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27/06/2023 | FRANCE | N°21MA02211

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 27 juin 2023, 21MA02211


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) à lui verser la somme de 697 483,71 euros à titre d'indemnité, augmentée des intérêts légaux à compter du 7 juin 2017 et de la capitalisation des intérêts et de mettre à la charge du comité les dépens ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1800382, 1801250 du 8 avril 2021, l

e tribunal administratif de Bastia a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) à lui verser la somme de 697 483,71 euros à titre d'indemnité, augmentée des intérêts légaux à compter du 7 juin 2017 et de la capitalisation des intérêts et de mettre à la charge du comité les dépens ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1800382, 1801250 du 8 avril 2021, le tribunal administratif de Bastia a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 190 586,71 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2017 ainsi que de leur capitalisation, a mis à la charge définitive de l'Etat les frais d'expertise et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 8 juin 2021, M. A..., représenté par Me Labrunie, demande à la Cour :

1°) de condamner le CIVEN à lui verser la somme de 697 483,71 euros en réparation de ses préjudices, avant consolidation, patrimoniaux et extra-patrimoniaux temporaires, et après consolidation, patrimoniaux et extra-patrimoniaux permanents, ainsi que des frais de transport sur le lieu de l'expertise judiciaire, avec intérêts de droit à compter du 7 Juin 2017, date de la demande de réexamen de la demande d'indemnisation, et capitalisation des intérêts échus à compter de cette même demande ;

2°) de mettre à la charge du CIVEN les frais d'expertise, les entiers dépens et la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en lui accordant une somme inférieure à celle que proposait le CIVEN dans ses écritures, le tribunal s'est indument substitué à l'administration, et il est demandé de lui allouer une somme qui ne peut être inférieure à celle-ci ;

- il entend contester le montant de l'indemnité que lui a accordée le tribunal, poste de préjudice par poste de préjudice, et obtenir la réparation intégrale des préjudices causés par les deux pathologies radio-induites dont il a été victime ;

- au titre des préjudices avant consolidation et s'agissant des préjudices patrimoniaux, l'assistance d'une tierce personne liée aux deux opérations chirurgicales subies en 1989 et en 2005 doit être indemnisée, suivant un taux horaire de 18 euros et un volume horaire de 2 heures par jour pendant un mois en 1989, à son retour au domicile après hospitalisation et de 2 heures par jour pendant trois mois en 2005, à son retour au domicile après hospitalisation, soit une somme de 4 356 euros ;

- s'agissant des préjudices extra-patrimoniaux avant consolidation, d'une part, le déficit fonctionnel temporaire lié à chacun de ses deux cancers primitifs doit être réparé à hauteur de 9 926 euros, à partir d'un taux journalier de 40 euros, et un degré de déficit de 15 %, d'autre part, les souffrances endurées temporaires devront être réparées, en tenant compte des souffrances physiques et des souffrances morales, à hauteur de 90 000 euros, enfin, le préjudice esthétique temporaire à 25 000 euros ;

- au titre des préjudices après consolidation, s'agissant des préjudices patrimoniaux, l'incidence professionnelle de ses pathologies radio-induites sur sa carrière de gendarme doit être réparée par une indemnité d'un montant de 50 000 euros ;

- s'agissant des préjudices extra-patrimoniaux après consolidation, une somme de 38 3015 euros devra lui être accordée en réparation de son préjudice fonctionnel permanent en lien avec les deux cancers, une somme de 40 000 euros au titre de son préjudice d'agrément, compte tenu notamment du siège de l'affection, une somme de 15 000 euros au titre de son préjudice esthétique permanent et une somme de 80 000 euros pour indemniser le préjudice moral généré par l'angoisse permanente et légitime d'une récidive, de l'aggravation de son état et d'une issue fatale ;

- enfin, en application de l'article 12 du décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014, il a droit au remboursement par le CIVEN de ses frais de déplacement auprès de l'expert, et donc au versement de la somme correspondante de 186,71 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 juillet et 4 novembre 2021, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés et en précisant ne pas s'opposer à la demande de sursis à statuer.

