principe de séparation des pouvoirs ;