COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160
Date : 20110211
Dossier : 33203
Entre :
Vernon Joseph Smith
Appelant
et
Alliance Pipeline Ltd.
Intimée
- et -
Comité d’arbitrage, constitué en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie,
L.R.C. 1985, ch. N-7, partie V
Intervenant
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement :
(par. 1 à 77)
Motifs concordants :
(par. 78 à 111)
Le juge Fish (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell)
La juge Deschamps
Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160
Vernon Joseph Smith Appelant
c.
Alliance Pipeline Ltd. Intimée
et
Comité d’arbitrage, nommé en vertu de
la Loi sur l’Office national de l’énergie,
L.R.C. 1985, ch. N‑7, partie V Intervenant
Répertorié : Smith c. Alliance Pipeline Ltd.
No du greffe : 33203.
2010 : 5 octobre; 2011 : 11 février.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Noël, Nadon et Pelletier), 2009 CAF 110, 389 N.R. 363, 42 C.E.L.R. (3d) 1, [2009] A.C.F. no 407 (QL), 2009 CarswellNat 5476, qui a infirmé une décision du juge O’Keefe, 2008 CF 12, 34 C.E.L.R. (3d) 138, 318 F.T.R. 100, [2008] F.C.J. No. 28 (QL), 2008 CarswellNat 1427, qui a confirmé une décision du second comité d’arbitrage sur les pipelines. Pourvoi accueilli.
Richard C. Secord, Meaghan M. Conroy et Yuk‑Sing Cheng, pour l’appelant.
Munaf Mohamed et Jillian Strugnell, pour l’intimée.
Personne n’a comparu pour l’intervenant le Comité d’arbitrage, nommé en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. 1985, ch. N‑7, partie V.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell rendu par
Le juge Fish —
I
[1] Le présent litige a germé dans la mince couche de fumier que l’appelant a épandu sur une bande de terrain lui appartenant, que l’intimée avait l’obligation de bonifier.
[2] L’intimée, qui avait obtenu un droit de passage dans le terrain en question aux termes d’un contrat d’expropriation, a fait défaut de bonifier les sols dans les délais prévus, contrairement à ce que stipulait le contrat, et elle a refusé d’indemniser intégralement l’appelant des travaux de bonification effectués par celui‑ci à sa place. Ce dernier a recouru à l’arbitrage prescrit par la loi, procédure censée assurer un règlement expéditif du litige.
[3] Les procédures qui ont suivi ont été tout sauf expéditives : deux audiences de comités d’arbitrage, une action devant la Cour du Banc de la Reine, un contrôle judiciaire et un appel. Après avoir englouti des milliers de dollars, l’appelant termine enfin aujourd’hui ce qui aurait dû être une procédure rapide pour obtenir une indemnisation intégrale.
[4] L’instance introduite devant le premier comité n’a pas abouti. Un second comité a été constitué. Ce comité a accordé à l’appelant les frais entraînés par l’exercice de ce recours. Il lui a également accordé la plus grande partie des frais de l’instance qui s’était déroulée devant le premier comité, ainsi que les dépens qu’il avait engagés pour contester l’instance connexe introduite par l’intimée devant la Cour du Banc de la Reine. Ces décisions ont été confirmées par la Cour fédérale au terme d’un contrôle judiciaire, mais annulées par la suite par la Cour d’appel fédérale.
[5] À mon avis, la décision du second comité devrait être rétablie. Comme nous le verrons, cette décision ne pouvait être révisée dans le cadre d’un contrôle judiciaire que si elle était jugée déraisonnable.
[6] J’estime au contraire que le comité a exposé sa décision de façon cohérente et que ses conclusions sont tout à fait compatibles avec les dispositions législatives qu’il était tenu d’appliquer, notamment l’art. 75 et le par. 99(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. 1985, ch. N‑7 (« LONE »). L’article 75 exprime, sous forme de disposition législative, le principe bien établi de common law suivant lequel les propriétaires expropriés ont le droit d’être indemnisés intégralement « [de tous les] dommages qu’ils ont subis en raison de [l’expropriation] ». Dans le même ordre d’idées, le par. 99(1) confère au comité d’arbitrage un vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer les éléments connexes d’une telle indemnisation, lesquels comprennent « tous les frais [de l’exproprié], notamment de procédure et d’évaluation, que le comité estime avoir été entraînés par l’exercice du recours ».
[7] Je ne vois aucune raison d’intervenir dans l’application, par le comité, des dispositions susmentionnées et des autres dispositions pertinentes de la LONE aux faits qu’il a constatés.
[8] Pour les motifs qui précèdent, et pour ceux exposés ci‑après, je suis par conséquent d’avis de faire droit à l’appel et de rétablir la décision du comité d’arbitrage, le tout avec dépens sur la base procureur‑client devant toutes les juridictions.
II
[9] En 1998, l’intimée, Alliance Pipeline Ltd. (« Alliance »), a obtenu de l’Office national de l’énergie l’autorisation de construire un pipeline traversant les terres agricoles de l’appelant. Conformément à la LONE, les parties ont conclu des accords prévoyant la constitution de servitudes et le versement d’indemnités à l’égard des terrains expropriés. Elles ont également signé des décharges qui ne sont pas en litige dans le présent pourvoi.
[10] Alliance a achevé la construction du pipeline en 1999, mais elle a négligé d’exécuter les travaux de bonification qu’elle s’était engagée à réaliser sur l’emprise le printemps suivant, comme le jugeait nécessaire M. Smith. Celui‑ci a en conséquence effectué lui‑même les travaux puis soumis une facture de 9 829 $ à Alliance. Cette dernière ne lui a offert que 2 500 $.
[11] En août 2001, M. Smith a déposé un avis d’arbitrage en vertu de la partie V de la LONE. Une audience a eu lieu le 6 mai 2003 devant un comité d’arbitrage sur les pipelines composé de trois personnes (le « premier comité ») qui avait été constitué par le ministre des Ressources naturelles (« ministre »). Le premier comité a mis sa décision en délibéré.
[12] Au début de juin 2003, Alliance a décidé de procéder à des travaux d’entretien d’urgence sur l’emprise, pour donner suite aux recommandations que lui avait faites l’entreprise qu’elle avait chargée d’évaluer l’état des terrains en question l’année précédente (recommandations dont elle n’avait jusque‑là pas tenu compte). Pour pouvoir accéder à son emprise, Alliance a demandé à M. Smith la permission d’utiliser une parcelle de 100 pieds de la propriété privée de ce dernier qui se trouvait à l’extérieur de l’emprise de la compagnie. Contrarié par la réticence de l’intimée à payer les frais qu’il lui avait déjà réclamés, M. Smith a demandé d’être indemnisé avant de donner son accord. Au cours de la mésentente qui s’en est suivie, M. Smith a exprimé son exaspération envers les employés d’Alliance en tenant des propos coléreux et menaçants à leur endroit. Un agent foncier de la compagnie a prévenu la GRC, mais après avoir parlé à M. Smith, les policiers ont refusé de porter des accusations.
[13] Alliance a alors introduit une instance devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Dans sa déclaration, Alliance réclamait : (1) l’accès sans entrave à la terre de M. Smith; (2) un jugement déclaratoire portant que les décharges signées par les parties rendaient irrecevable la demande d’indemnisation dont M. Smith avait saisi le premier comité; et (3) une ordonnance enjoignant au premier comité de ne pas rendre de décision tant que l’action intentée devant la Cour du Banc de la Reine ne serait pas tranchée.
[14] Le 7 août 2003, Alliance a déposé un avis de requête dans lequel elle sollicitait deux injonctions provisoires : une première visant à suspendre la procédure se déroulant devant le premier comité, et une seconde obligeant M. Smith à lui donner accès à l’emprise. La juge Nation a rejeté la requête d’Alliance en octobre 2003 (2003 ABQB 843 (CanLII)) et a adjugé à M. Smith les dépens entre parties, qu’Alliance a payés (d.a., vol. III, p. 59‑62).
[15] Alliance a attendu un an et demi, c’est‑à‑dire jusqu’au 17 mars 2005, avant de se désister de l’action qu’elle avait intentée devant la Cour du Banc de la Reine et à l’égard de laquelle elle a payé 4 565,97 $ à titre de dépens entre parties à M. Smith, soit moins du quart des 20 788,54 $ en frais et débours que ce dernier avait jusque‑là engagés pour contester l’action.
[16] Entre-temps, la procédure d’arbitrage s’est enlisée. Le 1er février 2005, presque deux ans après l’audience mais avant qu’une décision ne soit rendue, les parties ont appris qu’un des trois membres du premier comité, M. John Gill, venait d’être nommé juge. Le premier comité a ainsi perdu son quorum, et les procédures engagées dans la présente affaire ainsi que dans 19 demandes connexes introduites contre Alliance ont de ce fait pris fin.
