Vu la procédure suivante :
1° Procédure contentieuse antérieure :
- devant le tribunal administratif :
M. A... E...a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il a acquittés pour la période allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008.
Par un jugement n° 1001112 du 22 novembre 2012, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
- devant la cour :
M. A... E...a demandé à la cour d'annuler ce jugement du 22 novembre 2012 du tribunal administratif de Rennes, de prononcer la restitution demandée des droits de taxe sur la valeur ajoutée en litige ou, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise pour apprécier la nature et la qualité des actes pratiqués par lui.
Par un arrêt n° 12NT03330 du 26 décembre 2013, la cour a rejeté sa demande.
- devant le Conseil d'Etat :
M. A...E...s'est pourvu en cassation et a demandé au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt de la cour du 26 décembre 2013.
Par une décision n° 375906 du 5 octobre 2015, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour.
2° Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 24 décembre 2012, 21 mai 2013 et 1er juillet 2013, M. A... E..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1001112 en date du 22 novembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il a acquittés au titre de la période allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008 ;
2°) de prononcer la restitution sollicitée ;
3°) à titre subsidiaire d'ordonner une expertise ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la loi française ne respecte pas le principe communautaire de neutralité fiscale ;
- les soins à la personne qu'il prodigue présentent le caractère d'actes médicaux tant en vertu de la réglementation administrative qu'au regard de la jurisprudence dès lors qu'ils ne peuvent être exercés que par des professions médicales ou des auxiliaires médicaux ;
- il a obtenu un diplôme de chiropraticien délivré par l'Institut français de chiropractie, devenu Institut franco-européen de chiropractique, régulièrement enregistré auprès du rectorat de Créteil ; les soins qu'il a dispensés à une époque où sa profession n'était pas réglementée sont de qualité équivalente à ceux effectués par les redevables exonérés de taxe ;
- il entend se prévaloir des dispositions du décret n° 2011-32 du 7 janvier 2011 relatif aux actes et aux conditions d'exercice de la chiropraxie.
Par des mémoires en défense enregistrés les 7 mai et 12 août 2013, le ministre délégué chargé du budget conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par M. E...ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 8 décembre 2015, M. A... E...maintient les conclusions de sa requête et porte à 3 000 euros la somme devant être mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en application du décret n° 2011-32 du 7 janvier 2011 relatifs aux actes et aux conditions d'exercice de la chiropraxie et du décret n° 2011-1127 du 20 septembre 2011 ainsi qu'en application de l'article 15 de la loi de finances rectificatives pour 2011 portant modification des dispositions du 1° du 4. de l'article 261 du code général des impôts, il justifie de l'obtention du titre définitif de chiropraticien ;
- ce titre est délivré par l'agence régionale de santé après examen du dossier par une commission qui contrôle à la fois la qualité de la formation suivie, qui doit être au moins équivalente à celle prévue par le décret du 20 novembre 2011, et la nature des actes pratiqués au regard des exigences des textes règlementaires régissant la profession ; il produit une attestation confirmant l'examen de ces éléments, ainsi que de nombreuses fiches patients, qui permettent de vérifier la nature des actes pratiqués, ainsi que de s'assurer, sur une période significative, que ces actes n'étaient pas compris dans la catégorie des traitements interdits aux chiropracteurs par le décret du 7 janvier 2011 ; la qualité des soins mis en oeuvre est attestée par un médecin ; il répond ainsi aux exigences de qualification et de nature des actes pratiqués lui permettant de bénéficier, en application du principe de neutralité fiscale du système de la taxe sur la valeur ajoutée, de l'exonération prévue par les dispositions du 4° du 1. de l'article 261 du code général des impôts.
Par des mémoires enregistrés le 30 décembre 2015 et le 8 mars 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête et se réfère à ses écritures précédentes devant le Conseil d'Etat et devant la cour.
Il fait valoir en outre que l'attestation produite est insuffisante pour établir la nature des actes effectués par M.E..., ni les conditions dans lesquelles ils l'ont été.
