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02/06/2022 | FRANCE | N°20LY03395

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 02 juin 2022, 20LY03395


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Cinven Capital Management General Partners (CCMGP) a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge de la retenue à la source, d'un montant de 766 666 euros, assignée à la SAS Prezioso Linjebygg Group (SAS PL Group) au titre de l'exercice clos en 2012 et qu'elle a supportée.

Par un jugement n° 1801749 du 11 septembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a, à l'article 1er, déchargé la SAS PL Group de cette retenue à la source et décidé que cette somme se

rait restituée à la société CCMGP.

Procédure devant la cour

Par une requête, enre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Cinven Capital Management General Partners (CCMGP) a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge de la retenue à la source, d'un montant de 766 666 euros, assignée à la SAS Prezioso Linjebygg Group (SAS PL Group) au titre de l'exercice clos en 2012 et qu'elle a supportée.

Par un jugement n° 1801749 du 11 septembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a, à l'article 1er, déchargé la SAS PL Group de cette retenue à la source et décidé que cette somme serait restituée à la société CCMGP.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 23 novembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement ;

2°) de rétablir la retenue à la source de 766 666 euros au titre de l'exercice clos en 2012.

Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la société CCMGP pouvait se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des paragraphes 20, 23 et 24 de l'instruction 5 B-7111 publiée le 1er août 2001, repris par le paragraphe 230 de la documentation BOI-IR-DOMIC-10-10, aux termes duquel : " 2° Prestations utilisées en France. Pour l'application de ce critère d'imposition, il convient de rechercher le lieu de l'utilisation effective de la prestation. Ainsi, les prestations effectivement utilisées en France entrent dans le champ d'application de l'impôt sur le revenu. Constituent par exemple des " prestations utilisées en France " : la fourniture d'informations d'ordre industriel, commercial ou scientifique ainsi que la fourniture d'études techniques dont les résultats sont effectivement utilisés en France. Cependant, il est admis que les commissions versées à des personnes non domiciliées en France, en rémunération de démarches et diligences diverses effectuées à l'étranger, ne soient pas considérées comme des prestations utilisées en France ", dès lors que ce paragraphe doit s'interpréter strictement et que la somme en cause, perçue en rémunération de travaux qui ont duré plusieurs mois et ont consisté dans des négociations, une analyse approfondie des conditions d'achat et un examen exhaustif de documents, ne saurait être regardée comme une commission versée en rémunération de démarches et diligences diverses au sens de cette instruction.

Par un mémoire, enregistré le 2 février 2021, la société CCMGP, représentée par Me Nouvion, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros HT soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le moyen de la requête n'est pas fondé.

La requête a été communiquée à la SAS Prezioso Linjebygg Group qui n'a pas présenté d'observations.

Le ministre de l'économie, des finances et de la relance a présenté un mémoire enregistré le 19 novembre 2021 par lequel il conclut aux même fins par les mêmes moyens. Ce mémoire n'a pas été communiqué.

Par un arrêt n° 20LY03418 du 17 décembre 2020, la cour a prononcé le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 11 septembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Evrard, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Vinet, rapporteure publique,

- et les observations de Me Nouvion représentant la société CCMGP ;

Considérant ce qui suit :

1. En 2010, la société Cinven Capital Management General Partners Ltd (CCMGP), société de droit britannique implantée à Guernesey, filiale du groupe britannique de capital investissement Cinven, a conclu avec la société Montencin I SAS, devenue SAS Prezioso Linjebygg Group (SAS PL Group), qui avait l'intention d'acquérir la totalité des titres des entités du groupe Prezioso technicolor, une convention cadre, dite de management package prévoyant l'intervention de la société CCMGP en vue de convaincre le comité d'investissement du groupe Cinven de lever les fonds permettant à la SAS PL Group de financer l'acquisition envisagée. A la suite d'une vérification de comptabilité de la SAS PL Group, l'administration a estimé que la somme de 2 300 000 euros qu'elle a versée à la société CCMGP en rémunération de prestations utilisées en France était passible de la retenue à la source en application du c. du I de l'article 182 B du code général des impôts. La SAS PL Group a acquitté la retenue à la source mise en recouvrement le 31 janvier 2017, d'un montant ramené à 766 666 euros, le 9 mars 2017. La société CCMGP, qui a remboursé cette imposition à la SAS PL Group le 17 novembre 2016, en a demandé la décharge au tribunal administratif de Grenoble. Par un jugement du 11 septembre 2020, dont le ministre relève appel, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.

2. Pour faire droit à la demande dont il était saisi, le tribunal administratif de Grenoble a estimé que la société CCMGP pouvait se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des paragraphes 20, 23 et 24 de l'instruction 5 B-7111 publiée le 1er août 2001, repris le 12 septembre 2012 par le paragraphe 230 de la documentation BOI-IR-DOMIC-10-10.

3. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration.(...) Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. (...) ". Les dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales permettent aux contribuables de se prévaloir des énonciations contenues dans les notes ou instructions publiées, qui ajoutent à la loi ou la contredisent, à la condition que les intéressés entrent dans les prévisions de la doctrine, appliquée littéralement, résultant de ces énonciations.

4. Selon les paragraphes 20, 23 et 24 de l'instruction 5 B-7111 publiée le 1er août 2001, repris le 12 septembre 2012 par le paragraphe 230 de la documentation BOI-IR-DOMIC-10-10 : " 2° Prestations utilisées en France Pour l'application de ce critère d'imposition, il convient de rechercher le lieu de l'utilisation effective de la prestation. Ainsi, les prestations effectivement utilisées en France entrent dans le champ d'application de l'impôt sur le revenu. Constituent par exemple des " prestations utilisées en France " : la fourniture d'informations d'ordre industriel, commercial ou scientifique ainsi que la fourniture d'études techniques dont les résultats sont effectivement utilisés en France. Cependant, il est admis que les commissions versées à des personnes non domiciliées en France, en rémunération de démarches et diligences diverses effectuées à l'étranger, ne soient pas considérées comme des prestations utilisées en France ".

5. Il résulte de l'instruction que la SAS PL Group a comptabilisé, au cours de l'exercice clos en 2012, une charge, d'un montant de 2 300 000 euros, correspondant à la rémunération des services fournis par la société CCMPG aux fins d'obtenir le financement, en capitaux propres et en dettes financières, de l'acquisition de l'intégralité des titres des SAS Saint-Clair Holding, Tournesol Capital, Purple capital et PZO Investissement, et, plus particulièrement, de convaincre des fonds internationaux gérés par le groupe britannique Cinven, auquel la société CCMPG appartient, de s'engager dans le financement de ces opérations. Il résulte de l'instruction que les travaux accomplis par la société CCMPG, qui ont consisté en des prestations d'audit, de conseil et de négociation des termes commerciaux, pour partie réalisés par des prestataires, de conseil en stratégie et de gestion afin de permettre à la SAS PL Group de rentabiliser son investissement à l'avenir, constituent des prestations de service. En outre, aucun élément du dossier, et, notamment, les conventions dénommées " contrat de gestion " et " accord de prestation de services continus " produites par l'intimée, ne permet d'établir que la somme qu'elle a perçue aurait revêtu le caractère d'une commission. Dans ces conditions, la somme de 2 300 000 euros ne peut être regardée comme une commission versée en rémunération de démarches et diligences diverses ainsi que l'indique l'instruction précitée. Il en résulte que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a déchargé la SAS PL Group de la retenue à la source de 766 666 euros mise en recouvrement le 31 janvier 2017 et décidé que cette somme serait restituée à la société CCMGP au motif que cette dernière pouvait se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la documentation BOI-IR-DOMIC-10-10.

6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par la société CCMGP devant le tribunal administratif.

7. Aux termes du c. du I de l'article 182 B du code général des impôts : " Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : (...) c. Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France. " Il résulte de ces dispositions que sont soumises à retenue à la source les sommes payées par une société qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés qui n'y disposent pas d'une installation professionnelle permanente, en rémunération de prestations qui sont soit matériellement fournies en France, soit, bien que matériellement fournies à l'étranger, effectivement utilisées par le débiteur pour les besoins de son activité en France.

8. Il résulte de l'instruction que la retenue à la source en litige a été établie à raison de sommes payées par la SAS PL Group, qui exerce son activité en France, à la société britannique CCMPG, qui n'y dispose d'aucune installation professionnelle permanente, en rémunération de prestations de services effectivement utilisées par la SAS PL Group pour les besoins de son activité en France. C'est, dès lors, par une exacte application du c. du I de l'article 182 B du code général des impôts que l'administration a assujetti la SAS PL Group à la retenue à la source à raison des rémunérations qu'elle a versées à la société CCMPG au titre de l'exercice clos en 2012.

9. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge de la retenue à la source supportée par la société CCMGP et des majorations correspondantes, et à demander que cette retenue soit remise à la charge de la SAS PL Group à hauteur de la somme de 766 666 euros au titre de l'exercice clos en 2012.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la société CCMGP la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1801749 du tribunal administratif de Grenoble du 11 septembre 2020 est annulé.

Article 2 : La retenue à la source supportée par la société CCMGP au titre de l'exercice clos en 2012 et les majorations correspondantes sont remises à la charge de la SAS PL Group à hauteur de la somme de 766 666 euros.

Article 3 : La demande présentée par la société CCMGP devant le tribunal administratif de Grenoble ainsi que ses conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Cinven Capital Management General Partners Ltd.

Copie en sera adressée à la SAS Prezioso Linjebygg Group.

Délibéré après l'audience du 5 mai 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Evrard, présidente-assesseure,

Mme Lesieux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 2 juin 2022.

La rapporteure,

A. Evrard,

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

M.-T. Pillet

La République mande et ordonne au ministre de l'économie des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 20LY03395


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY03395
Date de la décision : 02/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-01-01-03 Contributions et taxes. - Généralités. - Textes fiscaux. - Opposabilité des interprétations administratives (art. L. 80 A du livre des procédures fiscales).


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: Mme VINET
Avocat(s) : NOUVION

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-06-02;20ly03395 ?
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