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11/06/2013 | FRANCE | N°12-83487

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 juin 2013, 12-83487


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Bruno X...,- M. Olivier Y...,- Mme Véronique Z...,- M. Eric A...,- La société Hachette Filipacchi associés, parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 11 avril 2012, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de M. Jacques B...du chef de diffamation publique envers particuliers ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 14 mai 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l'article

567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Monfort conseill...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Bruno X...,- M. Olivier Y...,- Mme Véronique Z...,- M. Eric A...,- La société Hachette Filipacchi associés, parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 11 avril 2012, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de M. Jacques B...du chef de diffamation publique envers particuliers ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 14 mai 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Monfort conseiller rapporteur, Mme Guirimand conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
Sur le rapport de M. le conseiller MONFORT, les observations de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE de BRUNETON, de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CORDIER ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, 7 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 29, 32, 35, 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881, des articles 121-6 et 121-7 du code pénal, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt a renvoyé M. B...des fins de la poursuite et a débouté les parties civiles de leurs demandes ;
" aux motifs que le prévenu excipe de sa bonne foi en soutenant que les quatre conditions habituellement exigées, la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, le sérieux de l'enquête et la prudence dans l'expression, sont réunies ; que la légitimité du but poursuivi n'est pas discutable, s'agissant pour M. B..., député, membre de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, de s'exprimer sur un sujet relatif à l'engagement de troupes françaises en Afghanistan ; qu'au vu des pièces produites et des débats, l'animosité personnelle du prévenu n'est pas caractérisée ; que celui-ci a produit de nombreuses pièces, déjà examinée dans le cadre de l'offre de preuve ; qu'entendue en première instance, Mme Z...a indiqué qu'elle avait été chargée par Paris-Match d'effectuer un reportage sur les victimes civiles du conflit et notamment les villages bombardés ; qu'à l'hôpital de Kaboul, elle avait eu connaissance des derniers lieux de bombardements et avaient obtenu l'autorisation des chefs de guerre de se rendre sur place, à condition d'être seule, sans homme « occidental » ; qu'accompagnée d'un chauffeur et d'un traducteur également « fixeur », elle avait rejoint ces villages et avait remarqué que certains hommes étaient munis de Famas, fusils réglementaires français, et avaient compris qu'ils avaient participé à l'embuscade ; qu'elle a précisé que la montre du soldat français lui avait été confiée par les insurgés et était susceptible de conférer crédit à leurs dires, ajoutant qu'elle avait procédé comme tous les journalistes et reporters en terre de conflit, le fixeur ayant perçu en fin de mission une somme de 200 euros par jour de reportage, soit 2 000 euros pour dix jours et devait rémunérer sur cette somme le chauffeur ; que ses propos ont été confirmés par M. C..., journaliste indépendant ayant hébergé sa consoeur ; que le prévenu, qui n'est pas journaliste n'était pas astreint à une enquête aussi approfondie que celle exigée d'un professionnel ; qu'il a produit de nombreuses pièces déjà examinées dans le cadre de l'offre de preuve, notamment le courriel du 4 septembre 2008 de M. D...à Paris-Match, les articles du 18 septembre et 22 décembre 2008 parus sur le site "knockers", l'attestation de M. E..., ainsi qu'en appel des pièces nouvelles : un reportage diffusé le 17 septembre 2008 par la chaîne France 5, au cours duquel la journaliste Mme F...a expliqué qu'elle avait payé 15 000 $ pour un reportage auprès des talibans et les extraits du blog de cette journaliste en date des 30 novembre 2006 et 8 juillet 2007 expliquant que le prix devant être versé par les journalistes au fixeur pour un reportage auprès des insurgés talibans avait très largement augmenté, précisant « la surenchère n'a plus de limite » et s'interrogeant sur la destination finale des sommes déboursées ; que les propos du communiqué de presse, demandant une enquête sur une information présentée au conditionnel et ceux tenus lors de l'interview publiée le 3 octobre 2008, reprennent une information ayant circulé ; qu'en s'exprimant sur un sujet d'actualité, dans un cadre d'un débat d'intérêt général sur l'engagement des troupes françaises en Afghanistan, M. B..., qui disposait d'une base factuelle suffisante pour évoquer l'éventualité du paiement, par des journalistes ou leur rédaction, d'une forte somme d'argent pour réaliser un reportage auprès d'insurgés, n'a pas excédé les limites admissibles en matière de liberté d'expression ; qu'il y a lieu de lui reconnaître le bénéfice de la bonne foi et, en conséquence, de le renvoyer des fins de la poursuite, étant précisé qu'il pouvait être poursuivi en qualité d'auteur pour le communiqué de presse mais seulement comme complice de droit commun en ce qui concerne l'interview ; que le renvoi du prévenu des fins de la poursuite entraîne le débouté des parties civiles » ;