Par une ordonnance du 15 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 30 mai 2023, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me Tizot, substituant Me Labrunie, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 22 mai 1954, a été affecté en qualité de gendarme à Rikitea, dans l'archipel des Gambier, du 16 janvier 1983 au 15 novembre 1984 puis à Mururoa, du 16 novembre 1984 au 21 janvier 1986. Il a été victime d'un cancer du rein gauche diagnostiqué en 1989 alors qu'il était âgé de trente-cinq ans puis d'un cancer du rein droit diagnostiqué en 2005. Il a présenté une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Par une décision du 25 juillet 2011, le ministre de la défense, suivant la recommandation émise par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), a rejeté la demande d'indemnisation présentée, au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires français était négligeable. Par l'arrêt n° 13MA00839 du 27 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par M. A... contre le jugement du 5 février 2013 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du ministre de la défense.

2. Sur le fondement des dispositions du II de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, qui autorisent les demandeurs à présenter une nouvelle demande d'indemnisation dans le délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, M. A..., par une lettre du 7 juin 2017, a saisi le CIVEN en vue de voir réexaminer sa demande d'indemnisation des préjudices résultant de son exposition aux essais nucléaires. Le CIVEN a implicitement, puis explicitement par une décision du 28 septembre 2018, rejeté cette demande. Par un jugement du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Bastia a mis à sa charge la réparation intégrale des préjudices subis par M. A... à raison des cancers du rein dont il a souffert et ordonné qu'il soit procédé à une expertise médicale afin de déterminer le montant de l'indemnisation de ces préjudices. Par un arrêt n° 20MA00158 du 9 novembre 2021, la Cour a rejeté l'appel du CIVEN contre ce jugement. Par un jugement du 8 avril 2021, le tribunal administratif de Bastia a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 190 586,71 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2017 ainsi que de leur capitalisation, a mis à la charge définitive de l'Etat les frais d'expertise et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus de ses demandes. M. A... relève de ce jugement en tant qu'il n'a pas donné totale satisfaction à sa demande, en réclamant, à ce titre, la somme totale de 697 483,71 euros.

Sur l'office du juge de l'indemnité :

3. Le juge, saisi de conclusions indemnitaires, même fondées sur les dispositions de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, n'est pas tenu d'accorder une somme au moins égale à celle que l'administration se déclare devant lui prête à verser à l'amiable. Par suite, la circonstance que devant les premiers juges, le CIVEN a évalué l'indemnité due selon lui à M. A... à une somme supérieure à celle qu'ils lui ont accordée est sans incidence sur la détermination de ses droits à la réparation intégrale de ses préjudices.

Sur l'évaluation des préjudices subis par M. A... :

4. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'expertise judiciaire du 11 septembre 2020, que M. A... souffre de deux cancers radio-induits, l'un découvert au rein gauche en 1989, opéré en avril 1989 et pour lequel la date de consolidation de son état de santé peut être fixée au 10 avril 1990, et l'autre, diagnostiqué au rein droit en 2005, opéré la même année et pour lequel la date de consolidation peut être fixée au 31 mars 2006. Ce même rapport indique que s'il s'agit de deux affections distinctes, touchant deux organes différents, les préjudices qui en ont découlé sont dominés par l'altération majeure de la fonction rénale et la crainte de l'insuffisance terminale avec traitement par dialyse, associés à un sentiment d'injustice majeure.

