Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du
28 septembre 2018 par laquelle le président du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation en qualité de victime d'essais nucléaires et de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) à lui verser la somme totale de 619 556 euros en réparation des préjudices subis en raison de son exposition aux essais nucléaires réalisés en Polynésie.
Par un jugement n° 1800382 et 1801250 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Bastia a mis à la charge du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) la réparation intégrale des préjudices subis par M. A... à raison des cancers du rein dont il a souffert et ordonné qu'il soit procédé à une expertise médicale afin de déterminer le montant de l'indemnisation de ces préjudices.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 10 janvier 2020, et un mémoire en réplique
enregistré le 26 juin 2020, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) demande à la Cour d'infirmer le jugement du tribunal administratif de Bastia du
7 novembre 2019.
Il soutient que, à raison de son poste de travail, M. A... ne peut avoir reçu une dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français supérieure à la dose d'un millisievert par an fixée par l'article R. 1333-1 du code de la santé publique, de sorte qu'il ne peut se prévaloir des dispositions de la loi du 5 janvier 2010.
Par deux mémoires, enregistrés respectivement le 25 mars 2020 et le 13 octobre 2021,
M. A..., représenté par Me Labrunie, conclut au rejet de la requête du CIVEN, tout en demandant à la Cour de surseoir à statuer en attendant l'examen par le Conseil constitutionnel de l'article 57 de la loi du 17 juin 2020. Il demande également que l'indemnisation soit assortie des intérêts et de mettre à la charge du CIVEN la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-2 du 5 janvier 2010 ;
- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;
- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;
- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Badie,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me Dupin, substituant Me Labrunie, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., né le 22 mai 1954, a été affecté en qualité de gendarme à
Rikitea, dans l'archipel des Gambier, du 16 janvier 1983 au 15 novembre 1984 puis à
Mururoa, du 16 novembre 1984 au 21 janvier 1986. Il a été victime d'un cancer du rein
gauche diagnostiqué en 1989 alors qu'il était âgé de 35 ans puis d'un cancer du rein droit
diagnostiqué en 2005. Il a présenté une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi
n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des
essais nucléaires français. Par une décision du 25 juillet 2011, le ministre de la défense,
suivant la recommandation émise par le comité d'indemnisation des victimes des essais
nucléaires (CIVEN), a rejeté la demande d'indemnisation présentée, au motif que le risque
attribuable aux essais nucléaires français était négligeable. Par l'arrêt n° 13MA00389 du
27 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par
M. A... contre le jugement du 5 février 2013 par lequel le tribunal administratif de Bastia
a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du ministre de la défense.
2. Sur le fondement des dispositions du II de l'article 113 de la loi du 28 février 2017
de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière
sociale et économique, qui autorisent les demandeurs à présenter une nouvelle demande
d'indemnisation dans le délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de cette loi,
M. A..., par une lettre datée du 7 juin 2017, a saisi le CIVEN en vue de voir réexaminer sa
demande d'indemnisation des préjudices résultant de son exposition aux essais nucléaires. Le
CIVEN a implicitement, puis explicitement par une décision du 28 septembre 2018, rejeté
cette demande. Il relève appel du jugement du 7 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Bastia a mis à sa charge la réparation intégrale des préjudices subis par
M. A... à raison des cancers du rein dont il a souffert et ordonné qu'il soit procédé à une expertise médicale afin de déterminer le montant de l'indemnisation de ces préjudices.
3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " I. Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. / II. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : / 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ; / 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française. / (...) ". Aux termes du I de l'article 4 de la même loi : " Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (...) ".
4. En vertu du V du même article 4, dans sa rédaction issue du 2° du I de l'article 232 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 : " Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article
L. 1333-2 du code de la santé publique ". Aux termes du I de l'article R. 1333 11 du code de la santé publique : " Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an, à l'exception des cas particuliers mentionnés à l'article R. 1333-12 ". Enfin, aux termes de l'article 57 de la loi du
17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire : " Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, le b du 2° du I de l'article 232 de la loi
n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 est applicable aux demandes déposées devant le comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 précitée ".
