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23/12/2010 | CANADA | N°2010_CSC_62

Canada | Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62 (23 décembre 2010)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc.,

2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585

Date : 20101223

Dossier : 33041

Entre :

Procureur général du Canada

Appelant

et

TeleZone Inc.

Intimée

Traduction française officielle

Coram : Les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 81)

Le juge Binnie (avec l’accord des juges LeBel, Deschamps, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell)

Canada (Procu

reur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585

Procureur général du Canada Appelant

c.

TeleZone Inc. Intimée

Répertorié : Canada (Pro...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc.,

2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585

Date : 20101223

Dossier : 33041

Entre :

Procureur général du Canada

Appelant

et

TeleZone Inc.

Intimée

Traduction française officielle

Coram : Les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 81)

Le juge Binnie (avec l’accord des juges LeBel, Deschamps, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell)

Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585

Procureur général du Canada Appelant

c.

TeleZone Inc. Intimée

Répertorié : Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc.

2010 CSC 62

No du greffe : 33041.

2010 : 20, 21 janvier; 2010 : 23 décembre.

Présents : Les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Laskin, Borins et Feldman), 2008 ONCA 892, 94 O.R. (3d) 19, 303 D.L.R. (4th) 626, 245 O.A.C. 91, 86 Admin L.R. (4th) 163, 40 C.E.L.R. (3d) 183, [2008] O.J. No. 5291 (QL), 2008 CarswellOnt 7826, qui a confirmé une décision du juge Morawetz (2007), 88 O.R. (3d) 173, [2007] O.J. No. 4766 (QL), 2007 CarswellOnt 7847. Pourvoi rejeté.

Christopher M. Rupar, Alain Préfontaine et Bernard Letarte, pour l’appelant.

Peter F. C. Howard, Patrick J. Monahan, Eliot N. Kolers et Nicholas McHaffie, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

[1] Le juge Binnie — TeleZone Inc. prétend avoir été lésée par la décision du ministre d’Industrie Canada de rejeter sa demande de licence de fourniture de services de télécommunications. TeleZone réclame des dommages-intérêts contre la Couronne fédérale devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour les pertes de 250 millions de dollars qu’elle affirme avoir subies. Elle invoque l’inexécution de contrat et la négligence et, subsidiairement, l’enrichissement injustifié afférent aux sommes inutilement consacrées à la demande de licence.

[2] Le procureur général conteste la compétence de la Cour supérieure d’instruire la demande d’indemnisation, affirmant que sa compétence est subordonnée à l’obtention par TeleZone d’une ordonnance de la Cour fédérale du Canada annulant la décision du ministre. Il soutient que la demande de TeleZone sert à contester indirectement la décision du ministre, ce qui est interdit compte tenu de la compétence exclusive accordée à la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire des décisions de tout « office fédéral » — Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, art. 18 (« LCF »). Le procureur général s’appuie à cet égard sur une série d’arrêts de la Cour d’appel fédérale et, plus particulièrement, sur le principe établi dans Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287.

[3] La définition d’un « office fédéral » figurant dans la LCF est très large : « Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale » (art. 2) — cette définition exclut certains décideurs, notamment les juges de la Cour canadienne de l’impôt, mais ces exceptions ne sont pas pertinentes en l’espèce. Les décideurs fédéraux visés vont du Premier ministre et des organismes les plus importants jusqu’au garde-frontière et au douanier locaux, et englobent tous ceux qui se situent entre ces deux extrêmes. Le principe établi dans Grenier immuniserait la Couronne contre l’obligation de verser des dommages-intérêts de droit privé par suite d’une décision administrative illégale de l’une de ces personnes ou entités, à moins que le demandeur lésé ne passe d’abord par la Cour fédérale. Quand le législateur a édicté les dispositions de la LCF relatives au contrôle judiciaire, il n’entendait manifestement pas créer un tel goulot d’étranglement.

[4] Le principe énoncé dans Grenier irait à l’encontre de l’art. 17 de la LCF, qui confère aux cours supérieures provinciales une compétence concurrente « dans les cas de demande de réparation contre la Couronne », et de l’art. 21 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, qui a le même effet à l’égard des actions en responsabilité délictuelle. Dans certaines actions en dommages-intérêts intentées contre la Couronne fédérale (mais non dans toutes), la question de la « légalité » de la décision administrative censée avoir causé la perte est primordiale. L’arrêt Grenier nierait aux cours supérieures provinciales la compétence nécessaire pour examiner cette question fondamentale lorsqu’un demandeur s’adresse à elles pour obtenir des dommages-intérêts. Si l’on adoptait le principe formulé dans cet arrêt, la compétence de ces cours ne serait plus concurrente, mais subordonnée et conditionnelle. Elle deviendrait en effet subordonnée à la décision de la Cour fédérale sur la demande de contrôle judiciaire et conditionnelle à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur.

[5] C’est à bon droit, à mon avis, que la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’argumentation du procureur général. J’estime que l’arrêt Grenier procède d’une perception exagérée de la portée juridique de l’attribution de la compétence en matière de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, à l’art. 18 de la LCF, qu’il faut voir comme une réserve ou une exception à la compétence concurrente plus générale que lui confère l’art. 17 « dans les cas de demande de réparation contre la Couronne » fédérale. Les arguments du procureur général n’étant pas étayés par les termes exprès de l’art. 18, ils relèvent nécessairement de l’inférence. Or, il est bien établi que les inférences ne suffisent pas pour écarter la compétence des cours supérieures provinciales.

[6] En l’espèce, la Cour supérieure de l’Ontario a compétence à l’égard des parties, de l’objet du litige et des réparations demandées par TeleZone. Cette compétence emporte le pouvoir de statuer sur toutes les questions de droit et de fait nécessaires à l’octroi ou au refus des réparations demandées, à moins que le texte de loi ne l’écarte. Or, la LCF n’écarte pas en termes clairs et directs la compétence des cours supérieures provinciales pour statuer sur ces demandes en common law et en equity, y compris sur la question de l’« illégalité » des décisions administratives. La Cour supérieure a donc compétence pour instruire l’affaire. C’est la conclusion à laquelle sont parvenues la Cour supérieure de l’Ontario ((2007), 88 O.R. (3d) 173) et la Cour d’appel de l’Ontario (2008 ONCA 892, 94 O.R. (3d) 19). Je souscris à cette conclusion. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

I. Faits

[7] La déclaration modifiée décrit les fautes que le ministre d’Industrie Canada aurait commises dans le traitement de la demande de licence sous le régime de la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. 1985, ch. R-2. Il faut supposer, pour les besoins du présent pourvoi, que ces allégations peuvent être prouvées.

[8] TeleZone a été constituée en 1992, avec comme but ultime l’obtention d’une licence de fourniture de services de communications personnelles (« SCP ») — essentiellement un réseau de téléphonie cellulaire. En décembre 1992, elle a franchi une étape préliminaire en obtenant une licence de fourniture de services de téléphonie sans fil. TeleZone affirme qu’entre 1993 et 1995 elle a tenu Industrie Canada au courant des efforts qu’elle déployait pour réunir le capital et acquérir l’expérience nécessaire à la fourniture de SCP. Elle soutient qu’Industrie Canada l’a encouragée à persévérer.

[9] Au mois de juin 1995, Industrie Canada a lancé une invitation à soumettre des demandes de licences de SCP et a publié un énoncé de politique décrivant la politique et la procédure qui devaient servir de cadre aux demandes des fournisseurs potentiels. L’énoncé de politique indiquait qu’Industrie Canada délivrerait jusqu’à six licences en fonction des critères qu’elle avait définis. Selon TeleZone, Industrie Canada disait avoir pour politique générale de favoriser la délivrance d’un nombre maximal de licences afin de stimuler la concurrence et de donner un plus grand choix aux consommateurs. TeleZone a agi en fonction de cette politique.

[10] L’article 9.1 de l’invitation créait un processus de demande en trois étapes : (1) la déclaration d’intérêt des fournisseurs potentiels; (2) la présentation de demandes détaillées par les fournisseurs potentiels, (3) l’annonce des candidatures retenues et l’octroi des licences de SCP par Industrie Canada. Les articles 9.4 à 9.5.6 établissaient les critères d’évaluation applicables. Dans l’invitation, Industrie Canada ne s’était pas expressément réservé le droit d’examiner d’autres facteurs. TeleZone soutient qu’Industrie Canada ne pouvait prendre en compte d’autres critères que ceux qui étaient énoncés dans l’invitation.

[11] Au mois de septembre 1995, TeleZone a soumis sa demande détaillée de licence de SCP, dont la préparation lui aurait coûté environ 20 millions de dollars. Industrie Canada a rendu publique sa décision au sujet des licences de SCP en décembre 1995. Seules quatre demandes avaient été retenues. Celle de TeleZone n’en faisait pas partie.

[12] Dans sa déclaration modifiée, TeleZone allègue que l’énoncé de politique comportait une condition expresse ou implicite portant qu’Industrie Canada délivrerait moins de six licences uniquement si moins de six demandes répondaient aux critères (par. 12). Elle affirme que sa demande satisfaisait à tous les critères énumérés dans l’invitation. Elle soutient, en conséquence, que le ministre a dû appliquer d’autres facteurs pour rejeter sa demande (par. 17). Ces autres facteurs n’ont pas été communiqués à TeleZone.

[13] TeleZone fonde le volet contractuel de sa cause sur l’existence d’un contrat (le « Contrat A »), né du processus d’appel d’offres, qui obligeait Industrie Canada à se conformer à l’invitation et à l’énoncé de politique et à traiter tous les demandeurs de licence avec équité et bonne foi dans l’attribution des licences de SCP (m.i., par. 133). Elle prétend que la Couronne a contrevenu au Contrat A (1) en octroyant moins de licences que le nombre annoncé, (2) en ne s’en tenant pas aux exigences formulées dans l’invitation, notamment aux critères qui y étaient énumérés (par. 134), et (3) en manquant à son obligation de diligence et à son obligation d’agir de bonne foi (par. 135).

[14] Dans sa déclaration modifiée, TeleZone ne conteste pas la décision du ministre concernant l’octroi des licences; elle ne cherche pas à obtenir de licence ni à faire retirer leur licence aux candidats retenus. Elle réclame simplement des dommages-intérêts. Elle soutient en conséquence que la question de la validité des licences octroyées aux autres demandeurs ne se pose pas puisque deux autres licences de SCP pouvaient encore être délivrées aux termes de l’invitation et de l’énoncé de politique et qu’elle conteste seulement la conduite de la Couronne à son endroit (par. 136).

