LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° V 08-82.666 FS-P+F
N° 2868
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SOCIÉTÉ MAAF ASSURANCES, partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PAU, chambre correctionnelle, en date du 13 mars 2008, qui, dans la procédure suivie contre Nicolas X... du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 593 du code de procédure pénale, 1382 du code civil, L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale, 28, 29 de la loi du 5 juillet 1985, du principe de l'exacte réparation du préjudice, violation de la loi, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué a évalué le préjudice de Nathalie Y... comme suit après application du partage de responsabilité et du droit préférentiel de la victime :- frais divers : 460,00 euros- perte de gains professionnels actuels : 391,63 euros- déficit fonctionnel temporaire : 12 000,00 euros- souffrances endurées : 12 000,00 euros- préjudice esthétique permanent : 800,00 euros- perte de gains professionnels futurs : 418 295,16 euros- déficit fonctionnel permanent : 171 520,00 eurosTotal : 616 492,79 euroset, dit compte tenu du précédant versement de 297 930,50 euros intervenu au titre de la provision et de l'exécution provisoire, la cour d'appel a condamné in solidum la MAAF Assurances et Nicolas X... à payer la somme de 318 562,29 euros ;
"aux motifs que sur l'indemnisation du préjudice : au visa de l'arrêt avant dire droit du 13 septembre 2007, la cour doit évaluer la perte de gains professionnels futurs et le déficit fonctionnel permanent ; qu'il ne résulte des conclusions de Nathalie Y... aucune demande nouvelle, celle-ci ayant adapté ses demandes à la nouvelle réglementation concernant le recours des organismes payeurs et ayant répondu aux demandes de la cour dans son arrêt avant dire droit ;1) pertes de gains professionnels futurs :qu'en tenant compte de la règle rappelée dans l'arrêt avant dire droit pour le calcul de ce poste de préjudice et en fonction des éléments donnés par Nathalie Y..., la perte de gains professionnels futurs sera calculée de la façon suivante : - perte de gains entre la date de la consolidation (30 septembre 2003) et la date de l'arrêt (13 mars 2008) : il sera pris en compte un salaire moyen mensuel de 2 000 euros eu égard à l'évolution prévisible des salaires dont aurait pu bénéficié l'intéressée depuis 2000 ; que la perte totale des gains est donc de 2000 x 54 = 108 000 euros ; que compte tenu du partage de responsabilité de 80 % l'indemnité à la charge de la MAAF et de Nicolas X... est de 86 400 euros ;- pertes de gain futurs après consolidation : compte tenu de l'âge de la victime et en prenant comme référence le barème de capitalisation de la gazette du palais 2004, publié en 2005, l'indemnité sera calculée de la façon suivante : 2000 x 12 x 22,626 = 524 024 euros ; qu'après application du partage de responsabilité et du droit préférentiel de la victime, l'indemnité à la charge de la MAAF et de Nicolas X... est, à ce titre, de 434 419,20 euros ; que l'indemnité totale à la charge de la MAAF et Nicolas X... s'établit donc à la somme de 520 819,20 euros ; que cette somme doit se répartir entre la victime et l'organisme social ; que pour cela, Il convient de rechercher la perte réelle de revenus de Nathalie Y... après paiement de la rente par la CPAM entre la consolidation et l'arrêt, d'une part, et pour les années futures, d'autre part : il sera pris comme référence la rente annuelle de 8 542,71 euros servie par la CPAM ; que faute d'éléments donnés par la CPAM dans son dernier courrier du mois d'octobre 2007, il n'y a pas lieu de revaloriser cette rente ; que la perte de revenus mensuelle de Nathalie Y... est donc de 2 000 euros - 711,89 euros (correspondant à la rente mensuelle) = 1 288,11 euros ; que pour les deux périodes considérées, la perte de revenus est de : entre la consolidation et l'arrêt : 1 288,11 x 54 = 69 557,94 euros, après arrêt : 1 268,11 x 12 x 22 626 = 349 737,32 euros ; qu'il revient donc à Nathalie Y... la somme de 419 295,26 euros et compte tenu du droit préférentiel de la victime, la créance de la sécurité sociale s'établit à 101 523,94 euros ;2) déficit fonctionnel permanent : que, s'agissant d'un préjudice extrapatrimonial, il n'y pas lieu de déduire une quelconque créance de la caisse dès lors qu'elle ne justifie pas de débours à ce titre ; que, compte tenu des très lourdes séquelles existantes et de l'âge de la victime, la cour retiendra un point d'une valeur de 3 200 euros, soit une somme de 214 400 euros ; qu'après partage de responsabilité, Nathalie Y... recevra la somme de 171 520 euros ;sur l'indemnité définitive : la cour a déjà fixé les autres postes de préjudices ainsi qu'il suit en tenant compte de la créance de la caisse et du partage de responsabilité :- dépenses de santé actuelles 80 748,68 euros, - frais divers 480, 00 euros- perte de gains professionnels actuels : 38 673,73- dépenses de santé futures 2 417,32- déficit fonctionnel temporaire 12 000 euros- souffrances endurée 12 000 euros- préjudice esthétique permanent 800 euros,étant précisé qu'il revient à Nathalie Y..., après déduction de la créance de la caisse poste par poste :- frais divers 480 euros- perte de gains professionnels actuels : 397,63 euros- déficit fonctionnel temporaire 12 000 euros- souffrances endurées 12 000 euros- préjudice esthétique permanent 800 eurosil y a lieu d'y ajouter- perte de gains professionnels futurs 419 295,26 euros- déficit fonctionnel permanent 171 520,00 eurosqu'il revient à Nathalie Y... la somme totale de 616 492,89 euros ; qu'en conséquence, la compagnie MAAF Assurances et Nicolas X... seront condamnés à payer à Nathalie Y... la somme de 318 562,39 euros ; que sur la créance de la caisse : bien que la CPAM n'intervienne pas, il convient d'évaluer sa créance à la somme de 220 548,90 euros qui tient compte du droit préférentiel de la victime et du partage de responsabilité ;
1°) alors que la rente accident du travail servie à la victime d'un accident de la circulation pris en charge à titre professionnel répare tout à la fois le préjudice patrimonial subi par la victime, en prenant en compte le revenu qui était le sien avant l'accident, et son préjudice extrapatrimonial, en prenant en compte l'atteinte à son intégrité physique ; qu'aussi, cette rente doit être prise en compte pour déterminer le solde d'indemnisation susceptible d'être mis à la charge du tiers responsable de l'accident et de son assureur au titre des «pertes de gains professionnels futurs» et du «déficit fonctionnel permanent» ; qu'en décidant d'évaluer le « déficit fonctionnel permanent» sans tenir compte de la rente accident du travail versée par la caisse, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"2°) alors que, si la réparation dont est tenu l'auteur d'un fait dommageable doit être égale à la totalité du préjudice subi, elle ne saurait cependant la dépasser ; que, par suite, en calculant la somme revenant à la victime et mise à la charge du tiers responsable de l'accident et de son assureur au titre de la réparation du préjudice afférent à sa perte de salaire à compter du 30 septembre 2003 jusqu'au 13 mars 2008 sans prendre en compte la somme de 13 566,34 euros correspondant aux indemnités journalières versées par la caisse et perçues par la victime au cours de cette période, la cour d'appel a méconnu le principe de l'exacte réparation du préjudice et les textes susvisés ;
"3°) alors que, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice causé par l'infraction, il ne saurait en résulter pour la victime ni perte ni profit ; que la cour d'appel ne pouvait refuser de prendre en compte l'actualisation de la rente servie à la victime pour calculer le solde de l'indemnisation de son préjudice lié à la perte de revenu devant être mis à la charge du tiers responsable et de son assureur ;
" 4°) alors que, si la réparation dont est tenu l'auteur d'un fait dommageable doit être égale à la totalité du préjudice subi, elle ne saurait cependant la dépasser ; qu'en ne tenant pas compte du fait que la MAAF avait honoré les prestations de l'organisme social à hauteur de 287 426,59 euros hors frais futurs pour calculer le solde de l'indemnisation du préjudice de la victime, la cour d'appel a fait supporter à l'assureur du tiers responsable une indemnisation supérieure au préjudice de la victime" ;
Vu l'article 1382 du code civil, ensemble les articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de la loi 21 décembre 2006, et L. 434-2 du code de la sécurité sociale ;
Attendu que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ;
Attendu qu'il résulte des pièces de procédure que Nathalie Y... a été blessée dans un accident de la circulation, constituant un accident de trajet, dans lequel était impliqué le véhicule conduit par Nicolas X..., assuré auprès de la société MAAF assurances ; que, par arrêt du 27 novembre 2002, devenu définitif, la cour d'appel a déclaré Nicolas X... responsable du préjudice subi par Nathalie Y... à hauteur de 80 % et ordonné une mesure d'expertise qui a mis en évidence de très lourdes séquelles ayant une incidence professionnelle ; que le tribunal correctionnel a, ensuite, procédé à la liquidation ; que, sur appel, les juges du second degré ont, par arrêt du 13 septembre 2007, sous réserve de l'imputation ultérieure de la créance de la sécurité sociale, évalué certains postes ; qu'ils ont, en outre, ordonné un sursis à statuer sur les postes correspondant aux parts patrimoniales et extra-patrimoniales du préjudice corporel sur lesquels la rente servie par l'organisme social pouvait s'imputer ; que l'arrêt présentement attaqué a liquidé les postes correspondant et procédé à l'imputation des prestations sur l'ensemble des postes ; que l'organisme social, préalablement indemnisé par l'assureur du prévenu en application du protocole liant les assureurs aux organismes sociaux, a, sur le fondement de l'article 15 du décret n° 86-15 du 6 janvier 1986, communiqué le montant de ses débours et fait connaître qu"il n'interviendrait pas à l'instance ;
Attendu que, pour refuser d'imputer sur le poste du déficit fonctionnel permanent la partie des prestations servies par la caisse qui n'avaient pas pu être récupérées, après application du partage de responsabilité et du droit préférentiel de la victime, sur le poste des pertes de gains professionnels futurs, l'arrêt, qui ne relève pas d'incidence professionnelle, se borne à affirmer qu'il n'y a pas lieu de déduire du poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent une quelconque créance de la caisse, qui ne justifie pas de débours à ce titre ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans évaluer le poste de l'incidence professionnelle et alors que, dans la mesure où son montant excède celui des pertes de revenu et l'incidence professionnelle, la rente servie en application de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale répare nécessairement, en tout ou en partie, l'atteinte objective à l'intégrité physique de la victime que représente le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Qu'en raison du principe de l'indivisibilité des voies de recours instituées par les articles 388-3 et 509 du code de procédure pénale et au regard de l'article 612-1 dudit code, la cassation doit produire effet dans les rapports tant entre l'assureur, demandeur au pourvoi, et la victime, qu'entre l'assuré et cette victime ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Pau, en date du 13 mars 2008, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT que la cassation produira effet dans les rapports tant entre l'assureur, demandeur au pourvoi, et la victime, qu'entre l'assuré et cette victime ;
DÉCLARE IRRECEVABLE la demande au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale, présentée par Nathalie Y... ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Pau et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Pelletier président, M. Le Corroller conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Palisse, Mme Radenne, conseillers de la chambre, Mme Aostini, MM. Chaumont, Delbano, Mme Harel-Dutirou conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Boccon-Gibod ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;