LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et la fondation Letten F. Saugstad (la fondation), association de droit privé norvégien, ont conclu un "protocole d'accord" relatif à la construction d'un pôle de recherche en neurobiologie, comportant une clause compromissoire ; qu'à la suite d'un différend, l'arbitre, désigné par ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Paris, saisi par l'INSERM, a rendu sa sentence le 4 mai 2007 aux termes de laquelle il a débouté l'INSERM de sa demande en paiement et l'a condamné à restituer à la fondation la somme de 304 878,03 euros avec intérêts ; que l'INSERM a saisi concomitamment la cour administrative d'appel de Marseille d'un appel et la cour d'appel de Paris d'un recours en annulation à l'encontre de la sentence arbitrale ; que l'arrêt attaqué (Paris, 13 novembre 2008) a rejeté le recours ; que pour sa part, saisi de la requête présentée initialement à la cour administrative d'appel, le Conseil d'Etat a renvoyé au Tribunal des conflits la question de savoir si l'action introduite par l'INSERM relevait ou non de la compétence de la juridiction administrative ; que par décision du 17 mai 2010, le Tribunal des conflits a jugé que la juridiction judiciaire était compétente pour connaître du recours en annulation formé par l'INSERM ;
Sur le second moyen, qui est préalable :
Attendu que l'INSERM fait grief à l'arrêt d'avoir qualifié l'arbitrage d'international, alors, selon le moyen :
1°/ que l'arbitrage n'est international que s'il met en cause les intérêts du commerce international ; que le financement par une fondation étrangère de la construction d'un bâtiment en France, dont la maîtrise d'ouvrage est confiée à un établissement public à caractère scientifique, et dont la destination est l'accueil d'un centre de recherche médicale dépendant dudit établissement constitue une opération étrangère au commerce international et insusceptible de mettre en cause les intérêts de ce dernier ; que la cour d'appel a donc violé, par fausse application, l'article 1492 du code de procédure civile ;
2°/ qu'un mouvement de fonds en provenance de l'étranger ne met pas en cause, à lui seul, les intérêts du commerce international ; qu'en se bornant à constater que le contrat prévoyait le versement, en France, de fonds en provenance de la Fondation norvégienne, sans caractériser la mise en cause des intérêts du commerce international, la cour d'appel a violé l'article 1492 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en outre, la volonté des parties étant sans incidence sur la qualification de l'arbitrage en arbitrage international, en se référant aux déclarations faites par les parties devant le juge des référés et dans l'acte de mission, la cour d'appel a violé l'article 1492 du code de procédure civile ;
4°/ qu'enfin, l'autorité de chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en se fondant sur la constatation, au sein des motifs de l'ordonnance du président du tribunal de grande instance, aux termes de laquelle les parties se seraient accordées sur le caractère international de l'arbitrage, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil ;
Mais attendu qu'après avoir énoncé justement que selon l'article 1492 du code de procédure civile, est international l'arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international, que l'internationalité de l'arbitrage fait appel à une définition économique selon laquelle il suffit que le litige soumis à l'arbitre porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul Etat, et ce, indépendamment de la qualité ou de la nationalité des parties, de la loi applicable au fond ou à l'arbitrage, ou encore du siège du tribunal arbitral, la cour d'appel retient que l'objet du protocole d'accord était de mettre en commun les efforts de l'INSERM et de la fondation "pour favoriser la réalisation d'un projet de construction d'un pôle de recherche en neurobiologie et la formation de cliniciens et de chercheurs dans ce domaine " avec un financement pour la plus grande partie par la fondation, ce qui impliquait des mouvements de fonds de la fondation norvégienne au-delà des frontières ; que, par ce seul motif, elle a exactement décidé que l'arbitrage était international ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches, ci-après annexé :
Attendu que l'INSERM fait grief à l'arrêt d'avoir refusé de surseoir à statuer sur la question préjudicielle relative à la validité de la clause compromissoire stipulée dans le contrat administratif conclu entre l'INSERM et la fondation, d'avoir déclaré cette clause valable et d'avoir rejeté le recours en annulation contre la sentence arbitrale ;
Attendu que le Tribunal des conflits a, dans sa décision du 17 mai 2010, jugé que la juridiction judiciaire était compétente pour connaître du recours en annulation ; que le moyen est devenu sans objet ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'INSERM aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'INSERM et la condamne à payer à la fondation la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour l'Institut national de la santé et de la recherche médicale.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir refusé de surseoir à statuer sur la question préjudicielle relative à la validité de la clause compromissoire figurant dans le contrat administratif conclu entre l'Inserm et la fondation Letten, d'avoir déclaré cette clause valable et d'avoir rejeté le recours en annulation exercé par l'Inserm contre la sentence arbitrale rendue le 4 mai 2007 par Monsieur X..., arbitre unique ;
AUX MOTIFS QUE d'après l'article 1492 du code civil, est international l'arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international ; que l'internationalité de l'arbitrage fait exclusivement appel à une définition entièrement économique selon laquelle il suffit que le litige soumis à l'arbitre porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul Etat, et ce indépendamment de la qualité ou de la nationalité des parties, de la loi applicable au fond ou à l'arbitrage, ou encore du siège du tribunal arbitral ; que le recours en annulation de la sentence arbitrale rendue en France en matière d'arbitrage international est, en vertu de l'article 1505 du code de procédure civile, porté devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue ; que la voie de recours contre la sentence rendue à Paris, en matière d'arbitrage international, a donc été exercée à juste titre devant la cour d'appel de Paris ; qu'en conséquence, la procédure engagée devant les juridictions de l'ordre administratif et pendante actuellement devant le Conseil d'Etat est sans incidence sur le recours en annulation formé devant la cour d'appel de Paris de cette sentence arbitrale ; que, par suite, la demande de sursis est rejetée ; que la prohibition pour un Etat de compromettre est limitée aux contrats d'ordre interne sous réserve de disposition législative contraire ; qu'au vu du principe de validité de la clause d'arbitrage international, le moyen unique pris de la nullité de la convention d'arbitrage en vertu de l'article 1502-1° du code de procédure civile et partant le recours en annulation sont rejetés ;
