COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau‑Brunswick Inc. c. Canada,
[2008] 1 R.C.S. 383, 2008 CSC 15
Date : 20080411
Dossier : 31583
Entre :
Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau‑Brunswick Inc.
Appelante
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
Et Entre :
Marie‑Claire Paulin
Appelante
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
‑ et ‑
Procureur général du Nouveau‑Brunswick et
Commissaire aux langues officielles du Canada
Intervenants
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein
Motifs de jugement :
(par. 1 à 27)
Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein)
______________________________
Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau‑Brunswick Inc. c. Canada, [2008] 1 R.C.S. 383, 2008 CSC 15
Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau‑Brunswick Inc. Appelante
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
‑ et ‑
Marie‑Claire Paulin Appelante
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Procureur général du Nouveau‑Brunswick et Commissaire
aux langues officielles du Canada Intervenants
Répertorié : Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau‑Brunswick Inc. c. Canada
Référence neutre : 2008 CSC 15.
No du greffe : 31583.
2007 : 17 octobre; 2008 : 11 avril*.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (le juge en chef Richard et les juges Nadon et Pelletier), [2007] 2 R.C.F. 177, 270 D.L.R. (4th) 171, 350 N.R. 375, [2006] A.C.F. no 805 (QL), 2006 CarswellNat 1439, 2006 CAF 196, qui a infirmé une décision de la juge Gauthier, [2006] 1 R.C.F. 490, 279 F.T.R. 113, [2005] A.C.F. no 1587 (QL), 2005 CarswellNat 3009, 2005 CF 1172. Pourvoi accueilli.
Michel Doucet et Mark C. Power, pour les appelantes.
Alain Préfontaine et René LeBlanc, pour l’intimée.
Gaétan Migneault, pour l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.
Christine Ruest et Johane Tremblay, pour l’intervenant le Commissaire aux langues officielles du Canada.
Le jugement de la Cour a été rendu par
[1] Le juge Bastarache — Le paragraphe 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit que le public, au Nouveau-Brunswick, a droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement du Nouveau-Brunswick, ou pour en recevoir les services, et ce, peu importe sa concentration territoriale au plan linguistique, ou la vocation du bureau auquel il s’adresse, comme c’est par ailleurs le cas pour les services dispensés par les institutions fédérales aux termes du par. 20(1) de la Charte. Il s’agit là d’un bilinguisme institutionnel complet, emportant le droit pour un citoyen d’utiliser la langue de son choix en tout temps lorsqu’il ou elle demande un service ou communique avec l’État provincial. L’article 20 se lit comme suit :
20. (1) Le public a, au Canada, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l’égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas :
a) l’emploi du français ou de l’anglais fait l’objet d’une demande importante;
b) l’emploi du français et de l’anglais se justifie par la vocation du bureau.
(2) Le public a, au Nouveau-Brunswick, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services.
[2] En l’espèce, la Cour est appelée à déterminer si, en acceptant par contrat d’offrir des services de police dans la province, la Gendarmerie royale du Canada (« GRC »), une institution fédérale, est liée par le régime linguistique plus généreux du Nouveau-Brunswick ou si elle n’est tenue de respecter que les normes fédérales en matière de langues officielles.
1. Faits et historique judiciaire
[3] Lorsque Marie-Claire Paulin, une résidente du Nouveau-Brunswick, a été interpellée par un agent de la GRC pour excès de vitesse alors qu’elle circulait sur l’autoroute transcanadienne dans la région de Woodstock, au Nouveau-Brunswick, l’agent de la GRC n’a pas communiqué oralement en français avec elle. Madame Paulin a payé l’amende, mais elle a par la suite intenté une action déclaratoire contre la Couronne fédérale en vue de faire affirmer son droit de recevoir, en vertu du par. 20(2) de la Charte, des services de police dans la langue officielle de son choix.
[4] Pour sa part, après avoir pris connaissance d’un rapport recommandant au
Comité directeur de la région Atlantique de la GRC de réduire les obligations de la GRC en matière de communications orales en français dans la région de l’Atlantique, la Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau‑Brunswick (« SAANB ») — une corporation sans capital social, à but non lucratif — a demandé à la Cour fédérale, en vertu de l’art. 24 de la Charte, de préciser les obligations de la GRC lorsque ses membres fournissent les services de police provinciale prévus à l’entente conclue avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick le 1er avril 1992. Ce rapport avait été commandé par le Comité à la suite du regroupement des quatre divisions de la GRC pour la région au milieu des années 1990. La SAANB estime que toute révision des fonctions des postes de la GRC au Nouveau-Brunswick afin d’en déterminer les exigences linguistiques doit respecter l’art. 16.1 et les par. 16(2) et 20(2) de la Charte, obligation qui ferait obstacle à la mise en œuvre du rapport.
