LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mars 2008), que courant 2007, le groupe Eiffage a décidé de réorganiser son secteur Ile de France en regroupant les sociétés rattachées à ce secteur en deux nouvelles entités juridiques : la société Forclum Ile de France et la société Forclim Ile de France ; que dans ce cadre, la société CICO, jusqu'alors filiale de la société Forclum, devenait un établissement de la société Forclum Ile de France ; que par décision du 28 mars 2007, le CHSCT de la société CICO a désigné un cabinet d'expertise notamment sur le projet de restructuration ; que la société CICO a saisi le tribunal de grande instance, statuant en référé, d'une demande d'annulation de cette mission ;
Attendu que la société CICO fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le moyen :
1°/ que la consultation du CHSCT et le recours de cet organisme à un expert a pour objet de lui permettre de donner un avis ayant vocation à être pris en compte par l'employeur pour améliorer la protection de la santé et la sécurité et les conditions de travail des salariés de l'entreprise ou des salariés mis à disposition d'une entreprise extérieure pour travailler au sein de l'entreprise ; que le CHSCT n'a donc pas à être consulté sur les conditions de travail existant au sein d'une entreprise pour la fixation desquels l'employeur ne dispose d'aucun pouvoir de décision ; que, de plus, l'expert agréé désigné par le CHSCT ne dispose d'aucun pouvoir d'investigation lui permettant d'analyser les conditions de travail en vigueur dans une autre entreprise ; qu'au cas présent, il est constant que les conditions de travail de la plupart des 595 salariés devant continuer à travailler au sein de la Société CICO devenant un établissement de la société Forclum Ile de France n'allaient pas être affectées par la réorganisation ; que seul le changement des conditions de travail des vingt et un salariés affectés au département "voirie et assainissement" résultant du transfert de leurs contrats de travail au sein de la société Quillery était invoqué pour justifier la réalisation d'une expertise concernant la réorganisation ; qu'en admettant que le CHSCT de la société CICO puisse faire réaliser une expertise n'ayant aucunement pour objet d'analyser les conditions de travail au sein de l'entreprise, la cour d'appel a violé les articles L. 4612-1, L. 4612-2, L. 4612-8 (anciennement art. L. 236-2 al. 1, 2 et 7) et L. 4614-12 (anciennement L. 236-9 I) du code du travail ;
2°/ qu'en vertu de l'article L. 2261-14 du code du travail (anciennement L. 132-8 al. 7 du code du travail), l'accord collectif dont l'application est mise en cause reste applicable pendant un préavis d'une durée de trois mois puis pendant une durée maximum de quinze mois jusqu'à l'entrée en vigueur d'un accord collectif de substitution et d'adaptation ; que le nouvel employeur reste tenu d'appliquer les usages et engagements unilatéraux pris par l'ancien employeur à l'égard des salariés dont le contrat de travail est transféré en application de l'article L. 1224-1 (anciennement L. 122-12 du code du travail) ; qu'au cas présent, il résultait de ces règles que le statut collectif en vigueur au sein de la société CICO, et notamment les accords 35 heures, restaient applicables aux salariés du secteur "Voirie et Assainissement" dont le contrat de travail était transféré à la société Quillery ; que la société CICO exposait que la reprise des contrats de travail par cette dernière n'entraînait donc aucune "décision d'aménagement" au sens de l'article L. 4612-8 (anciennement L. 236-2 al. 7) du code du travail, que le changement de statut collectif n'était qu'éventuel et dépendait d'une négociation d'adaptation menée entre le nouvel employeur et les partenaires sociaux, sur laquelle la société CICO n'aurait aucune prise ; qu'en se fondant néanmoins sur l'existence d'une modulation du temps de travail et d'un statut collectif différent au sein de la société Quillery pour dire que la désignation d'un expert CHSCT était justifiée concernant la réorganisation, sans rechercher comme il lui était demandé si les salariés transférés n'étaient pas fondés à continuer de se prévaloir du statut collectif en vigueur au sein de la société CICO postérieurement au transfert de leur contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 4612-8 (anciennement L. 236-2 al. 7), L. 4614-12 (anciennement L. 236-9 I) et l'article L. 2261-14 (anciennement L. 132-8 al. 7) du code du travail ;
3°/ que la société Forclum Ile de France, venant aux droits de la société CICO, exposait que l'expertise sollicitée et votée par le CHSCT de la société CICO portait en réalité, non pas sur l'ensemble de la mesure de restructuration, mais sur le seul transfert du département "Voirie et Assainissement" à la société Quillery et sollicitait à titre infiniment subsidiaire de la cour d'appel qu'elle limite le champ de l'expertise en conséquence ; qu'en rejetant cette demande, après s'être uniquement fondée sur la différence de statut collectif entre la société CICO et la société quillery au sein de laquelle étaient transférés les vingt et un salariés du service "Voirie et Assainissement" pour caractériser un changement des conditions de travail justifiant le recours à l'expert, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ces propres constatations, en violation des articles L. 4612-8 (anciennement L. 236-2 al. 7), L. 4614-12 (anciennement L. 236-9 I) du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant constaté, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que le projet de réorganisation important mis en place à l'initiative de la direction du groupe Eiffage entraînait la disparition de la société CICO appelée à devenir un simple établissement de la société absorbante Forclum Ile de France, ainsi qu'une nouvelle organisation des établissements de la société CICO et le transfert d'une partie de son personnel au service de la société Quillery, relevant d'un autre groupe, la cour d'appel a pu en déduire que ce projet était de nature à modifier les conditions de travail du personnel et justifiait le recours à un expert, alors même que d'autres entreprises que la société CICO étaient concernées par ces modifications ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Forclum Ile de France aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour la société Forclum Ile de France, M. Y..., ès qualités et M. Z..., ès qualités.
