LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique du pourvoi de M. X... :
Vu l'article L. 3253-6 du code du travail, ensemble l'article 3 de la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a occupé en Belgique sur un chantier de la société VPK, un emploi de contremaître puis de chef d'équipe, d'abord, à partir de mars 1997 au service de la société française EBM dont le siège social est à Quievrain (Nord), puis, à compter de septembre 2000, à celui de la société Sotimon, également française et dont le siège social est Teteghem (Nord) ; qu'ayant saisi le conseil de prud'hommes de Dunkerque de diverses demandes à la suite de son licenciement survenu en décembre 2003, et la société Sotimon ayant été placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Dunkerque du 1er juin 2004, il a demandé, à titre principal, la garantie de l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), et, à titre subsidiaire, celle du Fonds de fermeture des entreprises de l'Office national de l'emploi en Belgique ; que la chambre sociale de la Cour de cassation a, par arrêt n° 2283 du 18 novembre 2009, sursis à statuer sur le pourvoi principal du salarié en posant à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle ;
Attendu que pour rejeter la demande de garantie formée contre le CGEA de Lille et retenir la garantie du Fonds de fermeture des entreprises de l'Office national de l'emploi en Belgique, l'arrêt retient que lorsque les travailleurs victimes de l'insolvabilité de leur employeur exercent leur activité salariée dans un Etat membre, pour le compte de la succursale d'une société constituée selon le droit d'un autre Etat membre dans lequel cette société a son siège social et que cette dernière est mise en liquidation, l'institution compétente, au sens de l'article 3 de la directive 80/987 du 20 octobre 1980, pour le paiement des créances de ces travailleurs, est celle de l'Etat sur le territoire duquel ils exercent leur activité salariée ;
Attendu cependant que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 17 novembre 2010, affaire C-477/09) a dit pour droit, d'une part, que l'article 3 de la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, dans la version de celle-ci antérieure à celle découlant de sa modification par la directive 2002/74/CE, doit être interprété en ce sens que, pour le paiement des créances impayées d'un travailleur qui a habituellement exercé son activité salariée dans un État membre autre que celui où se trouve le siège de son employeur déclaré insolvable avant le 8 octobre 2005, lorsque cet employeur n'est pas établi dans cet autre État membre et remplit son obligation de contribution au financement de l'institution de garantie dans l'État membre de son siège, c'est cette institution qui est responsable des obligations définies par cet article, et, d'autre part, que la directive 80/987 ne s'oppose pas à ce qu'une législation nationale prévoie qu'un travailleur puisse se prévaloir de la garantie salariale de l'institution nationale, conformément au droit de cet État membre, à titre complémentaire ou substitutif par rapport à celle offerte par l'institution désignée comme étant compétente en application de cette directive, pour autant, toutefois, que ladite garantie donne lieu à un niveau supérieur de protection du travailleur ;
Qu'en statuant comme elle a fait, alors qu'elle avait constaté que si le salarié avait exercé habituellement son activité en Belgique, la société Sotimon n'y était pas établie et cotisait auprès de l'AGS, de sorte que c'est cette dernière qui devait garantir les créances du salarié fixées au passif de son employeur, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a mis hors de cause le CGEA de Lille et dit que le Fonds de fermeture des entreprises de l'Office national de l'emploi en Belgique sera tenu à garantie, l'arrêt rendu le 31 janvier 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi du chef de la cassation ;
Déclare le présent arrêt opposable à l'AGS et au CGEA de Lille qui seront tenus à garantie des créances de M. X... telles que fixées par l'arrêt au passif de la société Sotimon dans la limite prévue par le 1er alinéa de l'article D. 3253-5 du code du travail ;
Condamne M. Y..., ès qualités et le CGEA de Lille aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne, in solidum, M. Y..., ès qualités, et le CGEA de Lille à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et signé par Mme Mazars, conseiller doyen en ayant délibéré, conformément aux dispositions de l'article 456 du code de procédure civile, en son audience publique du vingt et un septembre deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils pour M. X....
