Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision implicite du président de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis du 20 septembre 2017 rejetant son recours gracieux contre la décision du 28 octobre 2016 par laquelle cette autorité a fixé l'indemnité qui lui est due au titre de ses pertes de rémunération et salaires pour la période d'octobre 2011 à février 2016 à un montant total de 437 979,09 euros et en tant qu'elle a limité la somme versée à un montant de 367 739,65 euros, de condamner la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis à lui verser la somme de 719 658 euros assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts, en réparation des divers préjudices subis au titre des années 2008 à 2016, de donner acte de son désistement de ses demandes indemnitaires en tant qu'elles pourraient avoir trait au montant de ses pensions de retraite et aux conditions dans lesquelles il aura pu procéder à la liquidation de sa retraite, et de mettre à la charge de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1710275 du 8 mars 2019, le tribunal administratif de Montreuil a condamné la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis à verser à M. B... la somme de 10 000 euros, tous intérêts compris, a mis à la charge de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis la somme de 1 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête, des mémoires et des pièces, enregistrés le 24 février 2020, le 26 mai 2021, le 27 mai 2021, le 8 juillet 2021, le 15 juillet 2021, le 20 septembre 2021, le 21 septembre 2021, le 22 octobre 2021 et le 25 novembre 2021, M. B..., représenté par Me Faty, avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions attaquées ;
3°) de condamner la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis à lui verser une indemnité de 1 265 584,50 euros à parfaire, avec intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2017 et capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi, ou, à titre subsidiaire, de donner acte, avec toutes conséquences de droit, que la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis doit lui verser un complément, avec intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2017 et capitalisation des intérêts, d'un montant de 135 428,63 euros, ainsi que 68 818 euros au titre du surcroît d'imposition et 143 873,73 euros au titre des intérêts échus au 20 juillet 2017 ;
4°) de mettre à la charge de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis la somme de 4 000 euros à verser à Me Faty, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
5°) de mettre à la charge de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis la somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- sa requête n'est pas tardive dès lors que la décision du bureau d'aide juridictionnelle ne lui a été notifiée que le 24 décembre 2019 ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il ne saurait y avoir d'autorité de la chose jugée lorsque les instances diffèrent ; le tribunal administratif ne pouvait donc se fonder sur les arrêts rendus par la cour en matière d'exécution pour rejeter les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice matériel qu'il a subi ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que ses droits avaient été reconstitués à l'identique ;
- s'agissant de ses traitements, la décision unilatérale du 28 avril 2008 du président de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis réduisant sa rémunération a été retirée ; ainsi, seul le contrat qu'il a conclu avec la chambre consulaire peut servir de base au calcul de l'indemnité à laquelle il a droit au titre des traitements non perçus, à savoir une rémunération mensuelle de 15 430 euros ; il n'avait en effet consenti qu'à une réduction de 13 % de son salaire et non pas de 50 % ; à cela s'ajoute un avantage en nature évalué à 2 000 euros par mois ainsi qu'une prime de " 13ème mois " ; au total, une somme de 1 623 973 euros aurait dû lui être versée en l'absence des mesures illégales d'éviction ;
- la somme de 70 239,44 euros versée par la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis ne correspond pas à un acompte sur salaire mais au remboursement de frais qu'il a exposés dans le cadre de ses fonctions, ainsi que de prélèvements illicites et rappel de rémunération ; cette somme ne saurait donc être imputée sur le montant de l'indemnisation versée par la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis ;
- c'est à tort qu'à compter du mois d'octobre 2008 et jusqu'au mois de janvier 2009, ont été décomptées des retenues au titre des cotisations ASSEDIC pour un montant de 2 376,88 euros dès lors que l'agent statutaire n'est pas soumis à ces cotisations en vertu de l'article 39 A de l'ancien statut du personnel des chambres de métiers et de l'artisanat ;
- c'est à tort que la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis a opéré des ponctions et retenues sur les salaires versés au titre des mois de juillet, août, novembre et décembre 2008 pour un montant total de 757,65 euros ;
