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27/12/2016 | FRANCE | N°13MA00839

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 27 décembre 2016, 13MA00839


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...B...a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 25 juillet 2011 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation intégrale des victimes des essais nucléaires français et à ce que le tribunal condamne l'Etat à l'indemniser des préjudices subis.

Par un jugement n° 1100710 du 5 février 2013, le tribunal administratif de Bastia a, après avoir o

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...B...a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 25 juillet 2011 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation intégrale des victimes des essais nucléaires français et à ce que le tribunal condamne l'Etat à l'indemniser des préjudices subis.

Par un jugement n° 1100710 du 5 février 2013, le tribunal administratif de Bastia a, après avoir ordonné une expertise par jugement avant dire droit du 8 mars 2012, rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 février 2013 et 9 mars 2015, M. B..., représenté par MeD..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 5 février 2013 ;

2°) de faire droit à la demande d'indemnisation à hauteur de la somme totale de

446 756 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les frais d'expertise d'un montant de 1 200 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort qu'après avoir reconnu qu'il satisfaisait aux conditions posées par les articles 1 et 2 de la loi du 5 janvier 2010 le ministre de la défense a considéré que le risque attribuable aux essais nucléaires français dans la survenance de la maladie dont il est atteint peut être considéré comme négligeable ;

- la méthode utilisée par le CIVEN pour déterminer le caractère négligeable du risque prend en considération la dose de rayonnement reçue alors qu'au contraire, le législateur a entendu écarter ce critère et que les procédés techniques pour mesurer cette dose n'étaient pas fiables ;

Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 juillet 2013 et le 27 novembre 2015, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête de M.B....

Il soutient que :

- les moyens de M. B...ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renouf,

- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., substituant MeD..., représentant M. B....

1. Considérant que M. B...fait appel du jugement du 5 février 2013 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 25 juillet 2011 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation intégrale des victimes des essais nucléaires français et à ce que le tribunal condamne l'Etat à l'indemniser des préjudices subis.

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français modifiée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./ Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; qu'aux termes du I de l'article 4 de cette même loi, dans sa version applicable au litige : " Les demandes d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...) " et qu'aux termes du II de ce même article : " Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé (...) " ; qu'aux termes de l'article 7 du décret du 11 juin 2010 pris pour l'application de la loi du 5 janvier 2010, dans sa rédaction également applicable au litige: " Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique (...) " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Polynésie française et en Algérie, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs ;

4. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable et la présomption de causalité ne peut être renversée ;

5. Considérant qu'il est constant que M.B..., militaire au sein de la gendarmerie, a été affecté du 16 janvier 1983 au 15 novembre 1984 à Rikitéa sur 1'ile de Mangareva dans l'archipel des îles Gambier puis, du 16 novembre 1984 au 21 janvier 1986, sur 1'atoll de Mururoa ; que ces sites sont au nombre des zones inscrites à l'annexe du décret du 11 juin 2010 ; que l'intéressé a été atteint d'un cancer du rein, diagnostiqué en 1989, puis d'un second cancer sur l'autre rein, diagnostiqué en 2005 ; que ces maladies sont mentionnées à l'annexe du décret du 11 juin 2010 ; qu'ainsi, M. B...entre dans le champ d'application des dispositions précitées et doit bénéficier de l'indemnisation qu'elles prévoient, sauf à ce que le ministre de la défense établisse que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de sa maladie est négligeable ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la méthode retenue par le CIVEN pour évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires s'appuie sur une pluralité de critères, recommandés par l'Agence internationale de l'énergie atomique, notamment sur les conditions particulières d'exposition de l'intéressé, et qui, pour le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants, prennent en compte, au titre de la contamination externe, les résultats de mesures de surveillance individuelles ou collectives disponibles ou, en leur absence, la dose équivalente à la valeur du seuil de détection des dosimètres individuels pour chaque mois de présence, fondée sur des données de surveillance radiologique atmosphérique permanente effectuée dans les centres d'essais nucléaires et, au titre de la contamination interne, les résultats des mesures individuelles de surveillance, ou en leur absence, les résultats des mesures de surveillance d'individus placés dans des situations comparables ; que ces critères, ainsi qu'il a été dit ci-dessus aux points 2 et 3, ne méconnaissent pas les dispositions de la loi et permettent, sur ce fondement, d'établir, le cas échéant, le caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie dont souffre l'intéressé ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que, s'agissant du séjour de M. B...sur les îles de Gambier, les deux essais qui ont provoqué des retombées sur les îles de Gambier et que M. B...invoque ont été réalisés en 1966 et 1971, soit respectivement 17 et 12 ans avant l'arrivée de l'intéressé dans ces îles ; que, s'agissant du séjour de M. B...à Mururoa à partir du 16 novembre 1984, aucun essai nucléaire en atmosphère n'y avait été réalisé après le 14 septembre 1974 ; que les essais souterrains réalisés pendant que M. B...était présent se déroulaient dans des zones interdites entourées de zones contrôlées ; que si M.B..., en sa qualité de gendarme, était notamment chargé de veiller à ce que personne ne pénètre dans ces zones sans autorisation, les attestations qu'il a produites ne contestent pas que cette surveillance s'effectuait depuis l'extérieur desdites zones ; qu'ainsi, les conditions concrètes d'exposition de M. B...ne justifiaient pas d'autres mesures de surveillance que les diverses mesures de surveillance collective réalisées sur le site, telles que celles dont l'intervention est notamment attestée par le document du 5 juillet 2006 produit par le ministre, récapitulant les mesures effectuées au cours de l'ensemble de la période pendant laquelle M. B...était présent à Mururoa ;

8. Considérant, en dernier lieu, que les mesures de surveillance révèlent une radioactivité ambiante à la limite de ce que les appareils étaient en mesure de détecter et très inférieure à la radioactivité naturelle constatée en métropole ; qu'ainsi, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment aux conditions concrètes d'exposition de M. B...aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires décrites ci-dessus, il résulte de l'instruction que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue des maladies de M. B...était négligeable ; que, par suite, le ministre de la défense a pu légalement, sans méconnaître la présomption résultant des dispositions du II de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 rejeter la demande de l'intéressé ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande de première instance et a, par suite, mis à sa charge les frais d'expertise ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B...et au ministre de la défense.

Délibéré après l'audience du 13 décembre 2016, où siégeaient :

- M. Gonzales, président,

- M. Renouf, président assesseur,

- M. Coutel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 décembre 2016.

2

N° 13MA00839


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13MA00839
Date de la décision : 27/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-01-05 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité régie par des textes spéciaux.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: M. Philippe RENOUF
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 17/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2016-12-27;13ma00839 ?
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