Vu la décision du 15 mars 2016 du président de la cour désignant M. D...Lemoine en qualité de rapporteur public pour l'audience du 31 mars 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 26 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
- le décret n° 2011-32 du 7 janvier 2011 ;
- le décret n° 2011-1127 du 20 septembre 2011 ;
- l'arrêté du 20 septembre 2011 relatif à la formation des chiropracteurs et à l'agrément des établissements de formation en chiropraxie ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Specht,
- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
1. Considérant que M.E..., qui exerce l'activité de chiropracteur, a, par une réclamation du 23 décembre 2009, demandé la restitution des montants de taxe sur la valeur ajoutée acquittés par lui pour la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, pour un montant de 44 622 euros, au motif qu'il estimait être en droit de bénéficier de l'exonération prévue par les dispositions du 1° du 4. de l'article 261 du code général des impôts ; que, par un jugement du 22 novembre 2012, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ; que par un arrêt du 26 décembre 2013, la cour a confirmé ce jugement ; que, par une décision du 5 octobre 2015, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour ;
Sur l'étendue du litige :
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'a pas été contesté au cours de l'instance que le montant de la taxe sur la valeur ajoutée effectivement acquittée par M. E... pour la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, qui se rapporte aux déclarations de taxe sur la valeur ajoutée souscrites par l'intéressé pour la période courant du 1er décembre 2006 au 30 novembre 2008, s'élève en réalité à la somme de 43 007 euros et non à celle de 44 622 euros avancée par le requérant ; que le litige dont la cour est saisi est donc circonscrit à la somme de 43 007 euros ;
Sur le bien-fondé de la demande de restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée :
3. Considérant, en premier lieu, aux termes de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré. / Il en est de même lorsqu'une imposition a été établie d'après les bases indiquées dans la déclaration souscrite par un contribuable (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'un contribuable ne peut obtenir la restitution de droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il a déclarés et spontanément acquittés conformément à ses déclarations qu'à la condition d'en établir le mal-fondé ;
4. Considérant, en deuxième lieu, aux termes de l'article 132, 1 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, qui reprend les dispositions de l'article 13, A de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires : " Les Etats membres exonèrent les opérations suivantes : / (...) c) les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales telles qu'elles sont définies par l'État membre concerné ; / (...) " ; qu'en vertu du 1° du 4. de l'article 261 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige, sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : " Les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées (...) " ; qu'en limitant l'exonération qu'elles prévoient aux soins dispensés par les membres des professions médicales et paramédicales soumises à réglementation, ces dispositions ne méconnaissent pas l'objectif poursuivi par l'article 13, A, paragraphe 1, sous c) de la sixième directive, précité, qui est de garantir que l'exonération s'applique uniquement aux prestations de soins à la personne fournies par des prestataires possédant les qualifications professionnelles requises ; qu'en effet, la directive renvoie à la réglementation interne des États membres la définition de la notion de professions paramédicales, des qualifications requises pour exercer ces professions et des activités spécifiques de soins à la personne qui relèvent de telles professions ;
5. Considérant, toutefois, que, conformément à l'interprétation des dispositions de la sixième directive qui résulte de l'arrêt rendu le 27 avril 2006 par la Cour de justice des Communautés européennes dans les affaires C-443/04 et C-444/04, l'exclusion d'une profession ou d'une activité spécifique de soins à la personne de la définition des professions paramédicales retenue par la réglementation nationale aux fins de l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée prévue à l'article 13, A, paragraphe 1, sous c) de cette directive serait contraire au principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de taxe sur la valeur ajoutée s'il pouvait être démontré que les personnes exerçant cette profession ou cette activité disposent, pour la fourniture de telles prestations de soins, de qualifications professionnelles propres à assurer à ces prestations un niveau de qualité équivalent à celles fournies par des personnes bénéficiant, en vertu de la réglementation nationale, de l'exonération ;
6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 75 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dans sa version applicable au présent litige : " L'usage professionnel du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur est réservé aux personnes titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation spécifique à l'ostéopathie ou à la chiropraxie délivrée par un établissement de formation agréé par le ministre chargé de la santé dans des conditions fixées par décret. Le programme et la durée des études préparatoires et des épreuves après lesquelles peut être délivré ce diplôme sont fixés par voie réglementaire. / (...) Les praticiens en exercice, à la date d'application de la présente loi, peuvent se voir reconnaître le titre d'ostéopathe ou de chiropracteur s'ils satisfont à des conditions de formation ou d'expérience professionnelle analogues à celles des titulaires du diplôme mentionné au premier alinéa. Ces conditions sont déterminées par décret. / (...) Un décret établit la liste des actes que les praticiens justifiant du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur sont autorisés à effectuer, ainsi que les conditions dans lesquelles ils sont appelés à les accomplir. / Ces praticiens ne peuvent exercer leur profession que s'ils sont inscrits sur une liste dressée par le représentant de l'Etat dans le département de leur résidence professionnelle, qui enregistre leurs diplômes, certificats, titres ou autorisations. ".