- il n'a jamais perçu d'indemnités de chômage de la part de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis ; l'attestation de Pôle Emploi sur laquelle se fonde la chambre constitue un faux ; il n'a été indemnisé qu'à compter du 13 mai 2010 à hauteur de 210,83 euros par jour jusqu'au 30 juin 2010 puis de 216,58 euros par jour jusqu'au 11 mai 2012 ;
- il a perçu le revenu de solidarité active (RSA) sur une période de 38 mois, pour un montant total de 19 000 euros ;
- au total, il aurait dû percevoir une indemnité de 1 623 973 euros réduite de 148 358 euros et 19 000 euros, soit un total de 1 456 615 euros ; or, la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis ne lui a versé qu'une somme de 582 059,59 euros et reste donc redevable de 874 555,41 euros ; il convient d'ajouter à cette somme celle encore due au 10 décembre 2013 à hauteur de 55 337,36 euros, soit un total de 929 892,77 euros ;
- au titre de la période du 1er janvier au 12 octobre 2011, la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis ne l'a indemnisé que d'une somme de 16 163,72 euros alors qu'il aurait dû être indemnisé d'une somme de 79 735,11 euros, soit un différentiel de 63 571,99 euros ;
- le tribunal administratif a sous-estimé le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis ; il a été victime d'un acharnement de la part de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis ; il n'a pas pu subvenir aux besoins de ses deux enfants, ni régler la pension alimentaire dont il était redevable ; il a dû rendre son appartement et déménager chez sa mère ; il a dû solliciter le revenu de solidarité active ; il a été privé de toute vie sociale ; son préjudice moral doit être évalué à 50 000 euros ; ses troubles dans les conditions d'existence doivent être indemnisés à hauteur de 70 000 euros ;
- les intérêts au taux légal lui sont dus à hauteur de 93 289,35 euros au titre de la période du 27 janvier 2009 au 12 octobre 2011 et à hauteur de 50 584,38 pour la période du 13 octobre 2011 au 31 juillet 2015 ;
- la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis doit également assurer le règlement des intérêts dus au titre de la période du 27 janvier 2009 au 12 octobre 2011 pour un montant total de 93 289,35 euros et du 12 octobre 2011 au 31 juillet 2015 pour un montant de 50 584,38 euros ; la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis doit également assurer le règlement des intérêts dus au titre du paiement tardif et partiel, en octobre 2017, des salaires du mois d'août 2015 et du mois de février 2016 ;
- la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis doit l'indemniser du surcroît d'impôt acquitté au titre des sommes versées en 2016 et 2017 à hauteur de 68 818 euros ;
- la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis n'a pas abondé son compte de droit individuel à la formation, lui causant un préjudice chiffré à 3 000 euros ;
- la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis n'a pas procédé au versement des cotisations sociales attachées à sa rémunération ;
- il n'a pas pu retrouver d'emploi compte tenu des agissements de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 décembre 2020 et le 8 juillet 2021, la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis, aux droits de laquelle vient la chambre de métiers et d'artisanat Ile-de-France, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. B... le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- la requête d'appel, enregistrée le 24 février 2020, est tardive dès lors que la décision du bureau d'aide juridictionnelle est datée du 22 novembre 2019 ;
- par deux arrêts n° 15VE02897 et n° 15VE02742, devenus définitifs, la cour a déjà jugé que M. B... avait bénéficié de l'indemnisation de l'ensemble des sommes qu'il aurait dû percevoir en l'absence des mesures illégales d'éviction dont il a fait l'objet s'agissant de la période du 12 octobre 2011 au 24 février 2016 ;
- par un arrêt n° 16VE03403, devenu définitif, la cour a déjà jugé que la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis a correctement reconstitué la carrière de M. B... et procédé aux versements afférents s'agissant de la période du 15 décembre 2008 au 12 octobre 2011 ;
- M. B... n'avait pas droit au maintien de sa rémunération contractuelle ; le statut des chambres de métiers et de l'artisanat n'a été adopté qu'en 2009 de sorte qu'il n'était pas applicable à la date de sa titularisation ; l'article 4 paragraphe 3 de ce statut ne s'applique en tout état de cause qu'aux agents titulaires et non aux agents contractuels ; la décision fixant son salaire à 7 500 euros n'a pas été contestée et est devenue définitive ;
- l'absence de revenus complémentaires est liée à l'inertie de M. B... qui n'a jamais recherché d'emplois ; la circonstance que M. B... ne liquide pas ses droits à pension est indépendante des actions de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis ;
- si la cour devait indemniser le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence de M. B..., elle devrait procéder à un partage de responsabilité dès lors que la mesure d'éviction est sans lien avec le refus de M. B... de reprendre une activité professionnelle ;
- la somme de 120 000 euros demandée au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence est excessive.
Par une ordonnance du 29 novembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 29 décembre 2021 à 12 heures, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire et des pièces, présentés pour M. B..., ont été enregistrés le 15 novembre 2022 et le 14 septembre 2023, postérieurement à la clôture d'instruction.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 novembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de procédure civile :
- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°2007-1470 du 15 octobre 2007 ;
- le statut du personnel administratif des chambres de métiers et de l'artisanat, des services communs et de l'assemblée permanente des chambres de métiers, adopté par la commission paritaire nationale 52 réunie le 13 novembre 2008, modifié ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Houllier,
- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Faty, pour M. B..., en présence de l'intéressé et de Me Brusq, pour la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis.
Une note en délibéré présentée par Me Faty pour M. B... a été enregistrée le 22 septembre 2023.
Une note en délibéré présentée par Me Brusq pour la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis a été enregistrée le 22 septembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... a été recruté par la chambre de métiers et de l'artisanat de la
Seine-Saint-Denis en qualité de directeur général des services et de directeur administratif, par un contrat à durée déterminée d'un an conclu le 21 juillet 2006 renouvelé par une décision du 14 mai 2007 pour une période de cinq ans. Par une décision du 28 avril 2008, il a été recruté à compter du 1er mai 2008 en tant que secrétaire général de cet organisme. Par une décision du 19 décembre 2008, le président de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis a prononcé le licenciement de M. B... pour motif disciplinaire sans préavis ni indemnité. Cette décision a été annulée par le tribunal administratif de Montreuil, par un jugement n° 0903178 du 9 juin 2011, puis par la cour par son arrêt n° 11VE02962 du 27 juin 2013, au motif que la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis avait méconnu le champ d'application de la loi dès lors que l'intéressé était soumis au statut applicable aux personnes titulaires des organismes consulaires. Par une décision du 13 octobre 2011, le président de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis a prononcé la révocation de M. B... à compter du 12 octobre 2011. Cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 1109038 du 6 juin 2013, pour insuffisance de motivation. Enfin, par une décision du 10 octobre 2013, le président de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis a prononcé la révocation de M. B... à compter du même jour. Par un jugement n° 1312030 du 16 juillet 2015, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision et enjoint à la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis de réintégrer M. B... dans ses fonctions et de procéder à la reconstitution de sa carrière à compter de la date d'effet de la décision du 10 octobre 2013. Par deux arrêts nos 15VE02742 et 15VE02897 du 29 septembre 2016, la cour administrative d'appel de Versailles a prononcé une astreinte à l'encontre de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis afin qu'elle exécute les jugements rendus les 6 juin 2013 et 16 juillet 2015 par le tribunal administratif de Montreuil. Le 20 juillet 2017, la cour a estimé qu'il n'y avait pas lieu de liquider ces astreintes dès lors que la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis avait pris les mesures propres à assurer l'exécution de ces deux jugements, en reconstituant notamment l'ensemble des salaires que M. B... aurait dû percevoir au cours de la période du 12 octobre 2011 au 24 février 2016 en l'absence des mesures d'éviction illégales dont il avait fait l'objet. Le 26 juillet 2018, le Conseil d'Etat a rejeté les pourvois dirigés contre les arrêts n°s 15VE02742 et 15VE02897 du 20 juillet 2017. Enfin, après avoir prononcé une astreinte, le 20 juillet 2017, à l'encontre de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis afin qu'elle exécute son arrêt rendu le 27 juin 2013, la cour administrative de Versailles a, par un arrêt n° 16VE03403 du 27 décembre 2018, estimé qu'il n'y avait pas lieu de liquider cette astreinte