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR rejeté la demande de formulée par M. X... contre le CGEA de Lille et d'AVOIR, en conséquence, mis ce dernier hors de cause ;
AUX MOTIFS QUE la directive 2002/74/CE du parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 modifiant la directive 80/987/CE du Conseil concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur prévoit l'insertion d'un nouvel article 8 bis dans la directive 80/987 disposant que « lorsqu'une entreprise ayant des activités sur le territoire d'au moins deux Etats membres se trouve en état d'insolvabilité au sens de l'article 2§1, l'institution compétente pour le paiement des créances impayées des travailleurs est celle de l'Etat membre sur le territoire duquel ils exercent ou exerçaient habituellement leur travail » ; que toutefois, l'article 2§1 de la directive 2002/74 prévoit un délai d'intégration fixé au 8 octobre 2005 et dispose que les Etats membres appliquent les dispositions de la directive à tout état d'insolvabilité d'un employeur intervenu après la date de mise en vigueur de ces dispositions ; que la société Sotimon a été placée en liquidation judiciaire le 1er juin 2004 et qu'aucun texte n'avait été adopté à cette date pour l'intégration en droit français de la directive 2002/74 ; que toutefois, par arrêt du 16 décembre 1999 (Everson et Barass contre Bell aff. C-198/98), la Cour de justice a dit pour droit que, lorsque les travailleurs victimes de l'insolvabilité de leur employeur exercent leur activité salariée dans un état membre, pour le compte de la succursale d'une société constituée selon le droit d'un autre Etat membre, dans lequel cette société a son siège social et est mise en liquidation, l'institution compétente, au sens de l'article 3 de la directive 80/987 du 20 octobre 1980, pour le paiement des créances de ces travailleurs, est celle de l'Etat sur le territoire duquel ils exercent leur activité salariée ; que cette jurisprudence est appliquée par la Cour de cassation (par exemple Soc. 3 juin 2003) ; qu'un Etat membre n'est pas tenu de prendre une disposition normative pour mettre son droit interne en conformité avec les objectifs d'une directive communautaire si son droit interne est déjà conforme à la directive ; que la jurisprudence française, en application de la jurisprudence communautaire, est déjà conforme à l'article 8bis de la directive 80/987 telle que résultant de la directive 2002/74 ; qu'il y avait lieu d'appliquer cette règle ;
ET AUX MOTIFS QU'à l'étude du dossier et des nombreuses pièces produites par le salarié, la cour constate que la société Sotimon dont le siège était à Téteghem près de Dunkerque faisait partie du groupe belge Brant Industrial Services Groupes (BISG) qui figurait d'ailleurs sur ses documents commerciaux ; que le salarié fait valoir lui-même qu'il travaillait à compter de mars 1997 pour le compte de la société EBM dont le siège était à Quievrain (Nord) sur le même site d'Oudeghem de la société Oudeghem papier (groupe VPK Packaging) ; qu'en août 2002, le chantier a été repris par la société Sotimon faisant partie du même groupe de sociétés belges ; que le salarié a toujours travaillé à Oudeghem en Belgique dans les locaux de la société VPK mis à disposition de la société Sotimon ; qu'il a indiqué qu'il y dirigeait entre 25 et 40 salariés et que les matériels de la société Sotimon y demeuraient toujours ; que M. X... rendait compte de son activité et notamment envoyait les relevés d'heures des salariés de la société Sotimon à M. Z... à la société BISG ; que figure au dossier une traduction d'un e-mail de M. Z... du 25 octobre 2002 adressé à M. X... et dont l'objet était la « visite inspection sociale chez VPK » et qui mentionnait : « Charles, points importants : le chantier est un chantier Lauer (on facture à Lauer) ; le personnel est sous la direction de Charles X... et de Daniel A... et non sous la direction de VPK ; s'il est demandé au personnel depuis combien de temps ils travaillent sur le chantier : réponse : quelques mois puis ils travaillent en France…les belges (momentanément malades) doivent avoir leur document individuel » ; que toutes les feuilles d'attachement produites au nom de la société EBM puis de la société Sotimon et signées de M. X... sur la période 1997-2003 ainsi que toutes les feuilles de pointage des salariés montrent que l'activité avait toujours lieu sur le site d'Oudeghem soit au nom d'Oudeghem Papier soit au nom de VPK Packaging ; qu'il résulte d'un document à en-tête de la société Lauer qu'elle faisait aussi partie du groupe BISG ; qu'aucun autre chantier n'est mentionné dans les centaines de feuilles de pointage des salariés et de feuilles d'attachement signées par le client, c'est-à-dire par Oudeghem Papier puis VPK Packaging ; que les plannings provisoires de travail étaient adressés à partir d'Oudeghem par M. X... à M. Z... à l'adresse Bisg.Be ; que, par email M. Z... se plaignait à M. X... de n'avoir pas été informé d'une décision concernant le personnel sur le site VPK Oudeghem ; qu'il résulte des conclusions du salarié qu'il