[17] Le ministre a constitué un nouveau comité d’arbitrage (le « second comité ») le 11 août 2005. Dans son avis d’arbitrage modifié, M. Smith a de nouveau demandé à être indemnisé des travaux de bonification qu’il avait effectués. Toutefois, il a également réclamé les frais de l’instance qui s’était déroulée devant le premier comité, ainsi que 16 222,57 $ à titre de dépens procureur‑client — soit le reste de ses frais de justice à la suite de la décision de la juge Nation.
III
[18] Au terme de cinq jours d’audience, le second comité a fait droit à la plupart des prétentions de M. Smith. Il lui a également accordé une partie de ses frais afférents à l’instance s’étant déroulée devant le premier comité ainsi que le reste de ses dépens relatifs à l’action et à la requête devant la Cour du Banc de la Reine, et ce, sur la base procureur‑client.
[19] Saisi de l’appel interjeté par Alliance à la Cour fédérale en vertu de l’art. 101 de la LONE, le juge O’Keefe a conclu que la décision du second comité d’adjuger une partie des frais engagés par M. Smith devant le premier comité était raisonnable. Il a également conclu que, comme M. Smith avait été contraint de se défendre contre l’action en Cour du Banc de la Reine pour protéger la demande qu’il avait soumise au comité, sa participation à cette action en justice faisait partie intégrante de sa demande d’indemnisation fondée sur la LONE, et qu’il était également raisonnable de lui adjuger les dépens en vertu du par. 99(1) (2008 CF 12, 34 C.E.L.R. (3d) 138).
[20] Saisie à son tour d’un appel interjeté par Alliance, la Cour d’appel fédérale a conclu que le second comité avait commis une erreur en adjugeant à M. Smith les frais associés à l’instance qui s’était déroulée devant le premier comité ainsi que les dépens de l’action intentée devant la Cour du Banc de la Reine (2009 CAF 110 (CanLII)). S’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale sur cette question, le juge Nadon a estimé qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si la norme de contrôle appropriée était celle de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte, puisqu’il aurait annulé la décision du second comité quelle que soit la norme de contrôle qu’il aurait appliquée.
[21] Dans ses brefs motifs concourants, le juge Pelletier a réprimandé Alliance pour ses tactiques dilatoires. Il a reproché à l’entreprise d’avoir demandé au premier comité « de s’abstenir de statuer sur la demande de M. Smith jusqu’à la conclusion de [l’action] » (par. 70) et d’avoir « fait obstruction à M. Smith en revenant à sa position antérieure et en intentant, comme elle l’a fait, une [action] devant la Cour du Banc de la Reine » (par. 72). À son avis, Alliance aurait pu et aurait dû laisser au premier comité le soin de trancher la question des décharges.
IV
[22] La principale question que devait trancher le second comité était celle de savoir si les « frais » visés au par. 99(1) de la LONE ne comprennent que les dépenses engagées par l’exproprié au cours de l’instance se déroulant devant le comité d’arbitrage. Le juge saisi de l’appel interjeté à la Cour fédérale par Alliance devait d’abord déterminer s’il fallait appliquer la norme de la décision correcte ou celle, moins exigeante, de la décision raisonnable dans son analyse de la décision du comité.
[23] Dans cette optique, je crois qu’il est important de réitérer que les longues analyses du passé, qui reposaient sur des formules toutes faites, ont depuis été remplacées par la démarche plus large et moins lourde exposée par notre Cour dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.
[24] Suivant l’arrêt Dunsmuir :
. . . le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle. [par. 62]
Même lorsqu’il faut recourir à ces facteurs, il n’est pas nécessaire de tenir compte de chacun d’entre eux (par. 64).
[25] En conséquence, le juge qui procède au contrôle judiciaire peut utilement commencer son analyse en se demandant si l’objet de la décision soumise à son examen appartient à l’une des catégories mentionnées dans la liste non exhaustive figurant dans l’arrêt Dunsmuir. Suivant cette approche, la première étape suffira pour déterminer la norme de contrôle applicable en l’espèce.
[26] Selon l’arrêt Dunsmuir, les catégories énumérées ci‑après sont susceptibles de contrôle judiciaire soit selon la norme de la décision correcte soit selon celle de la décision raisonnable. La norme de la décision correcte s’applique : (1) aux questions constitutionnelles; (2) aux questions de « droit générales [qui sont] “à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère[s] au domaine d’expertise de l’arbitre” » (Dunsmuir, par. 60, citant l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, par. 62); (3) aux questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents; (4) aux « question[s] touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité » (par. 58-61). En revanche, c’est généralement la norme de la décision raisonnable qui s’applique dans les cas suivants : (1) la question se rapporte à l’interprétation de la loi habilitante (ou « constitutive ») du tribunal administratif ou à « une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » (par. 54); (2) la question soulève à son tour des questions touchant les faits, le pouvoir discrétionnaire ou des considérations d’intérêt général; (3) la question soulève des questions de droit et de fait intimement liées (par. 51 et 53-54).
[27] Si j’applique ce cadre analytique au cas qui nous occupe, je suis convaincu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.
[28] En l’espèce, le comité interprétait sa loi constitutive. Suivant l’arrêt Dunsmuir, ce facteur entraîne généralement l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable (ibid. par. 54). Rien dans les présents motifs ou dans l’arrêt récent Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, ne représente une rupture avec les principes énoncés dans Dunsmuir.
[29] Tout doute qui pourrait subsister en l’espèce au sujet de l’applicabilité de la norme de la décision raisonnable peut aisément être résolu par d’autres considérations.
[30] Premièrement, le comité interprétait le par. 99(1) de la LONE, une disposition de sa loi constitutive portant sur l’adjudication des dépens. Les décisions à cet égard sont invariablement tributaires des faits et ont en règle générale un caractère discrétionnaire.
[31] Deuxièmement, considération plus particulière, le législateur a expressément laissé au comité une grande marge d'appréciation lui permettant « d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables » lorsqu’il est appelé à fixer les frais que les autorités expropriantes doivent payer (Dunsmuir, par. 47). Les seuls frais qui peuvent être accordés en vertu du par. 99(1) sont ceux « que le comité estime avoir été entraînés par l’exercice du recours ». Le texte de la loi traduit la volonté du législateur de confier en exclusivité aux comités d’arbitrage la responsabilité de déterminer la nature et le montant des frais à accorder dans les litiges qu’ils sont tenus de trancher aux termes de la LONE.
[32] Troisièmement, lorsqu’ils s’acquittent de cette responsabilité, les comités doivent interpréter le par. 99(1) de manière à l’appliquer conformément au mandat que la loi leur confie, un processus qui soulève fréquemment des questions dans lesquelles « le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés » (Dunsmuir, par. 51).
[33] Ces considérations entrent toutes dans des catégories qui, d’après l’arrêt Dunsmuir, donnent généralement lieu à l’application de la norme de la raisonnabilité. Prises globalement, elles indiquent sans l’ombre d’un doute que c’est bien cette norme qui s’applique.
[34] À l’inverse, il est évident que la présente affaire n’entre dans aucune des catégories qui, selon l’arrêt Dunsmuir, demandent l’application de la norme de la décision correcte. La décision du comité ne portait pas sur une question constitutionnelle ou sur une question de droit générale « d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre » (par. 60, citant l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62), et elle ne prétendait pas délimiter les compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents (Dunsmuir, par. 61).
[35] Alliance affirme néanmoins que la décision du comité d’arbitrage est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte, et ce, pour deux raisons : premièrement, parce qu’elle porte sur une véritable question de compétence; deuxièmement, parce qu’elle soulève une question de droit qui ne commande l’application d’aucune déférence.
[36] L’argument fondé sur la compétence est sans valeur. Les comités d’arbitrage constitués sous le régime de la LONE ont incontestablement « la faculté [. . .] de connaître » de la question de savoir si les « frais » visés au par. 99(1) ne comprennent que les frais faits au cours de l’instance qui se déroule devant eux, décision qui relève nettement des « pouvoirs dont le législateur [les] a investi[s] » (Dunsmuir, par. 59). À ce propos, je rappelle la mise en garde invitant les tribunaux judiciaires à « éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard » (le juge Dickson, dans Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, p. 233, citée dans l’arrêt Dunsmuir, par. 35).
[37] Qualifier de question de droit la question soumise au juge saisi d’une demande de contrôle judiciaire n’aide pas davantage Alliance, étant donné que l’interprétation qu’un tribunal administratif fait de sa loi constitutive — la question en litige en l’espèce — entraîne en principe l’application de la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, par. 54), sauf lorsque la question soulevée est constitutionnelle, revêt une importance capitale pour le système juridique ou délimite la compétence du tribunal concerné par rapport à celle d’un autre tribunal spécialisé, ce qui n’est de toute évidence pas le cas dans le présent pourvoi.