dès lors que la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis avait pris les mesures propres à en assurer l'exécution, en reconstituant notamment l'ensemble des salaires et droits à pension de retraite du requérant au titre de la période du 15 décembre 2008 au 12 octobre 2011. M. B... demande à la cour d'annuler le jugement n° 1710275 du 8 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a seulement condamné la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis du fait de l'illégalité des mesures d'éviction dont il a fait l'objet et de condamner la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis à lui verser la somme totale de 1 265 584,50 euros à parfaire, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2017 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation de l'ensemble des préjudices qu'il estime avoir subis.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête :
2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4. ". En vertu de l'article 39 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, ce délai est interrompu par une demande d'aide juridictionnelle et un nouveau délai court à compter du jour de la réception par l'intéressé de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a déposé une demande d'aide juridictionnelle le 4 mai 2019, soit moins de deux mois après la date de notification du jugement attaqué. Cette demande ayant donné lieu à une décision d'admission du bureau d'aide juridictionnelle du 22 novembre 2019, notifiée le 3 janvier 2020, la requête d'appel, enregistrée au greffe de la cour le 24 février 2020, n'est pas tardive. Par suite, la fin de non-recevoir invoquée par la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis doit être écartée.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. M. B... ne peut donc utilement se prévaloir de l'erreur de droit qu'aurait commise le tribunal en retenant l'autorité de la chose jugée pour demander l'annulation du jugement attaqué.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
5. En premier lieu, la chambre de métiers et de l'artisanat soutenait devant le tribunal administratif que la demande de première instance était irrecevable dès lors que de nombreux recours étaient déjà pendants devant la cour administrative d'appel et le Conseil d'Etat. Toutefois, ces recours, désormais tranchés par des arrêts devenus définitifs, concernaient l'exécution de jugements du tribunal administratif ayant annulé les mesures d'éviction prises à l'encontre de M. B.... Ainsi, ses conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices nés de l'illégalité de ces mesures d'éviction n'ont pas le même objet que ces précédents recours. Par suite, l'exception de litispendance soulevée en défense doit être écartée.
6. En second lieu, si la chambre de métiers et de l'artisanat soutenait que les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 28 octobre 2016, par laquelle elle informait M. B... du montant de l'indemnité qui lui serait versée au titre de la période comprise entre octobre 2011 et février 2016, étaient irrecevables, ce dernier doit être regardé comme les ayant abandonnées dans le dernier état de ses écritures. Par suite, sa demande était recevable et cette fin de non-recevoir doit être écartée. En tout état de cause, elle est sans incidence sur la recevabilité des conclusions indemnitaires de M. B....
Sur les conclusions indemnitaires de M. B... :
7. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.
En ce qui concerne l'indemnisation du préjudice matériel :
S'agissant de la perte de salaires, primes et indemnités :
8. En premier lieu, M. B... soutient que son éviction illégale du service l'a privé d'un salaire mensuel qu'il évalue à 15 430 euros en se fondant sur le salaire qu'il percevait comme directeur général des services du 20 juillet 2006 au 28 avril 2008 et sur la circonstance que la réduction de son salaire à 7 500 euros à compter du 28 avril 2008 était illégale. Toutefois, à supposer que cette décision ait été illégale, M. B... ne l'a pas contestée et n'établit pas qu'elle aurait été retirée par la chambre de métiers et de l'artisanat en décembre 2013, contrairement à ce qu'il affirme. Par suite, c'est à bon droit que l'indemnité qui lui a été versée a retenu comme base de calcul le salaire de 7 500 euros qu'il percevait à la date de la première mesure d'éviction.