avait pour mission de contacter les clients, d'estimer le coût des fabrications, de gérer le personnel sur site avec délégation de pouvoir disciplinaire, de gérer le matériel et l'outillage, d'établir la pré-facturation, de gérer les aspects de sécurité et de prévention, de gérer le planning du personnel, de recevoir les commandes et d'établir les prix, d'établir une facturation forfaitaire, qu'il avait le pouvoir de signer certaines factures jusqu'à 300.000 euros ; qu'il n'est pas contesté que cette activité a toujours été accomplie sur le site d'Oudeghem en Belgique appartenant à la société VPK et mis à disposition de la société Sotimon ; que la seule activité en France de la société Sotimon était l'édition des fiches de paie des salariés ; que la personne sous l'autorité de laquelle se trouvait M. X... se trouvait en Belgique au sein de la société BISG dont la société Sotimon n'était qu'une des filiales ; qu'il résulte de l'ensemble des éléments relevés par la cour que la société Sotimon a un établissement en Belgique à Ooudeghem ; que l'activité de la société Sotimon enregistrée en France est entièrement tournée vers la Belgique ; que M. X... a toujours accompli sa prestation de travail en Belgique ;
1) ALORS QUE lorsque l'employeur est établi dans un autre Etat membre que celui sur le territoire duquel le travailleur réside et exerçait son activité salariée, l'institution de garantie compétente, au sens de l'article 3 de la directive n° 80/987/CEE du conseil du 20 octobre 1980, pour le paiement des créances de ce travailleur en cas d'insolvabilité de son employeur, est l'institution de l'Etat sur le territoire duquel, soit l'ouverture de la procédure de désintéressement collectif est décidée, soit la fermeture de l'entreprise ou de l'établissement de l'employeur est constatée ; qu'en se fondant, en l'espèce, pour retenir la compétence de l'institution de garantie des créances salariales de Belgique et exclure celle de l'AGS de Lille, sur la circonstance en réalité inopérante que la société Sotimon dont le siège était en France, était la filiale d'une société belge, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 3 et suivants de la directive n° 80/987/CEE du conseil du 20 octobre 1980 et de L. 143-11-1 du code du travail ;
2) ALORS QUE la seule reprise, par un employeur ayant son siège social dans un Etat membre, d'un « chantier » situé dans un autre Etat membre, ne suffit pas établir qu'il y dispose d'un établissement stable ayant une vocation de permanence, justifiant que les créances des salariés qui travaillent sur ce chantier soient garanties, en cas d'insolvabilité de leur employeur, par les institutions du lieu d'exécution du chantier ; qu'en se fondant, pour retenir la compétence de l'institution de garantie des créances salariales de Belgique et exclure celle de l'AGS de Lille, sur la circonstance en réalité inopérante que la société Sotimon qui avait son siège social en France, avait repris un « chantier » en Belgique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale les articles 3 et suivants de la directive n° 80/987/CEE du conseil du 20 octobre 1980 et L. 143-11-1 du code du travail ;
3) ALORS en tout état de cause QUE le lieu, au sens de la Directive, dans lequel le travailleur accomplit habituellement son travail est en principe celui où sont versées les cotisations sociales correspondantes destinées à couvrir l'éventuelle réclamation des salaires ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations selon lesquelles la société Sotimon avait son siège social en France, y établissait les fiches de paie de ses salariés, étant constant qu'elle y versait les cotisations sociales correspondantes, ce dont il résultait que les salariés de la société Sotimon étaient réputés, au sens de la Directive, travailler habituellement en France et que l'institution compétente pour garantir leurs créances salariés était l'institution française avec laquelle ils avaient les liens sociaux les plus étroits, et non l'institution belge, la cour d'appel a violé les articles 3 et suivants de la directive n° 80/987/CEE du conseil du 20 octobre 1980 et L. 143-11-1 du code du travail ;
4) ALORS QUE l'institution compétente pour garantir les créances salariales est celle du lieu de l'Etat où a été ouverte la procédure de désintéressement collectif des créanciers et où à partir duquel la fermeture de l'employeur a été décidée ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations selon lesquelles l'ouverture de la procédure collective et la liquidation judiciaire de la société Sotimon résultaient d'un jugement d'un tribunal Français, ce dont il résultait que les salariés de la société Sotimon étaient réputés, au sens de la Directive, travailler habituellement en France et que l'institution compétente pour garantir leurs créances salariés était l'institution française avec laquelle ils avaient les liens sociaux les plus étroits, et non l'institution belge, la cour d'appel a violé les articles 3 et suivants de la directive n° 80/987/CEE du conseil du 20 octobre 1980 et L. 143-11-1 du code du travail.