[38] Sur cet aspect de l’affaire, Alliance soutient enfin que l’adoption de la norme de la décision raisonnable irait à l’encontre du principe de la primauté du droit, en mettant à l’abri du contrôle judiciaire les décisions contradictoires des comités d’arbitrage quant à l’interprétation appropriée du par. 99(1) de la LONE. Je ne partage pas les craintes de l’intimée. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour a affirmé qu’une question de droit qui ne revêt pas une importance capitale pour le système juridique « peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité » (par. 55), ajoutant qu’« [i]l n’y a rien d’incohérent dans le fait de trancher certaines questions de droit [en fonction de cette norme] » (par. 56; voir également l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 71).
[39] D’ailleurs, même avant l’arrêt Dunsmuir, la norme de la décision raisonnable a toujours « [reposé] sur l’idée qu’une disposition législative peut donner lieu à plus d’une interprétation valable, et un litige, à plus d’une solution », de telle sorte que « la cour de révision doit se garder d’intervenir lorsque la décision administrative a un fondement rationnel » (Dunsmuir, par. 41).
[40] Pour les motifs qui ont été exposés, la norme applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable et non celle de la décision correcte. Je vais maintenant examiner sous cet éclairage la question de savoir si la décision contestée du second comité satisfait à cette norme.
V
[41] Comme je l’ai mentionné au départ, la question décisive dans le présent appel est celle de savoir si le second comité pouvait raisonnablement conclure que le par. 99(1) de la LONE l’autorisait à rendre les décisions qu’il a prises au sujet des frais et des dépens et qui sont contestées.
[42] Le paragraphe 99(1) dispose :
99. (1) [Frais] Si l’indemnité accordée par le comité d’arbitrage est supérieure à quatre‑vingt‑cinq pour cent de celle qu’elle offre, la compagnie paie tous les frais, notamment de procédure et d’évaluation, que le comité estime avoir été entraînés par l’exercice du recours.
[43] Le raisonnement qu’a suivi le comité pour interpréter et appliquer cette disposition est cohérent. Pour octroyer à M. Smith les frais contestés, le comité a tout d’abord reconnu qu’il avait accordé à ce dernier une indemnité supérieure à quatre‑vingt‑cinq pour cent de celle offerte par Alliance, ce qui entraînait l’application du par. 99(1). Après avoir fait état d’une source l’autorisant effectivement à agir ainsi, le comité s’est ensuite demandé si les frais faits par M. Smith avaient été « entraînés par l’exercice du recours ».
[44] Premièrement, le comité a estimé que l’action introduite devant la Cour du Banc de la Reine se rapportait directement aux démarches entreprises par M. Smith en vue de se faire indemniser par Alliance, et il a en conséquence conclu que les frais engagés par M. Smith à cet égard avaient été entraînés par l’exercice du recours. Cette conclusion du comité découle logiquement de ses constatations de fait.
[45] Deuxièmement, le comité a décidé que la perte de quorum du premier groupe n’avait entraîné que l’annulation partielle de la première instance. D’une part, le comité a expliqué que les actes et autres documents déposés ainsi que le travail juridique accompli jusque‑là qui demeuraient pertinents à l’égard de la seconde procédure, par exemple le premier avis d’arbitrage et la première réponse, justifiaient d’accorder des frais à l’appelant. D’autre part, le comité a jugé que chacune des parties devait assumer les frais afférents aux comparutions devant le premier comité et à la correspondance échangée avec ce dernier. Le raisonnement qu’a suivi le second comité pour accorder à M. Smith une partie des frais qu’il avait engagés au cours de la première procédure arbitrale s’accorde avec le dossier, et il n’est pas déraisonnable.
[46] Le caractère raisonnable de la conclusion du second comité suivant laquelle il convient d’interpréter de façon large le par. 99(1) de la LONE s’accorde, selon moi, avec le libellé explicite de cette disposition, ainsi qu’avec son historique législatif, son objet manifeste et son contexte législatif. Qui plus est, cette interprétation est solidement ancrée dans le principe fondamental de l’indemnisation intégrale, lequel imprègne tant la LONE que le droit de l’expropriation en général.
[47] Il ressort des dispositions pertinentes du par. 99(1) que le comité avait par conséquent le droit — en fait, l’obligation — d’ordonner à Alliance de payer à M. Smith « tous les frais, notamment de procédure et d’évaluation, que le comité estim[ait] avoir été entraînés par l’exercice du recours [de M. Smith] ».
[48] Il est incontestable que M. Smith a effectivement engagé tous les frais que le comité a ordonné à la compagnie de lui payer. Le comité a conclu que ces frais avaient été entraînés par l’exercice du recours. Comme il a été mentionné précédemment, le comité a jugé, là encore de façon raisonnable, que les frais et les dépens engagés par M. Smith — tant devant les comités d’arbitrage que devant la Cour du Banc de la Reine — se rapportaient tous à une seule et même demande d’indemnité portant sur une seule et même expropriation effectuée par une seule et même autorité expropriante. Il ressort clairement du par. 99(1) qu’il était donc loisible au comité de conclure que M. Smith avait le droit de recouvrer « tous les frais, notamment de procédure et d’évaluation » entraînés par l’exercice de son recours.
[49] En outre, la décision du comité s’enracine fermement dans l’évolution législative et l’historique de la LONE. De nos jours, il est généralement admis qu’il s’agit là d’une considération pertinente pour interpréter l’intention du législateur (voir R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 280, 577-578, 587-589 et 599-603). Il est non seulement approprié, mais également particulièrement instructif, d’effectuer un bref survol des textes qui ont précédé la LONE.
[50] L’objectif d’indemnisation intégrale est apparu pour la première fois dans la LONE en 1981, lorsque le législateur fédéral a modifié celle‑ci pour y insérer ce qui correspond maintenant en gros à la partie V (Loi modifiant la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 80). Avant ces modifications, les art. 145 à 184 ainsi que l’art. 186 de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, ch. R‑2, avaient été intégrés directement à la LONE (S.R.C. 1970, ch. N‑6, art. 75). Suivant ces dispositions, « [l]es frais de l’arbitrage » étaient fixés de façon discrétionnaire par l’arbitre, qui pouvait condamner l’une ou l’autre partie à les payer (Loi sur les chemins de fer, par. 164(1); voir Re Conger Lehigh Coal Co. and City of Toronto, [1934] O.R. 35 (H.C.J.), p. 43-44).
[51] Les modifications apportées à la LONE en 1981 étaient inspirées des recommandations qu’avaient faites la Commission de réforme du droit du Canada en 1975 au sujet de la question de l’expropriation en contexte fédéral, dans son Document de travail no 9, L’expropriation. Ce fait a d’ailleurs été reconnu expressément par le ministre qui a présenté les modifications. Celui‑ci a effectivement déclaré devant le Parlement que les mesures législatives proposées reprenaient « la substance de toutes les recommandations principales que la Commission de réforme du droit du Canada avait formulées en 1975 dans son document de travail » (Débats de la Chambres des communes, vol. VII, 1re sess., 32e lég., 6 mars 1981, p. 8006).
[52] Une des recommandations de la Commission était que les propriétaires ne soient pas empêchés, en raison du coût des procédures, de recevoir l’indemnité à laquelle ils avaient droit. Idéalement, d’affirmer la Commission, les propriétaires expropriés devraient « recevoir une indemnisation totale pour tous les frais de ce genre » (p. 82). La Commission concluait également que le régime prévu par la Loi sur les chemins de fer ne prévoyait pas une indemnisation suffisante, parce que « [p]ar un subterfuge de la loi, le mot “frais” dans la Loi sur les chemins de fer, comme dans plusieurs autres lois, n’est pas pris dans son acception exacte[; il] ne signifie pas “tous les frais” » (p. 83).
[53] De nos jours, le principe de l’indemnisation intégrale est expressément consacré à l’art. 75 de la LONE, lequel précise, comme il a été mentionné plus tôt, que la compagnie doit « indemniser pleinement [les expropriés] des dommages qu’ils ont subis ». Le législateur fédéral a retenu cette conception plus exhaustive de l’indemnisation en élargissant la portée du par. 99(1), qui ne parle plus seulement des « frais de l’arbitrage » mais de « tous les frais, notamment de procédure et d’évaluation, que le comité estime avoir été entraînés par l’exercice du recours ».
[54] Il faut présumer que cette modification correspond à une décision claire et mûrement réfléchie du législateur autorisant les comités d’arbitrage à exercer pleinement leur pouvoir discrétionnaire en vue de tenter d’indemniser les propriétaires expropriés (Sullivan, p. 579-582). Le contexte historique confirme d’ailleurs cette hypothèse.
