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11/04/2012 | FRANCE | N°11-86331

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 avril 2012, 11-86331


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Philippe
X...
,
- Le Territoire de la côte-ouest,
parties civiles,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de SAINT-DENIS de la RÉUNION, en date du 19 juillet 2011, qui, dans l'information suivie, sur leur plainte, contre M. Jean-Baptiste Y...des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire et diffamation publique envers une administration publique, a déclaré irrecevable l'appel du second et confirmé l'ordonn

ance de non-lieu rendue par le juge d'instruction ;

Vu le mémoire produit ;

Atten...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Philippe
X...
,
- Le Territoire de la côte-ouest,
parties civiles,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de SAINT-DENIS de la RÉUNION, en date du 19 juillet 2011, qui, dans l'information suivie, sur leur plainte, contre M. Jean-Baptiste Y...des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire et diffamation publique envers une administration publique, a déclaré irrecevable l'appel du second et confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction ;

Vu le mémoire produit ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure, qu'à la suite de l'envoi aux élus de la communauté d'agglomération dénommée " Territoire de la Côte ouest " d'une lettre anonyme mettant en cause le comportement professionnel de M.
X...
, directeur général des services techniques de la communauté, et de la publication, dans le " Journal de l'Ile ", de certains passages de cette missive, assortie d'un commentaire, M. X... et le " Territoire de la Côte ouest " ont porté plainte et se sont constitués parties civiles auprès du juge d'instruction de Saint-Denis de la Réunion ; que M. Y..., directeur de publication du " Journal de l'Ile ", a été mis en examen ; que les auteurs de la lettre litigieuse n'ont pas été identifiés ; qu'au terme de l'information, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu, dont les parties civiles ont relevé appel ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 5211-1, L. 5211-2 et L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, excès de pouvoir ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré l'appel du Territoire de la Côte-Ouest (TCO) irrecevable ;

" aux motifs que la plainte avec constitution de partie civile de la communauté d'agglomération du Territoire des communes de l'Ouest (TCO) en date du 17/ 03/ 2010 n'avait pas été autorisée par décision du conseil communautaire, que c'est son président qui, le 12/ 03/ 10, avait, par décision n° 2010 006, arrêté que le TCO porterait plainte avec constitution de partie civile contre X … et le journal de l'Ile, dans l'affaire relative à la lettre anonyme adressée aux élus du TCO ; que s'agissant de l'appel de l'ordonnance de non-lieu du 16/ 03/ 11, aucune autorisation préalable par décision communautaire n'a été donnée, par le conseil communautaire du TCO ; qu'il est produit, à la faveur de l'examen d'un renvoi de l'appel sollicité par les parties civiles, un extrait d'une délibération du conseil communautaire du TCO du 20/ 06/ 11 qui a « approuvé l'ensemble de la démarche procédurale depuis le dépôt de la plainte jusqu'à ce jour et désigné le président du TCO pour représenter celui-ci devant le juge d'instruction de Saint-Denis et défendre en appel » ; que cette régularisation tardive est inefficace, en particulier, pour valider l'appel du TCO qui est manifestement irrecevable comme ayant été formalisé au mépris des dispositions des articles L. 5211-1 et L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales ;

" alors que le président d'un établissement public de coopération intercommunale peut interjeter appel à titre conservatoire sans autorisation préalable du conseil communautaire dès lors qu'une délibération ultérieure du conseil communautaire intervient pour régulariser l'action ; qu'en énonçant, pour déclarer irrecevable l'appel du TCO qu'aucune autorisation préalable par décision communautaire n'a été donnée par le conseil communautaire du TCO, qu'il est produit un extrait d'une délibération du conseil communautaire du TCO du 20 juin 2011 qui a « approuvé l'ensemble de la démarche procédurale depuis le dépôt de la plainte jusqu'à ce jour et désigné le président du TCO pour représenter celui-ci devant le juge d'instruction de Saint-Denis et défendre en appel » et que cette régularisation tardive était inefficace cependant que le président du TCO avait le pouvoir d'interjeter appel à titre conservatoire, sans autorisation préalable du conseil communautaire dès lors qu'une délibération ultérieure du conseil communautaire du TCO était intervenue pour régulariser l'action, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable l'appel formé par la communauté d'agglomération dénommée " Territoire de la Côte ouest ", l'arrêt relève notamment que sa plainte assortie de constitution de partie civile, déposée par son président, n'a pas été autorisée par une décision du conseil communautaire, et que la délibération prise le 20 juin 2011 par ce conseil pour approuver la procédure engagée était tardive, et donc inefficace ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision, dès lors qu'aux termes de l'article 48, premier alinéa, de la loi du 29 juillet 1881, en matière de diffamation envers un corps constitué, la poursuite ne peut avoir lieu que sur une délibération prise en assemblée générale et requérant les poursuites, et qu'en conséquence la constitution de partie civile du " Territoire de la Côte ouest " n'était pas régulière ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 30, 31, 42, 44 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, excès de pouvoir ;

" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire et une administration publique ;

" aux motifs que l'information qui est complète, n'a pas permis d'identifier le ou les auteurs du courrier anonyme, qu'il convient de confirmer l'ordonnance sur ce point ; que s'agissant de l'article du JIR en date du 23/ 12/ 09, en matière de diffamation, le juge d'instruction n'a pas le pouvoir de rechercher si les faits diffamatoires sont vrais ou faux, la preuve de la vérité des diffamatoires n'étant susceptible de résulter que du débat auquel il est procédé devant la juridiction de jugement, qu'en revanche, il lui appartient de vérifier si l'infraction est ou non caractérisée ; qu'en l'espèce, ainsi que l'a justement retenu le magistrat instructeur, l'article du journal incriminé n'a fait que relayer le contenu d'une lettre adressée à 97 élus, et nécessairement rapportée par d'autres moyens que la presse parmi la population ; que le journaliste a pris soin d'indiquer dans son article qu'il reprenait le contenu d'une lettre anonyme, qu'il n'a cité que certains passages dont le contenu n'excède pas les limites acceptables de la liberté d'expression, qu'il s'est du reste abstenu de prendre position puisqu'il conclut son texte ainsi : « Reste que ces propos non signés n'ont que la valeur d'un courrier anonyme. Peur des représailles ? Manipulation ? Vengeance personnelle ? Difficile de savoir » ; qu'ainsi, la diffusion de l'information relative à l'envoi de la lettre à 97 élus, reste dans le cadre de la libre expression et du droit à l'information ;

" 1) alors que l'article incriminé présente M.
X...
comme un individu qui doit être « remis à sa place » et auquel il faut « proposer une formation de respect des autres », parce qu'il se livre à du « harcèlement moral » et « impose vexations verbales et directives abruptes » en faisant croire qu'il est proche du président et en ayant même un curieux ascendant sur « son responsable hiérarchique, le DGS Christian Z...», « lui qui baisse la tête dès que ce monsieur monte sur ces grands chevaux et écrase l'ennemi », ainsi que sur les syndicats eux-mêmes, « puisque même les syndicats n'osent pas se lever » ; que de telles imputations constituent des faits précis portant atteinte à l'honneur et à la considération de M.
X...
; qu'en retenant que la diffusion de l'information relative à l'envoi de la lettre à quatre vingt dix sept élus restait dans le cadre de la libre expression et du droit à l'information, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;

" 2) alors que la reproduction dans un écrit rendu public d'allégations diffamatoires déjà publiées constitue une diffamation punissable qui ne saurait être justifiée par le prétendu souci d'informer le public ; qu'en retenant, pour dire n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public et une administration publique, que l'article du journal incriminé n'avait fait que relayer le contenu d'une lettre adressée à quatre vingt dix sept élus et nécessairement rapporté par d'autres moyens que la presse parmi la population et que le journaliste avait pris soins d'indiquer qu'il avait repris le contenu d'une lettre anonyme, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;

" 3) alors qu'il n'appartient pas à la juridiction d'instruction d'apprécier le bien-fondé de la qualification retenue par la plainte avec constitution de partie civile ; qu'en énonçant, pour dire n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public et une administration publique, qu'il lui appartenait de vérifier si l'infraction était ou non caractérisée et, que la diffusion de l'information relative à l'envoi de la lettre à quatre vingt dix sept élus, restait dans le cadre de la libre expression et du droit à l'information, la cour d'appel a violé l'interdiction qui lui est faite d'apprécier le bien fondé de la qualification retenue dans ladite plainte et a excédé ses pouvoirs ;

" 4) alors que la liberté d'expression et le droit à l'information, ne suffisent pas, par eux-mêmes, à détruire l'intention de nuire caractérisée par des expressions malveillantes qui pèse sur l'auteur de la diffamation ; qu'en l'espèce, les propos incriminés qui présentent M.
X...
comme un individu qui doit être « remis à sa place » et auquel il faut « proposer une formation de respect des autres », parce qu'il se livre à du « harcèlement moral » et « impose vexations verbales et directives abruptes » en faisant croire qu'il est proche du président et en ayant même un curieux ascendant sur « son responsable hiérarchique, le DGS Christian Z...», « lui qui baisse la tête dès que ce monsieur monte sur ces grands chevaux et écrase l'ennemi », ainsi que sur les syndicats eux-mêmes, « puisque même les syndicats n'osent pas se lever » comportent l'intention de nuire exclusive de toute bonne foi et de tout motif légitime, eu égard à l'absence de toute objectivité, le journaliste se bornant à rapporter la thèse malveillante d'une personne anonyme ; qu'en retenant que la diffusion de l'information relative à l'envoi de la lettre à quatre-vingt dix sept élus restait dans le cadre de la libre expression et du droit à l'information, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Vu les articles 29, 30 et 31 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que si la présomption d'intention de nuire, résultant des imputations diffamatoires elles-mêmes, peut être combattue et éventuellement détruite par la preuve de l'existence de faits justificatifs suffisants de nature à faire admettre la bonne foi, c'est à la personne poursuivie et à elle seule qu'incombe cette preuve devant la juridiction de jugement ;

Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à suivre sur la plainte avec constitution de partie civile déposée par M.
X...
du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire, à la suite de la publication de l'article du " Journal de l'Ile ", retenu comme diffamatoire en ce qu'il reprenait certaines assertions de la lettre anonyme le mettant en cause, la chambre de l'instruction, par les motifs repris au moyen, déclare que cet article n'a fait que relayer le contenu d'une lettre adressée à 97 élus, et nécessairement rapportée par d'autres moyens que la presse parmi la population ; que le journaliste a pris soin d'indiquer dans son article qu'il reprenait le contenu d'une lettre anonyme, qu'il n'a cité que certains passages dont le contenu n'excède pas les limites acceptables de la liberté d'expression, qu'il s'est du reste abstenu de prendre position, et qu'ainsi la diffusion de l'information relative à l'envoi de cette lettre reste dans le cadre de la libre expression et du droit à l'information ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, les juges ont méconnu le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions ayant dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 19 juillet 2011, toutes autres dispositions étant expressement maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Monfort conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Leprey ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 11-86331
Date de la décision : 11/04/2012
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément intentionnel - Mauvaise foi - Preuve contraire - Charge

Si la présomption d'intention de nuire, qui résulte des imputations diffamatoires elles-mêmes, peut être combattue et éventuellement détruite par la preuve de l'existence de faits justificatifs suffisants de nature à faire admettre la bonne foi, c'est à la personne poursuivie et à elle seule qu'incombe cette preuve devant la juridiction de jugement. Dès lors, encourt la cassation l'arrêt par lequel une chambre de l'instruction, pour dire n'y avoir lieu à suivre sur une plainte de chef de diffamation publique, prononce d'office sur la bonne foi du mis en examen


Références :

Sur le numéro 1 : article 48, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881
Sur le numéro 2 : articles 29, 30 et 31 de la loi du 29 juillet 1881

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de St-Denis, 19 juillet 2011

Sur le n° 1 : Sur la nécessité d'une délibération préalable de l'assemblée générale pour exercer les poursuites en matière de diffamation envers les corps constitués, à rapprocher :Crim., 18 mai 1993, pourvoi n° 91-85129, Bull. crim. 1993, n° 184 (1) (rejet), et les arrêts cités. Sur le n° 2 : Sur la charge de la preuve de la bonne foi en matière de diffamation, à rapprocher :Crim., 5 octobre 1993, pourvoi n° 92-81749, Bull. crim. 1993, n° 276 (3) (cassation), et les arrêts cités


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 11 avr. 2012, pourvoi n°11-86331, Bull. crim. criminel 2012, n° 92
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2012, n° 92

Composition du Tribunal
Président : M. Louvel
Avocat général : M. Sassoust
Rapporteur ?: M. Monfort
Avocat(s) : SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard

Origine de la décision
Date de l'import : 12/09/2012
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2012:11.86331
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