Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 27 février et 12 avril 2006, et complétés par mémoires enregistrés les 16 février et 25 mai 2007, présentés pour M. et Mme Maurice X, demeurant ..., par Me Goulard ; M. et Mme X demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0400372 en date du 23 décembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1998 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de mettre une somme de 8 000 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent :
- que l'ordre dans lequel deux opérations sont effectuées, en l'espèce un apport suivi d'une cession, ne peut jamais présenter un caractère abusif ;
- que l'administration ne peut pas soutenir que les opérations successives intervenues en août et septembre 1998 dissimulaient une simple cession de titres à la société CSG dès lors qu'elle n'a jamais contesté la réalité des apports successifs, que les fonds tirés de la cession de titres n'ont pas été appréhendés par eux-mêmes et sont restés au sein de la société PWY en attente de réinvestissement ;
- qu'en occultant cet aspect de leur argumentation, le tribunal administratif a entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation et méconnu les règles légales et jurisprudentielles régissant la procédure de répression des abus de droit ;
- que c'est à tort que les premiers juges ont affirmé que la vente des titres de la holding IAH à la société CSG était certaine à la date à laquelle sont intervenues les opérations successives d'apport de titres et se sont fondés sur le document émanant du cabinet Arthur Andersen pour justifier de l'existence d'un projet de cession et de la volonté d'éluder l'impôt, dès lors que ce document n'est qu'un recueil de propositions qu'ils n'étaient pas tenus de suivre, celles-ci n'ayant d'ailleurs pas toutes été retenues ;
- que l'interposition d'une société ayant une existence réelle tant sur le plan juridique que le plan économique s'oppose à ce que l'opération d'apport soit qualifiée d'abus de droit ;
- que les opérations litigieuses étaient inspirées par des motifs familiaux et patrimoniaux, ainsi qu'économiques et financiers ;
- qu'en effet l'apport des titres à la société PWL était pour M. X le moyen de régler le différend l'opposant à sa soeur et de commencer à associer son fils à la gestion de ses affaires ;
- que l'utilisation d'une société holding luxembourgeoise était particulièrement adaptée à l'intention de M. X d'utiliser les fonds issus de la cession des titres IAH à des fins de réinvestissement à l'étranger, dont ils justifient, pour respecter la clause de non-concurrence exigée par la société CSG ;
- que la société PWL constituait la société holding permettant à M. X de diriger l'ensemble des sociétés opérationnelles de son groupe, l'opération d'apport réalisée le 26 août 1998 étant l'un des éléments de constitution de cette structure ;
- que le régime de report d'imposition n'instituant pas une exonération définitive et l'opération litigieuse produisant des effets différents de ceux d'une simple cession, dès lors qu'il ne dispose pas du produit de la cession, cette opération ne rentre pas dans le champ de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;
- que l'administration ne pouvait, sans méconnaître le principe communautaire de liberté d'établissement, refuser de tenir compte de l'apport de titres à la société PWL pour dénier à M. X le droit au bénéfice des dispositions du I ter de l'article 160 du code général des impôts ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 31 août 2006 et complété par mémoire enregistré le 24 avril 2007, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
Le ministre conclut au rejet de la requête ;
Il soutient :
- que les opérations successives portant sur les titres de la société IAH n'ont eu d'autre but que de permettre à M. X de se placer dans le champ d'application du report d'imposition prévu par les dispositions de l'article 160 I ter 4 du code général des impôts et ainsi de différer, voire d'éluder l'imposition de la plus-value due sur la cession des titres IAH à la société anglaise CSG et que c'est ainsi à juste titre que l'administration a mis en oeuvre la procédure de répression dès abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, le simple report d'imposition étant par ailleurs susceptible de faire l'objet de cette procédure ;
- que les intérêts d'ordre économique, familial et patrimonial invoqués par les requérants ne sont pas établis ;
- que le moyen tiré de la méconnaissance du droit communautaire est infondé ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité CE ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 janvier 2008 :
- le rapport de M. Vincent, président,
- les observations de Me Goulard, avocat de M. et Mme X ;
- et les conclusions de Mme Steinmetz-Schies, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme X exerçaient jusqu'au 30 septembre 1998 les fonctions de président et de directeur général de la SA Inter Alsace, société de travail temporaire ; que M. X, par ailleurs président directeur général de la SA Inter Alsace Holding (IAH), a acquis avec son fils Eric en date du 16 avril 1998 l'ensemble des parts de la société holding luxembourgeoise PWL Participations ; que, le 26 août 1998, M. X a échangé 495 000 titres de la société IAH contre des titres de la société PWL Participations et déclaré avoir réalisé à cette occasion une plus-value de 132 963 250 F, dont il a demandé le report d'imposition sur le fondement des dispositions alors en vigueur de l'article 160 I ter du code général des impôts, qui précisent que l'imposition d'une plus-value réalisée lors d'apports de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés peut