COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Canada (Procureur général) c. McArthur,
2010 CSC 63, [2010] 3 R.C.S. 626
Date : 20101223
Dossier : 33043
Entre :
Procureur général du Canada et James Blackler,
aussi connu sous le nom de Jim Blackler
Appelants
et
Michiel McArthur
Intimé
- et -
Procureur général de la Colombie-Britannique, Roland Anglehart père et autres
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : Les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement :
(par. 1 à 18)
Le juge Binnie (avec l’accord des juges LeBel, Deschamps, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell)
Canada (Procureur général) c. McArthur, 2010 CSC 63, [2010] 3 R.C.S. 626
Procureur général du Canada et
James Blackler, aussi connu sous le nom de Jim Blackler Appelants
c.
Michiel McArthur Intimé
et
Procureur général de la Colombie-Britannique,
Roland Anglehart père, Roland Anglehart fils,
Bernard Arseneault, Héliodore Aucoin, Albert Benoît,
Robert Boucher, Elide Bulger, Gérard Cassivi,
Jean-Gilles Chiasson, Ludger Chiasson,
Martin M. Chiasson, Rémi Chiasson,
2973-0819 Québec inc., 2973-1288 Québec inc.,
3087-5199 Québec inc., Robert Collin, Roméo G. Cormier,
Marc Couture, Les Crustacées de Gaspé ltée,
Lino Desbois, Randy Deveau, Carol Duguay,
Charles-Aimé Duguay, Denis Duguay, Donald Duguay,
Marius Duguay, Edgar Ferron, Armand Fiset,
Livain Foulem, Claude Gionest, Jocelyn Gionet,
Simon J. Gionet, Aurèle Godin, Valois Goupil,
Aurélien Haché, Donald R. Haché, Gaëtan Haché,
Guy Haché, Jacques E. Haché, Jason-Sylvain Haché,
Jean-Pierre Haché, Jacques A. Haché, René Haché,
Rhéal Haché, Robert F. Haché, Alban Hautcœur,
Fernand Hautcœur, Jean-Claude Hautcœur,
Gregg Hinkley, Jean-Pierre Huard, Réjean Leblanc,
Christian Lelièvre, Elphège Lelièvre, Jean-Elie Lelièvre,
Jules Lelièvre, Dassise Mallet, Delphis Mallet, Francis Mallet,
Jean-Marc Marcoux, André Mazerolle, Eddy Mazerolle,
Gilles A. Noël, Lévis Noël, Martin Noël, Nicolas Noël,
Onésime Noël, Raymond Noël, Francis Parisé, Domitien Paulin,
Sylvain Paulin, Pêcheries Denise Quinn Syvrais inc.,
Pêcheries François inc., Pêcheries Jean-Yan II inc.,
Pêcheries Jimmy L. ltée, Pêcheries J.V.L. ltée,
Pêcheries Ray-L. inc., Les Pêcheries Serge-Luc inc.,
Roger Pinel, Claude Poirier, Produits Belle Baie ltée,
Adrien Roussel, Jean-Camille Roussel, Mathias Roussel,
Steven Roussy, Mario Savoie, succession de Jean-Pierre Robichaud,
succession de Lucien Chiasson, succession de Sylva Haché,
Jean‑Marc Sweeney, Michel Turbide, Réal Turbide,
Donat Vienneau, Fernand Vienneau, Livain Vienneau
et Rhéal Vienneau Intervenants
Répertorié : Canada (Procureur général) c. McArthur
No du greffe : 33043.
2010 : 20, 21 janvier; 2010 : 23 décembre.
Présents : Les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Laskin, Borins et Feldman), 2008 ONCA 892, 94 O.R. (3d) 19, 303 D.L.R. (4th) 626, 245 O.A.C. 91, 86 Admin. L.R. (4th) 163, 40 C.E.L.R. (3d) 183, [2008] O.J. No. 5291 (QL), 2008 CarswellOnt 7826, qui a infirmé une décision du juge Pedlar, 2006 CarswellOnt 9820. Pourvoi rejeté.
Christopher M. Rupar, Alain Préfontaine et Bernard Letarte, pour les appelants.
John A. Ryder-Burbidge, pour l’intimé.
Argumentation écrite seulement pour l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.