En ce qui concerne les préjudices avant consolidation :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

5. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

6. D'une part, le rapport d'expertise judiciaire du 11 septembre 2020 montre que l'état de santé de M. A... l'a contraint, pendant un mois après l'opération par exérèse de son cancer du rein gauche, et jusqu'à sa consolidation, de recourir à l'assistance de son épouse, à raison de deux heures par jour. En tenant compte de la valeur moyenne du salaire minimum interprofessionnel de croissance sur la période considérée, augmentée des charges sociales incombant à l'employeur, du coût des congés payés et de la majoration pour dimanche et jours fériés, il sera fait une juste appréciation du préjudice qui a résulté pour M. A... du besoin d'une aide non spécialisée par une tierce personne en l'indemnisant selon un taux horaire de 13 euros. M. A... n'apporte en revanche aucun élément de nature à justifier que le coût de cette assistance devrait être déterminé à un taux supérieur, estimé selon lui à 18 euros. Il y a donc lieu de porter la somme allouée à ce titre par les premiers juges, de 550 euros à 780 euros.

7. D'autre part, il résulte du même rapport d'expertise du 11 septembre 2020 qu'à la suite de son second cancer, M. A... a eu besoin de l'assistance de son épouse pour effectuer un certain nombre de tâches et d'actes de la vie courante et que ce besoin d'assistance par tierce personne peut être évalué à deux heures par jour pendant les trois mois qui ont suivi l'opération de son rein droit. Alors que, pour le calcul du préjudice correspondant à ce besoin d'assistance, M. A... ne justifie pas l'application d'un taux horaire de 18 euros, les premiers juges, en lui accordant, à ce titre, la somme de 3 250 euros, soit une somme supérieure à celle découlant de l'application d'un taux de 13 euros pour la période considérée, ont fait une juste réparation de son préjudice.

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

8. Il résulte de l'instruction, et plus spécialement du rapport d'expertise judiciaire, que M. A... a subi, après l'opération de son rein gauche, avant consolidation de son état de santé le 10 avril 1990, un déficit fonctionnel temporaire total pendant une durée de 18 jours, un déficit fonctionnel temporaire à hauteur de 70 % pendant 7 jours, de 40 % pendant 7 jours, de 20 % pendant 7 jours et de 15 % jusqu'à la consolidation de son état de santé. Ni ce document ni aucun autre élément de l'instruction ne démontrent que l'intéressé, qui ne remet pas en cause la date de consolidation de son état de santé, devrait se voir reconnaître, pour la période du 14 mai 1989 au 9 avril 1990, un déficit fonctionnel à caractère permanent à hauteur de 15 %.

Si M. A... soutient, en outre, que la somme de 2 000 euros allouée par le tribunal au titre du déficit fonctionnel temporaire lié aux séquelles de son cancer du rein gauche doit être réévaluée en portant le taux journalier à 40 euros au lieu de 25 euros, il ne livre aucun élément de nature à justifier une telle réévaluation.

9. Par ailleurs, le rapport d'expertise judiciaire, qui n'est pas non plus sur ce point utilement critiqué par M. A..., démontre que celui-ci a présenté, en raison du cancer du rein droit diagnostiqué en 2005, avant consolidation de son état de santé le 31 mars 2006, un déficit fonctionnel temporaire total pendant une durée de 17 jours, de 70 % pendant 41 jours et de 40 % pendant 320 jours. Pas plus qu'au titre de la précédente affection, M A... n'assortit des précisions suffisantes ses prétentions tendant à ce que le taux journalier retenu par les premiers juges pour lui allouer la somme de 4 300 euros en réparation de ce chef de préjudice, soit porté à 40 euros.

Quant aux souffrances temporaires endurées :

10. Selon le rapport d'expertise judiciaire, les souffrances endurées par M. A... du fait de son cancer du rein gauche avant consolidation de son état de santé, peuvent être évaluées à 4 sur une échelle de 7 et sont limitées à l'acte chirurgical lui-même, ayant consisté en l'ablation de l'organe. En soulignant l'âge auquel il a dû subir cette intervention et en affirmant avoir été alité plusieurs jours et placé en congé de maladie pendant quarante-cinq jours, alors que ces éléments ont été pris en compte par l'expert pour évaluer son pretium doloris, M. A... n'apporte pas d'indications suffisantes pour démontrer que l'évaluation de ses souffrances endurées ainsi retenue par l'expert, et la somme de 12 000 euros allouée en réparation de ce préjudice par les premiers juges, sur la base de cette évaluation, devraient être réévaluées.