9. En deuxième lieu, si M. B... soutient qu'il aurait dû percevoir une prime de 13ème mois, il ne résulte pas de l'instruction que cette prime n'aurait pas été intégrée dans le calcul de l'indemnité versée au titre des salaires et accessoires de rémunération.
10. En troisième lieu, M. B... soutient que l'indemnité versée aurait dû inclure le versement d'un avantage en nature consistant en la mise à disposition d'un véhicule, évalué à 2 000 euros par an, tel que prévu par l'article VII de son contrat conclu le 21 juillet 2006, non modifié sur ce point. Toutefois, l'avantage en nature résultant de la mise à disposition d'un véhicule de fonction est la contrepartie des sujétions attachées à l'exercice effectif des fonctions, et ne peut être pris en considération pour la détermination des droits à indemnité du requérant qui n'a pas accompli, au cours de la période litigieuse, de service nécessitant un tel avantage.
11. En quatrième lieu, M. B... soutient que la somme de 70 239,44 euros qui lui a été versée en 2013 ne constituait pas un acompte sur les sommes dues au titre de la perte de traitement et salaires mais le remboursement d'avances de frais réalisées dans le cadre de ses fonctions. Toutefois, il ressort du courrier adressé par M. B... le 30 décembre 2013 que les sommes avancées correspondraient, en réalité, à un montant de 8 968 euros alors qu'il résulte des formulaires de remboursement de frais produits par l'intéressé, qui ne sont ni datés, ni signés par la chambre de métiers et de l'artisanat, que ces avances s'élèveraient au final à la somme de 3 872,42 euros. Dans ces conditions, alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que ces frais n'auraient pas été inclus dans le montant global de l'indemnité versée par la chambre de métiers et de l'artisanat, ce moyen doit être écarté.
12. En cinquième lieu, si M. B... soutient que la chambre de métiers et de l'artisanat aurait opéré, à tort, entre octobre 2008 et janvier 2009, une déduction des cotisations dues au titre de l'assurance chômage à hauteur de 2 376,68 euros, il ne résulte pas de l'instruction que ces déductions ne seraient pas justifiées au titre de l'article 36 du statut du personnel des chambres de métiers susvisé qui prévoit que les agents soumis à ce statut " entrent dans le champ d'application du 1° ou du 4° de l'article L. 5424-1 du code du travail et sont, en cas de chômage, indemnisés au titre de ces dispositions ".
13. En sixième lieu, M. B... n'établit pas que les retenues sur salaire de 757,67 euros réalisées sur plusieurs mois de l'année 2008 seraient injustifiées.
14. En dernier lieu, M. B... soutient que la chambre de métiers et de l'artisanat a commis une erreur de calcul dans l'évaluation du montant des traitements dus pour la période comprise entre le 1er janvier 2011 et le 12 octobre 2011 et aurait dû lui verser, pour cette période, la somme de 79 735,11 euros et non celle de 16 163,72 euros qui lui aurait été versée. Toutefois, par le décompte qu'il produit, non daté ou signé, il n'établit pas que cette somme ne lui aurait pas été intégralement versée alors, au demeurant, qu'il résulte de l'instruction que la chambre de métiers et de l'artisanat lui a versé une indemnité totale de 652 299,03 euros au titre de la reconstitution de sa rémunération, supérieure à l'ensemble des sommes qui auraient dû lui être versées au titre des éléments susmentionnés.
15. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. B... au titre de la perte de salaires, primes et indemnités doivent être rejetées.
S'agissant du droit individuel de formation :
16. Aux termes de l'article 10 du décret n° 2007-1470 du 15 octobre 2007, alors en vigueur : " Tout fonctionnaire bénéficie d'un droit individuel à la formation professionnelle d'une durée de vingt heures par année de service. Cette durée est calculée au prorata du temps travaillé pour les fonctionnaires à temps partiel, à l'exception des cas dans lesquels le temps partiel est de droit. / Pour le calcul des droits ouverts au titre du droit individuel à la formation, sont prises en compte les périodes d'activité y inclus les congés qui en relèvent en application de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, les périodes de mise à disposition, de détachement, ainsi que les périodes de congé parental. / Les droits acquis annuellement peuvent être cumulés jusqu'à une durée de cent vingt heures. Si l'accumulation de droits non utilisés se poursuit, la durée disponible du droit individuel à la formation reste plafonnée à cent vingt heures. (...) ". En outre, selon l'article 11 de ce décret, dans sa version alors applicable : " Le droit individuel à la formation professionnelle est utilisé à l'initiative du fonctionnaire en accord avec son administration (...) ".