[55] De plus, l’application de la LONE s’inscrit dans le contexte plus vaste du droit de l’expropriation, tant fédéral que provincial. Dès 1949, notre Cour a reconnu la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent les propriétaires expropriés. Dans l’arrêt Diggon‑Hibben, Ltd. c. The King, [1949] R.C.S. 712, p. 715, le juge Rand a déclaré (avec l’appui du juge Taschereau) que nul ne devrait être [traduction] « pénalisé parce que sa propriété [. . .] est expropriée pour cause d'utilité publique ». Dans le même arrêt, le juge Estey a cité, en y souscrivant, les motifs qu’avaient prononcés antérieurement le juge Rand dans l’arrêt Irving Oil Co. c. The King, [1946] R.C.S. 551, et confirmé le droit de l’exproprié [traduction] « à une réparation intégrale du préjudice financier » en vertu de la clause pertinente (p. 717; voir K. J. Boyd, Expropriation in Canada : A Practioner’s Guide (1988), p. 144-145).
[56] Plus récemment, dans l’arrêt Régie des transports en commun de la région de Toronto c. Dell Holdings Ltd., [1997] 1 R.C.S. 32, par. 20-22, le juge Cory (qui s’exprimait au nom de six des sept juges qui constituaient la formation de jugement) a réaffirmé le principe de l’indemnisation intégrale. Appelé à statuer sur la loi ontarienne intitulée Loi sur l’expropriation, L.R.O. 1990, ch. E.26, le juge Cory a conclu que la loi en question, une loi réparatrice, « devrait recevoir une interprétation large et compatible avec son objet, qui consiste à indemniser pleinement le propriétaire foncier dont le bien a été exproprié » (par. 23).
[57] À l’exemple de diverses lois provinciales sur l’expropriation, la LONE est une loi réparatrice qui commande une interprétation tout aussi large et libérale. L’interpréter de façon étroite comme le suggère l’intimée en l’espèce aurait en pratique pour effet de faire de son objet — l’indemnisation intégrale — une promesse législative non tenue.
[58] Il est difficile de prétendre que le second comité a exercé de façon déraisonnable le mandat que lui confie la loi en interprétant le par. 99(1) comme il l’a fait.
VI
[59] L’intimée conteste le caractère raisonnable de la décision du comité en invoquant quatre moyens. Aucun de ces moyens ne peut être retenu.
[60] Premièrement, se fondant sur l’arrêt Ian MacDonald Library Services Ltd. c. P.Z. Resort Systems Inc. (1987), 14 B.C.L.R. (2d) 273 (C.A.), l’intimée affirme que M. Smith n’a pas droit aux frais afférents à l’instance tenue devant le premier comité, parce qu’en common law une procédure d’arbitrage annulée ne saurait justifier l’adjudication de frais. Cet argument repose sur l’hypothèse erronée suivant laquelle les principes régissant les frais en cas d’arbitrages consensuels s’appliquent également aux arbitrages fondés sur la LONE, ce qui n’est pas le cas. Le législateur a établi un mécanisme d’indemnisation complet. L’application de la loi est régie par les principes réparateurs du droit de l’expropriation et non par le régime indépendant de l’arbitrage commercial. En conséquence, il est raisonnable de faire supporter par la compagnie qui procède à l’expropriation les frais imputables aux délais procéduraux, même lorsqu’elle n’en est pas responsable (voir, p. ex., l’affaire Christian & Missionary Alliance c. Municipality of Metropolitan Toronto (1973), 3 O.R. (2d) 655 (C.S., officier taxateur), p. 657).
[61] Deuxièmement, Alliance soutient que l’action qu’elle a intentée devant la Cour du Banc de la Reine n’avait aucun lien avec l’introduction par M. Smith, en vertu de la LONE, de son « recours » (« claim for compensation »), étant donné qu’il était défendeur à l’action devant la Cour du Banc de la Reine. Le comité n’a pas agi de façon déraisonnable en écartant cet argument sémantique et en s’attachant plutôt à la nature fondamentale de l’action intentée par l’intimée devant la Cour du Banc de la Reine, ainsi qu’à l’objet du par. 99(1) de la LONE.
[62] Troisièmement, l’intimée prétend que la décision du comité était déraisonnable, parce qu’elle revenait à [traduction] « combler les lacunes de la loi ». À mon avis, cet argument est également mal fondé. En effet, la LONE n’a pas une portée trop limitée en ce qui concerne la question des frais. Le paragraphe 99(1) est libellé de façon large, puisque les dispositions de ce genre ne peuvent énumérer de façon exhaustive tout un chacun des frais censés être visés. Il suffit donc que le comité juge, pour des motifs justifiables, transparents et intelligibles (Dunsmuir, par. 47), que les frais ont effectivement été entraînés par l’exercice du recours en indemnisation qu’il est appelé à trancher. En s’acquittant en l’espèce de ce devoir, le second comité n’a pas « franchi la ligne qui sépare l’interprétation judiciaire de la formulation législative » (ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 51).
[63] Enfin, Alliance plaide que le comité aurait dû conclure que la question des dépens de l’action était chose jugée par application du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Étant donné que la Cour du Banc de la Reine disposait du pouvoir et de la latitude nécessaires pour [traduction] « adjuger la totalité ou une partie des dépens [de l’appelant] [. . .] sur la base procureur‑client » en vertu du sous‑al. 601(2)d)(ii) des Alberta Rules of Court, Alta. Reg. 390/68, mais qu’elle a choisi de ne pas le faire — en partie parce que M. Smith ne le lui avait pas demandé — , Alliance affirme qu’un comité d’arbitrage n’a pas le pouvoir de réexaminer la question.
[64] Le critère régissant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a été formulé comme suit dans l’arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460, par. 25 et 33 :
Les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée [sont les suivantes] :
(1) que la même question ait été décidée;
(2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale; et
(3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la [préclusion] est soulevée, ou leurs ayants droit.
. . .
. . . Dans l’affirmative, la cour doit ensuite se demander, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette forme de préclusion devrait être appliquée . . . [Références omises; en italique dans l’original.]
[65] Essentiellement, le comité a conclu que l’argument d’Alliance fondé sur la préclusion échouait dès la première étape. En effet, la demande dont la juge Nation était saisie visait à obtenir les dépens de l’action, alors que celle soumise au second comité visait à obtenir des frais au sens plus large envisagé par le par. 99(1) de la loi habilitante du comité.
[66] Le second comité devait se prononcer sur le caractère raisonnable des frais, notamment de procédure et d’évaluation, engagés par M. Smith pour exercer son recours. Comme nous l’avons vu, en édictant le par. 99(1) de la LONE, le législateur fédéral, à l’instar des assemblées législatives provinciales, a élargi la notion traditionnelle restreinte de frais de justice en précisant que sont visés tous les frais, « notamment de procédure et d’évaluation ». Il est de jurisprudence constante que [traduction] « [l]e propriétaire foncier qui est privé contre son gré de sa propriété a le droit d’être indemnisé des dépenses nécessaires pour exercer le droit à compensation que la loi lui reconnaît », à cette seule réserve près que « ces dépenses doivent être raisonnables » (Campbell River Woodworkers’ & Builders’ Supply (1966) Ltd. c. British Columbia (Minister of Transportation & Highways), 2004 BCCA 27, 22 B.C.L.R. (4th) 210, par. 11).
[67] Dans l’arrêt Thoreson c. Alberta (Minister of Infrastructure), 2007 ABCA 272, 79 Alta. L.R. (4th) 75, la Cour d’appel de l’Alberta a résumé comme suit le caractère spécial des frais et des dépens dans le contexte du droit de l’expropriation :
[traduction] En conséquence, le juge de première instance qui décide, en vertu de l’article 39 [de l’Expropriation Act, R.S.A. 2000, ch. E‑13], si des frais sont raisonnables (« reasonable ») ne prépare pas simplement l’ordonnance habituelle concernant les dépens au terme d’une action civile, et il ne dispose pas du même pouvoir discrétionnaire à l’égard des frais en question. Il existe une grande différence entre, d’une part, le droit aux frais, notamment de procédure et d’évaluation, que reconnaît la loi, et, d’autre part, les dépens accordés sur une base discrétionnaire par le juge du procès en matière civile, et bien que le juge doive s’interroger sur le caractère raisonnable des frais et l’existence de circonstances spéciales, il le fait en partant du principe que les frais font partie du montant de l’indemnité accordée au titre de l’expropriation. [Je souligne; par. 23.]