" 1°) alors que la garantie que l'article 10 de la Convention européenne offre aux journalistes en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d'intérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique ; que la même règle doit s'appliquer aux autres personnes qui s'engagent dans le débat public ; qu'en affirmant que M. B...qui n'est pas journaliste, n'était pas astreint à une enquête aussi approfondie que celle exigée d'un professionnel alors que l'obligation de fournir des informations exactes et dignes de crédit qui s'impose à toute personne qui s'engage dans le débat public, ne pouvait être allégée à l'égard d'un député dont la qualité était de nature à conférer à ses propos un crédit au moins équivalent à celui dont bénéficie la presse, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 2°) alors que la bonne foi de l'auteur des propos diffamatoires suppose que les personnes auxquelles un fait est imputé aient été interrogées et leur défense exposée par l'auteur du reproche ; qu'en accordant à M. B...le bénéfice de la bonne foi sans rechercher si celui-ci avait sollicité les observations de la direction de Paris Match ou des journalistes auxquels les faits diffamatoires étaient imputés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale en violation des textes susvisés ;
" 3°) alors que la reprise par l'auteur de la diffamation des propos tenus par un tiers ne fait pas disparaître l'obligation à laquelle il est tenu d'effectuer des vérifications sérieuses pour s'assurer que ceux-ci reflètent la réalité des faits ; qu'en affirmant que les éléments produits au soutien de l'exception de vérité ainsi que ceux produits pour la première fois en cause d'appel étaient de nature à conférer une base factuelle suffisante aux propos tenus par M. B...alors que ces pièces démontraient tout au plus que M. B...avait repris des informations déjà diffusées et que la reprise de propos déjà publiés ne faisait pas disparaître l'obligation d'effectuer des vérifications sérieuses qui s'imposait à lui et qui ne pouvait être considérée comme satisfaite du seul fait que les propos incriminés avaient déjà été diffusés par d'autres que lui, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" 4°) alors que l'auteur d'un propos diffamatoire repris par un journaliste ne peut en répondre qu'en qualité de complice de droit commun ; que l'acte de complicité punissable est constitué par le fait de tenir des propos diffamatoires à un journaliste, en sachant qu'ils seront publiés ; qu'en entrant en voie de relaxe concernant l'interview publié le 3 octobre 2008 dans le journal Le Parisien tout en constatant que M. B...ne pouvait être poursuivi pour ces faits qu'en qualité de complice de droit commun et alors qu'en l'état de propos dont le caractère diffamatoire avait été constaté, la responsabilité de M. B...en tant que complice de diffamation ne pouvait être écartée que s'il ignorait que les propos qu'il tenait allaient être publiés ou s'il rapportait la preuve de la bonne foi du journaliste du Parisien ayant repris ses propos faisant ainsi disparaître le fait principal punissable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale en violation des textes susvisés " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication, par l'hebdomadaire Paris-Match, d'un reportage consacré à un groupe de combattants afghans présentés comme les auteurs d'une embuscade ayant coûté la vie à dix militaires français, M. B..., député des Yvelines, a diffusé un communiqué demandant l'ouverture d'une enquête sur le financement de ce reportage, faisant état d'informations selon lesquelles le journal aurait versé une somme de 50 000 dollars aux " talibans ", et concluant que si l'affaire était avérée, il contribuait à financer des actions de guerre contre les soldats français ; que le lendemain, M. B..., dans un entretien accordé au journal Le Parisien, a déclaré : " il se dit dans la région que les journalistes de Paris-Match auraient payé une somme de 50 000 dollars pour faire leur reportage ; sinon, ils auraient été pris en otage et les talibans auraient demandé une rançon " ;
Attendu que, s'estimant diffamés par ces propos, le directeur de publication de Paris-Match, les journalistes en cause, ainsi que la société éditrice de l'hebdomadaire, ont porté plainte et se sont constitués parties civiles ; que M. B..., renvoyé devant le tribunal correctionnel, a été condamné pour diffamation envers particuliers ; qu'il a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour infirmer le jugement, et renvoyer le prévenu des fins de la poursuite, l'arrêt, après avoir admis le caractère diffamatoire des propos litigieux, et écarté l'offre de preuve de la vérité des faits, retient qu'il était légitime qu'un député, membre de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, s'exprime sur un sujet relatif à l'engagement des troupes françaises en Afghanistan, et que M. B...a produit de nombreuses pièces justifiant de ses sources et de la réalité de la rumeur suscitant ses interrogations quant à la pratique d'une rémunération par les journalistes de leurs intermédiaires en zone de guerre ; que les juges ajoutent que le prévenu s'est exprimé avec prudence, sur un sujet d'actualité, en disposant d'une base factuelle suffisante pour évoquer l'éventualité d'un paiement ; que la cour d'appel en conclut que M. B...doit se voir accorder le bénéfice de la bonne foi ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel, qui pouvait apprécier l'existence de la bonne foi en la personne de M. B...quel que soit son mode de participation à l'infraction poursuivie, a justifié sa décision, dès lors que le prévenu, qui n'est pas un professionnel de l'information, n'était pas tenu aux mêmes exigences déontologiques qu'un journaliste, qu'il disposait d'une base factuelle suffisante pour s'interroger publiquement, en sa qualité de membre de la commission des Affaires étrangères, dans le contexte d'un débat d'intérêt général, sur des informations faisant état de pratiques journalistiques contestables, et qu'il l'a fait avec prudence, sans excéder les limites admissibles de la liberté d'expression ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. Bruno X..., M. Olivier Y..., Mme Véronique Z..., M. Eric A..., et la société Hachette Filipacchi associés devront verser à M. B...en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze juin deux mille treize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 12-83487
Date de la décision : 11/06/2013
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Diffamation - Intention coupable - Preuve contraire - Bonne foi - Détermination - Cas - Communication d'un député dans le cadre d'un débat d'intérêt général

