LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur la première branche du moyen unique :
Vu l'article L. 321-17 du code rural et de la pêche maritime ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que si l'exploitant peut, de son vivant, remplir le bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé de ses droits de créance, notamment par une donation-partage, c'est à la condition que soit caractérisée la commune intention des parties de procéder à un tel paiement ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte du 6 juillet 2000, René X... et son épouse ont donné la nue-propriété d'une maison d'habitation à leur fils M. Guy X... ; que, dans la succession de son père, décédé le 28 février 2010, celui-ci a réclamé une créance de salaire différé pour la période de 1977 à 1998, à laquelle se sont opposés ses frères, MM. Serge et Alain X... ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, l'arrêt attaqué retient que la preuve d'une rémunération rendant sans objet la demande de salaire différé se trouve dans l'acte de donation du 6 juillet 2000 que les parents donateurs n'étaient pas tenus de motiver, de sorte que l'absence de mention de rémunération dans l'acte est indifférente ;
Attendu qu'en statuant par de tels motifs, desquels il ne résulte pas que la donation ait, dans la commune intention de l'exploitant donateur et de son fils, eu vocation à remplir M. Guy X... de ses droits de créance au titre du contrat de travail à salaire différé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 octobre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne MM. Serge et Alain X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze février deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. Guy X...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté M. Guy X... de sa demande de salaire différé ;
AUX MOTIFS QUE « l'article L. 321-13 du code rural dispose que les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers ; que la charge de la preuve incombe à celui qui se prétend créancier ; que René X... partageait ses activités entre une exploitation agricole sur la commune de Ménesplet (24) et un hôtel-restaurant-bar "Las Davaladas", avec activité annexe de vente ambulante ; qu'il était également le taxi de la commune » ;
ET QUE, « sur l'analyse des pièces du demandeur, Guy X... possédait une formation de restaurateur, ayant exercé dans le restaurant "Au coq de la maison blanche" depuis le 5 septembre 1973, qu'il quitte le 31 mai 1977 selon l'attestation de son employeur ; qu'il présente, à l'appui de sa thèse, plusieurs témoignages ; que le témoin Claude Y... atteste qu'ensuite, il a vu Guy X... travailler "de façon permanente, y compris si besoin dimanches et jours fériés" sur l'exploitation de son père ; que le témoin Jean-Noël Z... affirme qu'il y a travaillé "à temps plein" ; que le témoin Danielle A... atteste qu'il "a travaillé avec son père", sans plus détailler la durée et la nature du travail ; que le témoin Alain B..., médecin traitant, signale avoir constaté la présence de l'intéressé aux côtés de son père chaque fois qu'il se rendait à son domicile y pratiquer des soins, "pour les tâches de la vie quotidienne et pour les tâches agricoles" ; que le témoin Paul C... signale l'avoir vu occupé "à divers travaux agricoles entre autres, même les jours fériés" ; que les attestations signées de Jacques et Raymond D..., Christian et Marie-Christine E..., Maxime et Marie-Reine F..., Michel et Martine G..., Marc et Martine H..., perdent grandement leur force probante quand la cour constate qu'elles sont rédigées de façon collective, violant le caractère personnel imposé par l'article 202 du code de procédure civile ; que dans ces écrits, les signataires affirment l'importance du travail effectué par Guy X... sur l'exploitation agricole ; que parmi tous les témoins plus haut cités, plusieurs affirment que René X... aurait déclaré que son fils Guy ne percevait aucun salaire mais serait avantagé à son décès ; que certains d'entre eux (Claude Y..., consorts D...) affirment que le père avait déclaré vouloir que son fils Guy hérite de toute sa succession ; que certains autres (consorts E..., consorts F..., consorts H..., Jean-Noël Z...) utilisent des formules signalant que la volonté du père était que son fils hérite de ce qui faisait l'objet de son aide, et non de l'ensemble de ses biens ; que ces formules sont : "de toute façon c'est à lui que ça reviendra un jour", "ce qu'ils avaient fait ensemble reviendrait à son fils Guy", "cela lui reviendrait", "c'est Guy qui aurait la suite" ; que, par ailleurs, les témoins Marie-Christine E..., Marc H..., Michel et Martine G..., Micheline Labrue, Marie-Reine F..., Danielle A..., Claude Y..., Francis I..., Marcel J..., Marie-Madeleine K..., Marc L..., attestent que Guy X... effectuait des tournées "pour rendre service à son père René X...... avec la voiture de son père dans le cadre de son activité commerciale" ; que cette activité commerciale ambulante, prolongement de l'activité du commerce de bar-hôtel-restaurant, se pratiquait les samedis, dimanches et jours de fêtes, et portait sur de l'épicerie, des huîtres, de la pâtisserie, de la charcuterie ;