[68] Les cours de justice ainsi que les tribunaux administratifs compétents en matière d’expropriation en Nouvelle‑Écosse et en Ontario ont souscrit à cette approche. Dans l’affaire Town of Mahone Bay c. Lohnes (1983), 59 N.R.S. (2d) 68 (C.S. (1re inst.)), pour justifier son refus de reconnaître le droit de propriété que la ville revendiquait sur un terrain qu’elle avait par ailleurs l’intention d’exproprier, la juge en chef Glube a souligné dans les termes suivants la distinction entre les dépens de l’instance civile dont elle était saisie et les frais de la procédure devant le tribunal d’expropriation. Voici en partie le texte de son jugement :
[traduction] L’action de la demanderesse est rejetée et les dépens sont adjugés aux défendeurs, Philip L. K. Lohnes’ Market Limited. Les dépens seront taxés sur la base des dépens entre parties, sous réserve toutefois que la présente adjudication de dépens entre parties n’empêche d’aucune façon les défendeurs, Philip L. K. Lohnes et Lohnes’ Market Limited, de réclamer une indemnité devant l’Expropriation Compensation Board, en vertu de l’Expropriation Act, 1973, pour les frais excédant les dépens entre parties adjugés par les présentes, et sous réserve également du fait que les défendeurs, Philip L. K. Lohnes et Lohnes’ Market Limited, ont droit au paiement de tous les débours raisonnables qu’ils ont faits à l’occasion de l’instance devant le tribunal en question. [Cité dans Town of Mahone Bay c. Lohnes (1983), 59 N.S.R. (2d) 65 (S.C.(D.A.)), par. 12; je souligne.]
L’appel de cette décision a été rejeté avec dépens.
[69] Lorsqu’il a examiné par la suite la demande de M. Lohnes, le Nova Scotia Expropriations Compensation Board a fait sien le raisonnement de la juge en chef et conclu que les frais engagés pour faire reconnaître le droit de propriété [traduction] « étaient nécessaires pour fixer l’indemnité à payer en vertu de l’Expropriation Act, 1973 » (Lohnes c. Town of Mahone Bay (1983), 28 L.C.R. 338 (N.S.E.C.B.), p. 343).
[70] De même, dans l’affaire McKean c. Ontario (Ministry of Transportation) (2008), 94 L.C.R. 185 (C.A.M.O.), la Commission des affaires municipales a accordé aux McKean les frais qu’ils avaient engagés dans une instance judiciaire préliminaire portant sur le titre de propriété d’un terrain que le ministère des Transports de l’Ontario avait exproprié. La Commission a rejeté l’argument du ministère fondé sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et a donné les explications suivantes :
[traduction] La présente instance ne constitue pas une entorse au principe de l’autorité de la chose jugée. Le ministère des Transports de l’Ontario n’est pas tracassé une seconde fois pour la même cause d’action. Cette conclusion repose sur le fait qu’aucun tribunal ne s’est encore prononcé sur les frais qui ont été effectivement engagés par le propriétaire foncier en vue de faire fixer l’indemnité qui lui est due pour l’expropriation dont il a fait l’objet, comme l’exige le par. 32(1) de la Loi sur l’expropriation. [Je souligne; p. 190.]
[71] Bien que, dans cette affaire, la Cour supérieure n’ait pas adjugé les dépens aux McKean, le raisonnement qu’elle a suivi n’en demeure pas moins convaincant. Les questions auxquelles une cour supérieure répond en ce qui concerne des aspects qui sont accessoires mais par ailleurs nécessaires pour statuer sur l’instance en expropriation diffèrent de celles qu’un tribunal d’expropriation — commission, comité ou autre office — tranche en vertu de la loi sur l’expropriation le régissant (voir E. C. E. Todd, The Law of Expropriation and Compensation in Canada (2e éd. 1992), p. 505-506). En conséquence, le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’applique pas, de sorte que, a fortiori, l’argument de l’intimée suivant lequel M. Smith a commis un abus de procédure en réclamant les dépens de l’action est mal fondé.
VII
[72] Pour tous ces motifs, je suis d’avis de faire droit à l’appel, de rétablir la décision du second comité et, en vertu de l’art. 47 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S‑26, d’accorder à l’appelant ses dépens sur la base procureur‑client devant toutes les juridictions.
[73] La présente décision se justifie pour quatre raisons.
[74] En premier lieu, dans le contexte du droit de l’expropriation actuel, où la loi permet d’accorder « tous les frais, notamment de procédure et d’évaluation », il ressort de la jurisprudence et de la doctrine canadiennes qu’[traduction] « il convient en règle générale d’adjuger les dépens sur la base procureur‑client » (Bayview Builder’s Supply (1972) Ltd. c. British Columbia (Minister of Transportation & Highways), 1999 BCCA 320, 67 B.C.L.R. (3d) 312, par. 3, citant Todd, p. 526; voir également Holdom c. British Columbia Transit, 2006 BCCA 488, 58 B.C.L.R. (4th) 207, par. 11, et Hill c. Nova Scotia (Attorney General) (No. 2) (1997), 155 D.L.R. (4th) 767 (C.S.C.)).
[75] En deuxième lieu, l’adjudication des dépens sur la base procureur‑client s’accorde bien avec l’objet de la LONE figurant à l’art. 75.
[76] En troisième lieu, il s’agit d’une affaire dans laquelle [traduction] « justice ne peut être rendue qu’au moyen d’une indemnisation complète des frais » (Foulis c. Robinson (1978), 92 D.L.R. (3d) 134 (C.A. Ont.), p. 142). Seule une décision de ce genre est susceptible d’indemniser M. Smith, aussi intégralement que faire se peut, des sommes considérables — sans parler du temps — que ce dernier a dû consacrer à ce qui aurait dû être une procédure expéditive.
[77] Enfin, il ne convient pas d’obliger M. Smith à supporter les frais d’une affaire qui constitue manifestement une cause‑type pour l’intimée. L’accession du juge Gill à la magistrature a mis fin à 19 autres demandes d’arbitrage mettant en cause Alliance dont le premier comité était saisi. En revanche, M. Smith ne cherchait rien de plus qu’à régler un différend qui remontait à une dizaine d’années et ne portait que sur des travaux de bonification d’une valeur de quelques milliers de dollars.
Version française des motifs rendus par
[78] La juge Deschamps — La déférence dont il convient de faire montre envers les tribunaux administratifs soulève des questions théoriques importantes, tant sur le plan politique que juridique. La Cour a toujours pris ce sujet au sérieux, cherchant à trouver le juste équilibre entre, d’une part, la nécessité de s’en remettre à l’expertise ou à l’expérience de bon nombre de ces organismes et, d’autre part, celle de contrôler les limites de leurs pouvoirs décisionnels au regard de la primauté du droit. La Cour a constamment jugé que, dans la mesure où elle respecte les limites des principes constitutionnels, c’est l’intention du législateur qui doit prévaloir en dernière analyse. Dans le cas qui nous occupe, la question de la déférence est étroitement circonscrite : l’interprétation que donne un décideur administratif de sa loi « constitutive » commande‑t‑elle généralement une attitude déférente de la part des tribunaux judiciaires — par l’adoption de la norme de contrôle de la décision raisonnable — en présumant que le décideur possède une connaissance approfondie de cette loi?
[79] J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Fish. Je souscris à sa conclusion que la norme de contrôle appropriée en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Je conviens également avec lui, pour les motifs qu’il expose, que la décision du second comité d’arbitrage sur les pipelines (« second comité ») accordant à M. Smith les frais visés au par. 99(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. 1985, ch. N‑7 (« LONE »), satisfaisait à cette norme. Je ne diverge d’opinion avec mon collègue que sur les raisons qui l’amènent à conclure que la décision du second comité est assujettie à la norme de la décision raisonnable, tout particulièrement celles qu’il formule aux par. 28 et 37 de ses motifs.
[80] Avec égards pour l’opinion exprimée par le juge Fish, je ne peux me rallier à la thèse qu’il avance, disant se fonder sur le par. 54 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, à savoir que l’interprétation par un décideur administratif de sa loi constitutive — en l’absence d’indices démontrant que ce dernier possède une connaissance approfondie de cette loi — commande la déférence sauf si la question soulevée est d’ordre constitutionnel, si elle revêt une importance capitale pour le système juridique ou si elle vise à délimiter les compétences respectives de tribunaux administratifs. Au contraire, les principes de droit administratif énoncés dans la jurisprudence et la doctrine appuient l’argument selon lequel la déférence accordée à l’interprétation par un tribunal administratif de sa loi constitutive repose sur la nécessité de respecter l’intention du législateur de laisser certains décideurs administratifs trancher ces questions d’interprétation lorsqu’il existe une bonne raison de le faire. La plupart du temps, c’est parce que le décideur possède une expertise ou une expérience qui le place dans une meilleure position que les tribunaux judiciaires pour interpréter sa loi constitutive. Aucune présomption au sujet de l’expertise ou de l’expérience ne découle du simple fait qu’un décideur administratif interprète sa loi habilitante. Il s’ensuit que, dans les cas où ce décideur n’a pas une connaissance approfondie de sa loi constitutive et où il ne se soulève aucune autre question relevant d’une catégorie commandant, selon la jurisprudence, l’application de la norme de la décision raisonnable, il convient de procéder à une analyse relative à la norme applicable qui tient compte du contexte (Dunsmuir, par. 62‑64).