7. Considérant que le décret du 7 janvier 2011 relatif aux actes et aux conditions d'exercice de la chiropraxie n'a été publié que le 9 janvier 2011 et que le décret du 20 septembre 2011 relatif à la formation des chiropracteurs et à l'agrément des établissements de formation en chiropraxie, ainsi que l'arrêté du même jour pris en application de ces deux décrets, n'ont été publiés que le 21 septembre 2011 ; que le 1° du 4. de l'article 261 du code général des impôts n'a été modifié, pour inclure les chiropracteurs, qu'à compter du 30 décembre 2011 ; que, durant la période litigieuse, les actes dits de chiropraxie ne pouvaient être pratiqués que par les docteurs en médecine, et le cas échéant, pour certains actes seulement et sur prescription médicale, par les autres professionnels de santé habilités à les réaliser ; que si, pour la période postérieure à l'entrée en vigueur des dispositions réglementaires mentionnées ci-dessus, les actes dits de chiropraxie peuvent être pratiqués par les professionnels ayant obtenu l'autorisation d'user du titre de chiropracteur, toutefois, jusqu'à l'entrée en vigueur de l'article 261 du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 15 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011, une telle autorisation ne les dispense pas, pour pouvoir bénéficier de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée, de produire devant le juge tous éléments d'information et justificatifs relatifs à leurs actes ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, pour obtenir la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée acquittés par lui au titre de ses prestations de chiropraxie, M. E... doit démontrer qu'il disposait, pour la fourniture de ces prestations, de qualifications professionnelles propres à leur assurer un niveau de qualité équivalent à celles fournies, selon le cas, par un médecin ou par un membre d'une profession de santé réglementée habilité à les réaliser ; que l'appréciation des actes accomplis par M. E... ne peut être portée qu'au vu de la nature des actes accomplis sous la dénomination d'actes de chiropraxie et, s'agissant des actes susceptibles de comporter des risques en cas de contre-indication médicale, en considération des conditions dans lesquelles ils ont été effectués ; qu'il appartient, dès lors, à M. E..., pour mettre le juge à même de s'assurer que la condition tenant à la qualité des actes était remplie, de produire, d'une part, et sous réserve de l'occultation des noms des patients, des éléments relatifs à sa pratique permettant d'appréhender, sur une période significative d'au moins deux mois, la nature des actes accomplis et les conditions dans lesquelles ils l'ont été et de s'assurer que ces actes n'étaient pas interdits ou n'avaient pas été accomplis sans avis médical préalable lorsque celui-ci était requis, et, d'autre part, tous éléments utiles relatifs à sa qualification professionnelle ;
9. Considérant, d'une part, que M. E... produit des éléments attestant, de manière suffisante, la qualité de la formation qu'il a suivie et du diplôme qu'il a obtenu ; que, d'autre part, M. E... a produit, pour chacune des années en litige, environ 750 fiches de patients, représentant les patients traités au cours de 44 jours correspondant à deux mois de consultations répartis sur l'ensemble de chacune des deux années constituant la période litigieuse à raison de 15 à 20 consultations par jour ; que ces éléments peuvent être regardés comme représentatifs de son activité ; que l'intéressé a également versé au dossier une notice explicative des fiches de patients et un lexique des abréviations qu'elles comportaient ; que ces documents mentionnent les signes symptomatiques des patients, leurs antécédents, l'évaluation de la lésion fonctionnelle ainsi que différents tests pratiqués, le diagnostic posé et indiquent la nature des actes pratiqués à des dates précisées et l'évolution de la pathologie ; qu'ils sont ainsi suffisamment précis, et qu'ils sont assortis d'une attestation d'un médecin certifiant que les actes mis en oeuvre par M. E... " sont conformes aux données acquises par la science et sont d'une qualité au moins équivalente à ceux qui seraient mis en oeuvre par un médecin ou un kinésithérapeute pratiquant des actes de chiropraxie. " ; que, dans ces conditions, M. E... doit être regardé comme établissant que les actes qu'il a accomplis au cours de la période courant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008 devaient être exonérés de taxe sur la valeur ajoutée ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant qu'il y a lieu, en application de ces dispositions de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. E...de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1001112 du 22 novembre 2012 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : Il est accordé à M. E... la restitution du montant de 43 007 euros de taxe sur la valeur ajoutée dont il s'est acquitté pour la période allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008.
Article 3 : L'Etat versera à M. E... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E...et au ministre des finances et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 31 mars 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Specht, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 21 avril 2016.
Le rapporteur,
F. SpechtLe président,
I. Perrot
Le greffier,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15NT03086