11. Les souffrances endurées par M. A... après l'intervention chirurgicale sur son rein droit et jusqu'à la consolidation de son état de santé ont quant à elles été évaluées par l'expert judiciaire à 5,5 sur une échelle 7 et correspondent, selon lui, à une souffrance psychologique associée à la survenue d'un nouveau cancer, et à la conscience de la réduction de la réserve néphronique. Il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas d'une comparaison opérée par l'appelant entre l'indemnisation des victimes des essais nucléaires et celle des victimes de l'amiante, constitutives de deux situations distinctes, ni de son arrêt de travail pendant quarante-cinq jours, après son hospitalisation pendant deux semaines, pris en compte par l'expert judiciaire, que les souffrances ainsi endurées par M. A... devraient être réparées par une indemnité supérieure à la somme de 28 000 euros accordée par le tribunal.

Quant aux préjudices esthétiques temporaires :

12. Il ne résulte pas du rapport d'expertise judiciaire, qui décrit la cicatrice d'opération du rein gauche, comme souple, discrète et sans hernie, et qui évalue le préjudice esthétique temporaire qui en est résulté pour M. A... à 2 sur une échelle de 7, ni d'aucune autre pièce du dossier, que l'alitement de l'intéressé et ses pansements, pour lesquels celui-ci ne livre aucune précision, auraient été de nature à altérer de manière significative son apparence physique. Ainsi, en fixant à 150 euros la somme due à ce titre, les premiers juges n'ont pas fait une fausse indemnisation de ce chef de préjudice. Il en va de même, pour les mêmes motifs, de l'indemnité du même montant accordé par le tribunal en réparation du préjudice esthétique temporaire lié à la cicatrice de l'opération du rein droit, évalué par l'expert à 3 sur une échelle de 7.

En ce qui concerne les préjudices après consolidation :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

13. Certes, il résulte du certificat médico-administratif d'aptitude du 6 juillet 2004, corroboré par les mentions du livret médical militaire de M. A..., que celui-ci a été à cette date déclaré apte au service avec restriction d'emploi, et inapte au grade de lieutenant au choix, du fait de son cancer au rein gauche survenu au cours de son service. Toutefois, ni ces pièces ni aucun autre élément de l'instruction ne démontrent que le militaire, qui n'établit ni même n'allègue avoir présenté des candidatures en ce sens, avait alors des chances sérieuses, compte tenu de sa manière de servir, d'être promu officier. Ainsi, M. A... n'est pas fondé à réclamer l'indemnisation d'un préjudice dit d'incidence professionnelle en raison de cette absence de promotion. Si l'appelant précise que, du fait de sa maladie, il a été déclaré inapte à servir en outre-mer dès 1989, il ne fait de la sorte valoir aucune incidence précise sur le déroulement de sa carrière.

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :

14. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise judiciaire que, depuis la consolidation de son état de santé causé par son cancer du rein gauche, M. A..., alors âgé de trente-six ans, est atteint d'un déficit fonctionnel permanent évalué à 15 % et que l'expert décrit comme une altération discrète de la fonction rénale. En lui allouant au titre de ce chef de préjudice la somme de 30 000 euros, à laquelle il n'y a pas lieu d'appliquer un " coefficient de capitalisation ", le tribunal, qui, pour ce faire, s'est placé à la date du prononcé de son jugement, en a fait une juste indemnisation. Pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu de porter à un montant supérieur la somme de 95 000 euros accordée par les premiers juges à M. A..., âgé de cinquante-et-un ans au moment de la consolidation de son état de santé à la suite de son cancer du rein droit, en réparation du déficit fonctionnel permanent qui en est résulté et qui a été évalué à 40 % par l'expert.