[5] Les actions de Mme Paulin et de la SAANB (les « appelantes ») ont été réunies en Cour fédérale. Les appelantes plaident que, lorsqu’elle remplit la fonction de police provinciale au Nouveau-Brunswick, la GRC est soumise aux obligations linguistiques qui sont imposées à cette province par le par. 20(2) de la Charte. La GRC soutient, quant à elle, que cette disposition de la Charte ne s’applique pas en l’espèce, parce que la GRC est une institution fédérale et que le par. 20(2) ne saurait s’appliquer qu’aux institutions du Nouveau-Brunswick.
[6] La Cour fédérale a jugé que la fonction de police provinciale qui est remplie par la GRC fait de celle-ci une institution du gouvernement du Nouveau-Brunswick pour l’application du par. 20(2) et que la GRC est donc tenue de fournir des services de police conformément aux normes linguistiques provinciales : [2006] 1 R.C.F. 490, 2005 CF 1172. La Cour d’appel fédérale a cassé le jugement de première instance, rejetant la prétention selon laquelle la GRC doit être assimilée à une institution du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Selon le juge en chef Richard, qui a écrit au nom de la cour, la GRC ne saurait assumer les obligations linguistiques qui incombent à la province aux termes de la Constitution : [2007] 2 R.C.F. 177, 2006 CAF 196. Selon lui, seule la province est débitrice des obligations linguistiques découlant du par. 20(2) et elle seule devrait être poursuivie, et cela, devant la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick.
2. Question en litige
[7] La Cour est donc appelée à décider si les membres de la GRC, désignés comme agents de la paix provinciaux en vertu d’une entente conclue par le Canada et la province du Nouveau-Brunswick, sont tenus de respecter les obligations linguistiques imposées par la Charte aux institutions du gouvernement du Nouveau-Brunswick en vertu du par. 20(2) lorsqu’ils exercent leurs fonctions en tant qu’agents de police provinciaux. Personne ne conteste que la GRC est en tout temps assujettie aux obligations minimales que lui impose le par. 20(1) de la Charte et la loi fédérale sur les langues officielles, qu’elle agisse comme service de police fédéral ou de police provincial ou municipal en vertu d’une entente.
3. Analyse
[8] Les appelantes affirment que le par. 20(1) de la Charte s’applique à la GRC lorsqu’elle remplit le rôle de police provinciale, comme en témoigne l’affaire Doucet c. Canada, [2005] 1 R.C.F. 671, 2004 CF 1444, mais elles ajoutent qu’il ne faut cependant pas conclure que ceci établit un seuil linguistique qui ne saurait être élargi lorsque la province en cause a des obligations supérieures. Si la GRC prend en charge une fonction du gouvernement du Nouveau-Brunswick, elle doit alors être assimilée à une institution provinciale et assumer les mêmes obligations que celle-ci.
[9] Les appelantes font aussi valoir que les pouvoirs exercés par la GRC en tant que service de police provincial découlent des lois provinciales et que ces lois font des membres de la GRC des agents de la paix du Nouveau-Brunswick (Loi sur la Police, L.N.-B. 1977, ch. P-9.2; Loi sur les véhicules à moteur, L.R.N.-B. 1973, ch. M-17). De ce fait, les membres de la GRC font partie de l’administration provinciale. Or, tous les agents de l’administration provinciale sont tenus de respecter les lois provinciales et les dispositions du par. 20(2) de la Charte.
[10] L’intimée s’appuie sur le principe de la responsabilité des gouvernements sur le plan constitutionnel et fait valoir que le Nouveau-Brunswick demeure constitutionnellement responsable de l’administration de la justice et des gestes de ses délégués en cette matière, qu’ils appartiennent au secteur privé ou soient membres d’un autre gouvernement. Invoquant l’arrêt Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, l’intimée plaide que le Nouveau-Brunswick ne peut se soustraire à ses obligations constitutionnelles en alléguant que sa déléguée, la GRC, les a assumées à sa place. La GRC ne saurait être à la fois une institution fédérale et une institution provinciale. Ses obligations constitutionnelles ne peuvent donc être que celles qui s’appliquent au gouvernement fédéral et toute obligation additionnelle ne saurait être que contractuelle et donner ouverture uniquement à une action pour rupture de contrat. Or, l’entente avec le Nouveau-Brunswick ne comprend aucune obligation linguistique spécifique.
