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28/03/2006 | FRANCE | N°05-80634

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 mars 2006, 05-80634


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit mars deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI, les observations de la société civile professionnelle BOUZIDI et BOUHANNA et de Me CARBONNIER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Christian,

- Y... Thierry,

- L'ASSOCIATION LIGUE DES DROITS DE L'HOMME, partie civile,>
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 19 janvier 2005, qui a ...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit mars deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI, les observations de la société civile professionnelle BOUZIDI et BOUHANNA et de Me CARBONNIER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Christian,

- Y... Thierry,

- L'ASSOCIATION LIGUE DES DROITS DE L'HOMME, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 19 janvier 2005, qui a relaxé les deux premiers du chef de diffamation raciale, et les a condamnés, pour contestation de crime contre l'humanité, le premier à 1 000 euros d'amende, le second à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 3 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur le pourvoi de Thierry Y... :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

II - Sur les autres pourvois :

Vu les mémoires personnel et ampliatif en demande et les mémoires en défense produits ;

Sur le moyen unique de cassation du mémoire personnel, proposé par Christian X..., pris de la violation de l'article 485 du Code de procédure pénale ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux conclusions dont elle était saisie, a exactement apprécié le sens et la portée des propos litigieux et a caractérisé, en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit de contestation de crime contre l'humanité dont elle a reconnu le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit des parties civiles, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le moyen unique de cassation, proposé par la société civile professionnelle Bouzidi et Bouhanna pour La ligue des droits de l'homme, pris de la violation des articles 23, 29, 32, alinéas 2 et 3, de la loi du 29 juillet 1881, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que la cour d'appel a renvoyé les prévenus des fins de la poursuite des chefs de diffamation publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de son origine, de son appartenance à une race, une ethnie, une nation, une religion déterminées ;

"aux motifs que le passage incriminé en page 79 du chapitre 18 intitulé "Le prix d'or d'un nez crochu" de la quatrième partie dénommée "Tintin au pays de la croix gammée" est le suivant : "Tout le monde, pourtant, sait que les Juifs bien nés ont des nez d'un format plutôt exubérant courbés parfois comme une roue de bicyclette ! Plaisanter là-dessus n'est pas spécialement méchant. N'empêche, le nez un peu trop étoffé du banquier Z... pèserait comme une masse de plomb à l'heure des comptes. Cette susceptibilité des Juifs - pour des bêtises souvent ! - a beaucoup contribué à les rendre difficilement supportables. A voir qu'on les plaisante, ils se scandalisent comme si on outrageait en eux une part de divinité ! "Le fait, malheureusement, est indéniable : depuis que l'histoire existe, le Juif n'a jamais pu se faire vraiment aimer. De A... lui-même a marqué cette aversion d'un qualificatif décisif : "Peuple dominateur". Le Juif - il a ça dans le sang - veut dominer. Dominer la finance. Dominer la politique. Dominer la presse. Dominer l'opinion. Dominer l'univers, alors que la population juive ne représente, à peine, que la trois centième partie de l'humanité ! On voudrait voir les Israélites se contenter de tenir une place normale parmi le concert des hommes. Tout le monde s'en féliciterait. Pourquoi n'acceptent-ils pas d'être heureux en dégustant, comme tout le monde, leur simple part de bonheur terrestre ?... Est-il indispensable qu'ils occupent sans cesse, bruyamment, ostensiblement, la scène universelle ?" ; que les prévenus soutiennent que le passage incriminé ne comporte pas de faits précis contraires à l'honneur et à la considération à l'égard des juifs ; qu'en matière de diffamation raciale, si la preuve de la vérité des faits diffamatoires n'est pas admise, il demeure que l'incrimination suppose, conformément aux règles générales de la diffamation, une imputation ou une allégation de faits précis ; qu'à défaut, il ne s'agit pas d'une diffamation mais, le cas échéant, d'une injure ; qu'en l'espèce, la Cour ne trouve pas dans le passage incriminé, contrairement à l'appréciation des premiers juges et des parties civiles, la diffamation qualifiée ; qu'en effet, quel que soit le caractère détestable des propos, aucun fait précis n'est imputé et le terme "dominer" n'est pas en soi de nature à rendre diffamatoires les expressions "dominer la finance", "dominer la politique", "dominer la presse", "dominer l'opinion", étant très générales et non illustrées par des exemples ;

