LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Vu l'article 14 du code civil ;
Attendu que ce texte énonce une règle de compétence directe, qui, sauf renonciation ou traité international, permet à un demandeur français de saisir un tribunal français, lorsqu'aucun critère ordinaire de compétence territoriale n'est réalisé en France et qu' un tribunal étranger n'a pas été préalablement saisi ;
Attendu que la société française Valavia a acheté en 2000 un avion construit en 1983 par la société américaine Cessna Aircraf Company (CESSNA) ; qu'elle a confié la maintenance de l'appareil à la société française Cessna Citation European Service Center (CCESC) ; qu'en 2004, cette société a établi un devis en vue d'une inspection réglementaire ; que la société Valavia a sollicité pour cette inspection, la société américaine Garret Aviation qui l'a informée que le constructeur de l'avion n'avait pas installé un train avant correspondant au modèle agréé ; qu'après expertise ordonnée en référé, la société CCESC a assigné la société Valavia en paiement de factures impayées ; que cette dernière a appelé en la cause, la société CESSNA, en réparation du préjudice causé par l'installation d'un train d'atterrissage non conforme ; que la société CESSNA a soulevé l'incompétence du tribunal de commerce de Paris ;
Attendu que pour déclarer ce tribunal incompétent, la cour d'appel a relevé que la société Valavia avait renoncé sans équivoque à se prévaloir de l'article 14 du code civil en annonçant à l'expert judiciaire qu'elle intenterait une action aux Etats-Unis et que l'existence de liens caractérisés du litige avec la France n'était pas démontrée ;
Qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, qu'un tribunal étranger n'avait pas été préalablement saisi, d'autre part, qu'une déclaration d'intention ne peut valoir renonciation au bénéfice de l'article 14 du code civil, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 avril 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Cessna Aircraf Company aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Cessna Aircraf Company et la condamne à payer à la société Valavia la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils pour la société Valavia.
LE MOYEN reproche à l'arrêt attaqué :
D'AVOIR rejeté le contredit formé par la société VALAVIA ;
AUX MOTIFS QU'« il s'agit, sur demande en paiement de factures de prestations d'entretien de l'avion formée par la société CESSNA CITATION EUROPEAN SERVICE CENTER, domiciliée au Bourget, d'une demande en garantie pour vices cachés, alors intentée par la SNC VALAVIA, contre le fabriquant de l'appareil, la société américaine CESSNA ; que si la SNC VALAVIA invoque la responsabilité de la société CESSNA, société de droit américain domiciliée au Etats Unis, force reste de constater que les deux parties ne sont pas liées par un contrat conclu ou signé entre elles ; que les transferts successifs de garanties du constructeur afférentes à l'avion litigieux, transferts dont la SNC VALAVIA entend se prévaloir, n'emportent pas, à eux seuls, désignation convenue, entre la SNC VALAVIA et la société américaine CESSNA à laquelle ils sont opposés, du Tribunal de Commerce de Paris comme juridiction compétente pour connaître, entre elles, de la présente affaire ; qu'ainsi la SNC VALAVIA ne se trouve donc que la cessionnaire d'une éventuelle créance de garantie pour vices cachés mais non la créancière d'une obligation directement contractée envers elle par la société américaine CESSNA ; que rien ne permet d'établir, par ailleurs, que la société WELLS FARGO qui a consenti à la SNC VALAVIA un contrat d'exploitation de l'avion, bénéficie, dans ses rapports avec la société CESSNA, d'une attribution de juridiction au Tribunal de Commerce de Paris ; que durant le déroulement de l'expertise de l'appareil expertise dont il n'est pas établi qu'elle soit opposable à la société américaine CESSNA, la SNC VALAVIA a annoncé à l'expert qu'elle intenterait une action aux Etats Unis contre le constructeur Cessna pour avoir posé un train... au lieu de ... comme noté dans la documentation (page 33 du rapport) ; que cette déclaration, opérée lors d'une expertise judiciairement ordonnée, vaut renonciation sans équivoque, renonciation elle-même licite et en l'espèce exercée, au privilège prévu par l'article 14 du Code civil de sorte que l'intégralité de l'argumentation développée par la SNC VALAVIA au titre de cet article devient inopérante et ce alors surtout que le fabriquant de l'avion est de nationalité américaine, que son propriétaire actuel l'est aussi, que l'avion lui-même qui y est immatriculé, que sa livraison à son propriétaire initial a eu lieu là, que la loi applicable