ET QUE, « sur l'analyse des pièces des défendeurs, Serge et Alain X... présentent des éléments tendant à diminuer l'activité agricole de leur frère, dont ils rappellent qu'en toute hypothèse elle aurait cessé au 31 décembre 1994, fin de sa déclaration MSA ; que le fait de ne pas avoir nié la réalité de cette activité ne vaut pas aveu judiciaire de l'ouverture d'une créance de salaire différé ; qu'en effet, ils contestent les conséquences de cette activité ; qu'ils signalent la faible activité d'élevage, portant sur un très petit cheptel bovin à l'entour de la maison, paissant sur deux à trois hectares de prés, les travaux de fenaison étaient parfois sous traités à des entreprises agricoles. Ils citent par exemple en 1987 une déclaration de 3 vaches et 6 poneys, en 1993 et 1994 la présence de 4 bovins, passant à 7 en 1995 ; qu'ils citent également les chiffres modestes de l'activité agricole de poulailler au service du restaurant et prennent pour exemple l'année 1993 où l'exploitation a fourni au restaurant seulement 80 douzaines d'oeufs, 50 poulets, 45 lapins et 500 kg de pommes de terre pour l'année entière ; qu'ils citent le témoignage de Véronique M..., selon qui les poneys et chèvres servaient à amuser les enfants des clients de la restauration mais ne pouvaient constituer une réelle exploitation agricole ; qu'ils en déduisent que leur frère Guy travaillait essentiellement à ce qui constituait son métier, soit la cuisine du restaurant, et en veulent pour preuve qu'il a été mentionné en tant que cuisinier par le défunt dans ses déclarations TVA en 1980-1984 ; qu'ils accusent leur frère d'avoir perçu une rémunération de façon occulte et citent le témoignage de Nicolas N... selon qui Guy X... avait reconnu devant son frère Alain que leur père, outre le fait de loger, nourrir et blanchir sa famille, le rémunérait de façon occulte, mais en quantité insuffisante à ses yeux ; qu'ils citent également le témoignage de Véronique M..., qui avait travaillé pour le compte de René X..., et qui affirme avoir été payée en espèces, tout comme Guy ; que ce témoin affirme avoir également entendu Guy se plaindre à sa mère du retard que son père avait mis à lui régler sa paye ; qu'enfin, ce témoin déclare avoir vu Guy effectuer des prélèvements dans la caisse lors des tournées commerciales en lui déclarant avec un clin d'oeil "ça, c'est pour moi" ; qu'en pièce 48 les appelants démontrent, par la production d'une série de factures, que le restaurant de René X... disposait effectivement d'argent liquide puisqu'il payait ainsi ses factures au lieu de le faire par chèque avec trace bancaire ; qu'ils reprochent à leur frère intimé de ne pas produire ses documents bancaires, qui permettraient de vérifier ses flux financiers et ses apports en liquide, sous le prétexte fallacieux selon eux de l'incendie de partie de sa maison ; qu'il réplique que tout fut endommagé par la fumée ; qu'ils concluent que cela aurait permis de comprendre comment il avait financé son train de vie, et notamment l'achat de 70 parts de la SARL "Las Davaladas", ensemble de dépenses incohérentes avec sa déclaration d'absence de rémunération ; qu'ils démontrent, par la production de plusieurs agendas qu'utilisait René X... pour son commerce, que chaque mois, sous la liste des dépenses-recettes, figure la mention d'un paiement effectué à son fils Guy ; que, par exemple, dans l'agenda de l'année 1989, en première page, il est inscrit en en-tête "1996 janvier Huîtres Guy" puis, sous une série de nombres, il est écrit de façon séparée "payé 5.500,00 à Guy" ; que la même mention figure, page suivante, sous les nombres affectés au mois de février ; qu'il en est de même pour le mois de mars ; que la somme diminue les mois suivants : 4.015 francs (chiffre identique à la recette) en avril, 5.000 francs en mai, et à nouveau 5.500 francs en juin ; que l'explication fournie par l'intéressé, selon qui il s'agirait du montant des ventes payées directement à lui par des clients n'est pas crédible ; qu'ainsi que les appelants le font valoir, il est statistiquement invraisemblable que le total des achats effectués par des clients à un marchand ambulant aboutisse plusieurs mois de suite au même nombre ; que cette stabilité des paiements par René X... à son fils Guy prouve qu'elle résulte d'un contrat et non des aléas du commerce, et cela même s'il a été observé sur l'exemple pris, en avril et mai, qu'il pouvait exister ponctuellement une diminution des versements, en l'espèce non expliquée ; que la cour constate que, par leur pièce n° 52, les appelants démontrent que René X... a déclaré aux services fiscaux en 1989 qu'il n'avait plus de recettes "car j'ai donné les clients que j'avais à mon fils" » ;
