LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
Arrêt n° 577 P+B+R+IPourvoi n° B 07-20.913
Statuant sur le pourvoi formé par la société Nicolas Gaultier et Catherine Kistner-Gaultier, société civile professionnelle d'avoués, dont le siège est 148 boulevard Haussmann, 75008 Paris,
contre l'ordonnance rendue le 26 septembre 2007 par le premier président de la cour d'appel de Versailles, dans le litige l'opposant à la société Allen Systems Group France, société de droit étranger, dont le siège est 750 11 TH Street South, 33940 Naples Florida (Etats-Unis), ayant un établissement en France, Tour Europlaza, 20 avenue Prothin, La Défense 4, 92927 La Défense cedex,
défenderesse à la cassation ;
La SCP Gaultier et Kistner-Gaultier s'est pourvue en cassation contre l'ordonnance rendue le 12 septembre 2005 par le premier président de la cour d'appel de Paris ;
Cette ordonnance a été cassée le 21 décembre 2006 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ;
La cause et les parties ont été renvoyées devant le premier président de la cour d'appel de Versailles qui, saisi de la même affaire, a statué par ordonnance du 26 septembre 2007 dans le même sens que le premier président de la cour d'appel de Paris par des motifs qui sont en opposition avec la doctrine de l'arrêt de cassation ;
Un pourvoi ayant été formé contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Versailles, la deuxième chambre civile de la cour de cassation a, par arrêt du 19 novembre 2008, décidé le renvoi de l'affaire devant l'assemblée plénière ;
La demanderesse invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky, avocat de la société civile professionnelle Gaultier et Kistner-Gaultier ;
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Vuitton, avocat de la société Allen Systems Group France ;
Le rapport écrit de M. Gérard, conseiller, et l'avis écrit de M. Mellottée, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en assemblée plénière, en l'audience publique du 15 mai 2009, où étaient présents : M. Lamanda, premier président, MM. Bargue, Gillet, Pelletier, Lacabarats, présidents, Mme Mazars, conseiller doyen en remplacement de Mme Collomp, président empêché, Mme Lardennois, conseiller doyen en remplacement de Mme Favre, président empêché, M. Gérard, conseiller rapporteur, MM. Joly, Peyrat, Mme Tric, MM. Pluyette, Bizot, Chauviré, Gallet, Loriferne, Linden, Mme Feydeau, M. Bloch, conseillers, M. Mellottée, premier avocat général, Mme Tardi, directeur de greffe ;
Sur le rapport de M. Gérard, conseiller, assisté de Mme Roussel-Feron, greffier en chef au Service de documentation et d'études, les observations de la SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky, de la SCP Orstscheidt, l'avis tendant à la cassation de M. Mellottée, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue en matière de taxe par le premier président d'une cour d'appel (Versailles, 26 septembre 2007) sur renvoi après cassation (deuxième chambre civile, 21 décembre 2006, Bull. 2006, II, n° 371) que la société Allen Systems Group France (la société), venant aux droits de la société Sisro, a contesté le certificat de vérification des dépens de son avoué la SCP Gaultier et Gaultier-Kistner (la SCP), établi par le greffier en chef ; qu'à titre principal, elle a opposé la prescription de l'article 2273 du code civil dans sa rédaction alors applicable, et, subsidiairement, soutenu que la demande était injustifiée ;
Attendu que la SCP fait grief à l'ordonnance d'avoir déclaré prescrite l'action en paiement de frais exercée contre la société, alors, selon le moyen, que le conseiller taxateur délégué avait constaté que dans sa requête du 6 janvier 2005 portant contestation des dépens de l'avoué, la société avait fait valoir, à titre principal, que la demande en paiement était prescrite et, à titre subsidiaire, que la demande était injustifiée au regard de l'intérêt du litige, ce dont il résultait, nonobstant le caractère subsidiaire de cette dernière affirmation, un aveu par la cliente de l'avoué du non-paiement des sommes réclamées par ce dernier, aveu justifiant la mise à l'écart de la courte prescription prévue en matière d'action en paiement des frais d'avoué ; qu'en retenant néanmoins que la contestation sur le fond du caractère justifié de la demande ne valait pas aveu de non-paiement, le conseiller taxateur délégué a violé les articles 2273 et 2275 du code civil ;
Mais attendu que ne peuvent constituer un aveu des conclusions par lesquelles, après avoir invoqué la prescription, une partie conteste, à titre subsidiaire, l'existence ou le montant d'une créance ; que le premier président ayant relevé que la contestation du montant des dépens n'était présentée qu'à titre subsidiaire, le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que les autres griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Nicolas Gaultier et Catherine Kistner-Gaultier aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Nicolas Gaultier et Catherine Kistner-Gaultier et la condamne à payer à la société Allen Systems Group France la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du vingt-neuf mai deux mille neuf.