17. M. B... soutient que la chambre de métiers et de l'artisanat a commis une faute en n'abondant pas son compte personnel de formation entre 2006 et 2010. Toutefois, par la seule pièce qu'il produit, qui n'est pas datée, M. B... n'établit ni l'existence de cette faute, ni qu'il aurait été empêché de faire usage de son compte ou d'en demander le transfert. Par suite, le préjudice allégué n'est ni réel, ni certain.
S'agissant du surcroît d'imposition :
18. Si M. B... soutient que le versement par la chambre de métiers et de l'artisanat de l'indemnité due au titre de la reconstitution de sa carrière a occasionné un surcroît d'impôt sur le revenu au titre des années 2016 et 2017, il ne produit aucune pièce de nature à établir la réalité de ses allégations.
S'agissant des cotisations sociales :
19. Si M. B... fait valoir que la chambre de métiers et de l'artisanat n'a pas procédé au versement des cotisations sociales attachées à sa rémunération, il résulte de l'instruction que la chambre de métiers et de l'artisanat a réglé, auprès des organismes compétents, l'ensemble des cotisations salariales et patronales afférentes à cette rémunération, y compris auprès des régimes complémentaires de retraite concernés, sans qu'il ne soit établi, contrairement à ce qu'il allègue, que M. B... aurait été privé de la possibilité de faire valoir ses droits. La circonstance qu'au vu des sommes engagées, la chambre de métiers et de l'artisanat a sollicité un étalement des paiements ne saurait suffire à établir que ces sommes n'ont pas été effectivement versées.
En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :
20. Il résulte de l'instruction que M. B... a fait l'objet, au titre de la période de 2008 à 2016, de trois décisions portant licenciement, lesquelles ont été jugées illégales, pour les motifs rappelés au point 1. En prononçant de telles décisions, la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité. En outre, il résulte de l'instruction que la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis a prononcé tardivement la réintégration de M. B..., le contraignant à solliciter l'ouverture de procédures juridictionnelles en exécution. L'intéressé fait valoir qu'au cours de toute la période en litige, il n'a perçu que des allocations chômage jusqu'en 2012, puis a été bénéficiaire du revenu de solidarité active jusqu'en 2016, et que cette situation lui a causé des difficultés en raison des charges de son foyer, composé notamment de deux enfants étudiants. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que ces circonstances lui ont causé un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence. Il en sera fait une juste appréciation en condamnant la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis à lui verser une somme de 20 000 euros, tous intérêts compris.
21. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de ses conclusions en tant qu'elles excèdent la somme demandée en première instance, que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a condamné la chambre de métiers de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis, aux droits desquels est venue la chambre de métiers et de l'artisanat d'Ile-de-France, à lui verser une somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence. Le surplus de ses conclusions doit être rejeté.
Sur les frais liés à l'instance :
22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis demande à ce titre. M. B... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Faty, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis le versement à Me Faty de la somme de 1 500 euros. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la chambre de métiers de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis le versement de la somme que M. B... demande sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 10 000 euros tous intérêts compris que la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis a été condamnée à verser à M. B... par l'article 1er du jugement n°1710275 du tribunal administratif de Montreuil du 8 mars 2019 est portée à 20 000 euros.
Article 2 : Le jugement n°1710275 du tribunal administratif de Montreuil du 8 mars 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : La chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis versera à Me Faty une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Faty renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la chambre de métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Camenen, président,
M. Tar, premier conseiller,
Mme Houllier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2023.
La rapporteure,
S. HoullierLe président,
G. CamenenLa greffière
C. FourteauLa République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 20VE00683