I. Retour sur l’arrêt Dunsmuir
[81] L’arrêt Dunsmuir représente la plus récente tentative de simplification par notre Cour de l’analyse permettant d’arrêter la norme de contrôle applicable aux décisions des tribunaux administratifs. L’analyse énoncée par les juges majoritaires dans cette décision comporte deux étapes :
Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle. [par. 62]
[82] Ainsi que l’a fait remarquer la Cour dans l’arrêt Dunsmuir, « [i]l n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle » (par. 57). En conséquence, diverses catégories de questions ont été dégagées de la jurisprudence pour permettre de déterminer la bonne norme de contrôle dès la première étape, et ainsi obvier à la nécessité de procéder à la seconde étape et d’examiner les facteurs contextuels requis, à savoir : (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif (Dunsmuir, par. 64).
[83] Il est important que l’élaboration de catégories de questions par la Cour ne se traduise pas par une application aveugle et formaliste de mots, mais donne lieu plutôt à l’application de principes. Les parties à tout litige doivent être en mesure de comprendre les raisons pour lesquelles la déférence s’impose à l’égard de la décision de l’organisme administratif qui a examiné leur cas.
[84] La question qui se soulève à la première étape en l’espèce concerne l’interprétation par un décideur administratif de sa loi constitutive. Par souci de commodité, je reproduis en entier le passage pertinent du par. 54 de l’arrêt Dunsmuir :
La jurisprudence actuelle peut être mise à contribution pour déterminer quelles questions emportent l’application de la norme de la raisonnabilité. Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise : Société Radio‑Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157, par. 48; Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, par. 39.
[85] Analysé textuellement, ce passage est susceptible d’interprétations différentes. D’une part, on pourrait l’interpréter de façon large et considérer qu’il vise toute situation dans laquelle le décideur administratif interprète sa loi constitutive. Toutefois, une telle interprétation ne cadre pas très bien avec les raisons qui, suivant la jurisprudence antérieure de notre Cour, justifient de faire montre de déférence envers les décisions des tribunaux administratifs.
[86] D’autre part, on pourrait considérer que cet énoncé vise les cas où le décideur administratif possède vraiment une connaissance approfondie de la loi concernée. C’est cette dernière interprétation que je retiens. Il s’agit de la réitération par la Cour du genre de situations où elle a, de longue date, reconnu aux tribunaux administratifs le droit à la déférence en raison de leur expertise ou expérience particulière. Cette interprétation s’appuie sur des principes justifiant la déférence plutôt que sur une application formaliste d’un énoncé, application ne reposant sur aucune raison valable (pour un argument supplémentaire fondé sur l’interprétation textuelle du par. 54 de l’arrêt Dunsmuir, voir l’ouvrage de R. W. Macaulay et J. L. H. Sprague, Practice and Procedure Before Administrative Tribunals (feuilles mobiles), vol. 3, p. 28‑40.48).
[87] D’ailleurs, les deux exemples que citent les juges majoritaires dans l’arrêt Dunsmuir pour illustrer la catégorie relative à la loi constitutive au par. 54 font clairement voir que le décideur administratif doit véritablement posséder une expertise ou une expérience approfondie en ce qui concerne l’interprétation de sa loi constitutive ou de lois étroitement liées à son mandat. Fait important, les deux décisions citées, à savoir les arrêts Société Radio‑Canada c. Canada (Conseil des relations du travail) et Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, concernaient des commissions du travail qui possédaient une expertise ou une expérience spécialisée.
[88] Dans l’arrêt Société Radio‑Canada, les juges majoritaires ont souligné que « [l]e tribunal des relations du travail, qu’on trouve aux niveaux fédéral et provincial, est un exemple classique d’organisme administratif qui est à la fois hautement spécialisé et, dans une très grande mesure, à l’abri de tout contrôle » (par. 31). Dans cette affaire, en plus de signaler l’existence d’une clause privative générale, les juges majoritaires ont expliqué que, en raison de ses « connaissances spécialisées, le Conseil [canadien des relations du travail] [était] particulièrement apte » (je souligne) à trancher la question qui lui était soumise (en l’occurrence celle de savoir s’il y avait eu ingérence dans les activités du syndicat), ajoutant qu’il s’agissait d’« une question de droit à laquelle le Parlement a voulu que ce soit le Conseil qui réponde et non pas les cours de justice » (par. 42-43). Ainsi, l’observation des juges majoritaires dans Dunsmuir s’inscrit dans le contexte d’une affaire où la Cour a reconnu au décideur une expertise spécialisée relativement à l’interprétation de sa loi constitutive.
[89] L’affaire Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) ne concernait pas l’interprétation par un décideur administratif de sa loi constitutive. Elle portait plutôt sur le second élément de la catégorie décrite au par. 54 de Dunsmuir et rattachée à la nécessité pour le décideur de posséder une connaissance approfondie : l’interprétation d’une loi étroitement liée au mandat du tribunal administratif. Le débat portait sur l’interprétation par un conseil d’arbitrage d’une disposition de la Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, ch. E.2, dans le contexte d’un grief en droit du travail déposé par un enseignant en vertu d’une convention collective. Fait important à signaler, la Cour a souligné qu’il n’était même pas nécessaire de se demander si l’interprétation que le conseil avait faite de la Loi sur l’éducation était juste, parce que la seule question en litige concernait l’interprétation par le conseil de l’expression « cause juste » dans la convention collective (par. 39‑40). En fin de compte, l’interprétation du conseil a été jugée manifestement déraisonnable au vu des faits.
[90] La valeur de cet arrêt repose sur l’affirmation de la Cour selon laquelle « [l]es conclusions d’un conseil sur l’interprétation d’une loi ou de la common law peuvent généralement faire l’objet d’un examen selon la norme de la décision correcte » et sur son renvoi, au par. 39, à l’arrêt Société Radio‑Canada pour appuyer l’idée qu’ « [i]l peut y avoir dérogation à cette règle dans des cas où la loi est intimement liée au mandat du tribunal et où celui‑ci est souvent appelé à l’examiner. » La Cour a précisé qu’
[i]l existe de nombreuses raisons pour lesquelles il y a lieu de faire preuve de retenue judiciaire dans ces cas. Le domaine des relations de travail est délicat et explosif. Il est essentiel de disposer d’un moyen de pourvoir à la prise de décisions rapides, par des experts du domaine sensibles à la situation, décisions qui peuvent être considérées définitives par les deux parties. [Je souligne; par. 35.]
En somme, comme le démontrent ces deux exemples, le par. 54 de l’arrêt Dunsmuir reconnaît non pas une vaste catégorie de questions relatives à la loi constitutive, mais plutôt une catégorie de questions fondée sur l’expertise ou l’expérience relative du décideur administratif.
[91] Mais au‑delà de ces deux exemples où la déférence a effectivement été accordée au décideur administratif, mais pas uniquement parce qu’il interprétait sa loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat, l’arrêt Dunsmuir lui‑même fait obstacle à la reconnaissance d’une vaste catégorie de questions relatives à la loi « constitutive » sans égard à l’expérience ou à l’expertise relative du décideur qu’auraient pour effet de créer les motifs de mon collègue. Dans l’arrêt Dunsmuir, les juges majoritaires ont fait observer que l’arbitre, qui tenait ses pouvoirs de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.‑B. 1973, ch. P-25, était appelé à interpréter les dispositions de sa loi constitutive ainsi que celles d’une loi connexe, la Loi sur la Fonction publique, L.N.‑B. 1984, ch. C‑5.1. Ils ont retenu la raisonnabilité comme norme de contrôle, non pas sur la base de la catégorie de questions relevant de la première étape — à savoir l’interprétation par le décideur administratif de sa loi constitutive ou d’une loi étroitement liée à son mandat — , mais plutôt après une analyse contextuelle ayant tenu compte notamment de l’importance du fait que le décideur était un arbitre ad hoc — nommé spécialement pour cette affaire — que les parties avaient choisi de concert (par. 66‑71). En fin de compte, le fait que la Cour avait maintes fois reconnu « l’expertise relative de l’arbitre dans l’interprétation d’une convention collective » n’était qu’un des facteurs contextuels qui militaient en faveur de la norme de la décision raisonnable (par. 68); la déférence n’a pas été accordée simplement parce qu’une loi constitutive était interprétée.
[92] Au bout du compte, l’établissement de toute catégorie de questions qui écarterait le besoin d’une analyse relative à la norme de contrôle plus poussée doit s’appuyer sur des justifications défendables. Comme l’a si bien dit le professeur Dyzenhaus : [traduction] « Bref, un formalisme dénué de substance est vide de sens » (D. Dyzenhaus, « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy » dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 298). Lorsqu’une catégorie sert de fondement pour adopter la norme de la décision raisonnable, les justifications invoquées pour s’en remettre à la décision d’un tribunal administratif doivent être évidentes. C’est pourquoi je trouve utile d’examiner brièvement l’évolution du concept de la déférence dans le contexte du contrôle judiciaire des décisions administratives.
