La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/12/2010 | FRANCE | N°10-81984

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 07 décembre 2010, 10-81984


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- Mme Ginette X..., épouse Y...,
- M. Roger Z...,
- Mme Charlotte A...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 3e chambre, en date du 2 mars 2010, qui, pour diffamation publique envers une administration, les a condamnés chacun à 500 euros d'amende avec sursis ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de

la procédure que, saisi sur citation directe du procureur de la République près le tribunal de grande...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- Mme Ginette X..., épouse Y...,
- M. Roger Z...,
- Mme Charlotte A...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 3e chambre, en date du 2 mars 2010, qui, pour diffamation publique envers une administration, les a condamnés chacun à 500 euros d'amende avec sursis ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, saisi sur citation directe du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Rennes à la suite d'une plainte du ministre de l'intérieur pour diffamation et injures publiques envers la police nationale, le tribunal correctionnel a jugé que certains propos contenus dans des tracts diffusés par Mme Y..., M. Z... et Mme A... au cours d'une manifestation de soutien à des étrangers sans papiers étaient diffamatoires à l'encontre de la police de l'air et des frontières mais leur a accordé le bénéfice de la bonne foi ; qu'appel a été interjeté par le procureur de la République et par les prévenus ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 23, 29, 30 et 42 de la loi du 29 juillet 1881 et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Mmes Y..., A... et M. Z... coupables du délit de diffamation publique envers une administration publique et a condamné chacun d'eux à la peine de 500 euros d'amende assortis du sursis ;

"aux motifs que suivant l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, « est une diffamation toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » ; que les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec l'intention de nuire, cette présomption ne pouvant disparaître qu'en présence de faits justificatifs de nature à faire admettre la bonne foi de son auteur, qui suppose que celui-ci ait agi sans animosité personnelle, en poursuivant un but légitime, avec prudence et mesure dans l'expression et ayant vérifié sa source ; qu'il résulte de l'enquête et des débats que Mmes Y..., A... et M. Z... ont reconnu être au nombre des personnes ayant élaboré, distribué et diffusé publiquement les deux tracts incriminés ; qu'il est constant que les écrits poursuivis s'inscrivent dans le cadre d'un débat public portant sur la politique d'immigration décidée par les autorités françaises et la mise en oeuvre de celle-ci par les fonctionnaires de police et que la défense des étrangers sans papiers revendiquée par les prévenus doit s'analyser comme l'expression d'une conviction politique, revêtant à ce titre un caractère légitime ; qu'aussi, même si le ton employé dans les tracts, destinés à interpeller l'opinion publique, est satirique et polémique, voire particulièrement cynique, notamment dans l'utilisation du pastiche du sergent recruteur, les allégations incriminées des deux tracts litigieux, à l'exception de celle affirmant que « les méthodes brutales de la police aux frontières, arrestation, perquisition, visent en priorité, dans l'esprit de ses agents souvent familiers des idées racistes, les noirs et les arabes », n'excédent pas, replacées dans le contexte d'une lutte militante, les limites admissibles à la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en revanche, affirmer que les agents de la police aux frontières seraient « familiers des idées racistes », même en modérant cette allégation avec l'ajout de l'adverbe «souvent », associé à la dénonciation de leurs « méthodes brutales» visant « en priorité ... les noirs et les arabes », constituant dès lors un fait précis au sens de l'article 29 précité, procède pour le moins d'un amalgame hâtif et revêt un caractère outrancier inutilement blessant, excédant ce qui est tolérable dans le débat politique et exclusif de la bonne foi dont se prévalent les prévenus ;

"1) alors que pour constituer une diffamation l'imputation de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée doit se présenter sous forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficultés l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire ; que la seule expression d'une opinion sur les pratiques d'une administration publique, en l'espèce la police aux frontières, qui s'inscrit dans un débat d'idées plus vaste relatif au fonctionnement des institutions de la République, est insusceptible de constituer en tant que tel le délit de diffamation, en ce qu'elle ne constitue pas une articulation précise de faits, mais une opinion critique relevant du seul débat d'idées, fût-il polémique ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

"2) alors que toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure ; qu'en relevant, pour déclarer les prévenus coupables du délit de diffamation envers une administration publique, que les propos tenus dans les tracts litigieux revêtaient un caractère outrancier, ce dont il résultait qu'ils relevaient non pas de la diffamation mais de l'injure, non poursuivie en l'espèce, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; que la cassation pourra intervenir sans renvoi" ;

Vu l'article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que, pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ;

Attendu que l'arrêt énonce que certains propos incriminés qui imputent à la police de l'air et des frontières des méthodes brutales, arrestation, perquisition vise en priorité, dans l'esprit de ses agents souvent familiers des idées racistes, les noirs et les arabes, constituent un fait précis au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que les propos poursuivis constituaient l'expression d'une opinion injurieuse, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ; que, n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, toute requalification étant exclue en application de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le second moyen de cassation proposé :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, en date du 2 mars 2010 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Guérin conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Téplier ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 10-81984
Date de la décision : 07/12/2010
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément matériel - Allégation ou imputation d'un fait précis - Articulation précise de faits susceptibles d'être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire

Pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme de l'articulation précise de faits imputables au plaignant de nature à être, sans difficulté l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire. Tel n'est pas le cas des propos contenus dans un tract, selon lequel "les méthodes brutales de la police aux frontières (arrestation, perquisition) visent en priorité, dans l'esprit de ses agents souvent familiers des idées racistes, les noirs et les arabes", qui constituent l'expression d'une opinion injurieuse


Références :

article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 02 mars 2010

Sur la nature du ou des faits précis allégué(s) ou imputé(s), constitutifs du délit de diffamation, à rapprocher :Ass. Plén., 25 juin 2010, pourvoi n° 08-86891, Bull. crim. 2010, Ass. plén., n° 1 (rejet)

arrêt cité


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 07 déc. 2010, pourvoi n°10-81984, Bull. crim. criminel 2010, n° 197
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2010, n° 197

Composition du Tribunal
Président : M. Louvel
Avocat général : M. Robert
Rapporteur ?: M. Guérin
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2010:10.81984
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award