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05/10/1993 | FRANCE | N°92-81749

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 05 octobre 1993, 92-81749


CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X..., épouse Y..., partie civile,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Poitiers, en date du 17 mars 1992, qui a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction disant n'y avoir lieu à suivre sur sa plainte pour diffamation.
LA COUR,
Vu l'article 58 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 23, 29, alinéa 1er, 32, alinéa 1er, 50 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, R. 26.11o du Code pénal, 178 et 593 du Code de procédure pén

ale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt a dit n...

CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X..., épouse Y..., partie civile,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Poitiers, en date du 17 mars 1992, qui a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction disant n'y avoir lieu à suivre sur sa plainte pour diffamation.
LA COUR,
Vu l'article 58 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 23, 29, alinéa 1er, 32, alinéa 1er, 50 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, R. 26.11o du Code pénal, 178 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt a dit n'y avoir lieu à poursuivre contre quiconque du chef de diffamation ;
" aux motifs que la proposition de la pétition à la signature des parents d'élèves le jour de la fête de l'école ne peut donner lieu à poursuite :
" d'une part, parce qu'elle n'a pas été précisée dans la plainte comme un des faits de diffamation incriminés, en méconnaissance des dispositions de l'article 53 de la loi ;
" d'autre part, parce qu'il n'est pas établi que cette pétition ait été présentée, à cette occasion, à d'autres personnes que des parents d'élèves, lesquels, intéressés au conflit et à la vie de l'école, ne peuvent être considérés comme faisant partie du public ;
" le fait, reconnu par l'initiatrice de la pétition, d'avoir alerté la presse en invitant un journaliste à une réunion de parents, et le fait d'avoir livré le contenu de cette pétition à ce journaliste, soit verbalement le jour de la réunion, soit en lui en remettant une copie à sa demande, ne sauraient en eux-mêmes être considérés comme constitutifs du délit de diffamation dans la mesure où un journaliste ne constitue pas le public et n'est pas tenu de publier tout ce qu'il apprend, et ce même si ces initiatives ont été prises dans le dessein de faire pression sur les détenteurs du pouvoir disciplinaire sur Y... ; de telles initiatives sont aujourd'hui si répandues, en raison de leur efficacité, qu'elles font partie des usages admis par l'opinion comme moyens d'action dans les conflits les plus divers ;
" alors, d'une part, que la révélation du contenu d'une lettre comportant des allégations ou imputations diffamatoires, à un tiers qui n'en est pas le destinataire et n'est pas concerné par son objet, suffit, quel que soit le mobile ayant inspiré l'auteur de cette divulgation, à établir le caractère public de l'écrit ; qu'en décidant en l'espèce que le fait d'avoir livré à un journaliste le contenu de la pétition adressée aux instances académiques, où il était fait état de " l'incompétence professionnelle " d'Y..., de ce qu'elle se livrait à la radiesthésie sur ses élèves et avait, procès-verbal de conduite en état d'ivresse à l'appui, une inclination pour l'alcool, n'était pas constitutif du délit de diffamation, motif tiré de ce qu'un journaliste ne constitue pas à lui seul le public et de ce que ce moyen de pression est, à raison de son efficacité, entré dans les usages admis, la chambre d'accusation n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;
" alors, d'autre part, que si la nature, l'étendue et l'objet des poursuites sont irrévocablement fixés par l'acte les initiant, ce n'est pas à charge, pour la partie poursuivante, d'y indiquer toutes les circonstances de fait de nature à caractériser la publicité du délit ; qu'en énonçant, dès lors, que la proposition de la pétition à la fête de l'école ne pouvait donner lieu à poursuite puisque cet acte de diffusion n'avait pas été expressément précisé dans la plainte avec constitution de partie civile, laquelle dénonçait pourtant le délit de diffamation résultant de la pétition " largement diffusée ", objet de la prévention, la chambre d'accusation n'a pas légalement justifié sa décision ;
" alors, encore, que la diffusion d'un écrit diffamatoire dans un lieu qui, serait-il par nature destiné à recevoir des personnes liées par un intérêt commun, est, pour une circonstance particulière, momentanément ouvert au public, suffit, en l'absence de conditions de distribution garantissant sa confidentialité, à établir l'élément matériel de publicité ; qu'en décidant, dès lors, que la divulgation de la pétition litigieuse au cours de la fête de l'école n'avait pas conféré à cet écrit un caractère public, motif pris de ce qu'il n'était pas établi qu'elle ait été présentée à des personnes autres que les parents d'élèves intéressés au conflit et à la vie de l'école, la chambre d'accusation n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient ;