15. En deuxième lieu, M. A... ne livre aucun élément de nature à justifier que les sommes de 2 000 et de 3 000 euros accordées par le tribunal en réparation du préjudice esthétique permanent qui résulte des deux cicatrices causées par les opérations à ses deux reins, décrites par l'expert comme souples, discrètes et sans hernie, et qui est évalué par celui-ci respectivement à 2 et à 3 sur une échelle de 7, soient portées respectivement à 5 000 et 10 000 euros.

16. En troisième lieu, si pour invoquer le préjudice d'agrément causé par son cancer du rein gauche, qui s'est traduit par l'exérèse de cet organe, M. A... affirme avoir cessé de pratiquer la marche en randonnée, l'équitation, le tennis, ainsi que les jeux avec ses enfants nés en 1992,1994 et 1998, de crainte d'abimer son autre rein, il ne livre, pas plus en appel qu'en première instance, aucun pièce propre à en justifier, alors qu'il résulte d'un certificat médical du 3 mai 2018 que les médecins militaires l'ayant opéré en 1989 ne lui avaient pas dit avoir procédé à l'ablation de son rein. En revanche, il résulte du rapport d'expertise judiciaire, ainsi que d'un certificat médical du 11 août 2010, qu'à la suite de l'ablation quasi-totale de son rein droit, faisant suite à l'exérèse du rein gauche, M. A... a dû renoncer à la pratique du tennis, de l'équitation et la randonnée prolongée. Compte tenu du déficit fonctionnel permanent de 40 % attaché à cette seconde affection, et de l'évaluation proposée par l'expert judiciaire, de 4 sur une échelle de 7, il sera fait une juste réparation du préjudice d'agrément subi par M. A... en lui accordant la somme de 10 000 euros.

17. En quatrième lieu, pas plus en appel qu'en première instance M. A... ne justifie avoir subi un préjudice exceptionnel permanent, distinct du déficit fonctionnel permanent dont il reste atteint du fait de ses deux cancers radio-induits. Il ne livre en cause d'appel aucun élément ni aucune pièce propre à justifier que soit revalorisée la somme de 10 000 euros que le tribunal lui a accordée en réparation de son préjudice d'anxiété causé par les craintes liées au caractère évolutif de sa pathologie.

18. En dernier lieu, si M. A... demande à nouveau le remboursement des frais qu'il a exposés pour se déplacer aux opérations d'expertise, d'un montant de 186,71 euros, il résulte des énonciations mêmes du jugement attaqué que le tribunal lui a accordé cette même somme, à ce titre.

19. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à demander que l'indemnité qui lui est due par l'Etat en réparation de l'ensemble de ses préjudices soit portée de 190 586,71 euros à 200 816,71 euros. Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2017, date non contestée de réception de sa demande de réexamen. Les intérêts échus seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à compter du 7 juin 2018, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Il suit de là que le jugement attaqué doit être réformé en ce qu'il a de contraire à ce qui vient d'être dit.

Sur les frais d'expertise :

20. En application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre les frais de l'expertise judiciaire, liquidés et taxés à 4 368 euros par l'ordonnance du président du tribunal administratif de Bastia du 1er octobre 2020, à la charge définitive de l'Etat, partie perdante, pour l'essentiel, dans la présente instance.

Sur les frais du litige :

21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La somme due par l'Etat à M. A... en réparation de ses préjudices est portée de 190 586,71 euros à 200 816,71 euros. Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2017. Les intérêts échus seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à compter du 7 juin 2018, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 2 : Le jugement n° 1800382, 1801250 rendu le 8 avril 2021 par le tribunal administratif de Bastia est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article précédent.

Article 3 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à 4 368 euros par l'ordonnance du président du tribunal administratif de Bastia du 1er octobre 2020, sont mis à la charge définitive de l'Etat.

Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et au ministre des armées.

Copie en sera adressée au professeur C..., expert.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2023.

N° 21MA022112


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA02211
Date de la décision : 27/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-05 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Responsabilité régie par des textes spéciaux.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-06-27;21ma02211 ?
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