Moyen annexé au présent arrêt ;
Moyen produit par la SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky, avocat aux Conseils, pour la société civile professionnelle Nicolas Gaultier et Catherine Kistner-Gaultier ;
Le moyen reproche à l'ordonnance attaquée, rendue sur renvoi de cassation par le conseiller taxateur délégué par le premier président de la cour d'appel de Versailles, D'AVOIR déclaré prescrite l'action en paiement de frais exercée par un avoué (la SCP Gaultier et Kistner-Gaultier) contre la société (la société Allen Systems Group France) ayant absorbé sa cliente (la société Sisro) ;
AUX MOTIFS QUE la société Allen Systems Group France, venant aux droits de la société Sisro, avait contesté le certificat de vérification des dépens de son avoué, la SCP Gaultier et Kistner-Gaultier ; qu'à titre principal, elle avait opposé la prescription de l'article 2273 du code civil, et à titre subsidiaire, elle avait mis en avant qu'en toute hypothèse, la demande était injustifiée ; que pour déclarer la demande de la SCP prescrite, le premier président de la cour d'appel de Paris avait énoncé que celle-ci ne saurait soutenir qu'une contestation des dépens, et le fait de soulever la prescription, constituaient un aveu de non paiement ; que c'était ce raisonnement qui avait été censuré par la Cour de cassation qui, au visa des articles 2273 et 2275 du code civil, avait observé que dans sa requête du 6 janvier 2005, portant contestation des dépens de l'avoué, la société avait fait valoir, à titre subsidiaire, que la demande était injustifiée en ce que les dépens avaient été mis à la charge de tiers, et en ce que l'évaluation ne semblait pas justifiée au regard de l'intérêt du litige, reconnaissant par là-même l'absence de paiement de cette créance ; que dans son mémoire daté du 14 mars 2007, et développé oralement à l'audience, la SCP faisait sienne la motivation de la Cour de cassation et maintenait que les moyens invoqués à titre subsidiaire par la société constituaient bien la reconnaissance du non paiement de sa dette (ordonnance, pp. 2 et 3) ; que le 7 décembre 2004, la société s'était vu signifier, à la demande de la SCP, un état détaillé des frais d'appel taxés en exécution de la décision rendue le 8 février 2002 par la cour d'appel de Paris et un certificat de vérification dressé le 18 novembre 2004 par le greffier en chef, arrêtant l'état de frais à la somme de 110.777,15 ; qu'il était exact que par requête datée du 6 janvier 2005, la société avait initié une procédure de contestation des dépens, arguant, à titre principal, que l'action en paiement des frais de la SCP était prescrite en application de l'article 2273 du code civil, à titre subsidiaire, que ladite demande était injustifiée au regard de l'intérêt du litige (ordonnance, pp. 4 et 5) ; que l'action des avoués en recouvrement des dépens se prescrivait par deux ans à compter du jugement des procès ; qu'en l'espèce, le point de départ était le 8 février 2002, date de l'arrêt de la cour d'appel de Paris ; que le délai biennal de prescription expirait ainsi le 8 février 2004 ; que la SCP ne faisait état d'aucun acte susceptible d'interrompre la prescription biennale avant le 8 février 2004 ; que certes, la prescription abrégée de l'article 2273 du code civil n'était pas applicable lorsque le défendeur à l'action reconnaissait n'avoir pas réglé les sommes qui lui étaient réclamées ; que toutefois, il n'était pas contredit que les sociétés Sisro et Allen Systems Group n'avaient pas été averties du montant des frais d'avoué, et n'avaient jamais reçu la moindre demande en paiement de ces frais, entre le 8 février 2002 et le 8 février 2004 ; que la demande de vérification des dépens avait d'ailleurs été présentée en novembre 2004, soit en dehors du délai de deux