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28/09/2021 | FRANCE | N°21VE01164

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 28 septembre 2021, 21VE01164


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Ricoh France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de cotisation minimale de taxe professionnelle auxquels elle a été assujettie au titre des années 2007, 2008 et 2009.

Par un jugement n° 1508372 du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 17VE00944 du 2 avril 2019, la cour administrative d'appel de Versailles, sur l'appel du ministre de l'action et des comptes publics, a annul

ce jugement et remis les impositions en litige à la charge de la SAS Ricoh France. ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Ricoh France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de cotisation minimale de taxe professionnelle auxquels elle a été assujettie au titre des années 2007, 2008 et 2009.

Par un jugement n° 1508372 du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 17VE00944 du 2 avril 2019, la cour administrative d'appel de Versailles, sur l'appel du ministre de l'action et des comptes publics, a annulé ce jugement et remis les impositions en litige à la charge de la SAS Ricoh France.

Par une décision n° 431224 du 20 avril 2021, le Conseil d'État a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles et renvoyé l'affaire à cette cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires en réplique, enregistrés les 28 mars et 12 octobre 2017, et 22 février, 2 juillet, 24 septembre et 23 octobre 2018, et, après cassation, les 11 et 24 juin 2021, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 1er décembre 2016 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de remettre à la charge de la SAS Ricoh France les rappels de cotisation minimale de taxe professionnelle au titre des années 2007, 2008 et 2009 dont la décharge a été prononcée par le jugement en litige.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- les conventions de " location mandatée " conclues entre la SAS Ricoh France et des organismes financeurs correspondent à des conventions de location financière engendrant des charges de nature financière, dont la déductibilité pour le calcul de la valeur ajoutée n'est pas prévue par l'article 1647 B sexies du code général des impôts ;

- au regard de la décision du Conseil d'État, il y a lieu de substituer, au motif initialement retenu tenant au fait que les sommes en litige constituaient des charges financières non déductibles de la valeur ajoutée, celui tiré de ce que ces sommes correspondaient à des reversements de loyers versés par le client final dans le cadre de contrats de location de matériels d'une durée de plus de six mois, relevant du compte 61-Services extérieurs du plan comptable général (PCG), non déductibles en application du II. de l'article 1647 B sexies du code général des impôts ; la société ne peut, à cet égard, faire valoir qu'elle n'a qu'un rôle de mandataire et que les opérations traitées au nom et pour le compte du mandant n'impactent pas sa valeur ajoutée, alors qu'elle agit comme un commissionnaire opaque au sens et pour l'application du PCG, et qu'elle assume en apparence la location globale, facture globalement et en son nom, et comptabilise les sommes perçues en produits ; dès lors que la société perçoit des clients les loyers afférents à la location des matériels et que leur reversement aux sociétés de financement ne change pas cette nature, il s'agit de loyers de plus de six mois ne pouvant être déduits de la valeur ajoutée ;

- la documentation administrative BOI 6 E-1-00 n'est pas applicable, la SAS Ricoh France ne pouvant être regardée comme " locataire intermédiaire " ;

- l'administration ayant procédé dans le délai de répétition à une substitution de motifs et de procédure par une nouvelle proposition de rectification du 27 décembre 2012, cette circonstance a eu pour effet de prolonger le délai de reprise initial de l'administration ; le nouveau délai expirait le 31 décembre 2015 ; est sans incidence le fait que l'avis de mise en recouvrement ne fasse pas référence à la proposition de rectification corrective du 27 décembre 2012 ;

- la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'était pas compétente pour connaître du litige l'opposant à la SAS Ricoh France.

.........................................................................................................