être reportée sur demande expresse du contribuable jusqu'au moment où s'opérera la cession, le rachat, le remboursement ou l'annulation des titres reçus lors de l'échange ; que les titres IAH détenus par la société PWL Participations ont été cédés le 25 septembre 1998 à la société anglaise de travail temporaire Corporate Service Group (CSG), via une société maltaise PWY, créée le 22 septembre 1998, elle-même filiale de la société maltaise PWX créée ce même jour, elle-même filiale de la SARL PW Europe, créée le 16 septembre 1998 au Luxembourg et dont PWL Participations est l'associé unique ; que l'administration ayant estimé que l'apport des titres IAH à la société PWL Participations n'avait eu d'autre intérêt que de permettre à M. X de se placer abusivement dans le champ d'application du report d'imposition prévu par l'article 160 I ter du code général des impôts et ainsi de différer, voire de supprimer l'imposition due sur la plus-value dégagée par la cession des titres IAH à la société CSG, a imposé la plus-value litigieuse entre les mains de M. X au titre de l'année 1998 sur le fondement des dispositions relatives à la répression des abus de droit ; que M. et Mme X relèvent appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu en résultant ainsi que des cotisations sociales y afférentes ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable en l'espèce : «Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses :… qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus… L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement» ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'il est établi que ces actes ont eu un caractère fictif, ou, à défaut, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ces dispositions sont également susceptibles de s'appliquer aux actes ayant normalement pour effet de reporter et non d'éluder ou d'atténuer l'imposition due ;
En ce qui concerne la charge de la preuve :
Considérant que, saisi à la demande de M. X, le comité consultatif pour la répression des abus de droit a, en sa séance du 22 novembre 2002, estimé que l'administration était fondée à mettre en oeuvre la procédure prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que seul un vice de forme ou de procédure de nature à entacher d'irrégularité l'avis du comité peut être utilement invoqué pour en contester la validité ou pour faire obstacle aux conséquences, quant à la charge de la preuve, que la loi attache à la conformité entre l'avis donné par le comité et les impositions établies à raison de l'opération litigieuse ; que le requérant ne reprend plus devant la cour le moyen tiré de ce que le comité aurait insuffisamment motivé son avis ; qu'il s'ensuit que la charge de la preuve du défaut de bien-fondé de l'imposition incombe aux requérants ;
En ce qui concerne le fondement juridique invoqué par l'administration :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, pour recourir en l'espèce à la procédure de répression des abus de droit, l'administration, qui a entendu ce faisant invoquer non le caractère fictif des opérations successives de cession des titres IAH pour soutenir que celles-ci déguiseraient une opération de cession directe de ces titres à la société CSG par M. X, mais le fait que l'échange de titres IAH contre des titres de la société PWL Participations aurait été effectué dans le seul but d'éluder l'impôt que le contribuable aurait normalement dû acquitter, s'est fondée, ainsi qu'il résulte de la notification de redressement en date du 12 février 2001, de la réponse aux observations du contribuable en date du 2 juillet 2001 et de la décision du 26 novembre 2003 de rejet de la réclamation préalable des requérants, sur le fait que la cession des titres de la société IAH à la société CSG, envisagée dès novembre 1997, soit plusieurs mois avant le rachat de la société PWL Participations et l'apport desdits titres à cette société, prenait place dans le cadre d'un montage faisant intervenir différentes structures au Luxembourg et à Malte et destiné, conformément au schéma conçu le 16 mars 1998 par le cabinet de conseil mandaté par M. X, à éviter ou limiter l'imposition des plus-values lors de la cession des titres IAH à la société CSG ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que la société PWL Participations aurait une existence réelle tant sur le plan juridique que sur le plan économique doit être écarté comme inopérant ;
En ce qui concerne l'intérêt économique de l'opération :
Considérant que, pour apporter la preuve qui lui incombe que l'opération d'apport des titres IAH à la société PWL Participations ne serait pas motivée par des considérations exclusivement fiscales, M. X fait valoir que cet apport permettait à cette dernière société et à sa filiale PWY de conserver le produit de leur éventuelle cession et de le réinvestir et que le recours à la société PWL Participations permettait de concentrer dans cette dernière l'ensemble des activités qu'il comptait ne pas céder à la société CSG ; que, toutefois, s'il résulte de l'instruction que M. X était désireux, nonobstant la cession des titres IAH à la société CSG, de poursuivre, voire de développer ses activités dans le domaine du travail temporaire dans les pays non concernés par la clause de non-concurrence souscrite vis-à-vis de CSG, ces réinvestissements, au demeurant partiels et étalés sur plusieurs années, ont été rendus possibles non par l'opération litigieuse, mais par le produit de la cession des titres IAH, produit que l'intéressé aurait lui-même perçu s'il avait cédé directement ses titres à la société CSG, et au surplus versé en l'espèce non à la société PWL Participations, mais à la société maltaise PWY ; que si le regroupement des participations détenues par M. X dans une société holding pouvait présenter un intérêt, concernant notamment les participations détenues dans des entreprises exerçant d'autres activités que le travail temporaire et dans celles des entreprises de travail temporaire qu'il était autorisé à conserver en application de la clause de non-concurrence, les requérants n'établissent pas que l'apport préalable à la société PWL Participations des titres destinés à être cédés à la société CSG aurait constitué un élément nécessaire à cette fin ;
