LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Attendu qu'imputant sa contamination par le virus de l'hépatite C à des transfusions sanguines reçues en 1984 et 1985, Mme X... a assigné, en réparation de son préjudice, le Centre régional de transfusion sanguine de Caen, aux droits duquel est venu l'Etablissement français du sang, la société Assurances générales de France, son assureur, ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados ;
Attendu que pour la débouter de ses demandes, l'arrêt retient que s'il est possible que Mme X... ait été contaminée par l'un ou l'autre des six produits sanguins qui ne proviennent pas de donneurs identifiés et contrôlés, ce seul élément est insuffisant, en présence des autres facteurs de risque, à faire présumer l'imputabilité de sa contamination à la transfusion litigieuse ;
Qu'en statuant ainsi, tout en retenant qu'il existait une possibilité de contamination par les produits sanguins dont les six donneurs n'avaient pu être retrouvés, ce dont elle aurait dû déduire l'existence d'un doute devant bénéficier au demandeur, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 janvier 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen, autrement composée ;
Condamne l'Etablissement français du sang et les AGF aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile et l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, condamne l'EFS à payer à Me Foussard, avocat de Mme X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils pour Mme X....
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté les demandes de Mme X... tendant à la condamnation de l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG et de la Compagnie d'assurances AGF IARD ;
AUX MOTIFS propres QU'«il ressort du rapport d'expertise médicale du Professeur Y... que Mme X... a fait l'objet, au mois de juin 1992, en raison d'une asthénie, d'une ponction-biopsie hépatique qui a révélé sa contamination par le virus de l'hépatite C, que ce virus était toujours présent au mois de mars 2003 mais que l'ARN viral n'avait pas de réelle activité ainsi qu'en témoignaient les taux des transaminases ; que l'expert a précisé que, compte tenu des informations partielles qui lui ont été communiquées, il émettait «les plus grandes réserves quant à la réalité, le 25 mars 2003, d'une hépatite chronique C active» et qu'il était difficile de rattacher l'asthénie somatique de Mme X..., vraisemblablement d'origine psychologique, à la présence du virus de l'hépatite C ; qu'il a indiqué que, le 11 décembre 1984, Mme X... avait subi une césarienne et qu'en raison de l'importance de l'hémorragie et des troubles de la coagulation sanguine, elle avait été transfusée à quatre reprises et avait reçu huit concentrés globulaires, quatre plasmas frais congelés ainsi qu'une unité de sérum albumine (qui n'est pas à retenir car le mode de préparation de ce produit interdit toute possibilité de contamination) et trois unités de fibrinogène ; que l'enquête de traçabilité a révélé que 29 produits sanguins labiles étaient issus de donneurs sains, qu'un donneur décédé n'était pas porteur du virus, qu'un donneur identifié n'a pas répondu aux convocations, que deux donneurs sont demeurés inconnus et que trois autres donneurs, qui ont des homonymes, n'ont pas répondu ou ne correspondent pas aux donneurs ou encore sont inconnus des centres hospitaliers régionaux ; que l'expert en a déduit que les produits sanguins reçus par Mme X... ne pouvaient pas scientifiquement et objectivement être incriminés dans la contamination virale de cette dernière, faute d'avoir trouvé un donneur séropositif et que, pareillement, la transfusion réalisée avant les années 1990-1991 ayant constitué un facteur de risque, les produits sanguins reçus par Mme X... ne pouvaient pas scientifiquement et objectivement être exonérés dans la contamination, faute d'avoir pu démontrer la séronégativité de tous les donneurs concernés ; que le Professeur Y... a précisé qu'antérieurement à son hospitalisation des mois de décembre 1984 et janvier 1985, Mme X... avait été hospitalisée, en 1970, pour une pneumonie ayant nécessité une trachéotomie, qu'elle avait normalement accouché de deux enfants en 1974 et 1981 et qu'en 1978, selon les dires de l'intéressée, elle avait subi une césarienne en vue de l'extraction d'un enfant mort ; qu'après avoir souligné qu'aucune information ne lui avait été donnée se rapportant à la période qui s'est écoulée entre les années 1985 et 1992, l'expert a conclu qu'il existait «une certaine probabilité pour que les transfusions dont a bénéficié Mme X... aient contaminé cette dernière en décembre 1984-janvier 1985» mais qu' «aucune certitude ne (pouvait) être établie, d'autant plus que d'autres facteurs de risques (pouvaient) être évoqués à partir de l'anamnèse», précisant : «les facteurs objectifs - et dans l'absolu - de risques de contage viral auxquels Mme X... a été exposée sont : - les transfusions (qui peuvent être estimées comme le facteur de risque majoritaire puisque l'apport de sang est antérieur à 1990-1991), - les nombreuses hospitalisations avec anesthésie générale en plusieurs occasions, - les traitements dentaires» ; qu'en application de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002, il appartient à Mme X... d'apporter des éléments qui permettent de présumer que sa contamination par le virus de l'hépatite C a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang ; que si deux témoins ont indiqué que l'état de santé physique et psychologique de Mme X... s'était dégradé après son hospitalisation au mois de décembre 1984, il doit être souligné que sa contamination par le virus de l'hépatite C n'a été révélée que près de six ans plus tard, ce qui a conduit l'expert, auquel aucune information n'a été donnée sur la période s'étant écoulée entre cette hospitalisation et la révélation de la maladie, à considérer qu'il était difficile de lier l'asthénie somatique dont souffre Mme X... à la présence du virus de l'hépatite C ; que par ailleurs, il convient d'observer que trente des trente-six produits sanguins reçus par Mme X... au cours des transfusions dont elle a bénéficié à la fin de l'année 1984 et au début de l'année 1985 proviennent de donneurs sains, de sorte que la contamination par le sang ne pourrait avoir pour origine que l'un ou l'autre des six produits provenant de personnes qui n'ont pu être contrôlées ; qu'en outre, il importe de noter que Mme X... a été exposée à d'autres facteurs de contamination, notamment au risque nosocomial généré par les différentes hospitalisations avec anesthésie générale qu'elle a subies, y compris la trachéotomie pratiquée en 1970, étant précisé que l'expert judiciaire n'a tiré aucune conséquence du temps qui s'est écoulé entre les hospitalisations subies en 1970, 1978, 1984 et 1985 et la révélation de la maladie et n'a pas exclu que les interventions chirurgicales pratiquées lors de ces hospitalisations aient pu être à l'origine de la contamination ; que compte tenu de ces éléments, il convient de considérer, ainsi que l'a justement souligné le Tribunal, que s'il est possible que Mme X... ait été contaminée par l'un ou l'autre des six produits sanguins qu'elle a reçus et qui ne proviennent pas des donneurs qui ont été identifiés et contrôlés, ce seul élément est insuffisant, en présence des autres facteurs de risque, à faire présumer que sa contamination a pour origine la transfusion de produits sanguins (…)» (arrêt, p. 2, dernier §, p. 3 et p. 4) ;
Et AUX MOTIFS, adoptés, QUE «Mme X... réclame l'indemnisation des préjudices qu'elle subit du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C (VHC) révélée en 1992 lors d'examens fait dans le cadre d'une asthénie importante dont elle était atteinte ; que la réalité de la contamination est établie par l'expertise judiciaire, le Professeur Y... précisant, en page 29 de son rapport, qu'au jour de l'expertise, le virus VHC est pratiquement inactif ainsi qu'en témoignent les taux de transaminases ; qu'il ajoute que, selon lui, l'asthénie dont souffrait la demanderesse ne peut être, en l'état, rattachée à la présence du virus mais apparaît plutôt de nature psychologique ; que Mme X... soutient que les apports sanguins reçus par elle en 1984-1985 lors d'une hospitalisation au CHU de CAEN pour une césarienne doivent être considérés comme étant à l'origine de sa contamination ; qu'il est constant qu'à cette époque, Mme X... a été hospitalisée d'urgence pour hémorragie génitale et que son état justifiait la mise en place immédiate d'une réanimation transfusionnelle puis, dans un second temps, en compensation des pertes sanguines (page 33 du rapport), elle a reçu ainsi 8 concentrés globulaires, 4 plasmas frais congelés ainsi qu'une unité de sérum albumine ; que l'enquête de traçabilité transfusionnelle a été diligentée et les résultats sont décrits en page 33 du rapport, étant relevé que 29 produits sanguins labiles sont issus de donneurs qui ont été contrôlés HCV négatifs, qu'un donneur est décédé HCV négatif mais que 2 donneurs sont inconnus, qu'un donneur localisé n'a pas répondu aux courriers reçus et que 3 donneurs ont des homonymes dans le minitel, qui soit n'ont pas répondu, soit ne correspondent pas, soit sont inconnus du CHR ; que l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins dispose qu'en cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à l'entrée en vigueur de la loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang ; qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination ; que le juge forme sa conviction, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles et que le doute profite au demandeur ; qu'en l'espèce, le Professeur Y... tire de ses constatations et investigations la conclusion suivante (page 34) : - les produits sanguins reçus par Mme X... à l'époque des faits ne peuvent pas scientifiquement et objectivement être incriminés dans le contage viral de cette dernière, faute d'avoir trouvé un (ou plusieurs) donneur(s) séropositif(s) à l'égard du virus de l'hépatite C, - il n'est pas possible d'exclure scientifiquement et objectivement les transfusions reçues avant 1990-1991 de la responsabilité de la contamination virale de Mme X... (faute d'avoir pu démontrer la séronégativité de tous les donneurs vis-à-vis du virus de l'hépatite C) ; que si les dispositions légales susvisées n'exigent pas, pour imputer au défendeur la responsabilité de la contamination d'origine transfusionnelle soit une certitude absolue, le demandeur se doit néanmoins d'apporter des éléments de présomption suffisants ; que dans le cas présent, si la réalité des transfusions de décembre 1984-janvier 1985 est établie, l'obligation pour l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG et son assureur de prouver que ces transfusions ne sont pas à l'origine de la contamination diagnostiquée 7 ans plus tard est subordonnée à l'existence préalable de la présomption contraire ; que l'expert relève dans son rapport que le pourcentage des personnes contaminées par la voie transfusionnelle avant 1990 était de 6 % et précise que, pour Mme X..., il existe d'autres facteurs de contamination, et notamment de nombreuses hospitalisations avec anesthésies générales en plusieurs occasions, alors que ce n'est qu'après 1989-1990 que le risque viral nosocomial peut être éliminé, ce qui implique qu'il existait en 1984-1985 ; que dans son historique et page 7 et suivantes de son rapport, l'expert précise que les infections nosocomiales (ou hospitalières) représentent un risque plus important que les transfusions et pouvaient être responsables d'environ 15 % des cas d'hépatite C, la contamination pouvant être liée aux saignements minimes provoqués par les biopsies et à une décontamination insuffisante, ainsi qu'aux caractéristiques des anesthésiques anciens ; que l'expert cite enfin comme autre facteur objectif de contamination les traitements dentaires dont Mme X... a été l'objet avant 1990 ; qu'en conséquence, compte tenu de cet ensemble d'éléments qui établit que le risque transfusionnel n'était pas le seul auquel Mme X... a été exposée, le seul élément apporté par celle-ci (à savoir les transfusions de 1984-1985) ne permet pas de présumer que sa contamination par le virus de l'hépatite C a pour origine une transfusion de produits sanguins (…)» (jugement, p. 4, avant-dernier et dernier § p. 5 et p. 6, § 1, 2 et 3) ;
ALORS QU'aux termes de l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, le doute profite au demandeur ; qu'ayant constaté en l'espèce, à partir des éléments relevés par l'expert, que six donneurs n'avaient pu être retrouvés et qu'il existait une possibilité de contamination du fait de ces six donneurs, les juges du fond, qui avaient mis en évidence l'existence d'un doute, se devaient d'entrer en voie de condamnation ; que pour avoir décidé le contraire, ils ont violé l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002.