II. Le contrôle judiciaire et la déférence envers les décideurs administratifs
[93] L’expansion de l’Administration et la multiplication des tribunaux administratifs qui en a découlé ont poussé les tribunaux judiciaires à concilier deux obligations qui s’opposent souvent : l’obligation d’appliquer fidèlement les lois adoptées par le législateur et l’obligation de veiller à ce que les organismes administratifs créés par ces lois ne débordent pas le cadre de leurs attributions légales.
[94] Avant l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227 (« S.C.F.P. »), les cours de justice se fondaient sur le concept vaste et assez technique de compétence pour résoudre cette opposition, faisant ainsi peu de cas des indices de l’intention du législateur — par exemple les clauses privatives — qui tendaient par ailleurs à démontrer que les tribunaux administratifs devaient bénéficier d’une certaine déférence (voir l’article de l’honorable Beverley McLachlin, « The Roles of Administrative Tribunals and Courts in Maintaining the Rule of Law » (1998), 12 C.J.A.L.P. 171, p. 178‑179, ainsi que la jurisprudence citée à la note en bas de page 9).
[95] Toutefois, la mise en garde du juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans l’arrêt S.C.F.P. — qui invitait les tribunaux judiciaires à « éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard » (p. 233) — a marqué le début d’une ère de déférence des tribunaux judiciaires envers les tribunaux administratifs. Dans cette affaire, l’application de cette approche s’est traduite par la conclusion qu’il y avait lieu de faire montre de déférence à l’égard de la Commission des relations de travail dans les services publics lorsqu’elle interprétait sa loi constitutive, et ce, non seulement parce qu’elle était protégée par une clause privative générale, mais aussi pour les raisons suivantes :
[l]a commission est un tribunal spécialisé chargé d’appliquer une loi régissant l’ensemble des relations de travail. Aux fins de l’administration de ce régime, une commission n’est pas seulement appelée à constater des faits et à trancher des questions de droit, mais également à recourir à sa compréhension du corps jurisprudentiel qui s’est développé à partir du système de négociation collective, tel qu’il est envisagé au Canada, et à sa perception des relations de travail acquise par une longue expérience dans ce domaine. [Je souligne; p. 235‑236.]
[96] Au cours des années qui ont suivi l’arrêt S.C.F.P., le contrôle judiciaire des décisions administratives a été caractérisé par l’abandon des notions formalistes de compétence et par l’adoption, en matière de norme de contrôle, de l’« analyse pragmatique et fonctionnelle », qui suppose la prise en compte de divers facteurs contextuels (voir, p. ex., l’arrêt U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048). Cette méthode visait à rattacher davantage le concept de déférence à l’intention du législateur, c’est‑à‑dire à déterminer « si [ce dernier entendait] que la décision du tribunal sur ces questions lie les parties au litige » (Bibeault, p. 1090) ou, en d’autres termes, à se demander quel tribunal est, selon le législateur, [traduction] « le mieux placé pour répondre de façon concluante à la question : le tribunal judiciaire ou le tribunal administratif? » (McLachlin, p. 180-181).
[97] Durant cette période, le critère de l’expertise a joué un rôle clé dans la décision par les tribunaux judiciaires de faire preuve ou non de déférence envers les tribunaux administratifs. Bien que, concrètement, l’expertise ne constitue qu’un facteur contextuel parmi ceux qui doivent être considérés, la Cour a jugé dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, qu’elle « est le facteur le plus important qu’une cour doit examiner pour arrêter la norme de contrôle applicable » (par. 50). Dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, les juges majoritaires ont précisé le critère de l’expertise, indiquant que celle-ci devait être tenue « pour une notion relative et non absolue » (par. 33), et signalant que, dès lors que l’expertise du tribunal administratif par rapport à celle du tribunal judiciaire a été établie, « la Cour est parfois disposée à faire preuve de beaucoup de retenue même dans des cas faisant jouer des questions très générales d’interprétation de la loi, si le texte en cause est la loi constitutive du tribunal » (par. 34).
[98] Dans l’arrêt Dunsmuir lui‑même, la Cour a continué à citer l’expertise relative — ainsi que l’expérience des décideurs administratifs — comme principale raison de faire montre de déférence envers un tel décideur. Se référant aux propos du professeur Mullan, les juges majoritaires ont expliqué ainsi le concept de déférence :
La déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité implique donc que la cour de révision tienne dûment compte des conclusions du décideur. Comme l’explique Mullan, le principe de la déférence [traduction] « reconnaît que dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause ». [. . .] La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien. [Je souligne; référence omise; par. 49.]
[99] Dans Dunsmuir, la Cour a retenu l’analyse relative à la norme de contrôle en plusieurs étapes, mais elle a tenté de simplifier cette analyse en énonçant des « catégories de questions » permettant de dégager la norme applicable sur la base de la jurisprudence existante. À mon avis, il ressort clairement de la jurisprudence qu’en ce qui concerne l’interprétation par un décideur administratif de sa loi constitutive, l’importance de l’expertise ou de l’expérience relative de ce dernier est un facteur crucial qui ne saurait être ignoré si la décision de faire montre ou non de déférence est prise sur la base de catégories. Comme l’ont souligné les juges majoritaires dans l’arrêt Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, 2003 CSC 28, [2003] 1 R.C.S. 476, par. 16, la cour de révision « doit faire preuve de retenue uniquement lorsque l’organisme décisionnel possède, de quelque façon, une plus grande expertise qu’elle et que la question visée relève de cette plus grande expertise » (renvoyant à l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, par. 28).
[100] Faire preuve de retenue envers un décideur administratif simplement parce qu’il interprète sa loi constitutive et qu’il n’est saisi d’aucune question constitutionnelle ou question revêtant une importance capitale pour le système juridique ou visant à délimiter sa compétence par rapport à celle d’un autre tribunal administratif témoigne d’une démarche incomplète. Cette position purement formaliste fait abstraction de la raison énoncée dans la jurisprudence (dont Dunsmuir) pour justifier la déférence à l’égard de l’interprétation par un tribunal administratif de sa loi constitutive, à savoir l’intention exprimée par le législateur de s’en remettre à l’expertise ou à l’expérience relative de l’organisme administratif en cause pour résoudre les questions d’interprétation soumises à ce dernier. Cette intention ne peut pas être présumée du seul fait que le législateur a créé l’organisme administratif en question. La cour doit plutôt vérifier si la jurisprudence ou la loi constitutive reconnaît déjà de manière satisfaisante au tribunal administratif une connaissance approfondie — en d’autres termes, une expertise ou une expérience plus approfondie que celle d’une cour de justice — en ce qui concerne l’interprétation de sa loi constitutive. Si une telle connaissance est établie — conclusion habituelle lorsqu’il s’agit de commissions du travail — , la déférence s’impose alors sur la base de cette catégorie de questions. Mais en l’absence d’indices à cet égard et si aucune autre catégorie de questions ne permet d’arrêter la norme de contrôle, la cour doit alors passer à la seconde étape de l’analyse établie dans l’arrêt Dunsmuir et tenir compte de facteurs contextuels.
[101] Aucune décision de notre Cour depuis Dunsmuir ne semble appuyer la thèse de mon collègue le juge Fish suivant laquelle toute interprétation par un décideur administratif de sa loi constitutive commande la déférence, sans qu’il soit nécessaire que ce dernier possède une connaissance approfondie de cette loi, sauf si le décideur est saisi d’une question constitutionnelle ou d’une question qui revêt une importance capitale pour le système juridique ou vise à délimiter les compétences respectives de tribunaux administratifs.
[102] Dans l’arrêt Association des courtiers et agents immobiliers du Québec c. Proprio Direct inc., 2008 CSC 32, [2008] 2 R.C.S. 195, par. 21, les juges majoritaires ont précisé que « [e]n l’espèce, la question en litige est l’interprétation, par le comité de discipline, composé d’experts, de sa loi constitutive [. . .] Le législateur a confié à l’Association le mandat d’assurer la protection du public et de statuer sur la conformité des activités de ses membres avec les règles de déontologie, mandat dont elle s’acquitte en faisant appel à l’expérience et à l’expertise de son comité de discipline et qui suppose forcément l’interprétation des dispositions pertinentes » (références omises; je souligne). Il convient de signaler que, dans l’arrêt Proprio Direct, les juges dissidents ont attaqué la position des juges majoritaires sur la question même de l’expertise relative du comité de discipline : « [B]ien que la Loi que le comité de discipline devait appliquer ait été sa loi constitutive, ce dernier ne possède aucune expertise particulière en dehors des questions de discipline. Son expertise générale en matière d’interprétation législative n’est pas démontrée » (par. 66, la juge Deschamps, dissidente (je souligne)).
[103] Par la suite, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 44, les juges majoritaires ont souligné que, « [s]elon l’arrêt Dunsmuir (au par. 54), un décideur spécialisé ne commet pas d’erreur de droit justifiant une intervention si son interprétation de sa loi constitutive ou d’une loi étroitement liée est raisonnable » (je souligne).