En ce qui concerne l'intérêt familial de l'opération :
Considérant que s'il est constant qu'un litige subsistait entre M. X et sa soeur sur la détention d'une partie des titres IAH et que la solution de ce litige, intervenue le 20 juillet 1998 par une transaction aux termes de laquelle l'intéressé reconnaissait à sa soeur la propriété de 99 000 titres IAH, était un préalable à la cession projetée de la totalité des titres IAH à la société CSG, le requérant n'apporte pas la preuve que l'interposition de la holding PWL Participations dans le processus de cession des titres IAH était nécessaire pour résoudre ce litige, dès lors que, si la soeur de M. X a cédé ses titres non pas à lui-même, mais à la société PWL Participations, celle-ci n'a pu financer cette acquisition, s'élevant à la somme de 20 millions de francs, qu'à l'aide d'un crédit à court terme obtenu auprès d'une banque luxembourgeoise et garanti par la banque populaire du Haut-Rhin auprès de laquelle M. X était client à titre personnel, ce qui fait apparaître que ladite société ne disposait pas d'un actif suffisant pour garantir une ligne de crédit de ce montant et que le crédit personnel de l'intéressé auprès de sa banque a au contraire été jugé suffisant pour constituer les garanties souhaitées par la banque luxembourgeoise ; que si les requérants ajoutent que la détention par PWL Participations des titres détenus par la soeur de M. X aurait en outre présenté l'avantage d'ériger cette société en interlocuteur unique de l'acquéreur, ils ne démontrent pas le bien-fondé de cette affirmation, dès lors que Mme X conservait par ailleurs la propriété d'un dixième des parts de la société IAH qu'elle a cédées directement à la société CSG et que, comme il a été dit ci-dessus, la cession des parts détenues par PWL Participations a été opérée par la société distincte PWY ;
En ce qui concerne l'intérêt patrimonial de l'opération :
Considérant que si les requérants soutiennent que l'apport de ses titres IAH à la société PWL Participations s'inscrivait dans le cadre de la transmission progressive du patrimoine de M. X à son fils, lequel avait également, comme il a été dit ci-dessus, acquis en avril 1988 une partie des titres de ladite société, puis en a pris la gérance à compter du 1er février 2005, ils ne démontrent aucunement, en l'absence de tout acte translatif de propriété de ce patrimoine au profit de leur fils, en quoi l'opération litigieuse aurait été effectuée dans un but de transmission patrimoniale ;
En ce qui concerne le moyen tiré des effets de l'opération litigieuse :
Considérant que les intéressés font valoir que l'opération litigieuse produit des effets différents de ceux d'une simple cession en tant que M. X ne disposerait pas, à la suite des opérations successives auxquelles il a été procédé, du produit de la cession des titres IAH et qu'il n'aurait pas été animé par la volonté d'éluder ou d'atténuer l'impôt dû ; qu'il y a lieu pour la cour d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus sur ce point par les premiers juges ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe de liberté d'établissement :
Considérant que si les requérants soutiennent que le redressement litigieux, mettant en cause la réalisation d'un investissement par le truchement d'une société luxembourgeoise, pose une entrave de nature fiscale contraire à l'article 52 du traité de Rome, devenu l'article 43 du traité constituant la Communauté européenne, lequel prohibe les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre, l'application des dispositions précitées de l'article 64 du livre des procédures fiscales est strictement limitée au cas où il est établi que l'acte passé par un contribuable, impliquant ou non une société établie à l'étranger, revêt un caractère fictif ou simulé, ou bien, à défaut, n'a pu être inspiré par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé cet acte, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ; qu'eu égard à l'objectif ainsi poursuivi, qui consiste spécifiquement à exclure du bénéfice de dispositions fiscales favorables les montages dont le seul objet est de contourner la législation fiscale française, ainsi qu'aux conditions de leur mise en oeuvre, les dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ne peuvent être regardées comme apportant une restriction à la liberté d'établissement incompatible avec les stipulations susmentionnées du traité instituant la Communauté européenne ; qu'ainsi le moyen doit être écarté ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme X ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande en décharge du complément d'impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis au titre de l'année 1998 à raison de l'invocation par l'administration des dispositions relatives à la répression des abus de droit ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent M. et Mme X au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :-
Article 1er : La requête de M. et Mme X est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Maurice X et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.
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N° 06NC00327