II. Historique judiciaire

A. Cour supérieure de justice de l’Ontario (le juge Morawetz) (2007), 88 O.R. (3d) 173

[15] Le procureur général a présenté une requête préliminaire visant le rejet de l’action de TeleZone pour défaut de compétence, soutenant que cette dernière devait obtenir l’annulation de la décision du ministre par voie de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale avant d’intenter un recours civil contre la Couronne. TeleZone a répliqué que son recours repose sur des causes d’action distinctes de celles d’une demande de contrôle judiciaire. Elle ne cherche pas à faire annuler les licences; elle cherche à obtenir des dommages-intérêts pour négligence, inexécution de contrat ou enrichissement injustifié. Le juge Morawetz a rejeté la requête, estimant que l’action de TeleZone devant la Cour supérieure n’était pas manifestement vouée à l’échec.

B. Cour d’appel de l’Ontario (les juges Laskin, Borins et Feldman), 2008 ONCA 892, 94 O.R. (3d) 19

[16] Dans un jugement unanime, le juge Borins a conclu que l’art. 17 de la LCF et l’art. 21 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif confèrent aux cours supérieures et à la Cour fédérale une compétence concurrente à l’égard des demandes de réparation contre la Couronne. Compte tenu de sa compétence générale et inhérente, la Cour supérieure de l’Ontario connaît de toutes les causes d’action, à moins qu’une disposition législative ou une convention d’arbitrage ne prévoie le contraire. L’article 18 de la LCF a soustrait les brefs de prérogative et recours extraordinaires qui y sont énumérés à la compétence des cours supérieures (par. 94). Puisque le recours entrepris par TeleZone (action en dommages-intérêts) n’est pas énuméré à l’art. 18, le juge Borins est arrivé à la conclusion que la Cour supérieure demeure compétente. L’appel a été rejeté.

III. Dispositions pertinentes

[17] Loi constitutionnelle de 1867

101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi, lorsque l’occasion le requerra, adopter des mesures à l’effet de créer, maintenir et organiser une cour générale d’appel pour le Canada, et établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7

2. (1) . . .

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

17. (1) [Réparation contre la Couronne] Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne.

(2) [Motifs] Elle a notamment compétence concurrente en première instance, sauf disposition contraire, dans les cas de demande motivés par :

. . .

b) un contrat conclu par ou pour la Couronne;

. . .

d) une demande en dommages-intérêts formée au titre de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif.

(5) [Actions en réparation] Elle a compétence concurrente, en première instance, dans les actions en réparation intentées :

. . .

b) contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits — actes ou omissions — survenus dans le cadre de ses fonctions.

18. (1) [Recours extraordinaires : offices fédéraux] Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

. . .

(3) [Exercice des recours] Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

18.1 (1) [Demande de contrôle judiciaire] Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

(2) [Délai de présentation] Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

(3) [Pouvoirs de la Cour fédérale] Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

18.4 (1) [Procédure sommaire d’audition] Sous réserve du paragraphe (2), la Cour fédérale statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés dans le cadre des articles 18.1 à 18.3.

(2) [Exception] Elle peut, si elle l’estime indiqué, ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50

3. [Responsabilité] En matière de responsabilité, l’État est assimilé à une personne pour :

a) dans la province de Québec :

(i) le dommage causé par la faute de ses préposés,

(ii) le dommage causé par le fait des biens qu’il a sous sa garde ou dont il est propriétaire ou par sa faute à l’un ou l’autre de ces titres;

b) dans les autres provinces :

(i) les délits civils commis par ses préposés,

(ii) les manquements aux obligations liées à la propriété, à l’occupation, à la possession ou à la garde de biens.

8. [Sauvegarde de la prérogative et des pouvoirs de l’État] Les articles 3 à 7 n’ont pas pour effet d’engager la responsabilité de l’État pour tout fait — acte ou omission — commis dans l’exercice d’un pouvoir qui, sans ces articles, s’exercerait au titre de la prérogative royale ou d’une disposition législative, et notamment pour les faits commis dans l’exercice d’un pouvoir dévolu à l’État, en temps de paix ou de guerre, pour la défense du Canada, l’instruction des Forces canadiennes ou le maintien de leur efficacité.

21. (1) [Compétence concurrente des tribunaux provinciaux] Dans les cas de réclamation visant l’État pour lesquels la Cour fédérale n’a pas compétence exclusive, a compétence concurrente en la matière la cour supérieure de la province où survient la cause d’action.

IV. Analyse

[18] C’est essentiellement l’accès à la justice qui est en cause en l’espèce. Les personnes qui prétendent avoir subi un préjudice attribuable à une mesure administrative doivent pouvoir exercer les recours autorisés par la loi au moyen de procédures réduisant au minimum les frais et complexités inutiles. Notre Cour doit aborder cette question d’un point de vue pratique et pragmatique en gardant cet objectif à l’esprit.

[19] Le demandeur qui veut obtenir l’annulation d’une décision de l’administration fédérale doit procéder par voie de contrôle judiciaire, comme le précise l’arrêt Grenier. Par contre, s’il ne s’oppose pas à ce que la décision continue de s’appliquer, mais cherche plutôt à se faire indemniser des pertes qu’il dit avoir subies (comme en l’espèce), il n’existe aucune raison logique de lui imposer l’étape supplémentaire d’un détour devant la Cour fédérale pour le contrôle judiciaire de la décision (entreprise pouvant parfois se révéler coûteuse en soi), alors que ce n’est pas le recours qui lui convient. L’accès à la justice exige que le demandeur puisse exercer directement le recours qu’il a choisi et, autant que possible, sans détours procéduraux.

[20] Selon le procureur général, il est nécessaire de passer par la Cour fédérale parce que l’action en dommages-intérêts constitue une « contestation indirecte » interdite « implicitement » par l’art. 18 de la LCF. En bref, voici son argument :

[traduction] On ne saurait permettre qu’il soit possible de contourner la volonté du législateur que le contrôle des décisions administratives fédérales soit réservé à la Cour fédérale en demandant simplement des dommages-intérêts ou une autre forme de réparation qui ne peut être obtenue par voie de contrôle judiciaire devant cette cour.

(Mémoire du P.G.[1], par. 4)

[21] Le procureur général reconnaît que le contrôle judiciaire ne s’impose pas [traduction] « dans toutes les affaires intéressant de quelque façon une décision ou la conduite d’un office fédéral » (par. 29), mais il affirme que ce détour est nécessaire lorsque la demande met directement ou indirectement en cause la « validité et l’illégalité » d’une telle décision (par. 2). La notion de « légalité » est très large. Le procureur général utilise les termes « invalide » et « illégal » de façon conjonctive (voir, p. ex., le par. 49). Il semble qualifier d’illégale presque toute décision de l’administration fédérale pouvant mener à la conclusion qu’il y a eu faute au sens du droit privé, mais il exclut les actes bureaucratiques comme la fourniture de renseignements erronés, la négligence dans l’accomplissement « d’une tâche ou d’une activité physique » ou le manquement à une obligation d’avertissement (mémoire, par. 50).

[22] Le procureur général craint de voir resurgir partout au Canada le spectre de l’incohérence et de l’incertitude auxquelles la LCF visait à remédier si différents recours en dommages-intérêts découlant des mêmes décisions de l’administration fédérale, ou de décisions connexes, pouvaient être instruits par divers juges de différentes cours supérieures. Il s’agit là cependant d’une préoccupation dont le législateur a sûrement tenu compte lorsqu’il a conféré aux cours supérieures une compétence concurrente dans les cas de demande de réparation contre la Couronne fédérale. Il ne fait aucun doute que la juxtaposition des articles 17 et 18 de la LCF entraîne un certain chevauchement de l’objet des recours dans le cadre desquels l’administration fédérale doit rendre compte de ses décisions. Ce chevauchement est indissociable d’un régime législatif qui donne aux demandeurs le « choix » de s’adresser à une cour provinciale, si c’est le tribunal qui leur « convient le mieux » (voir la déclaration du ministre de la Justice devant le Parlement, Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 34e lég., 1er novembre 1989, p. 5414, reproduite ci-dessous, au par. 58).

[23] Je ne crois pas que le respect de l’intention du législateur, telle qu’elle se dégage du texte, du contexte et des objets de la LCF, exige une procédure astreignante faisant appel à deux juridictions différentes pour tous les recours en dommages-intérêts qui mettent directement ou indirectement en cause la validité ou la légalité d’une décision fédérale. Seul un texte législatif clair et explicite pourrait l’exiger. Or, à mon avis, ni la LCF ni la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif n’ont cet effet. Non seulement elles ne comportent aucune disposition en ce sens, mais les inférences raisonnables que l’on peut tirer de ces deux lois et, plus particulièrement, de l’octroi aux cours supérieures provinciales d’une compétence concurrente dans les cas de demande de réparation contre la Couronne mènent à la conclusion opposée.

A. La nature du contrôle judiciaire

[24] Le procureur général souligne avec raison [traduction] « les différences substantielles entre les principes de droit public et les principes de droit privé » (mémoire, par. 6). Le contrôle judiciaire s’intéresse à la légalité, à la raisonnabilité et à l’équité du processus suivi et des mesures prises par l’administration publique. Il est conçu pour assurer la primauté du droit et le respect de la Constitution. Son but premier est le bon gouvernement. Ces objectifs publics se distinguent fondamentalement de ceux qui sous-tendent les instances en matière contractuelle et délictuelle ou les causes d’action régies par le Code civil du Québec, L.R.Q., c. C-1991, et les recours qui leur sont associés, lesquels visent principalement à redresser un tort privé au moyen d’une indemnité ou d’une autre réparation.

[25] Toutes les décisions invalides de l’administration publique ne causent pas de préjudice financier à des parties privées. Tous les préjudices financiers effectivement subis ne donnent pas ouverture à un recours de droit privé. Les fonctions judiciaires et législatives subordonnées n’engagent généralement pas la responsabilité civile de l’État. Ce qui est en jeu ici, en pratique, ce sont les décisions du pouvoir exécutif, rendues par les ministres et les fonctionnaires, qui causent un préjudice justifiable ou non par la défense de pouvoir d’origine législative.