ET QUE « de l'ensemble de ces éléments ainsi analysés, la cour déduit que Guy X..., professionnel de la restauration, a quitté en 1977 ses activités déclarées et rémunérées dans le restaurant "Au coq de la maison blanche" pour aller aider son père ; que cette aide a porté autant sur l'exploitation agricole, d'importance modérée, que sur l'activité commerciale d'hôtellerie-restauration et commerce ambulant, activité soutenue ; qu'en ce qui concerne l'activité de restauration-hôtellerie et commerce annexe, il est suffisamment démontré par les mentions de paiement sur les agendas, par les témoignages de Nicolas N... et de Véronique M..., et par la déclaration de donation de clientèle aux services fiscaux, que René X... a rémunéré son fils ; que cette rémunération s'est faite par avantages matériels de logement, nourriture et blanchiment, par argent liquide et par la donation de clientèle ; que ces avantages ont permis au fils d'acquérir des parts dans la société commerciale structurant l'hôtel-restaurant-bar ; que cela explique que René X..., conscient de l'aide importante que lui fournissait son fils dans chacun de deux secteurs d'activité, ait également voulu le rémunérer pour son activité agricole ; que la cour interprète en conséquence que ses déclarations aux témoins cités par Guy X... signifient qu'il avait l'intention d'agir pour faire en sorte que ce fils puisse continuer son activité après sa mort ; qu'or, par acte du 6 juillet 2000, les époux René et Yvonne X... ont effectué la donation de la nue-propriété de leur bien immobilier de Ménesplet (24) "Las Davaladas", maison d'habitation avec terrain autour pour une superficie de 30 ares et 65 centiare ; qu'ils ont ainsi fait en sorte qu'à leur décès il dispose des moyens de poursuivre, sur un bien devenu son immeuble personnel, son exploitation agricole, dont il a été plus haut analysé la faible importance du cheptel ; que la cour en déduit qu'ils ont ainsi complété en matière agricole ce qui avait été déjà fait en matière commerciale et qu'ils ont réalisé ce que René X... avait annoncé aux témoins : faire en sorte que leur fils Guy hérite de ce qui avait fait l'objet de son aide ; que les parents donateurs n'étant pas tenus de motiver leur acte, c'est à tort que Guy X... soutient que l'absence de mention de rémunération dans l'acte impose d'analyser qu'il ne peut s'agir d'une rémunération ; que la cour, au résultat de son analyse et synthèse, y trouve la preuve de cette rémunération, rendant sans objet la demande de salaire différé dont il sera débouté » ;
1°) ALORS QUE si l'exploitant peut, de son vivant, remplir le bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé de ses droits de créance, notamment par une donation-partage, c'est à la condition que soit caractérisée la commune intention des parties de procéder à un tel paiement ; qu'en jugeant que la donation consentie le 6 juillet 2000, par les époux René et Yvonne X... à leur fils Guy X..., de la nue-propriété de leur maison d'habitation avec terrain autour, devait s'analyser comme une rémunération de l'activité agricole qu'il avait déployée au profit de l'exploitation agricole de René X... motif pris que, les parents donateurs n'étant pas tenus de motiver leur acte, c'est à tort que Guy X... soutient que l'absence de mention dans l'acte impose d'analyser qu'il ne peut s'agir d'une rémunération, sans caractériser la commune intention des parties à l'acte de remplir le créancier de salaire différé de ses droits, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-17 du Code rural et de la pêche maritime ;
2°) ALORS QUE si l'exploitant peut, de son vivant, remplir le bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé de ses droits de créance, notamment par une donation-partage, c'est à la condition que soit caractérisée la commune intention des parties de procéder à un tel paiement ; qu'en considérant que, par la donation du 6 juillet 2000, les donateurs ont « fait en sorte qu'à leur décès M. Guy X... dispose des moyens de poursuivre, sur un bien devenu son immeuble personnel, son exploitation agricole », motif impropre à établir l'intention rémunératoire d'une créance de salaire différé dès lors que M. Guy X... avait cessé son activité sur l'exploitation agricole quatre ans auparavant, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-17 du Code rural et de la pêche maritime ;
3°) ALORS QUE si l'exploitant peut, de son vivant, remplir le bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé de ses droits de créance, notamment par une donation-partage, c'est à la condition que soit caractérisée la commune intention des parties de procéder à un tel paiement ; qu'en considérant que la donation du 6 juillet 2000 avait rémunéré l'aide apportée par M. Guy X... à l'exploitation agricole de son père sans constater que l'évaluation du total des biens donnés par celui-ci à la somme de 81.000 francs, soit moins de 12.500 euros, était de nature à remplir le demandeur de ses droits au titre d'une salaire différé à hauteur de la somme 122.858,70 euros, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 321-13 et L. 321-17 du Code rural et de la pêche maritime.