Par deux mémoires distincts, enregistrés après cassation, les 15 juin et 2 juillet 2021, la SAS Ricoh France conclut, à titre subsidiaire, à ce que soit transmise au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, du II. de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 1er janvier 2010, s'il était interprété par la cour comme impliquant la prise en compte dans l'assiette de la cotisation minimale de taxe professionnelle des loyers perçus des clients finaux sans qu'elle ne puisse déduire leur reversement aux organismes financeurs, en ce qu'il méconnaîtrait le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire, enregistré le 24 juin 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut à ce qu'il n'y a pas lieu, pour la cour administrative d'appel de Versailles, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS Ricoh France.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- le code civil ;

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- l'arrêté du 22 juin 1999 portant homologation du règlement n° 99-03 du Comité de la réglementation comptable ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-120 QPC du 8 avril 2011 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Deroc,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Me Cassan, avocate de la SAS Ricoh France.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Ricoh France, qui exerce une activité de location de matériels bureautiques et de prestations de maintenance associées, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a notamment remis en cause la prise en compte des rétrocessions de " location mandatée " au sein des charges retenues pour le calcul de la valeur ajoutée servant d'assiette à la cotisation minimale de taxe professionnelle au titre des années 2007 à 2009. Par un jugement en date du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt auxquelles la SAS Ricoh France a été assujettie en conséquence. Le ministre de l'action et des comptes publics ayant relevé appel, la cour administrative d'appel de Versailles, par un arrêt n° 17VE00944 du 2 avril 2019, a annulé le jugement contesté et remis les impositions en litige à la charge de la SAS Ricoh France. Par une décision n° 431224 du 20 avril 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour, où elle a été enregistrée sous le n° 21VE01164.

2. Aux termes de l'article 1647 E du code général des impôts, alors en vigueur : " I. La cotisation de taxe professionnelle des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 7 600 000 € est au moins égale à 1,5 % de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie au II de l'article 1647 B sexies ". Aux termes du II. de l'article 1647 B sexies du même code, dans sa version applicable aux années d'imposition en litige : " 1. La valeur ajoutée (...) est égale à l'excédent hors taxe de la production sur les consommations de biens et services en provenance de tiers (...). / 2. Pour la généralité des entreprises, la production de l'exercice est égale à la différence entre : / D'une part, les ventes, les travaux, les prestations de services ou les recettes (...) ; / Et, d'autre part, les achats de matières et marchandises, droits de douane compris (...). / Les consommations de biens et services en provenance de tiers comprennent : les travaux, fournitures et services extérieurs, à l'exception des loyers afférents aux biens pris en crédit-bail, ou des loyers afférents à des biens, visés au a du 1° de l'article 1467, pris en location par un assujetti à la taxe professionnelle pour une durée de plus de six mois ou des redevances afférentes à ces biens résultant d'une convention de location-gérance, les frais de transports et déplacements, les frais divers de gestion. / (...) / Lorsqu'en application du deuxième alinéa sont exclus des consommations de biens et services en provenance de tiers les loyers ou redevances que verse le preneur, les amortissements visés au 2° du 1 de l'article 39, autres que ceux comptabilisés en amortissements dérogatoires et se rapportant aux biens loués, sont déduits de la valeur ajoutée du bailleur ". Ces dispositions fixent la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation minimale de taxe professionnelle. Pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une de ces catégories, il y a lieu de se reporter, pour les entreprises pour lesquelles son application est obligatoire, aux dispositions du plan comptable général, applicables aux comptes sociaux individuels, dans leur rédaction en vigueur lors de l'année d'imposition concernée, et non aux normes comptables applicables à l'établissement des comptes consolidés.

3. Pour justifier de l'exclusion des rétrocessions de " location mandatée " des charges retenues pour le calcul de la valeur ajoutée servant d'assiette à la cotisation minimale de taxe professionnelle au titre des années 2007 à 2009, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, qui ne conteste pas que c'est par erreur que la SAS Ricoh France a comptabilisé ces sommes en tant que redevances de crédit-bail, ne soutient plus, dans le dernier état de ses écritures, que ces sommes constitueraient des charges financières, mais fait valoir que ces charges correspondent à des reversements de loyers afférents à des biens pris en location pour une durée de plus de six mois, non déductibles de la valeur ajoutée en application du II. de l'article 1647 B sexies du code général des impôts.

