LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par
-Mme Béatrice X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 6e chambre, en date du 14 décembre 2010, qui, pour abus de confiance, l'a condamnée à un an d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, 2 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 63-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté les exceptions de nullité soulevées par Mme X...tirées de l'irrégularité de la procédure d'enquête et de l'ensemble des actes subséquents ;
" aux motifs que comme devant le tribunal, la prévenue soutient qu'à la suite de la plainte déposée à son encontre par son employeur, elle a été placée en garde à vue et que, dans le cadre de celle-ci, elle n'a pu rencontrer un avocat comme elle le souhaitait ; qu'elle fait valoir que la procédure d'enquête serait nulle au motif qu'elle se fonde sur le recueil de ses aveux par un huissier de justice requis par son employeur, dans des conditions clandestines et donc en violation de ses droits fondamentaux ; qu'il résulte des procès-verbaux de l'enquête que la prévenue a été convoquée pour être entendue le 8 juin 2009 à 10 h par les services de la gendarmerie sur les faits dénoncés par son employeur ; que placée en garde à vue à ce moment, ses droits, dont celui de s'entretenir avec un conseil, lui ont été notifiés le 8 juin à 10 h 20, puis à l'occasion du renouvellement de cette mesure le 9 juin à 9 h 35 ; qu'elle a, à ces deux occasions, renoncé à ce droit ; que s'il résulte de ses auditions que, confrontée aux charges réunies à son encontre, elle devait répondre aux enquêteurs, après la prolongation de la garde à vue, qu'elle ne s'exprimerait qu'après consultation d'un conseil, sans qu'il n'ait été accédé à cette demande, cet élément ne saurait entraîner l'annulation des procès-verbaux d'une enquête durant laquelle les prescriptions édictées par l'article 63-4 du code de procédure pénale ont été strictement respectées ; qu'avant de mettre en oeuvre la procédure préalable à son éventuel licenciement et le dépôt de sa plainte, la société SERP avait procédé au recueil des témoignages des autres salariés de l'établissement consignés dans des attestations dont les auteurs ont confirmé la teneur le 19 février 2008 devant Maître Z..., huissier de justice à Montreuil-sur-Nier ; que celui-ci a recueilli la reconnaissance par Mme X...des faits qui lui étaient imputés dans un constat du 25 février 2008 ; qu'il n'est aucunement établi que ces déclarations, recueillies avec le concours et sous le contrôle d'un officier ministériel, l'ont été dans des conditions contraires à la loi et notamment sous la contrainte ; que ces éléments pouvaient être joints au dossier de l'enquête et opposés à la mise en cause sans que la procédure ne soit affectée, pour ce motif, d'une quelconque irrégularité ; que c'est donc à mauvais escient que le prévenu soutient la nullité de la procédure d'enquête et celle subséquente de l'acte des poursuites ; que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ;
" 1°) alors que les Etats sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme sans attendre une condamnation par celle-ci ou un changement dans leur législation ; aux termes, notamment, de ses arrêts A..., B...et C...rendus les 27 novembre 2008, 13 octobre 2009 et 14 octobre 2010, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme soit effectif et concret, il faut que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de la mesure et pendant toute la durée de ses interrogatoires et ce, a fortiori lorsqu'elle n'a pas été informée de son droit de se taire ; qu'ayant constaté qu'alors que Mme X...avait exprimé son besoin d'être assistée d'un avocat après la prolongation de sa garde à vue, il n'avait pas été accédé à cette demande, la cour d'appel ne pouvait juger régulière la garde à vue de la prévenue qui, en outre, n'avait pas pu être informée de son droit de se taire ;
" 2°) alors que toute personne a droit à bénéficier des garanties du procès équitable dès l'instant où elle fait l'objet d'une accusation en matière pénale et même pendant les différentes phases préparatoires du jugement ; que ne satisfait pas à cette exigence l'interrogatoire surprise mené par un employeur contre un salarié accusé de détournements au cours duquel ce salarié n'a pu bénéficier d'aucune assistance ; qu'en l'espèce, Mme X...soutenait, dans ses conclusions d'appel, que les garanties du droit au procès équitable s'opposaient à ce que son employeur et l'huissier spécialement requis par lui puissent obtenir d'elle des déclarations incriminantes lors d'un entretien surprise auquel elle n'avait pas été convoquée et au cours duquel elle n'avait pu être assistée ni par un avocat ni par un délégué syndical ; qu'en se bornant à relever que les déclarations incriminantes de Mme X...obtenues par son employeur n'avaient pas été faites sous la contrainte, pour décider que ces déclarations pouvaient valablement lui être opposées, sans répondre au chef péremptoire des conclusions de Mme X...tirées de la méconnaissance des garanties conventionnelles du droit au procès équitable, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
" 3°) alors qu'en outre, toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ; qu'aux termes des arrêts D..., E... et Y. B. rendus par la Cour européenne des droits de l'homme les 10 février 1995, 26 juin 2002 et 28 janvier 2005, la présomption d'innocence s'impose aux autorités publiques ; qu'en omettant de répondre au chef des conclusions de Mme X...tiré de la violation de la présomption d'innocence par un responsable de la police judiciaire au cours de l'enquête préliminaire, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés " ;
Vu l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu qu'il se déduit de ce texte que toute persone placée en garde à vue, doit pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat dès qu'elle en fait la demande ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, dans une enquête ouverte à la suite de la plainte de son employeur pour abus de confiance, Mme X...a été placée en garde à vue, le 8 juin 2009, à 10 heures ; que son droit à l'assistance d'un avocat lui a aussitôt été notifié ainsi que lors du renouvellement de cette mesure ; qu'à ces deux moments, elle a renoncé à ce droit ; que, postérieurement à la prolongation de sa garde à vue, elle a, confrontée aux charges réunies à son encontre, déclaré aux enquêteurs qu'elle ne s'exprimerait qu'après avoir demandé conseil et avis à son avocat ; que son audition a néanmoins été poursuivie ;
Attendu que, pour rejeter la demande d'annulation de la procédure d'enquête aux motifs de l'irrégularité de la garde à vue, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait, après avoir constaté que les auditions recueillies postérieurement au moment où la prévenue avait sollicité la présence d'un avocat étaient irrégulières, de les annuler et, le cas échéant, d'étendre les effets de cette annulation aux actes qui en étaient le support nécessaire, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que l'annulation est encourue ;
Par ces motifs :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 14 décembre 2010, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Amiens, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Desgrange conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;