LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, qui est recevable, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 510 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, ensemble l'article 1382 du même code ;
Attendu que la modification du bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie par un majeur en curatelle nécessite l'assistance du curateur ; que la substitution du bénéficiaire au profit du curateur ne peut être faite qu'avec l'assistance d'un curateur ad hoc ;
Attendu qu'un juge des tutelles a, le 2 octobre 2001, prononcé la mise sous curatelle renforcée d'Odette X... et a désigné sa fille, Mme Y..., en qualité de curatrice avec les pouvoirs de l'article 512 du code civil ; que, le 18 octobre 2001, Odette X... a modifié la clause désignant les bénéficiaires en cas de décès des contrats d'assurance-vie qu'elle avait souscrits les 22 septembre 1989 et 22 avril 1993, en substituant Mme Y... aux bénéficiaires désignés initialement ; qu'Odette X... est décédée le 13 janvier 2004, laissant pour lui succéder Mme Josiane X... épouse Z... et Mme Y..., ses deux filles, et ses deux petits-enfants, Mme Christelle A... épouse B... et Francis A..., venus aux droits de leur mère, France X... ; que le 28 octobre 2004, Mme Josiane X... épouse Z..., Mme Christelle A... et M. Francis A... (les consorts X...-A...) ont fait assigner Mme Y... devant un tribunal de grande instance pour demander le rapport à succession des sommes diverties au titre des deux contrats d'assurance-vie et subsidiairement l'octroi de dommages-intérêts en réparation du comportement fautif de Mme Y... ; qu'un jugement du 1er juin 2006 a rejeté la demande de rapport à succession mais a condamné Mme Y... à verser aux consorts X...-A... une certaine somme à titre de dommages-intérêts ;
Attendu que, pour rejeter la demande de dommages-intérêts des consorts X...-A..., la cour d'appel retient que ces derniers n'ont invoqué aucun vice du consentement, par erreur, violence ou dol par le fait de manoeuvres ou agissements imputés à la curatrice à l'occasion de la modification des bénéficiaires des contrats d'assurance-vie ;
Qu'en statuant ainsi, en l'état d'un conflit d'intérêts, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu qu'une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières, qu'il appartient alors au juge de spécifier, constituer un abus de droit, lorsque sa légitimité a été reconnue par la juridiction du premier degré, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet en appel ;
Attendu que, pour condamner les consorts X...-A... à payer à Mme Y... la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel, dont l'arrêt est infirmatif, se borne à constater que le caractère abusif de la procédure a causé à Mme Y... un préjudice ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes en dommages-intérêts des consorts X...-A... et les a condamnés à payer 2 000 euros à Mme Y... pour abus de droit, l'arrêt rendu le 31 mars 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme Y... et la condamne à payer aux consorts X...-A... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour les consorts X...-A... et l'UDAF de Savoie.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté les prétentions de Madame Josiane Z..., Madame Christelle B...-A... et Monsieur Francis A... tendant à obtenir la réparation du comportement fautif de Madame Arlette Y... ;
AUX MOTIFS qu' « il convient de relever que Josiane X... épouse Z..., Christelle A... et Francis A... qui prétendent qu'Arlette X... épouse Y... a abusé de ses fonctions de curatrice, n'ont invoqué aucun vice du consentement d'Odette F... veuve X..., par erreur, violence ou dol par le fait de manoeuvres ou agissements imputés à l'appelante, à l'occasion de la modification des bénéficiaires des contrats d'assurance-vie souscrits les 22 septembre 1989 et 22 avril 1993 ; que les consorts X...-A... ne justifient pas qu'ils ont contesté les comptes annuels de la gestion de la curatelle d'Odette F... veuve X... ; … que le jugement déféré qui a constaté le comportement fautif d'Arlette X... épouse Y... et l'a condamnée à payer diverses sommes à Josiane X... épouse Z..., Christelle A... et Francis A... sera infirmé »
ALORS, d'une part, que seule l'action en nullité d'une convention fondée sur un vice du consentement suppose qu'il soit argué d'un vice du consentement par erreur, violence ou dol ; qu'en rejetant cependant une action en responsabilité pour faute au seul motif que n'était pas invoqué un vice du consentement par erreur, violence ou dol, la Cour d'appel a violé les articles 1382 et 1109 et suivants du Code civil ;
ALORS, d'autre part, qu'en s'abstenant de rechercher, comme il lui était demandé (conclusions d'appel des exposants, p.4), si les manoeuvres et pressions exercées par Madame Arlette Y..., abusant ainsi, comme l'avait relevé le Tribunal, de son autorité morale, n'avaient pas poussé Madame Odette X... à modifier l'identité du bénéficiaire de ses contrats d'assurancevie, ce qu'elle n'aurait pas fait en l'absence du comportement fautif de sa fille, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
ALORS, en outre, que la modification du bénéficiaire d'une clause d'assurance-vie par une personne placée sous le régime de la curatelle nécessite l'assistance du curateur ; que lorsqu'une telle modification est envisagée au bénéfice du curateur, un curateur ad hoc doit être nommé en raison du conflit d'intérêt créé par cette situation ; qu'en s'abstenant cependant de retenir le caractère fautif du comportement du curateur qui avait laissé la personne protégée modifier à son profit l'identité du bénéficiaire de contrats d'assurance-vie sans solliciter la nomination d'un curateur ad hoc à cet effet, la Cour d'appel a violé les articles 1382, 513, 509, 509-2, 495 et 420 du Code civil ;
ALORS, enfin, que toute action des héritiers du majeur protégé contre le curateur relativement aux faits de la curatelle se prescrit par cinq ans à compter de la fin de la curatelle ; qu'en refusant cependant de trancher les contestations soulevées, dans le délai de cinq ans à compter du décès de Madame Odette X..., par Madame Josiane Z..., Madame Christelle B...-A... et Monsieur Francis A... – notamment quant au versement de sommes depuis le PEL sur le contrat d'assurance-vie ou quant au retrait de sommes en espèce (conclusions d'appel des exposants p.4 §15 et p.5 §1) - au motif qu'ils ne justifiaient pas avoir contesté les comptes annuels de gestion, comptes dont ils n'étaient pas destinataires, la Cour d'appel a violé les articles 509, 509-2, 495, 469, 470, 471 et 475 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné Madame Josiane Z..., Madame Christelle B...-A... et Monsieur Francis A... à payer à Madame Arlette Y... la somme de 2.000 à titre de dommages-intérêts en réparation du caractère abusif de la procédure ;
AUX MOTIFS que « le caractère abusif de la procédure engagée par les consorts X...-A... a causé à Arlette X... épouse Y... un préjudice qui sera justement réparé par l'allocation de la somme de 2.000 » ;
ALORS qu'une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient aux juges du fond de justifier, constituer un abus de droit dès lors que sa légitimité a été reconnue, au moins partiellement, par la juridiction du premier degré ; qu'en retenant, sans la moindre justification, le caractère abusif de la procédure engagée par Madame Josiane Z..., Madame Christelle B...-A... et Monsieur Francis A... alors que la légitimité de leur action avait été reconnue en première instance, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil.