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13/04/2010 | FRANCE | N°09-82389

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 avril 2010, 09-82389


Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Franz-Olivier,- LA SOCIÉTÉ LE POINT-SEBDO, civilement responsable,

contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 8e chambre, en date du 11 mars 2009, qui, pour diffamation publique envers un fonctionnaire public, a condamné le premier à 2 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29, 31 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européennes des droits de l'homme, des a

rticles 591 et 593 du code de procédure pénale, excès de pouvoir et violat...

Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Franz-Olivier,- LA SOCIÉTÉ LE POINT-SEBDO, civilement responsable,

contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 8e chambre, en date du 11 mars 2009, qui, pour diffamation publique envers un fonctionnaire public, a condamné le premier à 2 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29, 31 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européennes des droits de l'homme, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, excès de pouvoir et violation de la loi ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Franz-Olivier X... coupable de diffamation publique envers un fonctionnaire à raison du passage « Patrick Y... (…) a lancé des mandats d'arrêts contre cinq personnalités marocaines dans l'affaire Ben Barka, juste avant le voyage officiel de Nicolas Z... à Rabat ; le premier président de la cour d'appel de Paris, Jean-Claude A... (photo ci-contre) a qualifié « d'irresponsable » cette deuxième initiative » et l'a condamné à ce titre à une amende de 3 000 euros ;
" aux motifs que l'article litigieux publié sous l'intitulé « les juges qui agacent l'Elysée » vise bien à jeter le discrédit sur les pratiques professionnelles de deux juges d'instruction ; que si la convocation par le juge B... d'un syndicaliste agricole est qualifiée de provocation ayant agacé l'Elysée et la haute hiérarchie judiciaire, la délivrance de mandats d'arrêt par le juge Y... à l'encontre de cinq personnalités marocaines dans l'affaire Ben Barka fait franchir, de la part du collectif de rédacteurs, un degré supplémentaire dans la critique du fait de l'intervention du premier président de la cour d'appel de Paris, renforcée par une illustration photographique, qualifiant cette initiative d'irresponsable ; que cette mise en cause, qui ne saurait être disséquée, doit s'analyser dans sa globalité, le ton allant d'ailleurs crescendo dans la dureté de l'appréciation ; que ce qui n'était initialement qu'une cause d'agacement et de provocation devient, du fait de l'intervention du supérieur hiérarchique du magistrat nommément cité, une manifestation d'« irresponsabilité » ; que l'emploi de ce dernier terme est de nature à porter atteinte à la considération du magistrat visé en lui imputant des intentions inavouables dépassant le cadre légal de ses investigations en sa qualité de juge d'instruction pour interférer dans le cadre de la politique étrangère de la France ; qu'il s'agit là bien plus que l'expression d'une opinion ou d'un jugement de valeur sur l'activité d'un magistrat, mais d'une appréciation des plus négatives d'un excès de pouvoir, allant bien au-delà d'une libre critique ; que c'est bien ici l'honnêteté intellectuelle et le dévouement au service public de l'intéressé qui sont mises en accusation ; qu'une telle allégation se référant à des faits précis, susceptibles de preuve contraire, est de nature à porter gravement atteinte à la considération du magistrat, accusé de bafouer les dispositions statutaires régissant son activité ainsi que les exigences du code de procédure pénale ; que les éléments constitutifs de la diffamation publique envers un magistrat sont réunis ; que la cour admet que le but d'information légitime, la prudence et la modération du propos, et l'absence d'animosité personnelle sont indéniablement réunis dans le cas d'espèce ; que, par contre, les auteurs de la « brève » n'ont pas procédé à une enquête sérieuse en se contentant, dans le cadre du respect du contradictoire, de citer un propos du premier président de la cour d'appel qui confirme avoir exprimé sa « surprise », ce qui est bien loin de l'appréciation initiale ; que le magistrat n'a, à aucun moment, été sollicité quant à la portée et la signification éventuelle des actes entrepris, qu'aucune investigation sérieuse n'a été mise en oeuvre ; que l'organe de presse poursuivi ne peut, au vu de ces éléments, se contenter d'affirmer qu'il a dressé un simple état de tensions et de dissensions pouvant concerner le pouvoir exécutif, la haute hiérarchie judiciaire et deux magistrats, sans le moindre commentaire d'un jugement de valeur sur une instruction ; que le qualificatif d'irresponsable venant se surajouter à celui de provocateur est tout sauf neutre et justifiait un rééquilibrage permettant au magistrat d'apporter un éclairage personnel ; que le défaut d'enquête sérieuse se situe bien au niveau d'une mise en cause orchestrée sans disposer de données de fait ou testimoniales suffisantes et sans vérification quant au bien-fondé de l'information diffusée ; que l'illustration de l'article par un portrait en pied du premier président vient accentuer l'absence d'équilibre au détriment de la partie civile ;
" 1°) alors qu'en matière de diffamation, la citation introductive d'instance fixe seule les limites de la poursuite quant à l'objet de la poursuite et les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre ; que le juge Y... a estimé que « qualifier la délivrance de mandats d'arrêt, (…), d'initiative irresponsable, porte très gravement atteinte à son honneur et à sa considération professionnelle » cette irresponsabilité étant présentée « comme lui étant attribuée par le premier président de la cour d'appel de Paris, qui est l'un des plus hauts magistrats de France, et qui est l'autorité de notation des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris » ; que le débat était donc limité à ces points ; qu'en décidant que la diffamation était constituée en raison de l'imputation faite au juge Y... d'avoir excédé ses pouvoirs et voulu interférer dans la politique étrangère de la France, faits qui n'étaient visés ni directement, ni indirectement, dans la citation délivrée par la victime, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs au regard des textes visés au moyen ;