[11] Les intervenants ont proposé une solution différente au litige. À leur avis, c’est bien le par. 20(1) de la Charte qui s’applique, mais une interprétation contextuelle de celui-ci permettrait d’étendre sa portée dans le cas présent, vu la spécificité constitutionnelle du Nouveau-Brunswick. Suivant cette approche, la GRC serait tenue d’offrir des services bilingues partout au Nouveau-Brunswick en raison de l’interprétation extensive qu’il conviendrait de donner aux termes « demande importante — et « vocation du bureau » figurant au par. 20(1) de la Charte.
3.1 Autorité légale
[12] Avant d’examiner de plus près ces diverses prétentions, il y a lieu de décrire sommairement le régime législatif en place.
[13] L’entente conclue par le Nouveau-Brunswick et le Canada est autorisée par une loi provinciale (l’art. 2 de la Loi sur la Police) et une loi fédérale (l’art. 20 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R‑10 (« LGRC »)). La LGRC permet à la GRC d’assumer les obligations d’un service de police provincial par l’entremise d’un contrat. Le pendant de cette loi fédérale au Nouveau-Brunswick est la Loi sur la Police, qui précise, au par. 2(1), que le gouvernement du Nouveau-Brunswick peut conclure de telles ententes avec la GRC. Le paragraphe 2(2) de cette loi a pour effet de conférer aux membres de la GRC toutes les attributions d’un agent de la paix du Nouveau-Brunswick.
[14] La GRC, qui est constituée aux termes de l’art. 3 de la LGRC, a pour mandat de voir à l’application des lois fédérales partout au Canada. Il ne fait aucun doute que la GRC demeure en tout temps une institution fédérale. Ce principe a été confirmé dans R. c. Doucet (2003), 222 N.S.R. (2d) 1, 2003 NSSCF 256, de même que dans Doucet c. Canada, où l’on a conclu que la GRC conserve le statut d’institution fédérale lorsqu’elle agit en vertu d’un contrat avec une province. La GRC ne peut donc pas se soustraire aux responsabilités linguistiques découlant du par. 20(1) de la Charte lorsqu’elle joue le rôle de service de police provincial. C’est d’ailleurs ce que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont reconnu dans la présente affaire. Cependant, en vertu de l’art. 20 de sa loi constitutive, la GRC peut également se voir confier la responsabilité d’administrer la justice et d’assurer le respect des lois dans des ressorts provinciaux ou municipaux. Donc, le fait que la GRC soit et demeure de par sa nature et sa constitution une institution fédérale ne répond pas à la question posée à notre Cour.
3.2 L’obligation institutionnelle
[15] Le paragraphe 20(1) de la LGRC permet à la GRC de conclure des ententes avec les provinces et d’y faire respecter les lois qui y sont en vigueur. Ceci n’est pas contesté. Assurer l’application des lois provinciales suppose bien entendu que cela se fasse dans le respect de la Constitution; rien ne permet de penser que l’intention du législateur ait pu être différente dans le présent cas. Est-ce que cela soulève un problème du fait que la GRC est une institution fédérale? Je ne le pense pas.
[16] Aux termes du par. 2(2) de la Loi sur la Police, « [s]ur tout le territoire du Nouveau-Brunswick et lorsqu’il exerce ses fonctions pour le compte de la province, chaque membre de la Gendarmerie royale du Canada [. . .] est investi de tous les pouvoirs, autorité, privilèges, droits et immunités d’un agent de la paix et d’un constable ». Comme chaque membre de la GRC est habilité par le législateur du Nouveau-Brunswick à administrer la justice dans la province, il exerce le rôle d’une « institutio[n] de la législature ou du gouvernement » du Nouveau-Brunswick, et il est tenu de respecter le par. 20(2) de la Charte. Bien que le Nouveau-Brunswick demeure toujours responsable de l’administration de la justice en conformité avec ses obligations linguistiques constitutionnelles, nonobstant l’entente, ne change absolument rien au fait que la GRC puisse être assujettie à des obligations linguistiques qui lui sont propres dans l’exécution de son mandat au Nouveau-Brunswick.