au litige serait celle de l'Etat du Kansas et que, pour ces motifs, l'existence de liens de rattachement caractérisés du litige avec la France n'est pas démontrée ; que, comme déjà relevé, la décision de rejet de la jonction des instances n'est pas susceptible de recours ; qu'en tout état de cause, la SNC VALAVIA n'a en l'espèce, fait assigner la société CESSNA que par acte du 6 février 2007, soit alors que les demandes présentées à l..encontre de la société CESSNA CITATION EUROPEAN SERVICE CENTER n'étaient pas encore formées puisqu'elles ne l'ont été que le 5 avril 2007 ; qu'il ne peut donc pas être valablement soutenu que les demandes présentées par la SNC VALAVIA contre la société américaine CESSNA n'ont été que des demandes en intervention forcée dans une instance déjà existante entre d'autres parties originaires ;que ces demandes s'analysent donc, par leur nature et leur objet, comme les éléments d'une action autonome intentée contre le constructeur ; que les deux litiges sont distincts et sans lien de connexité entre eux ; qu'ils n'entraînent aucun risque de contrariété de décisions puisque l'un a pour objet le paiement de prestations accomplies, l'autre une responsabilité du constructeur recherchée pour vices cachés et que les décisions attendues sur ces deux litiges répondent à des questions restant différentes ; que, par ailleurs, que les dispositions de l'article 333 du Code de procédure civile ne sont pas applicables en matière internationale ; que, pour ces motifs, l'intégralité de l'argumentation développée par la SNC VALAVIA reste inopérante et qu'il convient de rejeter le contredit » ;
1°/ ALORS, d'une part, QUE, l'article 14 du Code civil édicte une règle de compétence qui, sauf renonciation ou traité international, est exclusive de toute compétence concurrente de la juridiction étrangère ; que la Cour d'appel, pour refuser de retenir la compétence de la juridiction française, s'est fondée sur l'absence de relation contractuelle entre la société VALAVIA et la société CESSNA et la circonstance que les cessions à la société VALAVIA des actions en garantie à l'encontre du fabricant de l'avion n'emportent pas, à eux seuls, désignation convenue entre ces sociétés du Tribunal de commerce de Paris comme juridiction compétente pour connaître du litige, la société VALAVIA n'étant que cessionnaire d'une éventuelle créance de garantie des vices cachés et rien n'établissant que son auteur, la société WELLS CARGO bénéficie, dans ses rapports avec la société CESSNA, d'une attribution de juridiction au Tribunal de commerce de Paris ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, impropres à tenir en échec la règle de compétence édictée par l'article 14 du Code civil, la Cour d'appel a violé ladite disposition ;
2°/ ALORS, d'autre part, QUE, la renonciation au privilège de juridiction instituée par l'article 14 du Code civil ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté d'y renoncer ; que, seule l'introduction d'une action à l'étranger fait présumer la renonciation au privilège de juridiction française ; qu'en retenant cependant, pour écarter l'application de l'article 14 du Code civil, que durant le déroulement de l'expertise de l'appareil, la société VALAVIA a annoncé à l'expert qu'elle intenterait une action aux Etats-Unis contre le constructeur CESSNA et que cette déclaration, opérée lors d'une expertise judiciairement ordonnée, vaut renonciation sans équivoque au privilège prévu par l'article 14 du Code civil, la Cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la renonciation de la VALAVIA à son privilège de juridiction, une simple déclaration faite à l'expert ne manifestant pas sans équivoque la renonciation au privilège de juridiction, a privé sa décision de base légale au regard de ladite disposition ;
3°/ ALORS, enfin, QUE, l'article 14 du Code civil édicte une règle de compétence qui, sauf renonciation ou traité international, est exclusive de toute compétence concurrente de la juridiction étrangère ; que la Cour d'appel, pour refuser de retenir la compétence de la juridiction française, a retenu que le fabriquant de l'avion est de nationalité américaine, que son propriétaire actuel l'est aussi, que l'avion lui-même y est immatriculé, que sa livraison à son propriétaire initial a eu lieu là, que la loi applicable au litige serait celle de l'Etat du Kansas et que, pour ces motifs, l'existence de liens de rattachement caractérisés du litige avec la France n'est pas démontrée ; qu'en statuant ainsi, quand le privilège de juridiction, fondé sur la nationalité française, ne peut être tenu en échec par les règles de compétence ordinaires, la Cour d'appel a violé l'article 14 du Code civil.