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la Société FORCLUM Ile-de-France, venant aux droits de la Société CICO, de sa demande d'annulation de la délibération du CHSCT du 28 mars 2007 désignant le Cabinet TECHNOLOGIA pour réaliser une expertise concernant le projet de restructuration, d'avoir débouté la société exposante de sa demande subsidiaire de limiter le champ de cette expertise, et d'avoir dit que la Société FORCLUM IDF devrait supporter les frais d'avocat du CHSCT qu'elle a fixés aux sommes de 9.063,66 euros en première instance et 4.980,61 euros en appel ;
AUX MOTIFS QUE : Sur le projet de réorganisation de CICO : en vertu des dispositions de l'article L 236-9 du Code du travail, le CHSCT peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions d'hygiène et de sécurité ou les conditions de travail ; qu'il n'est pas contesté que le projet de réorganisation prévu au sein de la société ClCO constitue un projet important ; que ClCO confirme que la réorganisation mise en place par le groupe EIFFAGE va entraîner des modifications de l'organigramme et de la structure juridique de certaines sociétés du groupe, dont un changement d'employeur pour les salariés de la société ClCO, dont les plus nombreux vont devenir salariés de la société FORCLUM Ile de France ; qu'interviendra un déplacement du siège administratif de la société ClCO où travaillent et passent des salariés ; que les 21 salariés qui travaillaient anciennement pour la société SECRA, puis pour ClCO, au sein du département "voirie et assainissement" vont être transférés au sein de la société QUILLERY et que la société QUILLERY applique un accord 35 heures différent de celui en vigueur au sein de la société ClCO ; qu'il n'est pas contesté que, dans le cadre de cette réorganisation, la société ClCO perdra son statut de filiale pour être absorbée par la nouvelle société FORCLUM Ile de France ; que son établissement de BRY SUR MARNE comprenant 595 salariés dépendra d'une délégation IDF4 ; que son établissement de MONTFORT L'AMAURY comprenant 8 salariés deviendra un centre de travaux rattaché à un établissement d'une autre délégation, que son établissement d'ETRECHY comprenant 12 salariés disparaîtra, lesdits salariés étant rattachés à son établissement de BRY SUR MARNE, et que les 21 salariés du service voirie et assainissement, parmi lesquels 4 représentants du personnel, quitteront l'UES FORCLUM, en étant privés des garanties sociales liées à cette UES ; qu'il en résultera également que ClCO perdra son actuel comité d'établissement, les mandats des élus ne "les suivant pas" ; que le fait que la société ClCO ait, en dépit des termes de l'ordonnance entreprise, engagé le processus de transfert des salariés de voirie et assainissement au sein de la société QUILLERY au 1er octobre 2007, après que, le 12 septembre 2007, l'inspecteur du travail ait refusé le transfert d'élus du CHSCT en l'estimant discriminatoire, ne remet pas en cause le droit qu'a ce comité de faire appel à un expert dans les conditions définies par le Code du travail ; qu'il n'est pas contesté que le seul transfert des salariés voirie et assainissement entraîne une modification de l'organisation de leur temps de travail des salariés concernés, la société QUILLERY appliquant un système de modulation permettant de faire varier l'horaire hebdomadaire en fonction des fluctuations d'activité ; qu'il n'est pas contesté que le statut collectif de QUILLERY est différent de celui de ClCO ; que le transfert des salariés vers cet établissement s'accompagnera d'une modification du régime de prévoyance, d'un changement de mutuelle et d'une modification des critères d'appréciation des petits déplacements ; qu'au delà, donc, d'un réaménagement d'organigramme, insuffisant, à lui seul, à justifier la désignation critiquée, il est suffisamment démontré que la réorganisation considérée modifie les conditions de travail d'un nombre significatif de salariés de ClCO ; qu'il y a donc lieu de confirmer, sur ce point, l'ordonnance entreprise et de rejeter les demandes de CICO » (Arrêt p. 7) ;
AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE : Sur la réorganisation : il convient de relever que la reprise du département « Voirie assainissement » par la société QUILLERY va se traduire par un déplacement, certes limité, pour les salariés concernés (une vingtaine semble-t-il), mais surtout, comme l'affirme le CHSCT, sans être démenti, par une modification de la répartition du travail avec un système de modulation et de flexibilité qui n'existe pas chez CICO, et par une modification du statut collectif car QUILLERY n'appartient pas à l'UES FORCLUM ; que le projet de réorganisation litigieux va donc affecter les conditions de travail et revêt une certaine importance qui légitime le recours à un expert agréé » (Ordonnance p. 4) ;
ALORS, D'UNE PART, QUE la consultation du CHSCT et le recours de cet organisme à un expert a pour objet de lui permettre de donner un avis ayant vocation à être pris en compte par l'employeur pour améliorer la protection de la santé et la sécurité et les conditions de travail des salariés de l'entreprise ou des salariés mis à disposition d'une entreprise extérieure pour travailler au sein de l'entreprise ; que le CHSCT n'a donc pas à être consulté sur les conditions de travail existant au sein d'une entreprise pour la fixation desquels l'employeur ne dispose d'aucun pouvoir de décision ; que, de plus, l'expert agréé désigné par le CHSCT ne dispose d'aucun pouvoir d'investigation lui permettant d'analyser les conditions de travail en vigueur dans une autre entreprise ; qu'au cas présent, il est constant que les conditions de travail de la plupart des 595 salariés devant continuer à travailler au sein de la Société CICO devenant un établissement de la Société FORCLUM Ile de France n'allaient pas être affectées par la réorganisation ; que seul le changement des conditions de travail des 21 salariés affectés au département « voirie et assainissement » résultant du transfert de leurs contrats de travail au sein de la Société QUILLERY était invoqué pour justifier la réalisation d'une expertise concernant la réorganisation ; qu'en admettant que le CHSCT de la Société CICO puisse faire réaliser une expertise n'ayant aucunement pour objet d'analyser les conditions de travail au sein de l'entreprise, la cour d'appel a violé les articles L. 4612-1, L. 4612-2, L. 4612-8 (anciennement art. L. 236-2 al. 1, 2 et 7) et L. 4614-12 (anciennement L. 236-9 I) du Code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en vertu de l'article L. 2261-14 du Code du travail (anciennement L. 132-8 al. 7 du Code du travail), l'accord collectif dont l'application est mise en cause reste applicable pendant un préavis d'une durée de trois mois puis pendant une durée maximum de quinze mois jusqu'à l'entrée en vigueur d'un accord collectif de substitution et d'adaptation ; que le nouvel employeur reste tenu d'appliquer les usages et engagements unilatéraux pris par l'ancien employeur à l'égard des salariés dont le contrat de travail est transféré en application de l'article L. 1224-1 (anciennement L. 122-12 du Code du travail) ; qu'au cas présent, il résultait de ces règles que le statut collectif en vigueur au sein de la Société CICO, et notamment les accords 35 heures, restaient applicables aux salariés du secteur « Voirie et Assainissement » dont le contrat de travail était transféré à la Société QUILLERY ; que la Société CICO exposait que la reprise des contrats de travail par cette dernière n'entraînait donc aucune « décision d'aménagement » au sens de l'article L. 4612-8 (anciennement L. 236-2 al. 7) du Code du travail, que le changement de statut collectif n'était qu'éventuel et dépendait d'une négociation d'adaptation menée entre le nouvel employeur et les partenaires sociaux, sur laquelle la Société CICO n'aurait aucune prise ; qu'en se fondant néanmoins sur l'existence d'une modulation du temps de travail et d'un statut collectif différent au sein de la société QUILLERY pour dire que la désignation d'un expert CHSCT était justifiée concernant la réorganisation, sans rechercher comme il lui était demandé si les salariés transférés n'étaient pas fondés à continuer de se prévaloir du statut collectif en vigueur au sein de la société CICO postérieurement au transfert de leur contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 4612-8 (anciennement L. 236-2 al. 7), L. 4614-12 (anciennement L. 236-9 I) et l'article L. 2261-14 (anciennement L. 132-8 al. 7) du Code du travail ;
ALORS, ENFIN ET SUBSIDIAIREMENT, QUE la Société FORCLUM Ile de France, venant aux droits de la société CICO, exposait que l'expertise sollicitée et votée par le CHSCT de la société CICO portait en réalité, non pas sur l'ensemble de la mesure de restructuration, mais sur le seul transfert du département « Voirie et Assainissement » à la Société QUILLERY et sollicitait à titre infiniment subsidiaire de la cour d'appel qu'elle limite le champ de l'expertise en conséquence ; qu'en rejetant cette demande, après s'être uniquement fondée sur la différence de statut collectif entre la Société CICO et la Société QUILLERY au sein de laquelle étaient transférés les 21 salariés du service « Voirie et Assainissement » pour caractériser un changement des conditions de travail justifiant le recours à l'expert, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ces propres constatations, en violation des articles L. 4612-8 (anciennement L. 236-2 al. 7), L. 4614-12 (anciennement L. 236-9 I) du Code du travail.