4. Il résulte de l'instruction que la SAS Ricoh France était liée avec les sociétés de financement BNP Paribas Lease Group et Lixxbail par des contrats de " location-mandatée " en application desquels la SAS Ricoh France concluait avec le client final un contrat de location qui prévoyait la mise à disposition de matériel bureautique et la maintenance de celui-ci, puis revendait à la société de financement le matériel qu'elle avait préalablement acheté et transférait à cette dernière le contrat de location. En application de ces contrats de " location-mandatée ", la SAS Ricoh France encaissait la totalité des loyers et reversait à la société de financement la part de ces loyers correspondant à la seule mise à disposition du matériel au client final. Il résulte des conditions générales afférentes aux contrats conclus entre la SAS Ricoh France et les clients finaux, produites à titre d'exemple, qu'en cas de cession du contrat de location à un établissement financier " le Client s'engage notamment à (...) verser [à ce dernier] directement ou à son ordre la totalité des créances en principal, intérêts et accessoires. En effet, l'établissement cessionnaire intervient à titre purement financier. Le Client en acceptant cette intervention renonce à effectuer toute compensation, déduction, demande reconventionnelle en raison du droit qu'il pourrait faire valoir à l'encontre de tout tiers, notamment Ricoh France (...) ". Il résulte des stipulations de la convention de partenariat de location-mandatée signée avec BNP Paribas Lease Group et produite à titre d'exemple, que " 4.1 Ricoh s'oblige pendant toute la durée du contrat à facturer et encaisser les loyers. Ricoh adresse donc au locataire une facture correspondant à la période pour le montant global du loyer et procède à son recouvrement, (...). Ricoh agit alors : / - en son nom et pour son compte à concurrence de la quote-part de loyer correspondant à la prestation / - en son nom et pour le compte de BPLG qui la mandate pour ce faire à concurrence de la quote-part de loyer correspondant au loyer financier. / (...) ". Il résulte enfin des stipulations de l'article 11 du contrat signé avec Lixxbail, intitulé " mandat de facturation et d'encaissement ", que " Lixxbail donne mandat pour tous les contrats cédés à Ricoh, qui l'accepte, de facturer et d'encaisser pour son compte les loyers tels que précisés dans les contrats cédés, auprès de chaque locataire, pour chaque contrat de location cédé en vertu de la présente convention (...). Le reversement des loyers encaissés par Ricoh pour le compte de Lixxbail se fera sous la forme de prélèvement automatique par Lixxbail. ".

5. Dans ces conditions, s'agissant de l'encaissement et du reversement des loyers acquittés par les clients finaux, la SAS Ricoh France, qui agit ainsi pour le compte des sociétés de financement en qualité d'intermédiaire et en son nom propre, doit être regardée comme exerçant une activité de commissionnaire au sens du premier alinéa de l'article L. 132-1 du code de commerce selon lequel " Le commissionnaire est celui qui agit en son propre nom ou sous un nom social pour le compte d'un commettant. ". La société requérante, même si elle fait valoir de manière incidente, dans son mémoire enregistré le 1er juin 2021, qu'elle " n'a qu'un rôle de mandataire au titre des loyers ", admet d'ailleurs une telle qualification avancée par le ministre, en faisant état d'un " contrat de commission au sens de l'article L. 132-1 du code de commerce " et en se prévalant du " régime de commissionnaire ". Dès lors, il y a lieu de se reporter aux dispositions du second alinéa de l'article 394-1 du plan comptable général, applicables aux comptes sociaux individuels, dans leur rédaction en vigueur au titre de ces années, selon lesquelles les opérations traitées, pour le compte de tiers, au nom de l'entité, sont inscrites selon leur nature dans les charges et les produits de l'entité.

6. En l'espèce, il résulte de l'instruction que les rétrocessions litigieuses, correspondant à des reversements de loyers acquittés par les clients finaux dans le cadre de contrats de location de matériels, avaient la nature comptable de loyers relevant du compte " 61-services extérieurs " du plan comptable général, et du sous-compte " 613-locations ". Cette qualification, avancée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, est d'ailleurs implicitement admise par la SAS Ricoh France qui emploie un tel qualificatif et ne propose pas de qualification alternative. Il est par ailleurs constant que les contrats de location correspondants avaient une durée de plus de six mois. Dès lors, le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que les rétrocessions litigieuses figuraient au nombre des services extérieurs expressément exclus, en application du 2. du II. de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, de la détermination de la valeur ajoutée pour le calcul de la cotisation minimale de taxe professionnelle.