" et alors, enfin, en toute hypothèse, qu'il appartient aux juridictions d'instruction saisies d'une poursuite pour diffamation de rechercher, au cas où les conditions de la publicité ne sont pas réunies, si les faits incriminés ne sont pas susceptibles d'être qualifiés de diffamation non publique assimilée à la contravention d'injures non publiques ; qu'en s'abstenant, en l'espèce, de rechercher si la diffusion dans le cercle des parents d'élèves, auprès de l'institution académique et auprès de journalistes de La Nouvelle République, d'une pétition comportant des allégations et imputations dont elle n'a pas dénié le caractère diffamatoire n'était pas susceptible d'être qualifiée de contravention de diffamation non publique, et partant, de justifier le renvoi des personnes concernées devant le tribunal de police, la chambre d'accusation n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'il appartient à la Cour de Cassation de contrôler si la publicité, qui est l'un des éléments constitutifs de certaines infractions de presse prévues par la loi du 29 juillet 1881, se trouve établie ;
Attendu que si la diffusion d'un écrit aux seuls membres d'un groupement de personnes liées par une communauté d'intérêts ne constitue pas une distribution publique au sens de l'article 23 de la loi précitée, l'élément de publicité est caractérisé par la diffusion de cet écrit ou de son contenu à une ou plusieurs personnes étrangères à ce groupement ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu rendue sur la plainte avec constitution de partie civile pour diffamation déposée par X..., épouse Y..., à la suite de l'élaboration, de la signature par un groupe de parents d'élèves et de l'envoi aux autorités civiles et religieuses dont dépendait la plaignante d'une pétition retenue à raison de son caractère diffamatoire, la chambre d'accusation déduit des motifs rapportés au moyen qu'en l'absence de publicité, le délit de diffamation n'est pas caractérisé ;
Mais attendu qu'en refusant de prendre en considération le fait que le texte de la pétition a été oralement communiqué ou remis en copie à un journaliste au cours d'une réunion de parents d'élèves à laquelle celui-ci était étranger et adressé aux autorités destinataires, les juges n'ont pas tiré de leurs constatations les conséquences qui pouvaient en découler ;
Qu'ainsi ils ont méconnu les principes susvisés ;
Que leur arrêt encourt la censure de ce chef ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt a dit n'y avoir lieu à poursuivre quiconque du chef de la publication de la pétition par voie de presse ;
" aux motifs que, quant à l'article de presse critiqué, il ne constitue qu'un article d'information sur un sujet d'intérêt local de la nature de ceux que les journalistes estiment avoir le droit et le devoir de publier ; en effet, le conflit qui est né entre Y... et certains parents d'élèves a eu un retentissement important dans la commune ; il a entraîné des retraits d'enfants de l'école, au point de compromettre la survie de celle-ci ; en raison de son objet et de son domaine, l'éducation des enfants et le fonctionnement d'une école, ce conflit faisait partie à l'évidence de ceux auxquels l'opinion publique est particulièrement attentive et devait retenir l'attention du journaliste responsable de l'information locale et faire l'objet d'un article ; il est à relever que cet article, rédigé sur un ton humoristique et badin ainsi que l'annonce son titre " la maîtresse radiesthésiste au piquet ", et même parfois empreint de dérision, donne une présentation d'ensemble du conflit, fait son historique et tente d'en discerner une issue, mais n'est nullement accablant pour Y... ; s'il cite quelques-uns des griefs qui lui sont faits par ses détracteurs, il signale aussi qu'une moitié des parents d'élèves la soutient et qu'un comité de défense a été constitué ; de plus, il fait état longuement de réponses d'Y... aux reproches qui lui sont faits ; ainsi, considéré dans son ensemble, cet article de presse ne revêt aucun caractère diffamatoire, ne constituant que la relation neutre, objective et à l'évidence donnée de bonne foi, d'un conflit qu'un professionnel de l'information consciencieux ne pouvait passer sous silence ;
" alors que c'est au prévenu et à lui seul qu'incombe la preuve des faits justificatifs de nature à détruire la présomption de mauvaise foi résultant d'imputations diffamatoires ; qu'en se fondant, dès lors, sur des circonstances relevées d'office, tirées notamment de la finalité de l'article et du ton adopté, pour en déduire que celui-ci ne constituait qu'une relation neutre et objective, exclusive donc de toute mauvaise foi, la chambre d'accusation n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que si la présomption d'intention de nuire, résultant des imputations diffamatoires elles-mêmes, peut être combattue et éventuellement détruite par la preuve de l'existence de faits justificatifs suffisants de nature à faire admettre la bonne foi, c'est à la personne poursuivie et à elle seule qu'incombe cette preuve devant la juridiction de jugement ;
Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à suivre sur la plainte avec constitution de partie civile déposée par X..., épouse Y..., pour diffamation à la suite de la publication dans le numéro du quotidien La Nouvelle République daté du 21 juillet 1989 d'un article intitulé " la maîtresse radiesthésiste au piquet ", signé de Z..., et retenu comme diffamatoire, en ce qu'il reprenait certaines imputations contenues dans la pétition adressée aux autorités civiles et religieuses dont dépendait la plaignante, la chambre d'accusation, par les motifs repris au moyen, déclare que l'article incriminé ne constitue qu'une " relation neutre, objective et, à l'évidence, donnée de bonne foi " ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, les juges ont méconnu le principe ci-dessus rappelé ;
Que l'arrêt encourt la cassation derechef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Poitiers, en date du 17 mars 1992, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Limoges.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 92-81749
Date de la décision : 05/10/1993
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément matériel - Publicité - Contrôle de la Cour de Cassation.