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10 § 2 - Liberté d'expression - Presse - Diffamation - Bonne foi - Détermination - Cas - Communication d'un député dans le cadre d'un débat d'intérêt général

Justifie sa décision la cour d'appel, qui, saisie de la poursuite exercée du chef de diffamation contre un député ayant diffusé un communiqué demandant l'ouverture d'une enquête sur le financement d'un reportage, puis accordé un entretien à des journalistes sur ce sujet, retient, pour relaxer le prévenu, que celui-ci, dont la bonne foi pouvait être appréciée quelque soit son mode de participation à l'infraction poursuivie, n'était pas tenu aux mêmes exigences déontologiques qu'un journaliste, n'étant pas un professionnel de l'information, et ajoute que ce prévenu, dans le contexte d'un débat d'intérêt général, disposait d'une base factuelle suffisante pour s'interroger publiquement, en sa qualité de député, membre de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, sur des informations faisant état de pratiques journalistiques contestables, et qu'il l'a fait avec prudence, sans excéder les limites admissibles de la liberté d'expression


Références :

articles 29, 32, 35, 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 11 avril 2012

Sur l'appréciation de la bonne foi, exclusive de la constitution du délit de diffamation, à rapprocher :Crim., 29 mars 2011, pourvoi n° 10-85887, Bull. crim. 2011, n° 61 (cassation), et les arrêts cités


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 11 jui. 2013, pourvoi n°12-83487, Bull. crim. criminel 2013, n° 136
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2013, n° 136

Composition du Tribunal
Président : M. Louvel
Avocat général : M. Cordier
Rapporteur ?: M. Monfort
Avocat(s) : SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2013:12.83487
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