" 2) alors que, pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte prétendument atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits imputables au plaignant de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ; que tel n'est pas le cas lorsque sont seulement rapportés les propos d'un haut magistrat ayant qualifié d'irresponsable la délivrance par la victime, magistrat instructeur, de cinq mandats d'arrêt visant des personnalités d'un pays à la veille d'une visite du chef de l'Etat dans ce pays, s'agissant d'une instruction relative à la disparition d'un opposant politique remontant à près de 40 ans, ces propos ne reflétant qu'un jugement de valeur, le qualificatif utilisé ne pouvant être l'objet ni d'une preuve, ni d'un débat contradictoire ; qu'en décidant pourtant que cette imputation était diffamatoire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" 3) alors que la critique, exclusive de toute diffamation, est libre et ne trouve ses limites que dans la prohibition des attaques personnelles ; que les propos, objet de la citation, ne contenaient aucun terme constitutif d'une attaque personnelle du magistrat ou traduisant une animosité particulière ; qu'en estimant pourtant que la critique ne pouvait être admise en raison de la mise en cause de l'honnêteté intellectuelle et du dévouement au service public du magistrat, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" 4) alors que la critique, exclusive de toute diffamation, est libre et ne trouve ses limites que dans la prohibition des attaques personnelles ; que la cour d'appel, qui a admis que la prudence et la modération du propos et l'absence d'animosité personnelle étaient réunies, ne pouvait, sans se contredire, décider que les propos visés par la citation excédaient la libre critique et constituait une diffamation punissable ; que ce faisant, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" 5) alors qu'il n'appartient pas aux juridictions nationales de se substituer à la presse pour dire quelle technique particulière de compte rendu les journalistes doivent adopter pour faire passer l'information ; qu'en refusant au prévenu le bénéficie de la bonne foi aux motifs que le magistrat en cause n'avait pas été sollicité et que l'article était illustré par une photo en pied de son autorité hiérarchique de notation, la cour d'appel a prétendu imposer aux journalistes un modus operandi qui relève de l'exercice de la liberté d'expression et a ainsi violé les textes visés au moyen ;
" 6) alors, enfin, que le fait justificatif de bonne foi doit être distingué de celui découlant de la vérité des faits diffamatoires ; qu'en refusant le bénéfice de la bonne foi au prévenu au motif qu'il ne pouvait rapporter la preuve du bien-fondé de l'information diffusée, la cour d'appel lui a, sous couvert du grief de défaut d'enquête sérieuse, imposé de faire la preuve de la vérité de ses allégations ; que ce faisant, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen " ;
Vu l'article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que, pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Patrick Y..., magistrat, a fait citer directement devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, Franz-Olivier X..., directeur de publication de l'hebdomadaire Le Point, en raison de la publication d'un article intitulé " Les juges qui agacent l'Elysée ", faisant état de décisions de juges d'instruction perçues comme des provocations, et incriminé du fait du passage suivant :
" Patrick Y... (...) a lancé des mandats d'arrêt contre cinq personnalités marocaines dans l'affaire Ben Barka juste avant le voyage officiel de Nicolas Z... à Rabat. Le premier président de la cour d'appel de Paris, Jean-Claude A... (photo ci-contre) a qualifié " d'irresponsable " cette deuxième initiative " ;
Attendu que les juges du premier degré ont déclaré le prévenu coupable du délit poursuivi ; que toutes les parties ont relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt relève que l'emploi du terme " irresponsabilité ", prêté au supérieur hiérarchique du magistrat, est de nature à porter atteinte à la considération de ce dernier en lui imputant des intentions dépassant le cadre légal de ses investigations en sa qualité de juge d'instruction pour interférer dans la politique étrangère de la France ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le terme d'irresponsable, attribué au premier président de la cour d'appel de Paris, pour qualifier une initiative procédurale d'un juge d'instruction, s'il caractérise l'expression d'une opinion injurieuse, ne contient pas l'imputation d'un fait précis, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; que n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-13 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 11 mars 2009 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Louvel président, M. Straehli conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Anzani, Palisse, Guirimand, MM. Beauvais, Guérin, Finidori, Monfort conseillers de la chambre ;
Avocat général : M. Boccon-Gibod ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 09-82389
Date de la décision : 13/04/2010
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément matériel - Allégation ou imputation d'un fait précis - Articulation précise de faits susceptibles d'être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire

Pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits imputables au plaignant de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire. Tel n'est pas le cas du terme "irresponsable", dont l'emploi a été attribué par un hebdomadaire à un premier président de cour d'appel pour qualifier une initiative procédurale d'un juge d'instruction, et qui constitue l'expression d'une opinion injurieuse


Références :

article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 11 mars 2009

Sur la caractérisation de l'élément matériel de la diffamation, à rapprocher :Crim., 28 mars 2006, pourvoi n° 05-80634, Bull. crim. 2006, n° 90 (rejet)

arrêt cité


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 13 avr. 2010, pourvoi n°09-82389, Bull. crim. criminel 2010, n° 70
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2010, n° 70

Composition du Tribunal
Président : M. Louvel
Avocat général : M. Boccon-Gibod
Rapporteur ?: M. Straehli
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié, SCP de Chaisemartin et Courjon

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2010:09.82389
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