5. Il résulte des dispositions de la loi 5 janvier 2010 citées au point 4, dans leur rédaction issue de la loi du 28 décembre 2018, applicables, en vertu de l'article 57 de la loi du 17 juin 2020, à la date à laquelle la Cour statue sur la présente affaire, que le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de 1 millisievert (mSv). Si, pour le calcul de cette dose, l'administration peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé. En l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à l'administration de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires. Si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de 1 mSv.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... remplit les conditions de temps et de lieu de séjour fixés à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010, de même qu'il présente une pathologie figurant en annexe du décret du 15 septembre 2014. Il est donc fondé à se prévaloir de la présomption de causalité mentionnée au point 5, à moins que l'administration n'établisse que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français qu'il a reçue a été inférieure à la limite de 1 mSv.
7. Il ressort des pièces du dossier que, du fait de ses attributions professionnelles,
M. A..., bien que n'ayant pas occupé un poste en lien direct avec la réalisation d'expérimentations nucléaires, était toutefois en charge de la sécurité des sites d'expérimentation nucléaires, et qu'à cette occasion, il s'est rendu à plusieurs reprises sur le terrain, à proximité immédiate des zones réglementées afin d'y contrôler et d'y faire observer l'interdiction d'accès, et ce, sans protection particulière, notamment vestimentaire, et sans aucun dosimètre. Durant son séjour, il est constant qu'ont eu lieu plus de vingt essais souterrains, dont deux avec incident ainsi qu'il ressort de la recommandation du CIVEN dans sa séance du 25 janvier 2011. D'une part, alors à Mururoa, et s'agissant de la dosimétrie interne, M. A... a fait l'objet, par l'administration dont il dépendait, d'un test de mesure d'exposition aux rayons ionisants à son départ de Polynésie française en 1986 qui s'est révélé négatif. Mais ce test d'anthroporadiamétrie est l'unique mesure prise sur l'intéressé durant tout son séjour en Polynésie qui n'a bénéficié d'aucun autre examen. D'autre part, s'agissant de la dosimétrie externe, pour justifier de l'absence de contamination lors du séjour de M. A... à Rikitéa, commune située dans l'archipel des Gambier directement impacté par des tirs atmosphériques ayant eu lieu de 1966 à 1974, le CIVEN produit, à l'appui de sa requête, des études réalisées en 2014 et un rapport de l'Aiea réalisé en 2010, soit près de 30 ans à 25 ans après le séjour de l'intéressé. Il produit également un bilan établi en 2010 par le CEA à partir de diverses données, des mesures de la radioactivité permettant d'estimer la dose efficace engagée annuelle qui serait la somme des doses reçues en externe et par contamination interne, par inhalation et par ingestion, dans la zone concernée. Ces données, parfois ponctuelles et partielles, établies pour certaines d'entre elles après reconstitution, ne permettent pas, comme l'ont retenu à bon droit les premiers juges, de regarder les mesures dont se prévaut le CIVEN comme suffisantes, c'est-à-dire susceptibles de mesurer précisément l'exposition de M. A... aux rayons ionisants à raison de ses activités professionnelles sur l'ensemble de sa durée d'affectation en Polynésie française. En conséquence, le CIVEN doit être regardé comme n'ayant pas rapporté la preuve de ce que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par M. A..., dont il ne résulte pas de l'instruction que sa pathologie résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition à de tels rayonnements, a été inférieure à la limite de 1 mSv. Par suite, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer dans l'attente de l'examen par le Conseil constitutionnel de l'article 57 de la loi du 17 juin 2020, saisi sur ce point d'une question prioritaire de constitutionnalité, la requête du CIVEN doit être rejetée.
8. D'une part, la Cour n'étant pas saisi de la question de l'évaluation des préjudices subis par M.A..., il n'y a pas lieu en tout état de cause de faire droit à sa demande d'application des intérêts sur les sommes susceptibles de lui être allouées. D'autre part, il y a lieu de mettre à la charge du CIVEN la somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre des frais exposés par lui à l'occasion du litige.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) est rejetée.
Article 2 : Le CIVEN versera à M. A... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, à la ministre des armées, et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2021.
N° 20MA00158 4