"alors, d'une part, que la généralisation d'une imputation diffamatoire à l'ensemble des membres d'un groupe de personnes précis et identifiable entre dans les prévisions de l'article 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 ; que tel est le cas de l'écrit représentant, dans un passage intitulé "le prix d'or d'un nez crochu" de la quatrième partie dénommée "Tintin au pays de la croix gammée", le Juif bien né comme ayant un nez d'un format plutôt exubérant, courbé parfois comme une roue de bicyclette, puis sous les traits classiquement antisémites du "banquier Z..." dont le nez "un peu trop étoffé" "pèserait comme une masse de plomb à l'heure des comptes", et comme étant d'une susceptibilité ayant "beaucoup contribué à les rendre difficilement supportables et sous les traits d'un peuple dominateur" justifiant que "depuis que l'histoire existe le Juif n'a jamais pu se faire vraiment aimer", que le Juif a dans le sang la volonté de "dominer" "Dominer la finance. Dominer la politique. Dominer la presse. Dominer l'opinion. Dominer l'univers" puis en exprimant le désir que les "Israélites" se contentent "de tenir une place normale parmi le concert des hommes" au lieu d'occuper "sans cesse, bruyamment, ostensiblement, la scène universelle" ; qu'en décidant le contraire la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"alors, d'autre part, que pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire quand bien même une telle preuve ne serait pas admise en matière de diffamation raciale , qu'ayant relevé que le passage incriminé du chapitre 18 intitulé "le prix d'or d'un nez crochu" de la quatrième partie dénommée "Tintin au pays de la croix gammée" présente le Juif bien né comme ayant un nez "d'un format plutôt exubérant, courbé parfois comme une roue de bicyclette", puis sous les traits classiquement antisémites du "banquier Z..." dont le nez "un peu trop étoffé" "pèserait comme une masse de plomb à l'heure des comptes", comme un peuple dont la susceptibilité a beaucoup contribué à les rendre difficilement supportables, que "le fait serait indéniable, depuis que l'histoire existe, le Juif n'ayant jamais pu se faire vraiment aimer", ayant dans le sang la volonté de dominer la finance, la politique, la presse, l'opinion, l'univers alors que la population juive ne représente que la 300ème partie de l'Humanité, qu'on voudrait les voir se contenter de tenir une place normale parmi le concert des hommes, ce dont tout le monde se féliciterait au lieu d'occuper sans cesse, bruyamment, ostensiblement la scène universelle, la cour d'appel qui retient l'absence de diffamation raciale motif pris que quel que soit le caractère détestable des propos, aucun fait précis n'est imputé n'a pas tiré les conséquences légales s'évinçant de ses propres constatations dont il ressortait qu'il était imputé aux Juifs un nez "d'un format plutôt exubérant, courbé parfois comme une roue de bicyclette", puis représentés sous les traits du "banquier Z..." au nez un "peu trop étoffé", le Juif étant d'une susceptibilité ayant contribué à le rendre difficilement supportable, qui caractérisait un fait précis visant un groupe précis, les Israélites ou Juifs, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"alors, de troisième part, que dans le chapitre intitulé "le prix d'or d'un nez crochu" de la quatrième partie dénommée "Tintin au pays de la croix gammée" était imputé au Juif bien né d'avoir un nez "d'un format plutôt exubérant courbé parfois comme une roue de bicyclette", qu'ils étaient présentés sous les traits du "banquier Z..." dont le nez "un peu trop étoffé" "pèserait comme une masse de plomb à l'heure des comptes", que la susceptibilité des Juifs a beaucoup contribué à les rendre difficilement supportables, la Cour d'appel, qui décide qu'elle ne trouve pas dans le passage incriminé la diffamation raciale, motif pris que quel que soit le caractère détestable des propos, aucun fait précis n'est imputé et le terme "dominer" n'est pas en soi de nature à rendre diffamatoire, les expressions "dominer la finance, dominer la politique, dominer la presse, dominer l'opinion", étant générales et non illustrées par des exemples sans se prononcer sur l'ensemble du passage litigieux, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

"alors, de quatrième part, que le fait d'imputer à l'ensemble d'une communauté religieuse les traits physiques particuliers, l'exercice d'une activité particulière attribuée aux juifs dans la représentation antisémite qui est faite, ainsi qu'une susceptibilité qui "a beaucoup contribué à les rendre difficilement supportables", puis à les représenter comme un peuple dominateur ayant "çà dans le sang" c'est-à-dire la volonté de dominer l'univers, de telles imputations visant à accréditer l'idée selon laquelle l'ensemble de la communauté juive a un nez crochu, est l'auteur du fait que les juifs soient difficilement supportables par leur susceptibilité, porte atteinte, par l'évocation de faits suffisamment précis à l'honneur et à la réputation de la communauté juive ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"alors, enfin, que le fait d'imputer à l'ensemble de la communauté juive d'avoir dans le sang la volonté de dominer : "Dominer la finance. Dominer la politique. Dominer la presse. Dominer l'opinion. Dominer l'univers" alors "qu'elle représente à peine la 300ème" partie de l'Humanité", et d'occuper "sans cesse, bruyamment, ostensiblement, la scène universelle" caractérise une imputation précise susceptible de porter atteinte à l'honneur et à la réputation de toute une communauté, qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Attendu que, pour relaxer les prévenus du chef de diffamation raciale, en raison des passages visés au moyen, l'arrêt retient qu'ils ne renferment l'imputation d'aucun fait précis à l'encontre de la communauté juive ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, les juges, qui ont exactement apprécié les propos incriminés, ont justifié leur décision;

Qu'en effet, pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, quand bien même une telle preuve ne serait pas admise en matière de diffamation raciale ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

DIT n'y avoir lieu à application, au profit de la Ligue des droits de l'homme et de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Ménotti conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mmes Palisse, Guirimand, M. Beauvais, Mme Ract-Madoux conseillers de la chambre, M. Valat conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Mouton ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 05-80634
Date de la décision : 28/03/2006
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément matériel - Allégation ou imputation d'un fait précis - Articulation précise de faits susceptibles d'être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire.

PRESSE - Diffamation - Diffamation envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée - Preuve de la vérité des faits diffamatoires - Exclusion

PRESSE - Diffamation - Preuve de la vérité des faits diffamatoires - Exclusion - Cas

Pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, quand bien même une telle preuve ne serait pas admise en matière de diffamation raciale. Ne renferment l'imputation d'aucun fait précis les propos mettant en cause les membres de la communauté juive en raison des caractéristiques physiques ou psychologiques qui leur sont prêtées.


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 29, art. 32

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 19 janvier 2005

Dans le même sens que : Chambre criminelle, 2004-03-16, Bulletin criminel 2004, n° 67, p. 257 (rejet)

arrêt cité.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 28 mar. 2006, pourvoi n°05-80634, Bull. crim. criminel 2006 N° 90 p. 344
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2006 N° 90 p. 344

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Mouton.
Rapporteur ?: Mme Ménotti.
Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna, Me Carbonnier.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2006:05.80634
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