ans ; que l'action en contestation des dépens n'était pas un aveu de non paiement ; que l'exercice d'un droit par une partie ne pouvait entraîner à son endroit condamnation du seul fait de la saisine d'une juridiction ; que la société n'avait fait qu'exercer une faculté qui lui était reconnue par les articles 706 et 708 du code de procédure civile ; que la contestation du montant des dépens, articulée à titre subsidiaire, ne saurait constituer un aveu de non paiement influant sur la demande principale ; qu'un subsidiaire n'était destiné à prendre le relais de la demande principale que si celle-ci était rejetée ; que la SCP n'avait d'ailleurs jamais tenté de tirer parti de ce subsidiaire, ainsi qu'en faisaient foi les lettres susvisées ; que raisonner autrement conduirait les parties à ne plus avancer d'argumentaire à titre subsidiaire, ce qui entraînerait une cascade de réouvertures de débats, la juridiction saisie étant tenue de respecter au coup par coup le principe de la contradiction ; qu'il s'ensuivait que l'argument subsidiaire de la société ne pouvait être pris en compte dans l'examen de son argument principal ; que dans ces conditions, la demande de la société sur le caractère injustifié des dépens ne saurait être assimilée à un aveu de non paiement de nature à faire échec à sa demande principale (ordonnance, pp. 6 à 8) ;
ALORS QUE le conseiller taxateur délégué avait constaté que dans sa requête du 6 janvier 2005 portant contestation des dépens de l'avoué, la société Allen Systems Group France avait fait valoir, à titre principal, que la demande en paiement était prescrite et, à titre subsidiaire, que la demande était injustifiée au regard de l'intérêt du litige, ce dont il résultait, nonobstant le caractère subsidiaire de cette dernière affirmation, un aveu par la cliente de l'avoué du non paiement des sommes réclamées par ce dernier, aveu justifiant la mise à l'écart de la courte prescription prévue en matière d'action en paiement des frais d'avoué ; qu'en retenant néanmoins que la contestation sur le fond du caractère justifié de la demande ne valait pas aveu de non paiement, le conseiller taxateur délégué a violé les articles 2273 et 2275 du code civil ;
ALORS, DE SURCROIT, QUE les observations figurant dans la lettre adressée le 7 février 2005 par la SCP Gaultier et Kistner-Gaultier au greffe de la première présidence de la cour d'appel de Paris avaient fait expressément valoir que la prescription abrégée n'était pas applicable lorsque le défendeur à l'action reconnaissait n'avoir pas réglé les sommes qui lui étaient demandées, et affirmé que la société Allen Systems Group France cherchait par tous moyens à ne pas régler ce qu'elle devait, puisqu'à titre subsidiaire, elle affirmait que la demande de la SCP Gaultier Kistner serait injustifiée ; qu'en retenant que l'avoué n'aurait jamais tenté de tirer parti de la contestation subsidiaire de sa cliente, le conseiller taxateur délégué a dénaturé ces écritures et méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE le juge était tenu de vérifier, au vu des faits dans le débat, la réunion des conditions d'application de la prescription abrégée dont se prévalait la cliente et ces conditions faisaient défaut s'il était constaté que la cliente avait admis le non paiement, peu important que l'avoué ne se soit pas spécialement prévalu d'un tel aveu, de sorte qu'en se fondant néanmoins, pour retenir l'absence d'aveu de non paiement, sur la prétendue absence d'invocation de l'aveu par l'avoué dans les écritures opposées à la requête en contestation des dépens, le conseiller taxateur délégué a statué par un motif inopérant, et privé sa décision de base légale au regard des articles 2273 et 2275 du code civil, ensemble les articles 7 et 12 du code de procédure civile.