Vu la décision du 11 février 2011 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté pour M. et Mme A...PICOUX, annulé l'arrêt n° 06NC00327 de la Cour administrative d'appel de Nancy en date du 7 février 2008 et a renvoyé l'affaire devant la même Cour ;
Vu le mémoire, enregistré le 14 juin 2011, présenté pour M. et Mme Picoux demeurant..., par la SCP Gide-Loyrette-Nouel ;
M. et Mme Picoux demandent à la Cour de surseoir à statuer jusqu'à ce que le juge judiciaire se prononce sur les recours dirigés contre une ordonnance du délégué du président du Tribunal de grande instance de Mulhouse du 26 août 1999 autorisant l'administration fiscale à procéder à une visite domiciliaire, dans les locaux professionnels de la SA Inter Alsace Holding et de la SA Inter Alsace, ainsi que dans leurs locaux d'habitation, sur le fondement de l'article
L. 16 B et contre la visite domiciliaire opérée le 27 août 1999 en application de cette ordonnance ;
Vu le jugement attaqué et l'arrêt annulé ;
Vu le mémoire, enregistré le 6 juin 2012, et le mémoire complémentaire enregistré le 14 février 2013, présentés pour M. et Mme Picoux qui demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0400372 en date du 23 décembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1998 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de mettre une somme de 10 000 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils reprennent l'argumentation contenue dans leur requête d'appel du 27 février 2006 et soutiennent que :
- la procédure d'imposition, fondée sur des pièces saisies de façon illégale, est entachée d'un vice substantiel ;
- la qualification d'abus de droit est erronée, dès lors que M. Picoux n'a pas appréhendé les liquidités issues de la cession de titres, et qu'il existe un réinvestissement effectif ;
- l'application qui a été faite de l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales est contraire à la liberté d'établissement garantie par le droit de l'Union européenne, notamment par l'article 43 du Traité CE ;
- sa domiciliation en Suisse répond à des contraintes professionnelles ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2012, présenté par le ministre délégué chargé du budget qui conclut au rejet de la requête ;
Le ministre soutient que :
- l'administration fiscale ne s'est pas fondée sur la note du cabinet d'avocats Arthur Andersen pour fonder les redressements litigieux ;
- l'abus de droit est constitué dès lors que le produit de cession des titres en cause n'a été que partiellement réinvesti, sur une durée excessive dénaturant la condition exigée par le législateur pour bénéficier du report d'imposition des plus-values ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, devenue la Communauté européenne ;
Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 février 2013 :
- le rapport de Mme Dulmet, première conseillère,
- et les conclusions de M. Féral, rapporteur public ;
1. Considérant que M. Picoux, président-directeur général de la SA Inter Alsace Holding (IAH), qui avait pris antérieurement avec son fils le contrôle de la société holding luxembourgeoise PWL Participations, a échangé, le 26 août 1998, 495 000 titres de la société IAH contre des titres de la société PWL Participations et déclaré avoir réalisé à cette occasion une plus-value de 132 963 250 F dont il a demandé le report d'imposition sur le fondement des dispositions alors en vigueur du 4 du I ter de l'article 160 du code général des impôts ; que les titres IAH détenus par la société PWL Participations ont été cédés le 25 septembre 1998 à la société britannique de travail temporaire Corporate Service Group (CSG), via une société maltaise PWY, créée le 22 septembre 1998, elle-même filiale de la société maltaise PWX créée le même jour, elle-même filiale de la société de droit luxembourgeois PW Europe, créée le 16 septembre 1998 au Luxembourg et dont PWL Participations était l'associé unique ; que l'administration fiscale ayant estimé que l'apport des titres IAH à la société PWL Participations n'avait eu d'autre intérêt que de permettre à M. Picoux de se placer abusivement dans le champ d'application du report d'imposition prévu par le 4 du I ter de l'article 160 du code général des impôts et ainsi de différer, voire de supprimer, l'imposition due sur la plus-value dégagée par la cession des titres IAH à la société CSG, a imposé la plus-value litigieuse entre les mains de M. Picoux au titre de l'année 1998 sur le fondement des dispositions relatives à la répression des abus de droit ; que, par décision du 11 février 2011, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 7 février 2008 par lequel la Cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel interjeté par M. et Mme Picoux contre le jugement du 23 décembre 2005 du Tribunal administratif de Strasbourg rejetant leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1998 ;
Sur les conséquences de l'irrégularité des opérations effectuées en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales alors applicable : " I. I. Lorsque l'autorité judiciaire, saisie par l'administration fiscale, estime qu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou de la taxe sur la valeur ajoutée en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts, elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l'administration des impôts, ayant au moins le grade d'inspecteur et habilités à cet effet par le directeur général des impôts, à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s'y rapportant sont susceptibles d'être détenus et procéder à leur saisie, quel qu'en soit le support. II. Chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter. (...) L'ordonnance peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel. (...) " ;
3. Considérant que la procédure de visite et de saisie instituée par cet article doit nécessairement être combinée avec la procédure de vérification concernant le même contribuable, de sorte que ces procédures qui constituent deux étapes de la procédure d'imposition, concourent à la décision d'imposition de l'intéressé qui sera prise par l'administration ; que l'annulation par le juge judiciaire de la saisie de pièces résultant de cette opération, qui a pour effet d'interdire à l'administration des impôts d'opposer au contribuable les informations recueillies dans lesdites pièces, affecte donc la régularité de la décision d'imposition de l'intéressé dans la mesure où celle-ci procède de l'exploitation des informations ainsi recueillies ; que cette annulation demeure, en revanche, sans incidence sur la régularité de la décision d'imposition dans la mesure où celle-ci procède de l'exploitation de renseignements que l'administration n'a pas recueillis à l'occasion de la visite annulée ;
4. Considérant que, par ordonnance du 24 janvier 2012, le premier président de la Cour d'appel de Colmar a annulé la saisie de documents énumérés dans la déclaration de recours du 7 juin 2011 enregistrée au greffe de ladite Cour le 14 juin 2011, au nombre desquels figurent une consultation du 16 mars 1998 intitulée " Inter Alsace - Projet de restructuration " émanant du cabinet Arthur Andersen, ainsi qu'une consultation du 23 mars 1998 également intitulée " Inter Alsace - Projet de restructuration " émanant du même cabinet de conseil ; que l'annulation de cette saisie interdisait à l'administration d'opposer au contribuable les informations recueillies irrégulièrement ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment de la notification de redressement en date du 12 février 2001, de la réponse aux observations du contribuable en date du 2 juillet 2001, ainsi que du rapport de l'administration adressé le 25 septembre 2002 au comité consultatif pour la répression des abus de droit, qu'alors même qu'elle disposait d'autres éléments, dont les divers actes passés par M. Picoux au cours de l'opération litigieuse, l'administration fiscale s'est fondée sur les notes des 16 mars et 23 mars 1998 pour appréhender le projet de restructuration envisagé à l'occasion de la vente, tant dans ses différentes étapes que dans ses finalités ; que dans ces conditions, les redressements en litige ne peuvent être regardés comme étrangers à l'exploitation des deux notes des 16 et 23 mars 1998 dont la saisie a été annulée par le juge judiciaire ; qu'ainsi, M. et Mme Picoux sont fondés à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1998, et à demander l'annulation dudit jugement et la décharge desdites impositions ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg 0400372 en date du 23 décembre 2005 est annulé.
Article 2 : M. et Mme Picoux sont déchargés des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1998.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme Picoux une somme de 1 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A...Picoux et au ministre de l'économie et des finances.
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11NC00322