1° Il appartient à la Cour de Cassation de contrôler si la publicité, qui est l'un des éléments constitutifs de certaines infractions de presse prévues par la loi du 29 juillet 1881, se trouve établie (1).

2° PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément matériel - Publicité - Pétition - Diffusion - Etendue.

2° Si la diffusion d'un écrit aux seuls membres d'un groupement de personnes liées par une communauté d'intérêts ne constitue pas une distribution publique au sens de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, l'élément de publicité est caractérisé par la diffusion de cet écrit ou de son contenu à une ou plusieurs personnes étrangères à ce groupement (2).

3° PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément intentionnel - Mauvaise foi - Preuve contraire - Charge.

3° PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément intentionnel - Mauvaise foi - Preuve contraire - Appréciation - Juridiction compétente.

3° Si la présomption d'intention de nuire qui résulte des imputations diffamatoires elles-mêmes peut être combattue et éventuellement détruite par la preuve de l'existence de circonstances particulières de nature à faire admettre la bonne foi, c'est à la personne poursuivie et à elle seule qu'incombe cette preuve devant la juridiction de jugement (3).


Références :

1° :
2° :
3° :
Loi du 29 juillet 1881 art. 23
Loi du 29 juillet 1881 art. 23, art. 29 al. 1
Loi du 29 juillet 1881 art. 29 al. 1, art. 32 al. 1

Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers (chambre d'accusation), 17 mars 1992

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1984-02-21, Bulletin criminel 1984, n° 65, p. 166 (cassation) ;

Chambre criminelle, 1985-10-02, Bulletin criminel 1985, n° 293, p. 754 (cassation partielle). CONFER : (2°). (2) Cf. Chambre criminelle, 1981-07-15, Bulletin criminel 1981, n° 232, p. 617 (cassation), et les arrêts cités. A comparer : Chambre criminelle, 1993-01-26, Bulletin criminel 1993, n° 41 (1), p. 94 (cassation partielle). CONFER : (3°). (3) Cf. Chambre criminelle, 1991-11-26, Bulletin criminel 1991, n° 438 (1), p. 1118 (rejet), et les arrêts cités. A comparer : Chambre criminelle, 1987-06-12, Bulletin criminel 1987, n° 247, p. 671 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 05 oct. 1993, pourvoi n°92-81749, Bull. crim. criminel 1993 N° 276 p. 694
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1993 N° 276 p. 694

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Dumont, conseiller le plus ancien faisant fonction.
Avocat général : Avocat général : M. Libouban.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Batut.
Avocat(s) : Avocat : la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1993:92.81749
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