[104] Dans l’arrêt Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, [2009] 2 R.C.S. 678, la majorité a déclaré que, suivant les « par. 54 et 59 de Dunsmuir, la déférence est habituellement de mise lorsque le tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive et [qu’]il convient d’appliquer la norme de la décision correcte uniquement dans des cas exceptionnels, c’est‑à‑dire lorsque l’interprétation de cette loi soulève la question générale de la compétence du tribunal » (par. 34). Bien que ce passage ne mentionne pas expressément que le tribunal administratif (le Tribunal des services financiers) possède une connaissance approfondie de sa loi constitutive, l’existence d’une telle connaissance peut être aisément déduite de la loi constitutive elle‑même, la Loi de 1997 sur la Commission des services financiers de l’Ontario, L.O. 1997, ch. 28. En effet, aux termes du par. 6(4) de cette loi, le lieutenant‑gouverneur en conseil doit nommer à titre de membres du Tribunal des personnes « qui ont de l’expérience et des compétences dans les secteurs réglementés », et le par. 7(2) dispose que, lorsqu’il affecte des membres à un comité chargé de connaître des affaires dont est saisi le Tribunal, le président « tient compte de l’expérience et des compétences qui sont nécessaires, le cas échéant, au comité pour trancher les questions soulevées dans toute affaire portée devant le Tribunal ». De plus, dans Nolan, les juges majoritaires citent textuellement le par. 54 de l’arrêt Dunsmuir, y compris le passage où il est question de « connaissance approfondie » (par. 31).
[105] Tout récemment, dans l’arrêt Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, la Cour a formulé des observations sur l’interprétation par le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés de l’expression « vente [. . .] sur le marché canadien » figurant dans sa loi constitutive, la Loi sur les brevets. Relevant le fait que les parties n’avaient présenté aucun argument sur la norme de contrôle applicable et avaient considéré que celle de la décision correcte s’appliquait, la juge Abella a mis en doute le bien‑fondé d’une telle prémisse et fait le commentaire suivant au par. 34 : « Nous sommes en présence d’un tribunal expert qui interprète sa propre loi habilitante. La déférence est habituellement de mise dans de telles circonstances : voir Dunsmuir, par. 54 et 59 ».
[106] Ensemble, ces décisions indiquent que, pour que la question de la norme de contrôle applicable puisse être tranchée en faveur de la raisonnabilité sur la base de la correspondance à une catégorie de questions, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une analyse contextuelle, il est impératif que cette catégorie soit solidement ancrée sur un raisonnement qui justifie nettement la déférence. Dans le cas d’un organisme administratif qui interprète sa loi constitutive, cette justification doit s’appuyer sur la volonté manifeste exprimée par le législateur au moyen d’une clause privative (Dunsmuir, par. 55, premier facteur) ou sur un régime administratif distinct et particulier ou une question de droit à l’égard desquels le tribunal administratif possède une expertise spéciale (Dunsmuir, par. 55, deuxième et troisième facteurs). L’établissement d’une vaste catégorie de questions commandant la manifestation de déférence envers le tribunal administratif du seul fait que celui‑ci interprète sa loi constitutive, sans examen de la question de savoir s’il possède une connaissance approfondie de cette loi, ne représente pas une adhésion réelle à l’intention du législateur et crée ce que le professeur Jacobs appelle [traduction] « le risque pernicieux de faire relever une foule de questions d’une seule et même norme, sans analyse des compétences spécialisées que possède le tribunal administratif concerné » (L. Jacobs, « Developments in Administrative Law : The 2007‑2008 Term — The Impact of Dunsmuir » (2008), 43 S.C.L.R. (2d) 1, p. 31).
III. Application au présent pourvoi
[107] En l’espèce, rien n’indique que le législateur requérait que le second comité — ou tout comité d’arbitrage — ait une connaissance approfondie de sa loi constitutive, en l’occurrence la LONE. On ne trouve d’ailleurs aucune exigence en ce sens dans la loi. À l’audience devant notre Cour, les avocats ont été interrogés au sujet de la constitution des comités et ils ont donné des réponses contradictoires relativement à l’existence d’une liste des personnes nommées et de leur expertise particulière sur des questions arbitrables sous le régime de la LONE.
[108] Tout au plus peut‑on affirmer que les comités d’arbitrage sont des comités ad hoc, constitués par le ministre des Ressources naturelles en vertu de la LONE. Et, bien qu’ils puissent y avoir des avocats en exercice dans leurs rangs, rien — dans le régime établi par la loi ou ailleurs — ne tend à indiquer qu’ils possèdent quelque expertise ou expérience particulière par rapport aux tribunaux judiciaires lorsqu’il s’agit d’interpréter la LONE. Ces comités sont très différents de l’Office national de l’énergie, aussi constitué en vertu de la LONE. Aux termes de celle‑ci, l’Office est composé d’au plus neuf membres nommés pour des mandats renouvelables de sept ans (LONE, art. 3). Bien que tant les décisions des comités d’arbitrage que celles de l’Office soient susceptibles de contrôle judiciaire sur une question de droit ou de compétence, il convient de signaler que le législateur a prévu la possibilité d’interjeter appel des décisions des comités devant la Cour fédérale, et de celles de l’Office devant la Cour d’appel fédérale, avec l’autorisation de celle‑ci (LONE, art. 101 et par. 22(1)). Compte tenu du fait que la LONE prévoit un large droit d’appel des décisions des comités, on ne saurait présumer que les décisions des comités commandent la déférence du seul fait que le législateur a désigné ces derniers — et non les cours de justice — comme décideurs en première instance, et ce, même suivant l’approche préconisée par le juge Binnie dans ses motifs concourants dans Dunsmuir (par. 146). Qui plus est, s’agissant de l’Office, le par. 23(1) de la LONE précise que : « Sauf exceptions prévues à la présente loi, les décisions ou ordonnances de l’Office sont définitives et sans appel. » Aucune disposition semblable n’est prévue dans le cas des comités d’arbitrage.
[109] Eu égard à la différence qui existe entre les modes de nomination de ces deux entités administratives créées sous le régime de la même loi, l’Office posséderait logiquement une expertise et une expérience supérieures à celles des comités d’arbitrage sur les questions dont il est saisi en vertu de la LONE. En outre, il ressort à l’évidence des voies différentes prévues pour le contrôle des décisions de ces deux entités que le législateur entendait que soit accordée une plus grande déférence aux décisions de l’Office qu’à celles des comités. Ces considérations militent à l’encontre de la création de la vaste catégorie de questions — proposée par le juge Fish — commandant la déférence dans tous les cas où un décideur administratif interprète sa loi constitutive, sauf dans certaines circonstances limitées. Je rappelle également que, dans l’arrêt Dunsmuir, où le décideur était un arbitre ad hoc nommé de concert par les parties, les juges majoritaires ne se sont pas fondés exclusivement sur l’expertise — présumée ou institutionnelle — du décideur en matière d’interprétation de sa loi constitutive pour justifier le choix de la norme de la décision raisonnable.
[110] En l’espèce, il convient de faire montre de déférence envers le second comité, non pas parce qu’il interprétait sa loi constitutive, mais parce qu’il exerçait le pouvoir discrétionnaire que lui confère la LONE en matière d’adjudication de frais. Il convient également de tenir compte de l’observation de notre Cour dans Nolan selon laquelle l’adjudication des dépens constitue « un exemple typique d’une décision discrétionnaire » (par. 126) et de la reconnaissance par celle‑ci, dans Dunsmuir, qu’en présence d’une question touchant au pouvoir discrétionnaire « la retenue s’impose habituellement d’emblée » (par. 53). Par conséquent, dans le contexte du par. 99(1) de la LONE, qui enjoint au comité d’arbitrage d’accorder à l’exproprié « tous les frais, notamment de procédure et d’évaluation, que le comité estime avoir été entraînés par l’exercice du recours », la déférence s’impose à l’égard de la conclusion du second comité au sujet des frais qu’il a estimé avoir été entraînés par l’exercice du recours en indemnisation de M. Smith. Une telle déférence se justifie par le libellé clair et sans équivoque du par. 99(1). À cet égard, je souscris à l’avis exprimé par mon collègue le juge Fish au par. 31 de ses motifs que ce libellé « traduit la volonté du législateur de confier en exclusivité aux comités d’arbitrage la responsabilité de déterminer la nature et le montant des frais à accorder dans les litiges qu’ils sont tenus de trancher aux termes de la LONE ». Ces considérations, et non le simple fait que le second comité interprétait sa loi constitutive, militent en faveur de la déférence en l’espèce.
[111] Pour ces motifs, j’accueillerais le pourvoi et j’adjugerais les frais et dépens à M. Smith sur la base procureur‑client devant toutes les juridictions.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs de l’appelant : Ackroyd, Edmonton.
Procureurs de l’intimée : Bennett Jones, Calgary.