ALORS QUE l'appréciation de la validité d'une clause compromissoire figurant dans un contrat à caractère administratif relève de la seule compétence des juridictions administratives, que ce contrat mette ou non en cause les intérêts du commerce international, et l'exception de nullité d'une telle clause constitue, devant le juge judiciaire saisi d'un recours en annulation d'une sentence rendue en matière d'arbitrage international, une question préjudicielle imposant qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction administrative compétente ; qu'en rejetant la demande de sursis à statuer présentée par l'Inserm, qui invoquait la nullité de la clause compromissoire figurant dans le contrat, à caractère administratif, conclu par l'Inserm et la fondation Letten et en se prononçant sur la validité de cette clause, la cour d'appel a violé le principe de la séparation des pouvoirs, la loi des 16, 24 août 1790, et a commis un excès de pouvoir ;
ALORS QUE, subsidiairement la Cour de cassation peut, sur le fondement de l'article 35 du décret du 26 octobre 1949, renvoyer au Tribunal des conflits la question de savoir quelle est la juridiction compétente pour statuer sur la validité d'une clause compromissoire insérée dans un contrat administratif, dans l'hypothèse où l'arbitrage aurait un caractère international.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir qualifié d'international l'arbitrage opposant l'Inserm à de la Fondation Letten, d'avoir refusé de surseoir à statuer et d'avoir rejeté le recours en annulation exercé par l'Inserm contre la sentence arbitrale rendue le 4 mai 2007 par Monsieur X..., arbitre unique ;
AUX MOTIFS QUE d'après l'article 1492 du code civil, est international l'arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international ; que l'internationalité de l'arbitrage fait exclusivement appel à une définition entièrement économique selon laquelle il suffit que le litige soumis à l'arbitre porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul Etat, et ce indépendamment de la qualité ou de la nationalité des parties, de la loi applicable au fond ou à l'arbitrage, ou encore du siège du tribunal arbitral ; que l'objet du protocole d'accord était, aux termes de son préambule, de mettre en commun les efforts de l'Inserm et de la Fondation Letten pour « favoriser la réalisation d'un projet de construction d'un pôle de recherche en neurobiologie » avec construction d'un bâtiment « exclusivement affecté à la recherche en neurobiologie et à la formation de cliniciens et de chercheurs en ce domaine » avec un financement pour la plus grande partie par la Fondation, ce qui implique des mouvements de fonds de la Fondation norvégienne au-delà des frontières ; qu'au demeurant, ainsi que l'énonce l'ordonnance rendue le 15 mai 2006 par le président du tribunal de grande instance de Paris, « les parties s'accordent à considérer qu'il s'agit d'un arbitrage international » et que dans l'acte de mission les parties sont convenues expressément du caractère international de l'arbitrage ; que le recours en annulation de la sentence arbitrale rendue en Franc en matière d'arbitrage international est, en vertu de l'article 1505 du code de procédure civile, porté devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue ; que la voie de recours contre la sentence rendue à Paris, en matière d'arbitrage international, a donc été exercée à juste titre devant la cour d'appel de Paris ; qu'en conséquence, la procédure engagée devant les juridictions de l'ordre administratif et pendante actuellement devant le Conseil d'Etat est sans incidence sur le recours en annulation formé devant la cour d'appel de Paris de cette sentence arbitrale ; que, par suite, la demande de sursis est rejetée ; que la prohibition pour un Etat de compromettre est limitée aux contrats d'ordre interne sous réserve de disposition législative contraire, ; qu'au vu du principe de validité de la clause d'arbitrage international, le moyen unique pris de la nullité de la convention d'arbitrage en vertu de l'article 1502-1° du code de procédure civile et partant le recours en annulation sont rejetés ;
ALORS D'UNE PART QUE l'arbitrage n'est international que s'il met en cause les intérêts du commerce international ; que le financement par une fondation étrangère de la construction d'un bâtiment en France, dont la maîtrise d'ouvrage est confiée à un établissement public à caractère scientifique, et dont la destination est l'accueil d'un centre de recherche médicale dépendant dudit établissement constitue une opération étrangère au commerce international et insusceptible de mettre en cause les intérêts de ce dernier ; que la cour d'appel a donc violé, par fausse application, l'article 1492 du code de procédure civile ;
ALORS D'AUTRE PART QU'un mouvement de fonds en provenance de l'étranger ne met pas en cause, à lui seul, les intérêts du commerce international ; qu'en se bornant à constater que le contrat prévoyait le versement, en France, de fonds en provenance de la Fondation norvégienne, sans caractériser la mise en cause des intérêts du commerce international, la cour d'appel a violé l'article 1492 du code de procédure civile ;
ALORS EN OUTRE QUE la volonté des parties étant sans incidence sur la qualification de l'arbitrage en arbitrage international, en se référant aux déclarations faites par les parties devant le juge des référés et dans l'acte de mission, la cour d'appel a violé l'article 1492 du code de procédure civile ;
ALORS ENFIN QUE l'autorité de chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en se fondant sur la constatation, au sein des motifs de l'ordonnance du président du tribunal de grande instance, aux termes de laquelle les parties se seraient accordées sur le caractère international de l'arbitrage, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil.