LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 17 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
Attendu qu'une clause attributive de juridiction convenue entre un transporteur et un chargeur et insérée dans un connaissement, produit ses effets à l'égard du tiers porteur du connaissement pour autant que, en l' acquérant, il ait succédé aux droits et obligations du chargeur en vertu du droit national applicable; que dans le cas contraire, il convient de vérifier son consentement à la clause, au regard des exigences de l'article 17 de la convention susvisée ;
Attendu que le 23 juin 2003 la société BNP Paribas, Suisse, (ci-après la BNPP), a par ordre et pour le compte de la société Overseas international corporation ouvert une lettre de crédit irrévocable en faveur de la société Millie's Holding (Japan) pour financer l'achat de cent un véhicules destinés à être revendus à la société lybienne Veba Oil Operations ; que le transport des marchandises entre le Japon et la Lybie a été effectué par la société CMA CGM selon deux connaissements des 8 et 26 septembre 2003 mentionnant la BNPP comme destinataire ("consignee") ; qu'à leur arrivée en Lybie tous les véhicules ont été saisis à la requête d'un créancier de la société Overseas international corporation, ensuite par les autorités lybiennes en garantie des droits portuaires et des frais d'entreposage ; qu'ils n'ont jamais été livrés à leur destinataire ; que le 27 avril 2006, la société. CMA CGM a assigné la BNPP devant le tribunal de commerce de Marseille en paiement des"surestaries" afférents aux conteneurs pour la période de novembre 2003 à décembre 2005 en application de la clause attributive de compétence contenue dans les connaissements ; que le tribunal de commerce de Marseille s'est déclaré compétent et que la BNPP a formé un contredit ;
Attendu que pour accueillir ce contredit et renvoyer les parties à mieux se pourvoir, l'arrêt retient d'abord, qu'il n'existe entre la société CMA - CGM et la BNPP aucun écrit matérialisant l'acceptation spéciale ou expresse par la seconde de la clause insérée dans les deux connaissements émis par la première, puis, que la simple détention de ces connaissements par la BNPP n'établit pas qu'elle l'ait acceptée ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui incombait, préalablement, de rechercher, si, selon le droit national applicable, la BNPP avait succédé aux droits du chargeur, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 juillet 2007, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société BNP Paribas Suisse aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils pour la société CMA - CGM.
Il est reproché à l'arrêt d'avoir écarté l'application de la clause attributive de juridiction au profit du Tribunal de commerce de Marseille et renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
AUX MOTIFS QU' il n'existe entre la SA CMA-CGM et la SA BNP Paribas (Suisse) aucun écrit matérialisant l'acceptation spéciale ou expresse par la seconde de la clause insérée dans les deux connaissements émis par la première et attribuant compétence au Tribunal de commerce de Marseille, alors au surplus que la simple détention de ces connaissements par la SA BNP Paribas (Suisse) ne caractérise pas cette acceptation ; que par ailleurs, le dossier ne contient pas d'élément relatif aux habitudes établies entre les deux sociétés quant à la juridiction compétente pour les litiges les opposant ; qu' enfin la SA CMA-CGM transporteur ne démontre pas que la compétence de la juridiction du siège social du transporteur constitue un usage largement connu et régulièrement observé dans le commerce maritime international ; que c'est donc à tort que le Tribunal de commerce s'est déclaré compétent en vertu de la clause attributive de juridiction stipulée aux deux connaissements de la SA CMA-CGM ;
Alors d'une part que l'article 17 § 1 c° de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 doit être interprété en ce sens que le consentement des parties contractantes à la clause attributive de juridiction est présumé exister lorsque leur comportement correspond à un usage régissant le domaine du commerce international dans lequel elles opèrent et dont elles ont ou sont censées avoir connaissance ; que l'existence d'un tel usage, qui doit être constaté dans la branche commerciale dans laquelle les parties contractantes exercent leurs activités, est établie lorsqu'un certain comportement est généralement et régulièrement suivi par les opérateurs dans cette branche lors de la conclusion de contrats d'un certain type ; qu'ainsi l'efficacité d'une clause attributive de compétence n'est subordonnée ni à l'acceptation spéciale ou expresse de la partie à laquelle elle est opposée, ni à l'existence d'habitudes établies entre les deux parties contractantes quant à la juridiction compétente pour les litiges les opposant, ni enfin à ce que l'usage comporte un critère de compétence déterminé ; que dès lors , en statuant par les motifs précités qui étaient inopérants, sans rechercher si la clause attributive ne correspondait pas à un usage régissant le domaine du commerce international dans lequel les parties opèrent, l'une en tant que transporteur international et l'autre en tant que banque pratiquant le crédit documentaire, dont elles étaient ou étaient censées avoir connaissance, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale au regard de l'article 17 § 1 c° de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
Alors d'autre part qu' une clause attributive de juridiction, qui a été convenue entre un transporteur et un chargeur et qui a été insérée dans un connaissement, produit ses effets à l'égard du tiers porteur du connaissement pour autant que, en acquérant ce dernier, il ait succédé aux droits et obligations du chargeur en vertu du droit national applicable ; que selon une règle substantielle du droit international privé français, l'insertion d'une clause de juridiction dans un contrat international, tel le contrat de transport par connaissement, fait partie de l'économie de celui-ci, de sorte qu'elle s'impose au destinataire ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé la règle précitée, ensemble l'article 17 § 1 c° de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988.