7. La SAS Ricoh France objecte, à cet égard, qu'elle n'était pas partie à un contrat de location dans la mesure où elle n'était plus partie aux contrats cédés aux sociétés de financement et où les contrats de partenariat signés avec ces dernières ne répondaient pas à la définition prévue à l'article 1709 du code civil. Elle en déduit que, par suite, les rétrocessions litigieuses ne correspondaient pas à des loyers afférents à des biens corporels pris en location pour une durée de plus de six mois au sens du 2. du II. de l'article 1647 B sexies du code général des impôts. Toutefois et d'une part, le fait que la société commissionnaire n'était pas ou plus partie aux contrats de location de matériel est sans incidence sur la qualification comptable en " loyers " des rétrocessions litigieuses, seule à retenir pour l'application des dispositions précitées. D'autre part, de tels loyers, même encaissés par un commissionnaire puis reversés, ont bien toujours trait à des contrats de location et leur reversement ne modifie pas leur nature de loyers. Enfin, il ne résulte pas des dispositions du II. de l'article 1647 B sexies que le législateur ait entendu, pour exclure des services extérieurs minorant la valeur ajoutée les loyers afférents à des biens corporels pris en location pour une durée de plus de six mois, distinguer selon que la personne acquittant la charge correspondant à ces loyers est ou non la personne titulaire du contrat de location.

8. La SAS Ricoh France fait également valoir qu'elle se bornait à encaisser et reverser les loyers litigieux, lesquels ont d'ailleurs été inclus dans ses produits pour le calcul de la valeur ajoutée tels que prévus au deuxième alinéa du 2. du II. de l'article 1647 B sexies et que ces rétrocessions constituaient donc des consommations de biens en provenance de tiers devant minorer la valeur ajoutée définie à cet article 1647 B sexies. Toutefois, cette circonstance est sans incidence sur la détermination de cette valeur ajoutée conformément aux dispositions de cet article, pour le calcul de la cotisation minimale de taxe professionnelle, dès lors que le législateur a expressément exclu de tels loyers par exception au principe de déduction des " services extérieurs ", sans d'ailleurs réserver le cas particulier des commissionnaires.

9. Par suite et ainsi que le fait valoir le ministre de l'action et des comptes publics, les rétrocessions de " location mandatée " ne pouvaient, en application des dispositions de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, être déduites de la base de calcul de la cotisation minimale de taxe professionnelle acquittée par la SAS Ricoh France au titre des années 2007 à 2009.

10. A titre subsidiaire et par mémoire distinct, la SAS Ricoh France excipe, compte tenu d'une telle interprétation, de l'inconstitutionnalité du 2. du II. de l'article 1647 sexies du code général des impôts dans le cas où la cour jugerait que cet article conduit à prendre en compte dans l'assiette de la cotisation minimale de taxe professionnelle le montant des loyers perçus des clients finaux sans qu'elle ne puisse déduire le reversement de ces derniers aux organismes financeurs. Elle soutient ainsi que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en ce qu'elles auraient pour effet de la soumettre à une imposition dont l'assiette peut inclure une valeur ajoutée dont elle ne dispose pas, comme tel est le cas s'agissant des loyers qu'elle reverse.

11. Aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ". En vertu des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée, la juridiction, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstance, et qu'elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

12. D'une part, contrairement à ce que fait valoir le ministre de l'économie, des finances et de la relance, les dispositions du 2. du II. de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, dans leur rédaction applicable en l'espèce, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. En effet, par la décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, dont le ministre se prévaut, le Conseil constitutionnel a seulement déclaré conforme à la Constitution, au paragraphe 100 de ses motifs et à l'article 2 de son dispositif, l'article 85 du projet de loi de finances pour 2006 dont il était saisi portant modification de l'article 1647 B sexies, à l'exclusion des dispositions en cause.

13. Toutefois et d'autre part, par la décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, le Conseil constitutionnel a, dans ses motifs et son dispositif, déclaré conforme à la Constitution l'article 1586 sexies du code général des impôts issu de l'article 2 de la loi de finances pour 2010, à l'exception des mots " et la contribution carbone sur les produits énergétiques " figurant au vingt et unième alinéa du paragraphe I. de cet article et les mots : " et de la contribution carbone sur les produits énergétiques " figurant au dix-septième alinéa de son paragraphe VI. Les dispositions en cause du 2. du II. de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, relatives à la taxe professionnelle, dans leur rédaction applicable en l'espèce, sont similaires dans leur substance et dans leur rédaction à celles du b. du 4. du I. de l'article 1586 sexies, relatives à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, qui leur ont succédé à compter de 2010, et sur lesquelles le Conseil constitutionnel s'est prononcé par sa décision du 29 décembre 2009.

14. Si la SAS Ricoh France se prévaut du changement de circonstances que constituerait l'interprétation donnée par la cour de l'article 1647 B sexies dans le cadre du présent litige, celle-ci ne peut, en tout état de cause, être regardée comme un changement de circonstances de nature à remettre en cause la constitutionnalité des dispositions contestées dans la mesure où, ainsi que l'a précisé le Conseil constitutionnel au point 9. de la décision n° 2011-120 QPC du 8 avril 2011, si, en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition, cette jurisprudence doit avoir été soumise au Conseil d'État.

15. Dès lors, aucun changement de circonstances survenu depuis l'intervention de la décision précitée n'étant de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel, le moyen tiré de la méconnaissance par l'article 1647 B sexies de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen doit être écarté, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

16. Par ailleurs, pour les mêmes motifs, ne peut qu'être écarté le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, également présenté directement dans les écritures la société intimée, alors qu'au surplus, aux termes du premier alinéa de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé (...) ".

17. Enfin, la SAS Ricoh France n'est pas davantage fondée à se prévaloir des énonciations du paragraphe 34 de l'instruction du 30 décembre 1999 relative à la taxe professionnelle, référencée BOI 6 E-1-00, relatives aux biens pris en location par un assujetti et donnés en sous-location pour une durée de plus de six mois dès lors qu'il est constant que la société intimée, qui n'est pas locataire intermédiaire des matériels loués, ni ne les a donnés en sous-location aux clients finaux, n'entre pas dans les prévisions de cette doctrine.

18. Dans ces conditions, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont prononcé la décharge des impositions litigieuses à raison de la déduction du montant des rétrocessions de " location mandatée " de la base de calcul de la cotisation minimale de taxe professionnelle acquittée par la SAS Ricoh France au titre des années 2007 à 2009.

19. Il y a lieu pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner, avant de statuer sur les conclusions de l'appelant, tous les moyens opérants soulevés par l'intimée devant les premiers juges et devant les juges d'appel.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

20. La SAS Ricoh France se prévaut de l'irrégularité de la procédure d'imposition faute d'avoir eu la possibilité de saisir la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.

21. Aux termes de l'article L. 59 C du livre des procédures fiscales, " La Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 H du code général des impôts intervient pour les entreprises qui exercent une activité industrielle et commerciale sur les désaccords en matière de bénéfices industriels et commerciaux et de taxes sur le chiffre d'affaires (...). En vertu du I. de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales, auquel renvoie l'article L. 59 C s'agissant de la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient seulement lorsque le désaccord porte sur le montant du résultat de l'entreprise ou de son chiffre d'affaires taxable, sur les conditions d'application des régimes d'exonération ou d'allègement fiscaux en faveur des entreprises nouvelles, sur l'application de certaines dispositions relatives aux rémunérations non déductibles pour la détermination du résultat des entreprises industrielles ou commerciales, ou sur la valeur vénale de certains biens.

22. Il est constant que le litige opposant la SAS Ricoh France à l'administration portait sur la détermination de la valeur ajoutée devant servir d'assiette à la cotisation minimale de taxe professionnelle qui ne figure pas au nombre des désaccords qui peuvent être portés devant la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Il s'ensuit que l'absence de saisine de cette commission n'a pas eu pour effet de priver la SAS Ricoh France d'une garantie.

Sur le bien-fondé des impositions :

23. En premier lieu, la SAS Ricoh France soutient qu'à la date de l'émission de l'avis de recouvrement du 29 décembre 2014, la cotisation minimale de taxe professionnelle due au titre de l'année 2007 était prescrite.

24. Aux termes de l'article L. 174 du livre des procédures fiscales : " Les omissions ou les erreurs concernant la taxe professionnelle (...) peuvent être réparées par l'administration jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due (...) " et de l'article L. 189 du même livre : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de rectification, par la déclaration ou la notification d'un procès-verbal, de même que par tout acte comportant reconnaissance de la part des contribuables et par tous les autres actes interruptifs de droit commun (...) ".

25. Il résulte de l'instruction qu'une proposition de rectification en date du 20 décembre 2010 portant sur l'assiette de la cotisation minimale de taxe professionnelle au titre de l'année 2007, et complétée par une seconde proposition de rectification en date du 22 novembre 2011, a eu pour effet d'interrompre la prescription et d'ouvrir un nouveau délai de reprise jusqu'au 31 décembre 2013. Si la SAS Ricoh France soutient que la proposition de rectification corrective notifiée le 27 décembre 2012 n'a pu avoir pour effet d'ouvrir un nouveau délai de reprise dès lors qu'elle a été notifiée postérieurement au délai de reprise initial et que l'avis de mise en recouvrement notifié le 29 décembre 2014 n'en faisait pas mention, il ne résulte pas des dispositions précitées, ni d'aucun principe général du droit, que ces circonstances auraient fait obstacle à ce que cette proposition de rectification notifiée avant l'expiration du nouveau délai de reprise ait pour effet d'interrompre la prescription et d'ouvrir un nouveau délai de reprise jusqu'au 31 décembre 2015. Il s'ensuit que la mise en recouvrement de l'imposition en cause, le 29 décembre 2014 n'était pas tardive, et le moyen tiré de la prescription du droit de reprise ne peut qu'être écarté.

26. En deuxième lieu, les moyens soulevés par la SAS Ricoh France devant les premiers juges tenant à la remise en cause de la requalification des contrats de location-mandatée en contrat de crédit-bail opérée par l'administration fiscale, ne peuvent qu'être écartés comme inopérants compte-tenu de la substitution de motifs opérée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, rappelée au point 3. du présent arrêt. Il en va de même de la contestation de toute requalification en contrat de location, ainsi que de celle, développée devant la cour, relative à la requalification en contrat de location-financement et des loyers en charges financières.

27. En troisième lieu, le moyen soulevé par la SAS Ricoh France devant les premiers juges faisant valoir que les opérations concernées constituent un mandat ne peut qu'être écarté pour les motifs rappelés aux points 4. et 5. du présent arrêt.

28. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la SAS Ricoh France des suppléments de cotisation minimale de taxe professionnelle auxquels elle a été assujettie au titre des années 2007 à 2009, à raison de ces rétrocessions de location mandatée. Les conclusions présentées par cette dernière au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent dès lors qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS Ricoh France.

Article 2 : Le jugement n° 1508372 du tribunal administratif de Montreuil en date du 1er décembre 2016 est annulé.

Article 3 : Les impositions dont le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge par le jugement précité sont remises à la charge de la SAS Ricoh France au titre de la cotisation minimale de taxe professionnelle due au titre des années 2007 à 2009.

Article 4 : La demande et les conclusions présentées en appel par la SAS Ricoh France sont rejetées.

2

N° 21VE01164


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE01164
Date de la décision : 28/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-03-045-03-02 Contributions et taxes. - Impositions locales ainsi que taxes assimilées et redevances.


Composition du Tribunal
Président : Mme DANIELIAN
Rapporteur ?: Mme Muriel DEROC
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : PWC SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-09-28;21ve01164 ?
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