[17] Dans Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice) (2001), 194 F.T.R. 181, 2001 CFPI 239, la Cour fédérale, section de première instance a jugé qu’un gouvernement ne peut pas adopter de politiques qui feraient obstacle, par suite de la conclusion d’ententes, au respect de droits reconnus. Dans cette affaire, le gouvernement fédéral avait effectivement transféré par contrat à la province d’Ontario l’administration de certaines poursuites pénales. En vertu de cette entente, c’est le régime linguistique provincial — lequel offrait une moins grande protection aux francophones — qui devenait applicable à un sujet de compétence fédérale. La cour a conclu que le gouvernement fédéral ne pouvait pas se décharger de ses obligations constitutionnelles de cette manière. Elle ne s’est pas toutefois prononcée sur les obligations des agents ontariens dans l’exécution des fonctions découlant de l’entente avec le gouvernement fédéral.
[18] Dans le cas présent, il n’y a pas de transfert de responsabilité à l’égard de l’administration de la justice dans la province. L’entente qui lie la GRC et le Nouveau-Brunswick confie au ministre de la Justice du Nouveau-Brunswick le soin d’établir « les objectifs, les priorités et les buts du Service de police provincial » (art. 3.3). C’est le ministre qui détermine le niveau de services fournis. L’intimée reconnaît, au par. 62 de son mémoire, que le Nouveau-Brunswick garde la maîtrise des activités de police de la GRC, comme l’a constaté la Cour fédérale (par. 39). La GRC conserve la responsabilité sur la gestion interne seulement (par. 3.1a)). Ce qu’il faut conclure de cet état de fait, c’est que l’institution en cause est une institution du gouvernement du Nouveau-Brunswick, son ministre de la Justice notamment, et que celui-ci remplit ses obligations constitutionnelles par l’entremise des membres de la GRC que les lois provinciales désignent comme agents de la paix du Nouveau-Brunswick. La fourniture de services par la GRC doit donc être conforme aux obligations découlant du par. 20(2) de la Charte.
[19] La GRC n’agit pas comme institution fédérale distincte pour l’administration de la justice au Nouveau-Brunswick; elle assume par contrat les obligations qui sont reliées à la fonction de service de police. Cette fonction est précisée dans les lois provinciales. La GRC exerce donc au Nouveau-Brunswick un pouvoir d’origine législative — qui découle non seulement de la législation fédérale, mais aussi des lois du Nouveau-Brunswick — par le truchement de ses membres qui travaillent sous l’autorité du gouvernement du Nouveau-Brunswick.
[20] Il faut aussi tenir compte du fait que les fonctions prises en charge par la GRC en l’instance sont des fonctions gouvernementales assujetties à des obligations constitutionnelles spécifiques. La GRC ne peut assumer ces fonctions sans assumer les obligations qui s’y rattachent. Ce principe a été exprimé par le juge Lamer (dissident sur d’autres points) dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1077-1078 :
Le fait que la Charte s’applique à l’ordonnance rendue par l’arbitre en l’espèce ne fait, à mon avis, aucun doute. L’arbitre est en effet une créature de la loi; il est nommé en vertu d’une disposition législative et tire tous ses pouvoirs de la loi. La Constitution étant la loi suprême du pays et rendant inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit, il est impossible d’interpréter une disposition législative attributrice de discrétion comme conférant le pouvoir de violer la Charte à moins, bien sûr, que ce pouvoir soit expressément conféré ou encore qu’il soit nécessairement implicite. [. . .] Une disposition législative conférant une discrétion imprécise doit donc être interprétée comme ne permettant pas de violer les droits garantis par la Charte. En conséquence, un arbitre exerçant des pouvoirs délégués n’a pas le pouvoir de rendre une ordonnance entraînant une violation de la Charte et il excède sa juridiction s’il le fait. [Je souligne; soulignement dans l’original omis.]
[21] Aux pages 86 et 87 de son ouvrage Constitutional Law of Canada (5e éd. 2007), vol. 2, le professeur Hogg ajoute pour sa part :
[traduction] Lorsque le Parlement ou une législature a délégué un pouvoir de contrainte à un organisme ou à une personne, la Charte s’applique au délégué.
. . .
. . . c’est parce qu’ils mettent en œuvre un pouvoir de contrainte que la Charte s’applique aux organismes exerçant un pouvoir d’origine législative. [Je souligne.]