Patrick Ferland et David Quesnel, pour les intervenants Roland Anglehart père et autres.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] Le juge Binnie — Le pourvoi soulève la question de savoir si, pour réclamer des dommages-intérêts contre les autorités carcérales fédérales devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour détention arbitraire et mauvais traitements prétendument subis il y a plus de 10 ans, un détenu doit au préalable présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale pour faire annuler les ordres d’isolement cellulaire sur lesquels repose son recours.
[2] Comme dans le pourvoi connexe Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585, tranché concurremment, le procureur général du Canada qualifie la demande de dommages-intérêts de contestation indirecte d’une décision administrative, en l’occurrence les ordres d’isolement, et conteste la compétence de la cour supérieure provinciale d’instruire la demande tant que ces ordres n’auront pas été annulés par la Cour fédérale. Il soutient que, d’ici là, la Couronne et ses fonctionnaires sont totalement à l’abri d’un recours en responsabilité, vu le pouvoir d’origine législative que leur confère la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20. Pour les motifs exposés dans TeleZone, j’estime que cette objection à la compétence de la cour supérieure provinciale n’est pas fondée. C’est ce qu’a décidé la Cour d’appel de l’Ontario. Je suis d’accord avec cette décision et je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
I. Faits
[3] En octobre 1994, alors qu’il était en libération conditionnelle par suite d’une déclaration de culpabilité antérieure, M. McArthur a été arrêté et accusé de nombreuses infractions, dont vol qualifié, enlèvement, tentative de meurtre et voies de fait causant des lésions corporelles. Il a été incarcéré à Millhaven, une institution fédérale, en attendant son procès. L’appelant James Blackler était le directeur de Millhaven à cette époque. Selon les allégations faites dans la déclaration modifiée, qu’il faut considérer comme pouvant être prouvées pour les besoins du présent pourvoi, M. McArthur a été gardé en isolement cellulaire pendant environ 18 mois à Millhaven sur l’ordre de M. Blackler ou d’autres fonctionnaires fédéraux dont les actes engagent la responsabilité de la Couronne.
[4] En mai 1996, M. McArthur a été transféré avec son consentement de Millhaven au pénitencier de Kingston. Juste avant l’arrivée de M. McArthur à ce pénitencier, M. Blackler en est devenu le directeur et, selon ce qui est allégué dans la déclaration modifiée, il a ordonné que M. McArthur soit placé en isolement cellulaire pendant encore 14 mois. Selon la déclaration, cela a été fait avec [traduction] « animosité et malveillance » (par. 24).
[5] Par la suite, le Service correctionnel du Canada (« SCC ») a transféré M. McArthur à l’unité spéciale de détention de Ste-Anne-des-Plaines, où il a été placé une fois de plus en isolement cellulaire, pendant quatre mois cette fois. Au total, M. McArthur a passé environ quatre ans et six mois en isolement cellulaire ou dans une unité spéciale de détention entre 1994 et 1999.
[6] M. McArthur dit avoir subi un [traduction] « préjudice émotionnel et psychologique grave » (par. 26 (en italique dans l’original)) en raison de son isolement involontaire pendant quatre ans et six mois. Il s’est vu refuser des visites familiales privées [traduction] « habituellement accordées aux autres détenus se trouvant dans une situation semblable » (par. 24), ainsi que des cours, des programmes de réadaptation et des « loisirs » (par. 25). De plus, il affirme que ces mêmes actes ont également causé un préjudice émotionnel et psychologique grave à sa femme et à sa fille puisqu’on [traduction] « leur a refusé le droit de communiquer avec [lui] et de [lui] rendre visite, un droit habituellement accordé à la famille des autres détenus » (par. 26).
[7] M. McArthur affirme que son isolement cellulaire (que l’on appelle parfois une « prison à l’intérieur d’une prison ») était arbitraire et constituait une peine cruelle et inusitée, en violation des art. 9 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il ajoute que les intimés n’ont pas observé la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, laquelle, avec ses règlements et les directives du commissaire du Service correctionnel, régit les circonstances dans lesquelles un détenu peut être placé en isolement cellulaire. Selon M. McArthur, les décisions successives ordonnant son isolement cellulaire pendant une période aussi longue ont été prises de façon délibérée et avec malveillance ou, subsidiairement, par négligence. Il réclame des dommages-intérêts pour emprisonnement illégal ou séquestration et pour trouble émotionnel et souffrance morale infligés délibérément ou par négligence. M. McArthur ne cherche pas à faire annuler les ordres d’isolement, sans effet concret depuis plus de 10 ans, soit depuis que son isolement cellulaire a pris fin.
II. Historique judiciaire
A. Cour supérieure de l’Ontario (le juge Pedlar), 2006 CarswellOnt 9820
[8] Le juge des requêtes a accepté l’argument du procureur général fondé sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287, qui présentait des faits similaires. Selon lui, permettre à la Cour supérieure d’instruire l’action en dommages-intérêts revient à négliger ou à nier l’intention, clairement exprimée par le législateur dans la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, d’octroyer à la Cour fédérale compétence exclusive en matière de contrôle judiciaire. Par conséquent, un demandeur qui prétend avoir subi un préjudice indemnisable en raison d’une décision administrative doit d’abord demander à la Cour fédérale de se prononcer sur la légalité de la décision. Le juge des requêtes a dit ce qui suit : [traduction] « Je ne pense pas que la Cour supérieure de justice de l’Ontario ait compétence tant que cela n’est pas fait » (par. 8).
B. Cour d’appel de l’Ontario (les juges Laskin, Borins et Feldman), 2008 ONCA 892, 94 O.R. (3d) 19
[9] Dans un jugement unanime rédigé par le juge Borins, la Cour d’appel a conclu que [traduction] « l’arrêt Grenier est incorrect » (par. 100). Le procureur général n’avait pas établi que les prétentions du demandeur [traduction] « étaient clairement visées par le par. 18(1) » (par. 94) de la Loi sur les Cours fédérales, dont la Cour d’appel dit qu’il est axé sur les recours :
[traduction] Dans aucun des dossiers, un recours faisant partie des brefs de prérogative ou des recours extraordinaires visés par l’art. 18 n’a été exercé. L’article 18 ne permet pas à la Cour fédérale d’accorder des dommages-intérêts, ce qui est réclamé [en l’espèce]. . .
. . . Les causes d’action en matière contractuelle ou délictuelle sont distinctes des brefs de prérogative et des recours extraordinaires décrits à l’art. 18. En résumé, une réparation sous forme de dommages-intérêts n’est pas un type de réparation prévu à l’art. 18. [par. 94-95]
Par conséquent, l’appel a été accueilli.
III. Dispositions pertinentes
[10] Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20
3. [But du système correctionnel] Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.
Isolement préventif
31. (1) [Objet] L’isolement préventif a pour but d’empêcher un détenu d’entretenir des rapports avec l’ensemble des autres détenus.
(2) [Retour parmi les autres détenus] Le détenu en isolement préventif doit être replacé le plus tôt possible parmi les autres détenus du pénitencier où il est incarcéré ou d’un autre pénitencier.
(3) [Motifs d’isolement préventif] Le directeur du pénitencier peut, s’il est convaincu qu’il n’existe aucune autre solution valable, ordonner l’isolement préventif d’un détenu lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire, selon le cas :
a) que celui-ci a agi, tenté d’agir ou a l’intention d’agir d’une manière compromettant la sécurité d’une personne ou du pénitencier et que son maintien parmi les autres détenus mettrait en danger cette sécurité;
b) que son maintien parmi les autres détenus peut nuire au déroulement d’une enquête pouvant mener à une accusation soit d’infraction criminelle soit d’infraction disciplinaire grave visée au paragraphe 41(2);
c) que le maintien du détenu au sein de l’ensemble des détenus mettrait en danger sa sécurité.
32. [Considérations] Les recommandations faites aux termes du paragraphe 33(1) et les décisions que prend le directeur en matière d’isolement préventif sont fondées sur les principes ou critères énoncés à l’article 31.
33. (1) [Réexamen] Lorsque l’isolement préventif est imposé au détenu, le directeur charge une ou plusieurs personnes de réexaminer périodiquement chaque cas, par une audition, selon les modalités réglementaires de temps et autres, et de lui faire après chaque réexamen des recommandations quant au maintien ou non du détenu en isolement préventif.
Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620
21. (1) Lorsque l’isolement préventif est imposé au détenu, le directeur du pénitencier doit veiller à ce que la ou les personnes visées à l’article 33 de la Loi, qu’il a chargées de réexaminer les cas d’isolement préventif en tant que comité de réexamen des cas d’isolement, soient informées de l’isolement préventif du détenu.
(2) Le comité de réexamen des cas d’isolement visé au paragraphe (1) doit tenir une audition :
a) dans les cinq jours ouvrables suivant l’isolement préventif du détenu;
b) par la suite, au moins une fois tous les 30 jours tant qu’est maintenu l’isolement préventif du détenu.
(3) Le directeur du pénitencier doit veiller à ce que le détenu qui fait l’objet d’une audition du comité de réexamen des cas d’isolement conformément au paragraphe (2) :
a) reçoive, au moins trois jours ouvrables avant l’audition, un avis écrit de l’audition et les renseignements que le comité entend examiner à l’audition;
b) ait la possibilité d’assister à l’audition et d’y présenter ses observations;
c) soit avisé par écrit de la recommandation faite par le comité au directeur du pénitencier et des motifs de celle-ci.
22. Lorsque le détenu est mis en isolement préventif, le responsable de la région ou l’agent de l’administration régionale désigné par lui doit examiner son cas au moins une fois tous les 60 jours pendant qu’il est en isolement préventif pour décider, selon les motifs énoncés à l’article 31 de la Loi, si le maintien de cette mesure est justifié.
IV. Analyse
[11] Un important principe est en jeu dans le présent pourvoi, comme dans TeleZone, soit celui de l’accès à la justice. Sauf quelques exceptions notables, les détenus ne sont pas riches. Seuls quelques-uns d’entre eux peuvent se permettre d’engager au départ une procédure de contrôle judiciaire pour contester la validité d’un ordre d’isolement une fois l’isolement terminé, alors que l’annulation de l’ordre ne présente plus aucun intérêt pratique. M. McArthur peut avoir un intérêt dans la bonne administration du système carcéral, mais il cherche actuellement à obtenir une indemnité. Il se peut, bien entendu, qu’il ne l’obtienne pas, mais il devrait pouvoir se faire entendre sans avoir à engager des procédures inutiles et improductives, à moins que les lois applicables le contraignent clairement et expressément à passer par la Cour fédérale.
[12] Pour les motifs exprimés dans l’arrêt connexe TeleZone, j’estime que l’argument du procureur général donne une trop grande portée juridique à l’attribution, par l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales, d’une compétence exclusive en matière de contrôle judiciaire des actes des décideurs fédéraux. Une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de la Loi sur les Cours fédérales n’étaye pas ses prétentions.
[13] Comme l’a souligné le juge des requêtes, les faits de l’espèce ressemblent beaucoup à ceux de l’affaire Grenier. Dans sa déclaration modifiée, M. McArthur soutient que les ordres d’isolement ont été donnés [traduction] « sans raison ou excuse valable » (par. 12) et n’étaient pas fondés sur « les motifs raisonnables requis par le par. 31(3) de la Loi pour justifier [son] isolement préventif involontaire » (par. 15). De toute évidence, il met en cause la légalité ou la validité des ordres d’isolement, mais il le fait dans le cadre d’une cause d’action de droit privé à l’égard de laquelle la cour supérieure provinciale a compétence. Rien dans la législation fédérale n’indique que les cours provinciales peuvent statuer sur certains éléments seulement — et non sur tous les éléments — de ses réclamations pécuniaires contre la Couronne.
[14] En outre, il ne fait aucun doute que la cour supérieure provinciale est compétente pour entendre la demande d’indemnisation de M. McArthur en vertu du par. 24(1) de la Charte. Dans Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307, on a fait valoir au nom de la Couronne fédérale que, comme une réparation constitutionnelle était demandée contre des fonctionnaires fédéraux (y compris le directeur des enquêtes et recherches en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23, une loi fédérale maintenant abrogée) qui répondaient tous à la définition d’un « office fédéral », la Loi sur les Cours fédérales (alors intitulée Loi sur la Cour fédérale) avait effectivement écarté la compétence de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Notre Cour a conclu que le législateur ne pouvait pas, en accordant à la Cour fédérale compétence exclusive à l’égard des fonctionnaires fédéraux, priver les cours supérieures provinciales de leur compétence traditionnelle à l’égard des questions constitutionnelles. À mon avis, la Loi sur les Cours fédérales ne peut pas non plus avoir pour effet d’empêcher une cour supérieure provinciale de procéder à l’examen de la constitutionnalité de la conduite de fonctionnaires fédéraux. L’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 permet la création de « tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada ». Les cours supérieures provinciales conservent leur compétence historique à l’égard de la Constitution. Évidemment, cela n’écarte pas la compétence concurrente de la Cour fédérale sur les questions constitutionnelles, mais cette compétence n’est pas exclusive et elle ne peut le devenir. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a donc compétence pour connaître de la demande de M. McArthur fondée sur la Charte, sans égard à l’art. 17 de la Loi sur les Cours fédérales.
[15] De toute évidence, la Cour supérieure de justice est saisie de la question de savoir si les défendeurs de la Couronne peuvent invoquer le moyen de défense de pouvoir d’origine législative, c.-à-d. plaider que les ordres d’isolement préventif ont été donnés en conformité avec la loi et que le traumatisme émotionnel et psychologique qu’aurait subi M. McArthur était un risque inévitable de sa détention légale en isolement cellulaire. Le procureur général affirme que tel est le cas et que, par conséquent, le préjudice allégué n’ouvre pas droit à une action. Cependant, soit dit en toute déférence, la Cour supérieure peut fort bien examiner la validité de la détention de M. McArthur dans le contexte d’une action en dommages-intérêts, ainsi que les répercussions, le cas échéant, d’un ordre valide sur la responsabilité de la Couronne.
[16] L’action en dommages-intérêts de M. McArthur pourrait, dans une certaine mesure, être qualifiée de « contestation indirecte » des ordres d’isolement, mais je ne crois pas qu’une telle « contestation » soit interdite par la Loi sur les Cours fédérales. Les décisions du gouvernement sont au cœur de bon nombre, voire de la plupart, des demandes d’indemnisation présentées contre la Couronne pour un préjudice pécuniaire. Pour les motifs exposés dans TeleZone, j’estime que le principe de l’interdiction des contestations indirectes est inapplicable en l’espèce, vu l’attribution explicite aux cours supérieures provinciales de la compétence à l’égard des réclamations visant la Couronne, à l’art. 17 de la Loi sur les Cours fédérales et à l’art. 21 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50.
[17] La Cour supérieure a compétence pour instruire l’action en dommages-intérêts de M. McArthur (sur les plans délictuel et constitutionnel) car elle possède une compétence « ratione personae et ratione materiae [. . .] et [elle] détient en outre le pouvoir de rendre l’ordonnance sollicitée » : Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, le juge McIntyre, p. 960, citant le juge Brooke de la Cour d’appel dans R. c. Morgentaler (1984), 41 C.R. (3d) 262, p. 271, et le juge Lamer (plus tard Juge en chef), p. 890. Voir aussi R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588, p. 603; R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575, par. 15; R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765. Aucune disposition de la Loi sur les Cours fédérales ne prévoit que la Cour fédérale a compétence exclusive pour se prononcer sur la légalité ou la validité de la décision d’un « office fédéral » dans un cas où M. McArthur ne sollicite aucune des réparations énumérées à l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales et où les ordres d’isolement dont il se plaint n’ont plus d’effet concret. Ces ordres ne constituent maintenant qu’un élément d’une cause d’action de droit privé intentée contre la Couronne et un fonctionnaire fédéral. Conclure le contraire minerait la compétence conférée expressément par la loi aux cours supérieures provinciales, et ce, pour des raisons formalistes qui ne sont ni impérieuses ni compatibles avec la promotion d’un accès direct, et sans frais inutiles, à la justice.
V. Conclusion
[18] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens en faveur de M. McArthur devant toutes les cours et de déclarer que la Cour supérieure a compétence pour instruire sa demande.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureur des appelants : Procureur général du Canada, Ottawa.
Procureurs de l’intimé : Ryder-Burbidge Hurley Fasano, Kingston.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique : Procureur général de la Colombie-Britannique, Vancouver.
Procureurs des intervenants Roland Anglehart père et autres : Heenan Blaikie, Montréal.