Edwards c. Barreau du Haut-Canada, [2001] 3 R.C.S. 562, 2001 CSC 80
John Edwards et Nancy Edwards en leur nom
et, avec l’autorisation de la cour, au nom de la
catégorie décrite ci-après Appelants
c.
Le Barreau du Haut-Canada Intimé
et
Le procureur général de l’Ontario et
la Commission des valeurs mobilières
de l’Ontario Intervenants
et
Palmer Mills, Beverly Hoover et
James Thomas Leslie Mills, exécuteurs de la
succession de John T. Murray Mills, décédé,
Sisto Consultants Inc., Maurice Carr,
Jasper Naude, John Davison, Marilyn Davison,
Arlene Woolcox, Jasbir Gill, Sisto Finance Inc.,
Camm-Tex International Inc. et Sisto Finance N.V. (Défendeurs)
Répertorié : Edwards c. Barreau du Haut-Canada
Référence neutre : 2001 CSC 80.
No du greffe : 28108.
2001 : 20 juin; 2001 : 16 novembre.
Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2000), 48 O.R. (3d) 329, 188 D.L.R. (4th) 613, 133 O.A.C. 286, 1 C.C.L.T. (3d) 193, 46 C.P.C. (4th) 30, [2000] O.J. No. 2085 (QL), qui a rejeté l’appel des appelants à l’encontre d’une décision de la Cour de l’Ontario (Division générale) (1998), 37 O.R. (3d) 279, 156 D.L.R. (4th) 348, 19 C.P.C. (4th) 43, 41 C.C.L.T. (2d) 241, [1998] O.J. No. 132 (QL). Pourvoi rejeté.
David E. Wires, Karen E. Jolley et Lisa D. La Horey, pour les appelants.
W. Ross Murray, c.r., et M. Christine Fotopoulos, pour l’intimé.
Sara Blake, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Neil Finkelstein et Johanna M. Superina, pour l’intervenante la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario.
Version française du jugement de la Cour rendu par
1 Le Juge en chef et le juge major -- Le présent pourvoi soulève des questions semblables à celles qui ont été examinées dans l’arrêt Cooper c. Hobart, [2001] 3 R.C.S. 537, 2001 CSC 79, portant sur la responsabilité civile des organismes de réglementation financière établis par la loi. Dans la présente espèce, les appelants soutiennent que le Barreau du Haut‑Canada a, en sa qualité d’organe directeur de la profession juridique autoréglementée en Ontario, manqué à son obligation de surveiller adéquatement les comptes en fiducie de l’avocat défendeur (maintenant décédé). Ils font valoir que le Barreau devrait être tenu responsable, en droit de la responsabilité délictuelle, des dommages qu’ils ont subis par suite de son défaut d’agir avec diligence. Pour les motifs suivants, nous ne sommes pas d’accord.
I. Les faits
2 Les appelants, John et Nancy Edwards, représentent une catégorie de personnes qui auraient été victimes d’une fraude en matière de livraison d’or. En 1989, les appelants ont rencontré Arlene Woolcox, qui les a encouragés à acheter de l’or auprès de Sisto Consultants Inc. Aux termes d’un [traduction] « contrat de livraison d’or », Woolcox et d’autres agents de placement ont avisé les appelants que leurs fonds devaient être versés dans le compte en fiducie des clients de Palmer Mills et qu’ils seraient détenus en fiducie par Mills. Les appelants ont versé plus de 300 000 $US en traites bancaires dans le compte en fiducie, somme qu’ils ont financée par la vente d’une partie de leur entreprise et par un prêt hypothécaire de deuxième rang sur leur maison. Les traites bancaires devaient être conservées pendant 90 jours, après quoi les demandeurs devaient recevoir l’or visé par le contrat. En dépit de demandes répétées, ils n’ont jamais obtenu l’or. Les demandeurs ont par la suite appris que même si la somme de 9 074 061,70 $US avait été versée en fiducie à Mills pour la livraison d’or, il n’existait aucune mine d’or ni aucune production d’or pour remplir les obligations stipulées dans les contrats de livraison d’or. En date du 15 mai 1990, il ne restait plus que la somme de 109 247,39 $US dans le compte en fiducie. Ce montant a été saisi par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario.
3 Comme dans l’arrêt Cooper, précité, ce ne sont pas les détails de la fraude dénoncée qui sont visés dans le pourvoi, mais plutôt le rôle du Barreau en ce qu’il aurait omis [traduction] « de prendre toute mesure efficace pour s’assurer que Mills gérait son compte en fiducie de la façon prescrite ». Le Barreau est intervenu en 1989, lorsque Mills lui a écrit une lettre au sujet de l’utilisation peu orthodoxe de son propre compte en fiducie. À partir de cette divulgation, le Barreau a entrepris une enquête. Les appelants prétendent que dès lors qu’il était au courant de l’utilisation irrégulière du compte, [traduction] « le Barreau avait l’obligation de s’assurer que Mills gérait son compte en fiducie conformément aux règlements ou, subsidiairement, d’avertir les demandeurs ainsi que la catégorie de personnes visées qu’il avait choisi de renoncer à son rôle de surveillance ».
4 Selon les appelants, le Barreau a manqué à son obligation de diligence en omettant [traduction] « de prendre toute mesure efficace pour s’assurer que Mills gérait son compte en fiducie de la façon prescrite ». Les appelants prétendent plus particulièrement que le Barreau :
[traduction]
a) a pris la décision d’enquêter sur des allégations d’irrégularités dans le compte en fiducie de Palmer Mills, mais a omis de communiquer avec Mills pour convenir d’une occasion d’examiner ses livres de comptes, de confronter les comptes aux règlements du Barreau régissant la comptabilité en fiducie ou à ceux du curateur public, et de bloquer le compte en fiducie jusqu’à la notification aux bénéficiaires du compte;
b) a omis d’enquêter adéquatement sur des faits qui, s’ils s’avéraient, semblaient établir le manquement par Mills aux règlements du Barreau régissant la comptabilité en fiducie, alors qu’il savait ou aurait dû savoir que Mills avait été dénoncé au Barreau environ 12 mois plus tôt pour manquement aux règlements régissant la comptabilité en fiducie;
c) a omis d’ordonner à Mills de produire ses livres comptables du compte en fiducie pour examen et révision;
d) a omis de prévenir les bénéficiaires des fiducies gérées par Mills de l’existence de motifs justifiant l’examen des livres du compte en fiducie de Palmer Mills;
e) a omis de conclure à l’existence de motifs raisonnables de croire que Mills était ou pouvait être coupable de conduite irrégulière relativement aux fonds en fiducie qui se trouvaient en sa possession ou sous sa responsabilité, et que ses comptes en fiducie servaient à faciliter une exploitation frauduleuse des fonds au détriment des demandeurs et des autres membres de la catégorie;
f) outre l’omission de conclure à l’existence de motifs raisonnables de croire que Mills était ou pouvait être coupable de conduite irrégulière relativement aux fonds en fiducie qui se trouvaient en sa possession ou sous sa responsabilité, a omis de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que les fonds en fiducie ne seraient pas payés ou utilisés par Mills sans la permission d’un juge de la Cour de l’Ontario (Division générale);
g) a omis de prendre toute autre mesure provisoire en attendant la conclusion de son enquête de façon à empêcher Mills de dissiper les fonds en fiducie des demandeurs et des autres membres de la catégorie avant la fin de l’enquête;
h) a omis de procéder à une enquête, à une vérification ou à une vérification ponctuelle des comptes en fiducie de Mills afin d’y déceler des erreurs ou des irrégularités, a omis d’avertir Mills des irrégularités et d’exiger qu’il les corrige et lui en signale la correction, et a omis de procéder à un examen en profondeur et de remettre un rapport de vérification officiel à son comité de discipline; et
i) a omis d’avertir les bénéficiaires que Mills en les représentant était en conflit d’intérêts et que leurs intérêts n’étaient pas représentés malgré l’engagement de Mills.
Dans leur déclaration, les appelants ont aussi assigné en justice des agents de placement, Mills (décédé depuis) et d’autres défendeurs.
II. Jugements
A. Cour de l’Ontario (Division générale) (1998), 37 O.R. (3d) 279
5 Le juge Sharpe de la Cour de l’Ontario (Division générale) a accueilli la requête en radiation pour absence de cause d’action qu’avait présentée l’intimé en vertu de la règle 21. Après avoir passé en revue la jurisprudence antérieure aux arrêts Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.), et Kamloops (Ville de) c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2, sur la responsabilité civile délictuelle du Barreau, le juge Sharpe a conclu que la fonction quasi judiciaire de celui-ci l’immunisait contre toute responsabilité pour négligence. Il s’est fondé à cet égard sur l’arrêt French c. Law Society of Upper Canada (1975), 61 D.L.R. (3d) 28 (C.A. Ont.), lequel avait qualifié le comité de discipline du Barreau [traduction] « [d’]organisme d’arbitrage » (p. 32), ainsi que sur nombre de décisions, canadiennes et étrangères, reconnaissant l’immunité judiciaire d’organismes similaires : voir tout particulièrement Voratovic c. Law Society of Upper Canada (1978), 20 O.R. (2d) 214 (H.C.), Calvert c. Law Society of Upper Canada (1981), 32 O.R. (2d) 176 (H.C.), Lee c. Law Society of Upper Canada, [1994] O.J. No. 1468 (QL) (Div. gén.), Carnegie c. Rasmussen Starr Ruddy (1994), 19 O.R. (3d) 272 (Div. gén.), p. 279. En réponse à la prétention des appelants selon laquelle le critère énoncé dans les arrêts Anns et Kamloops régissait la responsabilité des autorités publiques, le juge Sharpe a conclu que le critère d’immunité quasi judiciaire élaboré dans la jurisprudence antérieure avait évolué vers la distinction entre les politiques et les décisions opérationnelles retenue dans l’arrêt Anns. Selon lui, les deux façons d’analyser avaient en commun le principe selon lequel un [traduction] « organisme investi de pouvoirs quasi judiciaires doit agir dans l’intérêt public et tenir compte de nombre de facteurs, l’intérêt privé de personnes telles que le demandeur n’en constituant qu’un parmi plusieurs » (p. 285). À partir de ce principe, il a conclu qu’il était « évident et manifeste » que les appelants seraient déboutés au procès : R.D. Belanger & Associates Ltd. c. Stadium Corp. of Ontario Ltd. (1991), 5 O.R. (3d) 778 (C.A.); Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, p. 977.
B. Cour d’appel de l’Ontario (2000), 48 O.R. (3d) 329
6 En Cour d’appel de l’Ontario, le juge Finlayson a confirmé le jugement du juge Sharpe, tout en appliquant plus directement le critère énoncé dans les arrêts Anns et Kamloops. Selon lui, même le premier volet de ce critère constituait une question réelle puisque [traduction] « en l’espèce, les appelants semblent ne pas avoir entretenu avec Mills une relation avocat-client traditionnelle, mais avoir plutôt traité avec lui dans le cadre d’un programme de placement » (p. 339). Il doutait donc de l’existence d’un lien suffisamment étroit entre les appelants et le Barreau. Abordant le deuxième volet, le juge Finlayson a passé en revue les arrêts portant sur l’immunité quasi judiciaire et conclu que la jurisprudence [traduction] « établit clairement une immunité judiciaire à l’égard de la négligence en faveur du processus disciplinaire du Barreau, y compris la fonction d’enquête initiale » (p. 343). Il est ensuite passé à l’étape suivante de l’analyse en posant la question de savoir si [traduction] « la conduite du secrétaire, en ne donnant pas suite à la plainte reçue par le Barreau » (p. 343), par opposition au processus d’audience lui-même, constituait une décision opérationnelle au sens des arrêts Anns et Kamloops. À son avis, plusieurs considérations de politique s’y opposaient. En premier lieu, même au niveau dit opérationnel de l’enquête, la Loi sur le Barreau, L.R.O. 1990, ch. L.8, prescrit des choix de politique délicats, comme de savoir s’il y a lieu d’intervenir dans la pratique d’un membre. En deuxième lieu, il n’était que raisonnable que l’immunité judiciaire conférée aux conseillers par l’art. 9 de la Loi sur le Barreau s’étende aussi aux employés chargés d’enquêter sur les plaintes. En troisième lieu, la responsabilité délictuelle proposée par les appelants devrait, comme dans l’arrêt Cooper, précité, s’appliquer à l’égard d’une catégorie indéterminée de personnes pour un montant indéterminé : Hercules Managements Ltd. c. Ernst & Young, [1997] 2 R.C.S. 165, par. 31. Pour ces motifs, le juge Finlayson a conclu que l’imposition au Barreau d’une responsabilité civile délictuelle serait, exception faite d’un cas de mauvaise foi, incompatible avec son rôle relatif à l’« intérêt public » (à la p. 347) :
[traduction] Suivant les remarques du juge Huddart, il me semble exister des raisons de politique très sages pour ne pas imposer à ce processus judiciaire ou quasi judiciaire une obligation de diligence de droit privé. Le public est bien servi par le refus d’entraver les pouvoirs d’enquête du Barreau par la crainte de la responsabilité civile. Le fait pour les appelants d’invoquer le rôle relatif à l’« intérêt public » du Barreau semble inopportun puisqu’il a pour effet d’affaiblir leur argument [. . . ] [L]e Barreau ne peut satisfaire à cette obligation s’il est tenu d’agir conformément à une obligation de diligence de droit privé à l’égard de particuliers comme les appelants. L’obligation de diligence de droit privé ne peut coexister avec le mandat conféré par la loi au Barreau et, partant, elle ne peut être mise en œuvre.
Pour des motifs essentiellement semblables à ceux qui ont été prononcés par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Cooper, le juge Finlayson a donc rejeté l’appel.
III. Questions en litige
7 1. Le Barreau du Haut‑Canada a-t-il une obligation de diligence envers les personnes qui déposent des sommes d’argent dans le compte en fiducie d’un avocat et qui subissent des pertes résultant de malversations?
2. Si une telle obligation existe, existe-t-il aussi des motifs fondés sur des considérations de politique qui pourraient la limiter ou l’annuler?
IV. Analyse
8 L’arrêt connexe Cooper précise la façon de déterminer s’il y a lieu de reconnaître une obligation de diligence dans une espèce donnée. Plus précisément, l’arrêt Cooper reprend le critère énoncé dans l’arrêt Anns et clarifie les éléments de politique précis qui doivent être examinés à chaque étape.
9 À la première étape du critère énoncé dans l’arrêt Anns, il s’agit de déterminer si les circonstances dévoilent un préjudice raisonnablement prévisible et un lien de proximité suffisamment étroit pour établir une obligation de diligence prima facie. À cette étape, l’accent est mis sur les facteurs découlant du lien entre le demandeur et le défendeur, notamment des considérations de politique générales. Le point de départ de cette analyse consiste à établir s’il existe des catégories analogues d’affaires où les tribunaux ont reconnu l’existence d’un lien étroit. En l’absence de telles décisions, il s’agit de déterminer s’il y a lieu de reconnaître une nouvelle obligation de diligence dans les circonstances de l’espèce. La simple prévisibilité ne suffit pas à établir une obligation de diligence prima facie. Le demandeur doit aussi prouver l’existence d’un lien étroit -- que le défendeur avait avec lui une relation à ce point étroite et directe qu’il est juste de lui imposer une obligation de diligence dans les circonstances. Les facteurs donnant lieu à l’existence d’un lien étroit doivent être fondés sur la loi applicable le cas échéant, comme en l’espèce.
10 Si, à la première étape du critère énoncé dans l’arrêt Anns, le demandeur réussit à établir une* obligation de diligence prima facie (malgré le fait que l’obligation proposée ne corresponde pas à une catégorie de réparation déjà reconnue), il faut passer à la deuxième étape de ce critère. Il s’agit de savoir s’il existe des considérations de politique résiduelles qui justifient l’annulation de la responsabilité. De telles considérations comprennent notamment l’effet qu’aurait la reconnaissance d’une telle obligation de diligence sur d’autres obligations légales, son incidence sur le système juridique et, d’une façon moins précise mais tout aussi importante, l’effet qu’aurait l’imposition d’une responsabilité sur la société en général.
V. Application du critère
11 Les appelants prétendent que le Barreau du Haut‑Canada avait, en sa qualité d’organisme dirigeant de la profession juridique autoréglementée en Ontario, une obligation de diligence envers les personnes qui ont déposé des sommes d’argent dans le compte en fiducie d’un avocat en ce qui a trait aux pertes résultant de malversations. Compte tenu du critère énoncé dans l’arrêt connexe Cooper, nous ne pouvons retenir cette prétention. Essentiellement pour les motifs invoqués par le juge Finlayson au nom de la Cour d’appel, nous estimons qu’il n’y a pas lieu en l’espèce de reconnaître l’existence d’une obligation de diligence.
12 En ce qui a trait au premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Anns, à savoir s’il existe actuellement une obligation de diligence, nous concluons que l’espèce ne correspond ni ne ressemble à aucune catégorie d’affaires dans lesquelles les tribunaux ont reconnu l’existence d’une obligation de diligence.
13 La question suivante est de savoir s’il s’agit d’une situation où il y aurait lieu de reconnaître une nouvelle obligation de diligence. Pour satisfaire à cette exigence, le demandeur doit établir la prévisibilité et le lien étroit. Un examen de la loi applicable, c’est-à-dire la Loi sur le Barreau, ne laisse voir aucune intention du législateur d’imposer au Barreau, expressément ou implicitement, une obligation de diligence de droit privé relativement aux faits de l’espèce. Il convient de noter, à l’instar du juge Finlayson, qu’il n’est pas expressément allégué que les appelants, ou quelque membre de la catégorie de personnes qu’ils proposent de représenter, ont été des « clients » de Mills au sens traditionnel du terme. Les appelants ont plutôt fait valoir que l’obligation du Barreau excédait un souci de protection des clients au sens traditionnel du terme et s’étendait au public en général.
14 En ce qui a trait à la Loi, il est manifeste que le Barreau réglemente la profession d’avocat. De façon plus précise, ses responsabilités comprennent notamment les normes d’admission au sein de la profession (art. 27 et suiv.), la formation permanente de ses membres (art. 60) et l’élaboration et la mise en application d’un code déontologique. Les appelants font valoir qu’une obligation de diligence de droit privé envers les personnes qui déposent des sommes d’argent dans le compte en fiducie d’un avocat, à titre de membres du public, peut être inférée du mandat de protection de l’intérêt public conféré au Barreau par la loi. Ils prétendent plus particulièrement que les pouvoirs d’enquête et de discipline du Barreau auprès de ses membres (art. 33 et suiv.) constituent le fondement de cette obligation envers des personnes comme les appelants en l’espèce. Nous ne partageons pas cet avis. La Loi sur le Barreau vise la protection des clients et, partant, celle du public dans son ensemble; cela ne signifie pas que le Barreau est tenu à une obligation de diligence de droit privé envers un membre du public qui dépose des sommes d’argent dans le compte en fiducie d’un avocat. Les décisions prises par le Barreau nécessitent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire délégué par la loi et impliquent la poursuite de multiples objectifs correspondant à des fonctions d’ordre public plutôt que d’ordre privé.
15 Il existe, outre une obligation de diligence de droit privé, des mesures destinées à assurer la protection et le dédommagement des clients à titre de membres du public. Ces mesures de protection sont expressément prévues par le législateur comme moyens de compenser des pertes pécuniaires. Une assurance publique ou un fonds d’indemnisation financé par la profession elle-même en sont des exemples. En l’espèce, le Barreau maintient un Fonds d’indemnisation (voir l’art. 51) pour dédommager les victimes d’un préjudice subi en raison de la malhonnêteté d’un avocat. L’assurance‑responsabilité professionnelle des avocats prévoit une indemnisation pour les réclamations que les clients peuvent engager contre leurs avocats pour négligence (voir l’art. 61).
16 Finalement, et c’est peut-être là l’élément le plus révélateur de l’intention du législateur, la Loi prévoit une immunité, à l’art. 9 :
9. Sont irrecevables les actions ou autres instances en dommages‑intérêts intentées contre le trésorier, les conseillers, les dirigeants du Barreau ou les personnes nommées au Conseil, en raison d’un acte accompli de bonne foi dans l’exercice, réel ou projeté, d’un devoir ou d’une fonction aux termes de la présente loi, d’un règlement ou d’une règle, ou en raison d’une négligence ou d’une omission dans l’exécution, de bonne foi, de ce devoir ou de cette fonction.
17 L’article 9 exclut toute inférence d’une intention de prévoir un dédommagement dans des circonstances qui sortent du cadre de l’assurance‑responsabilité professionnelle des avocats et du fonds d’indemnisation des clients des avocats.
18 Nous concluons qu’aucune obligation de diligence prima facie n’est née entre le Barreau et les appelants, qui ont déposé des sommes d’argent dans le compte en fiducie d’un avocat non en qualité de clients, mais plutôt à titre de participants à la promotion commerciale d’une tierce personne.
19 Compte tenu de cette conclusion, il n’y a pas lieu d’examiner le deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt Anns. Toutefois, si nous avions conclu dès le premier volet à l’existence d’une obligation de diligence prima facie, celle-ci aurait été annulée par des considérations de politique résiduelles extérieures au lien entre les parties. Telle était la conclusion dans l’arrêt Cooper et la présente espèce ne saurait en être distinguée.
20 L’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario est donc confirmé et le pourvoi rejeté avec dépens.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs des appelants : McCague, Wires, Peacock, Borlack, McInnis & Lloyd, Toronto.
Procureurs de l’intimé : Borden Ladner Gervais, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Le procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenante la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario : Blake, Cassels & Graydon, Toronto.
* Voir Erratum [2007] 3 R.C.S. iv.