[26] Le contrôle judiciaire a pour objet d’annuler les décisions invalides de l’administration publique — ou d’obliger l’administration publique à agir ou à ne pas agir — au moyen d’un processus expéditif. Par exemple, une librairie aura davantage intérêt à ce que les autorités douanières autorisent l’entrée au Canada d’ouvrages étrangers visés par des allégations non fondées d’obscénité qu’à toucher une indemnité pour la perte de profits négligeable afférente à chaque ouvrage refusé (Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, [2007] 1 R.C.S. 38). C’est pourquoi l’art. 18.1 de la LCF prévoit une procédure sommaire assortie d’un délai de 30 jours. Il n’y a pas de communication préalable de la preuve, hormis celle fournie par les affidavits et le contre-interrogatoire de leur auteur. Le juge des requêtes n’entend pas de témoins. Le contrôle judiciaire ne permet pas d’obtenir des dommages-intérêts. Ce recours convient au demandeur qui veut attaquer directement et rapidement la mesure (ou l’inaction) dont il se plaint. Par contre, celui qui réclame des dommages-intérêts n’est souvent pas en mesure d’établir dans un délai de 30 jours la nature ou l’importance du préjudice subi et doit pouvoir bénéficier d’une enquête préalable pour recueillir la preuve du bien-fondé de son recours ou constater qu’il ne peut l’établir.

[27] Il faut donc se demander quel intérêt pratique il y a, pour la partie qui demande une indemnité plutôt que l’annulation d’une décision de l’administration publique, à suivre la procédure faisant appel à deux juridictions décrite dans Grenier. Une demande de contrôle judiciaire ne serait, par exemple, d’aucune utilité pratique pour TeleZone. Le principal fondement de son recours est l’inexécution d’un présumé contrat issu d’un appel d’offres. Cependant, elle ne recherche plus l’exécution du contrat (ou l’obtention de la licence de SCP); elle veut être indemnisée des coûts substantiels qu’elle a engagés inutilement et des profits qu’elle a perdus. Le procureur général ne fait pas valoir que le contrat issu d’un appel d’offres (s’il a pris naissance) était ultra vires ni qu’un pouvoir d’origine législative justifie l’inexécution alléguée (si celle-ci est avérée). Il soutient plutôt que la demande de TeleZone conteste indirectement la décision, prise par le ministre sous le régime de la Loi sur la radiocommunication, de ne pas lui accorder de licence de SCP. Dans le cas de TeleZone, le contrôle judiciaire de la décision du ministre ne réparerait pas le préjudice qu’elle dit avoir subi et ne pourrait vraisemblablement guère donner de résultat, si ce n’est un allongement des délais et une augmentation des coûts.

[28] TeleZone invoque aussi la négligence. La responsabilité délictuelle procède bien sûr d’un acte fautif, et non de la nullité. Comme la Cour l’a clairement établi il y a longtemps, dans La Reine du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205, p. 222-225, il n’est ni nécessaire ni suffisant, pour fonder un recours de droit privé, qu’il y ait eu contravention à la loi. La contravention n’est pas nécessaire, car une décision tout à fait valide de l’administration publique peut néanmoins engager sa responsabilité contractuelle (Agricultural Research Institute of Ontario c. Campbell-High (2002), 58 O.R. (3d) 321 (C.A.), autorisation d’appel refusée, [2003] 1 R.C.S. vii) ou délictuelle (Ryan c. Victoria (Ville), [1999] 1 R.C.S. 201).

[29] Une irrégularité dans l’exercice d’un pouvoir d’origine législative ne suffit pas non plus. De nombreuses pertes causées par des décisions de l’administration publique ne génèrent aucune cause d’action reconnue en droit. Comme le signale avec justesse le procureur général : [traduction] « Même une déclaration de nullité ou d’invalidité d’une décision discrétionnaire d’un office fédéral ne crée pas en soi une cause d’action en responsabilité délictuelle ou en responsabilité civile selon le régime québécois de droit civil » (mémoire, par. 28).

[30] Par ailleurs, la juge Charron a écrit, dans Miazga c. Kvello (Succession), 2009 CSC 51, [2009] 3 R.C.S. 339 : « Lorsqu’un procureur de la Couronne agit avec malveillance au mépris des obligations découlant de sa charge, l’accusé qui en subit un préjudice dispose d’un recours au civil. Cependant, le délit civil de poursuites abusives ne donne pas lieu à un contrôle judiciaire rétrospectif de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministère public » (par. 7 (je souligne)). H. Woolf, J. Lowell et A. Le Sueur soulignent, dans De Smith’s Judicial Review (6e éd. 2007), que [traduction] « [l]’illégalité (au sens qu’elle revêt en matière de contrôle judiciaire) et la négligence sont deux concepts distincts » (p. 924-925). Autrement dit, bien que la responsabilité délictuelle de la Couronne et la validité d’une décision administrative sous‑jacente puissent faire intervenir des considérations qui se recoupent, elles soulèvent des questions justiciables distinctes.

[31] Souvent, la principale difficulté que la partie lésée par une décision prise en application de la loi doit surmonter pour être indemnisée par l’administration publique ne tient pas aux aspects de droit public de la décision, mais au fardeau qui lui incombe d’invoquer une cause d’action valable de droit privé et de réfuter des moyens de défense spéciaux comme la défense de pouvoir d’origine législative. Dans Cooper c. Hobart, 2001 CSC 79, [2001] 3 R.C.S. 537, par exemple, certains investisseurs alléguaient que la conduite du registrateur des courtiers en hypothèques avait compté pour beaucoup dans les pertes qu’ils avaient subies, mais la Cour a jugé que le lien de proximité entre le registrateur et ces investisseurs n’était pas suffisamment étroit pour donner naissance à une obligation de diligence. Voir également Edwards c. Barreau du Haut‑Canada, 2001 CSC 80, [2001] 3 R.C.S. 562; Holland c. Saskatchewan, 2008 CSC 42, [2008] 2 R.C.S. 551, par. 8.

[32] L’adoption de la Loi sur la Cour fédérale, S.C. 1970‑71‑72, ch. 1, et les modifications qui y ont été apportées en 1990 visaient à accroître la responsabilité de l’administration publique ainsi qu’à promouvoir l’accès à la justice. Il faut donc en interpréter le libellé de façon à promouvoir ces objets. À mon humble avis, la démarche suivie dans Grenier ne le permet pas, comme nous le verrons maintenant.

B. L’affaire Grenier

[33] La portée de l’arrêt Grenier va peut‑être plus loin que ne l’entendait la cour qui l’a rendu.

[34] L’affaire Grenier ne portait pas sur un conflit entre la Cour fédérale et une cour supérieure provinciale. Il s’agissait de déterminer quelle voie de droit devant la Cour fédérale elle‑même devait emprunter un détenu d’un pénitencier fédéral qui prétendait avoir subi un préjudice du fait de son placement en isolement préventif pendant 14 jours sous le régime de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20. Le détenu n’avait pas demandé le contrôle judiciaire de la décision du directeur de l’établissement. Il avait plutôt attendu trois ans avant d’intenter une action en dommages-intérêts contre l’administration fédérale en vertu de l’art. 17 de la LCF. En première instance, la décision de le placer en isolement préventif a été jugée arbitraire. Il a obtenu des dommages-intérêts compensatoires et exemplaires s’élevant à 5 000 $.

[35] En appel, le procureur général a fait valoir que le détenu aurait dû demander le contrôle judiciaire de son isolement préventif en application de l’art. 18 de la Loi avant d’intenter son recours en dommages-intérêts en vertu de l’art. 17. Elle a soutenu, essentiellement, que la LCF offrait plusieurs avenues procédurales, mais que le détenu n’avait pas emprunté la bonne voie en s’engageant dans celle prévue à l’art. 17 plutôt qu’à l’art. 18. La Cour d’appel fédérale lui a donné raison, signalant que « le Parlement a confié à une seule cour, la Cour fédérale, l’exercice du contrôle de la légalité des décisions des organismes fédéraux. Ce contrôle doit s’exercer et s’exerce, aux termes de l’article 18, seulement par la présentation d’une demande de contrôle judiciaire » (par. 24 (je souligne)). La Cour d’appel a jugé que l’action en dommages-intérêts fondée sur l’art. 17, même si elle était intentée devant le même tribunal, n’en constituait pas moins une contestation indirecte interdite de la décision de l’autorité carcérale (par. 32-33), parce que le tribunal de première instance « devait contrôler la légalité de la décision du directeur [. . .] et l’annuler » (par. 34), ce qui ne pouvait se faire qu’en application de l’art. 18 de la LCF. Elle a estimé qu’il fallait empêcher l’érosion de la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire et de la procédure particulière établie à son égard par le législateur. Selon l’arrêt Grenier, une telle conclusion était compatible avec R. c. Consolidated Maybrun Mines Ltd., [1998] 1 R.C.S. 706.

[36] Toujours suivant l’arrêt Grenier, il était sans conséquence que l’isolement préventif ait pris fin depuis longtemps. « [U]ne décision d’un organisme fédéral, comme celle en l’espèce du directeur, conserve sa force et son autorité légales, demeure juridiquement opérante et produit des effets légaux tant qu’elle n’a pas été invalidée » (par. 19). En conséquence, même après avoir cessé de produire ses effets, la mesure carcérale fournissait toujours une défense complète à l’action en dommages-intérêts fondée sur l’art. 17.

[37] Récemment, l’enthousiasme de la Cour d’appel fédérale elle-même à l’égard du « cloisonnement » établi dans Grenier a semblé s’estomper. Dans Hinton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 215, [2009] 1 R.C.F. 476, elle a permis qu’une demande de contrôle judiciaire soit convertie en action en dommages-intérêts, aussi autorisée à titre de recours collectif. Le juge Sexton a fait le commentaire suivant : « Parfois, comme en l’espèce, il peut s’avérer trop lourd d’intenter une action distincte en dommages-intérêts, concurremment ou subséquemment à une demande de contrôle judiciaire » (par. 50).

[38] Plus récemment encore, dans l’arrêt Parrish & Heimbecker Ltd. c. Canada (Ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2008 CAF 362, [2009] 3 R.C.F. 568 (dont l’appel a été instruit par notre Cour concurremment avec le présent pourvoi), la juge Sharlow, dissidente, a exprimé l’opinion que « [l]e principe établi dans l’arrêt Grenier a [. . .] été élaboré sans tenir compte de certains des aspects du régime législatif applicable au contentieux fédéral de l’État [dont la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif], ce qui, à mon avis, soulève des doutes au sujet de l’analyse de l’arrêt Grenier » (par. 41).

[39] Pour leur part, certaines cours provinciales ont adopté le raisonnement formulé dans Grenier : voir, notamment, Donovan c. Canada (Attorney General), 2008 NLCA 8, 273 Nfld. & P.E.I.R. 116; Lidstone c. Canada (Minister of Canadian Heritage), 2008 PESCTD 6, 286 Nfld. & P.E.I.R. 244. La plupart des cours provinciales ne l’ont toutefois pas suivi ou ont conclu que des distinctions s’imposaient : voir, notamment, River Valley Poultry Farm Ltd. c. Canada (Attorney General), 2009 ONCA 326, 95 O.R. (3d) 1, par. 30; Los Angeles Salad Co. c. Canadian Food Inspection Agency, 2009 BCSC 109, 92 B.C.L.R. (4th) 379, par. 24; Leroux c. Canada Revenue Agency, 2010 BCSC 865, 2010 D.T.C. 5123, par. 54; voir aussi Fantasy Construction Ltd., Re, 2007 ABCA 335, 89 Alta. L.R. (4th) 93, par. 43; Genge c. Canada (Attorney General), 2007 NLCA 60, 270 Nfld. & P.E.I.R. 182, par. 34.

C. La conception large de l’arrêt Grenier invoquée par le procureur général

[40] Suivant le procureur général, l’arrêt Grenier confirme que, lorsque la « légalité » d’une décision ou ordonnance administrative est en cause, ni la Cour fédérale ni une cour supérieure provinciale n’ont compétence pour instruire une action en dommages-intérêts sans contrôle judiciaire préalable au moyen de la procédure « particulière » établie à l’art. 18 de la LCF. Le procureur général emploie l’expression [traduction] « invalidité ou légalité » et signale que celle-ci peut s’étendre même aux recours contractuels. Il cite l’arrêt Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694, p. 703-706, dans lequel la Cour d’appel fédérale a jugé que l’exercice par un ministre du pouvoir légal de lancer un appel d’offres et de conclure des marchés concernant la location de biens-fonds par la Couronne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Voir aussi Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116 (CanLII), par. 21-25, autorisation d’appel refusée, [2009] 3 R.C.S. vii. Toutefois, dans l’arrêt Martel Building Ltd. c. Canada, 2000 CSC 60, [2000] 2 R.C.S. 860, qui portait lui aussi sur un appel d’offres, notre Cour a rejeté la demande, en définitive, mais elle n’a pas indiqué qu’un recours en dommages-intérêts contre la Couronne devait être précédé d’un contrôle judiciaire.

[41] De plus, je ne pense pas que Consolidated Maybrun ou le pourvoi connexe R. c. Al Klippert Ltd., [1998] 1 R.C.S. 737, appuient la position du procureur général. Ces affaires soulevaient la question très étroite de savoir si une personne accusée au criminel de ne pas s’être conformée à une ordonnance administrative pouvait, en défense, contester la validité de l’ordonnance bien qu’elle ne se fût pas prévalue de la procédure d’appel prévue par la loi sous le régime de laquelle l’ordonnance avait été rendue. Dans les deux cas, la Cour a conclu, après un examen minutieux de la loi de nature réglementaire en vertu de laquelle l’ordonnance avait été rendue, qu’autoriser une telle défense « encouragerait un comportement contraire aux objectifs de la Loi [de nature réglementaire] et tendrait à miner son efficacité » (Consolidated Maybrun, par. 60). Ces arrêts établissent en conséquence une position assez nuancée quant à savoir si une contestation indirecte est possible ou non. La réponse à cette question dépend largement de l’analyse que fait le tribunal de la loi dont découle la décision et exige qu’on recherche « l’intention législative quant au forum approprié » pour le règlement du différend (Consolidated Maybrun, par. 52). À mon avis, étant donné les considérations de principe susmentionnées, c’est l’adoption de l’approche retenue dans Grenier qui [traduction] « tendrait à miner [l’]efficacité » des réformes mises en place par la LCF, qui visaient notamment à ce qu’une cour supérieure provinciale devienne tout autant un « forum approprié » pour le règlement efficace des réclamations pécuniaires contre la Couronne fédérale.

D. La compétence des cours supérieures provinciales

[42] À ce stade de l’analyse, il faut se rappeler que la compétence des cours supérieures provinciales ne peut être amoindrie (en faveur de la Cour fédérale ou d’un autre tribunal) que si une disposition législative claire le prévoit expressément. « [L]a dévolution d’une compétence exclusive à un tribunal créé par loi et la perte corrélative de cette compétence par les cours supérieures provinciales [. . .] doit être énoncée expressément en termes clairs dans la loi » : Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, par. 46; voir aussi Pringle c. Fraser, [1972] R.C.S. 821, p. 826; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, par. 38. Dans son argumentation, le procureur général accorde trop d’importance à ce qu’il perçoit comme les inférences négatives qu’il faut tirer de l’art. 18.

[43] La formule souvent répétée en common law veut que [traduction] « rien n’est censé échapper à la compétence d’une cour supérieure sauf ce qui paraît en être spécialement exclu et, inversement, rien n’est censé relever de la compétence d’une cour d’instance inférieure sauf ce qui est expressément déclaré en relever » : Peacock c. Bell (1667), 1 Wms. Saund. 73, 85 E.R. 84, p. 87-88. À l’opposé, la compétence de la Cour fédérale est purement d’origine législative.

[44] Le terme « compétence » désigne simplement l’ensemble des attributions qui permettent à un tribunal judiciaire ou administratif de rendre des ordonnances ou jugements susceptibles d’exécution. Un tribunal judiciaire est compétent s’il possède « une compétence ratione personae et ratione materiae [. . .] et s’il détient en outre le pouvoir de rendre l’ordonnance sollicitée » : Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, le juge McIntyre, p. 960 — citant le juge Brooke dans R. c. Morgentaler (1984), 41 C.R. (3d) 262, p. 271 — et le juge Lamer, dissident, p. 890; voir aussi R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588, p. 603; R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575, par. 15; R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765. Le procureur général ne nie pas que la Cour supérieure a compétence ratione personae à l’égard des parties ni qu’elle a le pouvoir d’octroyer des dommages-intérêts. Le litige porte sur la compétence relative à l’objet du litige.

[45] Il est vrai que, sous réserve de restrictions constitutionnelles (voir, p. ex., Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307, et d’arrêts relatifs à l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, non pertinents en l’espèce), le législateur peut transférer un pouvoir appartenant aux cours supérieures à d’autres organismes juridictionnels, comme la Cour fédérale. Il l’a fait, notamment, en matière de contrôle judiciaire des décisions de l’administration fédérale : Conseil canadien des relations du travail c. Paul L’Anglais Inc., [1983] 1 R.C.S. 147, p. 154. C’est toutefois au procureur général qu’il incombe de démontrer qu’une disposition législative claire, explicite et non équivoque a opéré un tel transfert juridictionnel et d’en établir la portée.

[46] Rien dans la LCF ne lui permet de faire cette démonstration. En effet, comme il en a été fait mention, l’octroi explicite aux cours supérieures provinciales d’une compétence concurrente en matière de demandes de réparation contre la Couronne, à l’art. 17 (ainsi qu’à l’art. 21 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif), réfute directement l’hypothèse d’un transfert. Comme la juge Sharlow, dissidente, l’a signalé dans Parrish & Heimbecker Ltd. (appel accueilli et jugement rendu concurremment avec le présent arrêt, 2010 CSC 64, [2010] 3 R.C.S. 639), l’art. 8 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, qui codifie la défense de pouvoir d’origine législative, prouve que le législateur prévoyait que la cour supérieure provinciale saisie d’une action en dommages-intérêts se prononcerait sur la légalité de la décision dans le cadre de cette action (par. 39).

E. Les « inférences » proposées à partir de l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales

[47] Une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de la LCF combine l’allégation qu’un office fédéral n’a pas respecté les principes fondamentaux du droit public et la revendication de l’une des réparations énumérées au par. 18(1). La compétence exclusive de la cour fédérale se limite à cette procédure. Comme notre Cour l’a récemment signalé dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, « [l]a Loi sur les Cours fédérales résulte de la décision prise par le législateur en 1971 de retirer aux cours supérieures des provinces leur compétence en matière de brefs de prérogative, jugements déclaratoires et injonctions visant des offices fédéraux » (par. 34). L’article 18 n’interdit pas qu’un litige sur la légalité de l’exercice d’un pouvoir d’origine législative soit tranché lors d’un procès tenu en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif devant la cour supérieure provinciale ou en vertu de l’art. 17 de la LCF elle-même.

[48] Selon le procureur général, un raisonnement axé sur les « recours », semblable à la position retenue par la Cour d’appel de l’Ontario en l’espèce, entraîne [traduction] « une interprétation rigide, formaliste et littérale » de l’art. 18 (mémoire, par. 66) et n’accorde pas assez d’importance au contexte et, plus particulièrement, à l’intention du législateur. Je suis d’accord qu’il est indispensable de tenir compte du contexte et de l’intention du législateur pour bien interpréter l’art. 18, mais je ne pense pas qu’une méthode d’interprétation large et contextuelle serve l’argumentation du procureur général.

(i) Le contexte parlementaire

[49] En 1971, le contexte entourant les débats parlementaires était marqué par la multiplication des régimes de réglementation fédérale, le sentiment qu’une [traduction] « perspective nationale » s’imposait en matière de contrôle judiciaire et des préoccupations concernant le manque d’uniformité dans l’exercice du pouvoir de surveillance des différentes cours supérieures provinciales du pays sur les offices fédéraux (voir D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), par. 2:4100). Le législateur a donc transformé radicalement l’ancienne Cour de l’Échiquier pour créer la Cour fédérale et il a établi une nouvelle procédure, qui a conféré à la Cour fédérale son pouvoir de surveillance sur les décideurs fédéraux.

[50] En 1970, le ministre de la Justice a souligné que la question qui préoccupait le législateur était celle de la surveillance (non de l’indemnisation) et qu’il s’inquiétait plus particulièrement de la fragmentation du contrôle judiciaire exercé sur les organismes juridictionnels fédéraux. Ainsi, une décision importante de l’Office national de l’énergie, p. ex., aurait pu être jugée valide et confirmée par la cour supérieure d’une province, mais annulée par une cour supérieure d’une autre province :

Cette surveillance multiple [par les cours provinciales], en l’absence d’uniformité dans la jurisprudence et son application, peut nuire sérieusement non seulement aux offices et commissions eux-mêmes, mais aussi à ceux qui comparaissent devant eux. [. . .] Pour cette raison [. . .] on a jugé que ce pouvoir de surveillance ne devait être conféré qu’à une seule cour dont la juridiction est d’ordre national, comme celle des offices, commissions et tribunaux fédéraux eux-mêmes. Le bill est donc destiné à établir sur une base unique et uniforme le pouvoir de surveillance exercé sur les commissions et offices fédéraux et à les placer sur le même pied sous ce rapport que les commissions et offices provinciaux.

(Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 28e lég., 25 mars 1970, p. 5470-5471; voir aussi le mémoire du P.G., par. 79; Khosa, par. 34.)

Toutefois, la définition extrêmement large d’« office fédéral » figurant à l’art. 2 dépasse largement l’idée qu’on se fait généralement de ce concept, et sa très vaste portée a provoqué plus tard (peut-être de façon involontaire) la controverse en cause dans Grenier sur la façon de traiter le chevauchement de l’objet du contrôle judiciaire et de l’instruction des demandes d’indemnisation en common law fondées sur la faute. L’octroi d’une compétence concurrente à l’art. 17 n’écarte pas la possibilité de jugements contradictoires, mais le législateur a accepté de composer avec ce risque au nom d’un meilleur accès à la justice.

(ii) Le libellé de la loi

[51] L’attribution de la compétence exclusive en matière de contrôle judiciaire des décisions de l’administration fédérale figure à l’art. 18 de la LCF, et elle est énoncée sous forme de recours particuliers :

18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

. . .

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

[52] Tous les recours énumérés à l’al. 18(1)a) sont des recours classiques du droit administratif, y compris les quatre brefs de prérogative — certiorari, mandamus, prohibition et quo warranto — et les demandes d’injonction et de jugement déclaratoire en droit administratif. L’article 18 ne prévoit pas l’octroi de dommages-intérêts. L’indemnisation n’est pas possible dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire. De même, on ne peut, dans le cadre d’une action en dommages-intérêts, demander par surcroît un jugement déclaratoire ou une injonction visant à empêcher la mise en œuvre d’une décision administrative prétendument illégale. Pareille demande est du ressort de la Cour fédérale.

(iii) Interprétation de la loi dans son ensemble

[53] Beaucoup d’éléments intrinsèques des art. 18 et 18.1 de la LCF indiquent que le législateur ne peut avoir eu l’intention de faire du contrôle judiciaire une épreuve préliminaire comme le laisse entrevoir l’arrêt Grenier.

[54] Comme je l’ai mentionné, le délai de 30 jours applicable à la présentation des demandes de contrôle judiciaire sous le régime du par. 18.1(2) de la LCF constitue l’un de ces éléments. Un délai aussi court convient à une procédure sommaire et expéditive de contrôle judiciaire, mais non à une action en dommages-intérêts. Le délai de prescription applicable à l’action de TeleZone en Ontario est de six ans. Il ne serait pas réaliste qu’une action en dommages-intérêts se prescrive par 30 jours. Il se pourrait qu’un demandeur ne soit pas en mesure de déposer sa demande de contrôle judiciaire dans un tel délai. Les faits nécessaires pour fonder un recours civil peuvent fort bien n’être connus qu’après 30 jours.

[55] Un juge de la Cour fédérale peut proroger par ordonnance le délai de 30 jours (par. 18.1(2)), mais il s’agit là d’une décision discrétionnaire, et l’issue d’une action civile intentée devant une cour supérieure serait ainsi subordonnée au pouvoir discrétionnaire d’un juge de la Cour fédérale statuant sur une demande de prorogation de délai en fonction de considérations de droit public et non de facteurs propres aux dommages-intérêts de droit civil. Concrètement, l’argument tiré de l’arrêt Grenier mènerait à l’application d’un délai de prescription discrétionnaire (fixé par la Cour fédérale) aux actions en dommages-intérêts contre la Couronne (intentées devant une cour supérieure provinciale), un résultat qui, à mon avis, ne peut correspondre à l’intention du législateur. Indépendamment de toute autre considération, ce résultat contrecarrerait l’art. 39 de la LCF selon lequel, règle générale, les instances introduites contre la Couronne devant la Cour fédérale sont assujetties aux règles de prescription régissant « les rapports entre particuliers » dans la province où le fait générateur de l’instance s’est produit ou se prescrivent par six ans à compter du fait générateur « lorsque celui-ci n’est pas survenu dans une province ».

[56] Notre Cour a récemment confirmé, dans Khosa, la nature discrétionnaire des décisions en matière de contrôle judiciaire et indiqué qu’une demande de contrôle peut être rejetée même lorsque le demandeur a établi l’existence de motifs qui justifieraient l’intervention de la cour :

. . . l’art. 18.1 énonce en termes généraux les motifs qui autorisent la Cour à prendre une mesure, sans lui en imposer l’obligation. La question de savoir si la cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder réparation dépendra de son appréciation des rôles respectifs des cours de justice et des organismes administratifs ainsi que des « circonstances de chaque cas ». [par. 36]

Voir aussi Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, p. 592-593; Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326, p. 372. Cette approche ne concorde pas avec le paradigme de l’action en dommages-intérêts de la common law, suivant lequel la preuve des éléments de la demande entraîne normalement l’indemnisation. En matière de contrôle judiciaire, [traduction] « la nature discrétionnaire du pouvoir de surveillance des tribunaux témoigne du fait que, contrairement au droit privé, il n’est pas et n’a jamais été axé exclusivement sur la défense des droits des particuliers » (Brown et Evans, par. 3:1100).

(iv) Les modifications apportées à la Loi sur les Cours fédérales en 1990

[57] La version actuelle de l’art. 17 de la LCF, qui n’est entré en vigueur que le 1er février 1992, permet d’intenter des poursuites civiles contre la Couronne fédérale devant les cours supérieures provinciales. Par souci de commodité, j’en reproduis les termes essentiels :

17. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne.

La compétence accordée est donc axée sur la réparation, c.‑à‑d. qu’elle est attribuée « dans les cas de demande de réparation », sauf disposition contraire. Le paragraphe 18(1) constitue une disposition contraire en ce qui concerne les formes de réparations qui y sont énumérées. Selon le par. 18(3), les recours de la nature d’un contrôle judiciaire « sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire ». La LCF ne prévoit aucune autre exclusion qui limiterait la portée de l’art. 17, et on n’a porté à notre attention aucune autre loi fédérale qui aurait cet effet.

[58] Voici ce que le ministre de la Justice a déclaré en 1989 devant le comité législatif chargé de l’examen du projet de loi C‑38 qui est à l’origine, notamment, de la version actuelle de l’art. 17 :

[N]ous avons inséré, dans ce projet de loi, une disposition permettant également aux tribunaux judiciaires des provinces d’instruire des litiges ordinaires, de common law et de droit civil, visant à obtenir réparation de la Couronne. Ces litiges relèvent actuellement de la compétence exclusive de la Cour fédérale. Cette disposition reconnaît que la Cour fédérale ne possède pas de connaissances spécialisées en matière de contrats et en matière d’actes délictuels. [Le Ministre a ensuite décrit les problèmes pratiques d’ordre juridictionnel ou procédural posés par l’exclusivité juridictionnelle de la Cour fédérale sur les autorités fédérales.]

(Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-38, no 1, 2e sess., 34e lég., 23 novembre 1989, p. 14-15)

Lors de la deuxième lecture du projet de loi, le ministre a souligné de nouveau que les modifications visaient à permettre à un demandeur de poursuivre la Couronne fédérale soit devant une cour supérieure provinciale, soit devant la Cour fédérale :

Par exemple, une poursuite fondée sur le bris d’un contrat d’achat de marchandises ou sur des blessures causées à un automobiliste par la négligence au volant d’un préposé de la Couronne devrait pouvoir être intentée devant le tribunal qui convient le mieux au demandeur. Actuellement, seule la Cour fédérale peut entendre de telles actions. Or, elle n’est pas aussi accessible que les cours provinciales.

. . .

De plus, citoyens et avocats connaissent mieux les cours provinciales, y compris leurs règles de pratique et leur personnel.

Il est donc évident que souvent la Cour fédérale n’est pas le tribunal qui convient le mieux aux parties privées. C’est pourquoi le gouvernement propose que les cours provinciales et la Cour fédérale se partagent la compétence relative à ce type d’actions. Ceci donnerait généralement au demandeur le choix du tribunal. [Je souligne.]

(Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 34e lég., 1er novembre 1989, p. 5414)

[59] S’il était retenu, l’argument du procureur général compromettrait l’objet et le but des modifications de 1990, en maintenant l’exclusivité juridictionnelle de la Cour fédérale à l’égard d’un élément fondamental de nombreux recours instruits devant les cours provinciales, en dépit de la promesse de donner au demandeur « le choix du tribunal » et de permettre aux parties l’accès aux cours supérieures provinciales que, vraisemblablement, elles « connaissent mieux ».

F. La règle relative à la contestation indirecte

[60] Selon le procureur général, permettre à TeleZone de faire trancher sa demande par la cour supérieure provinciale sans contrôle judiciaire préalable, c’est autoriser la « contestation indirecte » de la décision du ministre, ce qui est interdit. Notre Cour a décrit une contestation indirecte comme

une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de l’ordonnance ou du jugement.

(Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594, p. 599)

[61] Il s’agit d’une règle d’origine jurisprudentielle (qui doit donc céder le pas à un texte de loi contraire) fondée sur des considérations générales ayant trait à l’administration de la justice, comme l’explique l’arrêt Garland c. Consumers’ Gas Co., 2004 CSC 25, [2004] 1 R.C.S. 629, au par. 72 :

La règle interdisant les contestations indirectes a pour objet fondamental de « maintenir la primauté du droit et [de] préserver la considération dont jouit l’administration de la justice » (R. c. Litchfield, [1993] 4 R.C.S. 333, p. 349). On estime que l’intégrité du système de justice serait compromise si une partie pouvait échapper aux conséquences d’une ordonnance prononcée contre elle en s’adressant à un autre tribunal. La règle vise donc à empêcher une partie de contourner les effets d’une décision prononcée contre elle. [Je souligne.]

[62] Dans R. c. Litchfield, [1993] 4 R.C.S. 333, l’affaire criminelle mentionnée dans Garland, notre Cour a refusé d’appliquer la règle interdisant les contestations indirectes. Dans Garland, il s’agissait d’un recours collectif contre une société gazière dans lequel les demandeurs invoquaient l’enrichissement sans cause pour réclamer la restitution de pénalités pour paiement tardif approuvées par la Commission de l’énergie de l’Ontario (« Commission »). La société gazière a fait valoir en défense que la demande de restitution constituait une contestation indirecte de la décision de la Commission. Ce moyen de défense a été rejeté.

[63] Trois motifs m’amènent à rejeter l’argument du procureur général concernant la contestation indirecte. Premièrement, comme l’a souligné le juge Borins dans son savant jugement, le procureur général peut invoquer la doctrine de la contestation indirecte en défense devant la cour supérieure provinciale, s’il le juge opportun compte tenu des circonstances. La possibilité de recourir à ce moyen de défense ne peut cependant étayer la thèse de l’incompétence de la cour supérieure provinciale. Elle ne justifie pas non plus l’intervention de la Cour fédérale dans toutes les demandes de dommages-intérêts fondées sur la prétention que la décision de l’administration publique à l’origine de la perte était « nulle ou illégale ».

[64] Deuxièmement, TeleZone ne cherche pas à « échapper aux conséquences d’une ordonnance [du ministre] prononcée contre elle » (Garland, par. 72). Au contraire, elle fait de la décision du ministre et des pertes pécuniaires qui en auraient résulté les assises mêmes de sa demande de dommages-intérêts. C’est la conclusion qui a été tirée dans Garland, où le juge Iacobucci a déclaré, au nom de notre Cour :

Simplement en la lisant, on constate que la règle interdisant les contestations indirectes ne s’applique pas en l’espèce parce que l’action de l’appelant a pour objet précis non pas d’invalider ou de rendre inopérantes les ordonnances de la Commission, mais plutôt de recouvrer les sommes que l’intimée a perçues illégalement à la suite de ces ordonnances. Par conséquent, la règle interdisant les contestations indirectes ne s’applique pas. [Je souligne; par. 71.]

[65] De même, dans Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, la juge Arbour a refusé d’appliquer la règle interdisant les contestations indirectes. Dans cette affaire découlant de l’arbitrage d’un grief, le SCFP contestait les faits à l’origine de la déclaration de culpabilité d’un de ses membres pour agression sexuelle. La juge Arbour a dit de l’argument du syndicat qu’il s’agissait « d’une attaque implicite du bien-fondé factuel de la décision, non pas de la contestation de la validité juridique de celle-ci, puisqu’elle est manifestement valide » (par. 34).

[66] Troisièmement, l’argument du procureur général n’est pas fondé même si, comme le professeur David Mullan, on attribue une portée étendue à la règle interdisant les contestations indirectes :

[traduction] Pour établir la cause d’action [dans Garland], il fallait démontrer l’invalidité de l’ordonnance de la Commission sur laquelle le service public s’appuyait pour percevoir des intérêts. Il n’y aurait pas eu de cause d’action si l’ordonnance avait été valide. Il s’agissait à tous égards d’une contestation indirecte des ordonnances de la Commission. La contestation indirecte ne consiste pas et n’a jamais consisté seulement, à s’opposer à l’exécution d’une ordonnance. Elle est aussi en cause dans des cas où le demandeur dans un recours civil visant l’obtention d’une réparation pécuniaire ou autre doit attaquer une loi ou une ordonnance que le défendeur invoque pour justifier les mesures sur lesquelles le demandeur fonde son recours. . . [Je souligne.]

(D. J. Mullan, « Administrative Law Update — 2008‑2009 », préparé pour la Continuing Legal Education conference, Administrative Law Conference — 2009, octobre 2009, p. 1.1.22.)

Selon le professeur Mullan, la Cour aurait dû emprunter, dans Garland, la voie la plus rationnelle, à son avis, en appliquant les facteurs énoncés par la juge L’Heureux‑Dubé dans Consolidated Maybrun pour déterminer si la contestation indirecte d’une ordonnance administrative est interdite ou peut être autorisée. Ces facteurs sont : (1) les termes de la loi dont découle le pouvoir de rendre l’ordonnance; (2) l’objectif de la loi; (3) l’existence d’un droit d’appel; (4) la nature de la contestation indirecte eu égard à l’expertise du tribunal et à sa raison d'être (notamment, à la question de savoir si « le législateur a voulu donner juridiction pour entendre et trancher la question soulevée »); (5) la sanction imposable pour défaut d’avoir respecté l’ordonnance (par. 45, 50, 51 et 62). Les cours de justice ont aussi appliqué ces facteurs en matière civile : voir, de façon générale, K. Horsman et G. Morley, dir., Government Liability : Law and Practice (feuilles mobiles), p. 11-9.

[67] Une règle jurisprudentielle cède forcément le pas à un texte de loi contraire. Si l’on admet, pour reprendre les propos tenus par le professeur Mullan à la p. 1.1.22, que la règle interdisant les contestations indirectes peut être [traduction] « en cause dans des cas où le demandeur dans un recours civil visant l’obtention d’une réparation pécuniaire ou autre doit attaquer une loi ou une ordonnance que le défendeur invoque pour justifier les mesures sur lesquelles le demandeur fonde son recours », l’attribution d’une compétence concurrente à l’art. 17 contredit elle aussi l’argument du procureur général. Il en est ainsi parce qu’il est essentiel pour le demandeur d’« attaquer une loi ou une ordonnance » pour établir sa cause d’action, et qu’il faut statuer sur cette allégation (même si elle est faite en réplique) pour rendre une décision sur la demande. Le législateur a spécifié que les cours supérieures provinciales disposent de la compétence concurrente voulue pour trancher pareille demande dans son intégralité, et pas seulement en partie.

[68] En résumé, je partage l’opinion du juge Borins que la règle interdisant les contestations indirectes ne peut justifier l’approche proposée dans Grenier.

G. La défense de pouvoir d’origine législative

[69] La Couronne pourrait également faire valoir, en défense à une action en dommages-intérêts, que la décision administrative procède de l’exercice d’un pouvoir d’origine législative qui exclut l’indemnisation des pertes pouvant en résulter. Il s’agit là encore d’une question qui a trait à la défense, non à la compétence. Tout demandeur peut se voir opposer ce moyen. L’administration publique prend continuellement des décisions discrétionnaires qui causent des pertes à des particuliers ou à des entreprises sans qu’il en résulte une cause d’action reconnue en droit.

[70] Dans un cas de nuisance, par exemple, un propriétaire capable d’établir tous les éléments d’une action pour nuisance en common law pourrait quand même être débouté s’il est établi que l’administration publique avait le pouvoir d’agir comme elle l’a fait et que les dommages indirects subis par le demandeur sont le résultat inévitable de l’exercice de ce pouvoir. Voir, notamment, P. W. Hogg et P. J. Monahan, Liability of the Crown (3e éd. 2000), p. 139, et Horsman et Morley, p. 6-41.

[71] Comme on l’a vu, toutefois, la défense de « pouvoir d’origine législative » ne fournira pas toujours une défense complète à une action en dommages-intérêts. Dans certains cas, l’issue peut dépendre de la question de savoir si la loi autorise explicitement ou implicitement le fait générateur de dommages. Dans Tock c. St. John’s Metropolitan Area Board, [1989] 2 R.C.S. 1181, le juge Sopinka a précisé, en mentionnant les propos du vicomte Dunedin dans City of Manchester c. Farnworth, [1930] A.C. 171 (H.L.), qu’il peut exister un « autre moyen d’exécuter l’ouvrage [qui aurait permis d’éviter la perte]. Le simple fait qu’un moyen soit considérablement moins onéreux ne sera pas retenu. S’il n’existe qu’un seul moyen réalisable sur le plan pratique, il faut établir qu’il était pratiquement impossible d’éviter la nuisance » (p. 1226). Il convient également de signaler la nuance apportée par le vicomte Dunedin au sujet de ce qui est « pratiquement impossible », citée par le juge Sopinka, à la p. 1224 :

[traduction] Le fardeau d’établir que le résultat est inévitable incombe à ceux qui désirent se dégager de leur responsabilité à l’égard de la nuisance, mais le critère du caractère inévitable de la nuisance n’est pas ce qui est théoriquement possible mais ce qui est possible suivant l’état des connaissances scientifiques à l’époque, compte tenu également d’une saine appréciation, qu’on ne peut pas définir de façon précise, de la possibilité pratique de réalisation étant donné la situation et le coût. [Je souligne.]

Notre Cour était divisée au sujet de cette nuance, également citée par la juge Wilson à la p. 1213 de l’arrêt Tock, mais il n’y a pas lieu que nous nous y arrêtions en l’espèce. La question du pouvoir d’origine législative n’a pas d’incidence sur la compétence des cours supérieures provinciales. C’est la seule conclusion nécessaire en l’espèce.

[72] Il suffit de dire que la Couronne peut toujours se prévaloir de la défense de pouvoir d’origine législative : voir, p. ex., l’art. 8 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif :

Les articles 3 à 7 n’ont pas pour effet d’engager la responsabilité de l’État pour tout fait — acte ou omission — commis dans l’exercice d’un pouvoir qui, sans ces articles, s’exercerait au titre de la prérogative royale ou d’une disposition législative . . .

Les cours supérieures provinciales interprètent et appliquent régulièrement ce moyen de défense : voir, p. ex., Sutherland c. Canada (Attorney General), 2002 BCCA 416, [2002] 10 W.W.R. 1, autorisation d’appel refusée, [2003] 1 R.C.S. xi (sub nom. Jones c. Attorney General of Canada); Lake c. St. John’s (City), 2000 NFCA 48, 192 Nfld. & P.E.I.R. 84; Neuman c. Parkland (County), 2004 ABPC 58, 36 Alta. L.R. (4th) 161; Danco c. Thunder Bay (City) (2000), 13 M.P.L.R. (3d) 130 (C.S.J. Ont.); Landry c. Moncton (Ville), 2008 NBCA 32, 329 R.N.-B. (2e) 212.

[73] À titre exemple, dans l’affaire Ryan c. Victoria (Ville), la Cour devait statuer sur la défense du « résultat inévitable » dans une action en dommages-intérêts intentée à la suite de travaux de voirie. M. Ryan poursuivait la municipalité et une société de chemin de fer en raison de blessures qu’il avait subies en traversant une voie ferrée à moto dans une zone urbaine. La roue avant de la moto s’était coincée dans l’ornière adjacente aux rails, dont la largeur approchait la valeur maximale permise par la réglementation. La défenderesse a invoqué un pouvoir d’origine législative. Rédigeant le jugement unanime de la Cour, le juge Major a fait remarquer que « [l]’autorisation du législateur fournit, au mieux, un moyen de défense limité contre la nuisance » (par. 54), et a rejeté ce moyen de défense compte tenu des faits en cause.

[74] Pour les besoins de la présente analyse, il nous suffit de réitérer que l’argument du « pouvoir d’origine législative » a trait à la défense, non à la compétence. Si la cour supérieure provinciale (ou la Cour fédérale, sous le régime de l’art. 17) conclut que l’administration publique est fondée à se réclamer d’un pouvoir d’origine législative, elle rejettera tout simplement l’action du demandeur.

H. La question du « plaideur habile »

[75] Le procureur général soutient que, si l’argument de TeleZone est retenu, les cours supérieures provinciales pourraient de nouveau procéder au contrôle judiciaire des décisions de l’administration fédérale, sous le couvert d’actions en dommages-intérêts. Selon ce point de vue, la façon dont un « plaideur habile » formulera sa demande lui permettra de choisir le tribunal qu’il préfère. Bien sûr, les « plaideurs habiles » existent, et ils formuleront la demande de la manière qui sert le mieux les intérêts de leurs clients. Néanmoins, quelle que soit leur habileté, elle ne leur permettra jamais d’obtenir, dans le cadre d’une action en dommages-intérêts, l’annulation ou l’exécution forcée de l’ordonnance administrative à laquelle le demandeur attribue son préjudice. Les cours supérieures provinciales ne peuvent pas accorder ce type de réparation. Comme en l’espèce, le demandeur doit (s’il a gain de cause) se contenter d’une indemnité et se résigner à ce que l’ordonnance continue d’avoir effet.

[76] Je pense que, lorsque le demandeur allègue les éléments d’une cause d’action en droit privé dans son argumentation devant une cour supérieure provinciale, celle-ci ne doit généralement pas décliner compétence au motif que l’action s’apparente à un recours qui doit être instruit comme une demande de contrôle judiciaire. Si le demandeur a une cause d’action valide en dommages-intérêts, il est normalement admis à exercer son recours à ce titre.

[77] Au Royaume-Uni, la Chambre des lords a exprimé une position semblable dans Roy c. Kensington and Chelsea and Westminster Family Practitioner Committee, [1992] 1 A.C. 624, le lord Bridge, aux p. 628-629 :

[traduction] . . . lorsqu’une partie revendique un droit existant qui relève du droit privé, en demande ou en défense, le fait que l’existence et la portée de ce droit privé puissent soulever accessoirement une question de droit public ne l’empêche pas plus de faire reconnaître son droit en engageant une action par bref d’assignation ou par assignation introductive d’instance, que de le faire valoir en défense.

Il s’avère généralement, ici comme au Royaume-Uni, que le demandeur n’a pas à déposer une demande de contrôle judiciaire si son action met légitimement en jeu des droits privés. Suivant les sources anglaises, comme les sources canadiennes, on se préoccupe particulièrement du fait que le contrôle judiciaire ne soit possible que sur autorisation spéciale, qu’il soit assorti d’un court délai de prescription ou que la réparation possible dans le cadre d’un contrôle judiciaire soit de nature discrétionnaire (Roy, le lord Lowry, p. 654). Voir aussi P. P. Craig, Administrative Law (6e éd. 2008), p. 869. Ces considérations font écho à celles que nous avons examinées en rejetant la démarche proposée dans Grenier.

[78] J’apporterais cependant la réserve mineure suivante. Les cours supérieures provinciales conservent toujours, en raison de leur compétence inhérente (tout comme la Cour fédérale en vertu du par. 50(1) de la LCF), le pouvoir discrétionnaire résiduel de suspendre une action en dommages-intérêts au motif qu’il s’agit essentiellement d’une demande de contrôle judiciaire qui n’a que superficiellement l’apparence d’un recours délictuel de droit privé. Règle générale, la question fondamentale consiste toujours à savoir si le demandeur a plaidé une cause d’action valable donnant ouverture à des dommages-intérêts de droit privé. Dans l’affirmative, il devrait généralement être admis à exercer son recours.

I. Application aux faits

[79] TeleZone ne cherche pas à obtenir l’annulation de la décision du ministre. Elle soutient que le ministre a manqué à ses obligations contractuelles et en equity ou à une obligation de diligence en ne lui délivrant pas de licence. Telezone ne soutient pas que la décision du ministre devrait être invalidée. Au contraire, ses causes d’action contractuelles, délictuelles et en equity sont fondées sur le caractère définitif de cette décision qui l’écarte du marché des télécommunications, lui causant ainsi une perte financière (selon ses dires). Elle ne cherche pas non plus à priver la décision du ministre de ses effets juridiques. Elle ne conteste pas les licences délivrées à ses concurrents. Elle ne cherche pas à défaire ce qui a été fait. Elle se plaint de ce qui n’a pas été fait, soit d’un manquement aux obligations contractuelles, en equity et de diligence qu’Industrie Canada aurait eues envers Telezone.

[80] Dans la mesure où le recours de TeleZone peut être qualifié de contestation indirecte de l’arrêté du ministre (parce qu’il n’incluait pas TeleZone), j’estime, pour les motifs que j’ai exposés, que la compétence concurrente conférée aux cours supérieures provinciales en matière de recours contre la Couronne empêche de conclure, comme le procureur général nous y invite, que le législateur avait l’intention d’imposer le détour par la Cour fédérale préconisé dans Grenier. Tel qu’il a été présenté, le recours de TeleZone met principalement en jeu des questions de droit privé. Dans une affaire différente, reposant sur d’autres faits, le procureur général pourra invoquer le moyen de défense de la « contestation indirecte », et la cour supérieure statuera sur ce moyen.

V. Dispositif

[81] La Cour supérieure de l’Ontario a compétence sur les parties et sur l’objet du litige, et elle a le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts. Aucune disposition de la LCF n’empêche la Cour supérieure de l’Ontario de statuer sur la demande. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureur de l’appelant : Procureur général du Canada, Ottawa.

Procureurs de l’intimée : Stikeman Elliott, Toronto.

[1] L’argumentation principale du procureur général a été présentée dans l’affaire connexe Canada (Procureur général) c. McArthur, 2010 CSC 63, [2010] 3 R.C.S. 626, et, à moins d’indication contraire, je renvoie dans les présents motifs au mémoire soumis dans cette affaire.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Tribunaux - Compétence - Cours supérieures provinciales - Action en dommages-intérêts intentée contre la Couronne fédérale devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour inexécution de contrat, négligence et enrichissement injustifié à la suite du rejet d’une demande de licence de télécommunications - La demanderesse a-t-elle le droit d’intenter une action en Cour supérieure de justice de l’Ontario sans engager d’abord une procédure de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale? - Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, art. 17, 18; Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, art. 21.

En 1995, Industrie Canada a lancé une invitation à soumettre des demandes de licences de services de communications personnelles et a publié l’énoncé de politique devant servir de cadre aux demandes des fournisseurs potentiels. L’énoncé indiquait qu’Industrie Canada délivrerait jusqu’à six licences en fonction des critères qu’elle avait définis. T a soumis une demande, mais seules quatre demandes ont été retenues par Industrie Canada et celle de T n’en faisait pas partie. T a intenté une action contre la Couronne fédérale devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour inexécution de contrat, négligence et enrichissement injustifié, réclamant des dommages-intérêts pour les pertes de 250 millions de dollars qu’elle affirme avoir subies. Elle a allégué que l’énoncé de politique comportait la condition expresse ou implicite qu’Industrie Canada délivrerait moins de six licences uniquement si moins de six demandes répondaient aux critères. Puisque, aux dires de T, sa demande satisfaisait à tous les critères, Industrie Canada a dû appliquer d’autres facteurs, non communiqués, pour la rejeter. Se fondant sur Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287, le procureur général du Canada a contesté la compétence de la Cour supérieure de justice au motif que la demande était une contestation indirecte de la décision, ce qui est interdit compte tenu de la compétence exclusive accordée à la Cour fédérale par l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales (« LCF ») en matière de contrôle judiciaire des décisions de tout office fédéral. La Cour supérieure a rejeté cette objection parce que la demande n’était pas manifestement vouée à l’échec. La Cour d’appel a maintenu la décision, estimant que l’arrêt Grenier est incorrect. Selon elle, l’art. 17 de la LCF et l’art. 21 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif confèrent aux cours supérieures et à la Cour fédérale une compétence concurrente à l’égard des demandes de réparation contre la Couronne, et l’art. 18 de la LCF n’a pas soustrait l’action en dommages-intérêts de la compétence des cours supérieures.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

Le pourvoi porte essentiellement sur l’accès à la justice. Les personnes qui prétendent avoir subi un préjudice attribuable à une mesure administrative doivent pouvoir exercer les recours autorisés par la loi au moyen de procédures réduisant au minimum les frais et complexités inutiles. La Cour doit adopter une approche pratique et pragmatique en gardant cet objectif à l’esprit. Appliquer Grenier tendrait à miner l’efficacité des réformes mises en place par la LCF au début des années 1990, en maintenant l’exclusivité juridictionnelle de la Cour fédérale à l’égard d’un élément fondamental de nombreux recours instruits devant les cours provinciales, en dépit de la promesse du législateur de donner au demandeur le choix du tribunal et de permettre aux parties l’accès aux cours supérieures provinciales, « dans les cas de demande de réparation contre la Couronne » fédérale, sauf disposition contraire.

Sous réserve de restrictions constitutionnelles, dont aucune n’est pertinente en l’espèce, le législateur peut transférer un pouvoir appartenant aux cours supérieures à d’autres organismes juridictionnels, comme la Cour fédérale. Cependant, la compétence des cours supérieures provinciales ne peut être amoindrie (en faveur de la Cour fédérale ou d’un autre tribunal) que si une disposition législative claire le prévoit expressément. Aucune disposition de la LCF ne répond à ce critère. L’octroi explicite aux cours supérieures provinciales d’une compétence concurrente en matière de demandes de réparation contre la Couronne, à l’art. 17 de cette loi (et à l’art. 21 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif) réfute directement l’argument du procureur général. Il faut voir l’attribution de la compétence exclusive en matière de contrôle judiciaire des décisions de l’administration fédérale à l’art. 18 comme une réserve ou une exception à l’attribution d’une compétence concurrente plus générale à l’art. 17 « dans les cas de demande de réparation contre la Couronne » fédérale. Cette réserve ou exception est énoncée à l’art. 18 de la LCF sous forme de recours particuliers. Tous les recours énumérés sont des recours classiques du droit administratif, et l’octroi de dommages-intérêts n’en fait pas partie. L’indemnisation n’est pas possible dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire; mais seulement dans le cadre d’une action.

D’autres éléments intrinsèques de la LCF indiquent que le législateur ne peut avoir eu l’intention de faire du contrôle judiciaire une épreuve préliminaire comme le laisse entrevoir l’arrêt Grenier. Le paragraphe 18.1(2) fixe un délai de 30 jours pour la présentation d’une demande de contrôle judiciaire. Il ne serait pas réaliste qu’une action en dommages-intérêts se prescrive par 30 jours, vu que les faits nécessaires pour fonder un recours civil peuvent fort bien n’être connus qu’après 30 jours et qu’il se pourrait qu’un demandeur ne soit pas en mesure de déposer sa demande de contrôle judiciaire dans le délai fixé. Il est possible de proroger le délai de 30 jours, mais il s’agit là d’une décision discrétionnaire, et l’issue d’une action civile intentée devant une cour supérieure serait ainsi subordonnée au pouvoir discrétionnaire d’un juge de la Cour fédérale statuant sur une demande de prorogation de délai en fonction de considérations de droit public et non de facteurs propres aux dommages-intérêts de droit civil. En outre, les décisions en matière de contrôle judiciaire sont de nature discrétionnaire, et une demande de contrôle judiciaire peut être rejetée même lorsque le demandeur a établi l’existence de motifs qui justifieraient l’intervention de la cour. Cette approche ne concorde pas avec le paradigme de l’action en dommages-intérêts de la common law, suivant lequel la preuve des éléments de la demande entraîne normalement l’indemnisation. De plus, l’art. 8 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, qui codifie la défense de pouvoir d’origine législative, prouve que le législateur prévoyait que la cour supérieure provinciale pourrait se prononcer sur la légalité de décisions administratives dans le cadre d’une action en dommages-intérêts.

La règle interdisant les contestations indirectes ne peut justifier l’approche proposée dans Grenier. T ne se sert pas de sa demande pour faire invalider ou déclarer inopérante la décision du ministre; elle fait plutôt de la décision et des pertes pécuniaires qui en auraient résulté les assises mêmes de sa demande de dommages-intérêts. Quoi qu’il en soit, le législateur a spécifié, en attribuant une compétence concurrente à l’art. 17 de la LCF, que les cours supérieures provinciales disposent de la compétence concurrente voulue pour trancher une demande dans son intégralité, y compris pour décider de la validité d’une décision du ministre, lorsque cette question est un élément essentiel de la cause d’action et qu’il faut la trancher pour statuer sur la demande. La Couronne peut invoquer la doctrine de la contestation indirecte en défense devant la cour supérieure provinciale, mais la possibilité de recourir à ce moyen de défense ne peut étayer la thèse de l’incompétence de la cour supérieure provinciale. De même, bien que la Couronne puisse faire valoir, en défense, que le décideur public exerçait un pouvoir d’origine législative qui exclut l’indemnisation des pertes pouvant en résulter, cette question n’a pas trait à la compétence et peut être tranchée aussi bien par la cour supérieure d’une province que par la Cour fédérale.

Les cours supérieures provinciales et la Cour fédérale disposent du pouvoir discrétionnaire résiduel de suspendre une action en dommages-intérêts lorsqu’il s’agit essentiellement d’une demande de contrôle judiciaire et qu’elle n’a que superficiellement l’apparence d’un recours délictuel de droit privé. Toutefois, lorsque le demandeur allègue les éléments d’une cause d’action en droit privé dans son argumentation, la cour supérieure provinciale ne doit généralement pas décliner compétence au motif que l’action s’apparente à un recours qui doit être instruit comme une demande de contrôle judiciaire. Si le demandeur a plaidé une cause d’action valide en dommages-intérêts, il devrait généralement être admis à exercer son recours à ce titre.

Tel qu’il a été présenté, le recours de T met principalement en jeu des questions de droit privé. T ne cherche pas à obtenir l’annulation de la décision de délivrer les licences. Elle ne cherche pas non plus à priver la décision de ses effets juridiques. Ses causes d’action contractuelles, délictuelles et en equity sont fondées sur le caractère définitif de cette décision qui l’écarte du marché des télécommunications. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a compétence sur les parties et sur l’objet du litige, et elle a le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts. Aucune disposition de la LCF n’empêche la Cour supérieure de l’Ontario de statuer sur la demande.


Parties
Demandeurs : Canada (Procureur général)
Défendeurs : TeleZone Inc.

Références :

Jurisprudence
Arrêt renversé : Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287
arrêts mentionnés : Canada (Procureur général) c. McArthur, 2010 CSC 63, [2010] 3 R.C.S. 626
Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, [2007] 1 R.C.S. 38
La Reine du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205
Agricultural Research Institute of Ontario c. Campbell-High (2002), 58 O.R. (3d) 321, autorisation d’appel refusée, [2003] 1 R.C.S. vii
Ryan c. Victoria (Ville), [1999] 1 R.C.S. 201
Miazga c. Kvello (Succession), 2009 CSC 51, [2009] 3 R.C.S. 339
Cooper c. Hobart, 2001 CSC 79, [2001] 3 R.C.S. 537
Edwards c. Barreau du Haut-Canada, 2001 CSC 80, [2001] 3 R.C.S. 562
Holland c. Saskatchewan, 2008 CSC 42, [2008] 2 R.C.S. 551
R. c. Consolidated Maybrun Mines Ltd., [1998] 1 R.C.S. 706
Hinton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 215, [2009] 1 R.C.F. 476
Parrish & Heimbecker Ltd. c. Canada (Ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2008 CAF 362, [2009] 3 R.C.F. 568, inf. par 2010 CSC 64, [2010] 3 R.C.S. 639
Donovan c. Canada (Attorney General), 2008 NLCA 8, 273 Nfld. & P.E.I.R. 116
Lidstone c. Canada (Minister of Canadian Heritage), 2008 PESCTD 6, 286 Nfld. & P.E.I.R. 244
River Valley Poultry Farm Ltd. c. Canada (Attorney General), 2009 ONCA 326, 95 O.R. (3d) 1
Los Angeles Salad Co. c. Canadian Food Inspection Agency, 2009 BCSC 109, 92 B.C.L.R. (4th) 379
Leroux c. Canada Revenue Agency, 2010 BCSC 865, 2010 D.T.C. 5123
Fantasy Construction Ltd., Re, 2007 ABCA 335, 89 Alta. L.R. (4th) 93
Genge c. Canada (Attorney General), 2007 NLCA 60, 270 Nfld. & P.E.I.R. 182
Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694
Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116 (CanLII), autorisation d’appel refusée, [2009] 3 R.C.S. vii
Martel Building Ltd. c. Canada, 2000 CSC 60, [2000] 2 R.C.S. 860
R. c. Al Klippert Ltd., [1998] 1 R.C.S. 737
Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437
Pringle c. Fraser, [1972] R.C.S. 821
Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626
Peacock c. Bell (1667), 1 Wms. Saund. 73, 85 E.R. 84
Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863
R. c. Morgentaler (1984), 41 C.R. (3d) 262
R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588
R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575
R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765
Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307
Conseil canadien des relations du travail c. Paul L’Anglais Inc., [1983] 1 R.C.S. 147
Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339
Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561
Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326
Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594
Garland c. Consumers’ Gas Co., 2004 CSC 25, [2004] 1 R.C.S. 629
R. c. Litchfield, [1993] 4 R.C.S. 333
Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77
Tock c. St. John’s Metropolitan Area Board, [1989] 2 R.C.S. 1181
City of Manchester c. Farnworth, [1930] A.C. 171
Sutherland c. Canada (Attorney General), 2002 BCCA 416, [2002] 10 W.W.R. 1, autorisation d’appel refusée, [2003] 1 R.C.S. xi (sub nom. Jones c. Attorney General of Canada)
Lake c. St. John’s (City), 2000 NFCA 48, 192 Nfld. & P.E.I.R. 84
Neuman c. Parkland (County), 2004 ABPC 58, 36 Alta. L.R. (4th) 161
Danco c. Thunder Bay (City) (2000), 13 M.P.L.R. (3d) 130
Landry c. Moncton (Ville), 2008 NBCA 32, 329 R.N.-B. (2e) 212
Roy c. Kensington and Chelsea and Westminster Family Practitioner Committee, [1992] 1 A.C. 624.
Lois et règlements cités
Code civil du Québec, L.R.Q., ch. C-1991.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 96, 101.
Loi sur la Cour fédérale, L.C. du 72 1970, ch. 1.
Loi sur la radiocommunication, L.R.C. 1985, ch. R-2.
Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, art. 3, 8, 21.
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, art. 2(1) « office fédéral », 17, 18, 18.1, 18.4, 39, 50(1).
Doctrine citée
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Canada. Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 28e lég., 25 mars 1970, p. 5470-5471.
Canada. Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 34e lég., 1er novembre 1989, p. 5414.
Craig, Paul P. Administrative Law, 6th ed. London : Sweet & Maxwell, 2008.
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Woolf, Harry, Jeffrey Jowell and Andrew Le Sueur. De Smith’s Judicial Review, 6th ed. London : Sweet & Maxwell, 2007.

Proposition de citation de la décision: Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62 (23 décembre 2010)


Origine de la décision
Date de la décision : 23/12/2010
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2010 CSC 62 ?
Numéro d'affaire : 33041
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2010-12-23;2010.csc.62 ?
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