[22] Ces remarques correspondent à l’avis de la juge Gauthier, qui s’exprime sur ce point aux par. 39-40 de ses motifs en première instance dans la présente affaire :
Comme l’indique Peter Hogg dans Constitutional Law of Canada, 4e édition, à la page 514, la prestation des services de police provinciaux et municipaux en vertu d’un contrat entre la GRC et une province, est autorisé par un statut de la province [. . .] de même que par un statut fédéral [. . .] et découle en partie du pouvoir de la province d’administrer la justice en vertu du paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 . . .
En arrêtant Mme Paulin et en lui remettant une contravention en vertu de la Loi sur les véhicules à moteur [. . .], l’officier de la GRC accomplissait une fonction gouvernementale, plus particulièrement une fonction du gouvernement du Nouveau-Brunswick.
[23] Le juge en chef Richard de la Cour d’appel fédérale insiste sur le fait que les obligations de la GRC sont de nature contractuelle et non pas constitutionnelle. J’estime que ces deux types d’obligations ne s’excluent pas mutuellement. C’est par le biais de l’entente, en participant à une fonction gouvernementale du Nouveau-Brunswick, que la GRC se voit imposer des obligations constitutionnelles en vertu du par. 20(2) de la Charte. Comme il a été expliqué précédemment, la GRC doit respecter les obligations qui incombent à cette province lorsqu’elle agit pour le compte de cette dernière. Ce raisonnement trouve écho dans l’entente elle-même, qui stipule à l’art. 2.2 que
Les membres qui font partie du Service de police provincial doivent :
a) remplir les fonctions d’agents de la paix;
b) rendre les services nécessaires
. . .
ii) à l’exécution de tous les mandats - ainsi que des obligations et services s’y rattachant - qui peuvent, aux termes des lois fédérales ou des lois de la province, légalement être exécutés par des agents de la paix. [Je souligne.]
L’article 4.1 est lui aussi très explicite :
Pour les besoins de l’entente, le commandant divisionnaire agira sous la direction du ministre pour l’administration de la justice dans la province et la mise en œuvre des lois qui y sont en vigueur. [Je souligne.]
[24] Les parties utilisent au deuxième alinéa de l’art. 2.2 le terme « services », par opposition au terme « fonctions » employé à l’alinéa précédent. Il est possible d’en déduire que la notion de « services » telle qu’elle est comprise par les parties s’apparente à celle visée au par. 20(2) de la Charte et que les parties entendaient que, dans l’exécution de son mandat, la GRC assume également les « obligations » linguistiques s’y rattachant et rende par conséquent des services bilingues aux citoyens. Cela semble d’autant plus vrai que les services « nécessaires » sont par définition des services conformes à la loi, y compris la Constitution. Je ne vois aucune nécessité de prévoir explicitement dans l’entente l’obligation au bilinguisme, qui est de toute façon constitutionnellement requise.
[25] Compte tenu de l’analyse qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner la prétention des intervenants concernant l’interprétation extensive du par. 20(1) de la Charte.
4. Conclusion et dépens
[26] Pour les motifs exposés ci-dessus, j’accueillerais le pourvoi et je déclarerais que le par. 20(2) de la Charte oblige la GRC à fournir ses services dans les deux langues officielles lorsqu’elle joue le rôle d’un service de police provincial dans le cadre de l’entente conclue par le gouvernement du Nouveau-Brunswick et le gouvernement du Canada le 1er avril 1992.
[27] Les appelantes demandent des dépens de 135 000 $. Comme l’intimée semble reconnaître l’importance de l’affaire sur le plan des principes puisqu’elle ne sollicite pas les dépens, les dépens demandés par les appelantes leur sont accordés.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureur de l’appelante la Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau‑Brunswick Inc. : Université de Moncton, Moncton.
Procureurs de l’appelante Marie‑Claire Paulin : Heenan Blaikie, Toronto.
Procureur de l’intimée : Procureur général du Canada, Ottawa.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick : Procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.
Procureur de l’intervenant le Commissaire aux langues officielles du Canada : Commissariat aux langues officielles du Canada, Ottawa.
* Une requête en nouvelle audition a été rejetée le 26 juin 2008. Le jugement rejetant cette requête a modifié le par. 27 des deux versions des motifs. La modification a été incorporée dans les présents motifs.