LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 novembre 2024
Cassation partielle
sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1121 FS-B
Pourvoi n° X 22-17.335
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 NOVEMBRE 2024
La société Piscines Magiline, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 22-17.335 contre l'arrêt rendu le 6 avril 2022 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme [F] [B], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société Piscines Magiline, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [B], et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 2 octobre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, M. Flores, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Laplume, Rodrigues, conseillers référendaires, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 6 avril 2022), Mme [B] a été engagée en qualité d'assistante ressources humaines par la société Piscines Magiline le 10 juin 2005. A compter du 1er mai 2013, elle a occupé le poste de responsable des ressources humaines et a été soumise à une convention individuelle de forfait en jours.
2. Le 15 novembre 2018, elle a été licenciée.
3. Le 23 octobre 2019, elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes se rapportant à l'exécution et à la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen, pris en sa troisième branche, et le cinquième moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer recevables les demandes nouvelles de la salariée en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires outre congés payés afférents, d'indemnités au titre des repos compensateurs et du travail dissimulé et de le condamner au paiement de sommes à ces titres, alors :
« 1°/ qu'à peine d'irrecevabilité, les parties ne peuvent soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions dès lors qu'elles n'ont pas le même objet et ne tendent pas aux mêmes fins que celles soumises au premier juge ; que n'ont pas le même objet ni ne tendent aux mêmes fins c'est-à dire au même résultat, une demande indemnitaire formulée par le salarié afin de réparer le préjudice moral lié à des manquements de l'employeur à son obligation de préserver la santé et la sécurité de ses salariés, une demande salariale aux fins de paiement d'un rappel d'heures supplémentaires avec les conséquences afférentes (congés payés et indemnité pour repos compensateur) et une demande d'indemnité présentée pour sanctionner une dissimulation d'emploi ; que la cour d'appel a constaté qu'en première instance, la salariée n'avait pas formé de demandes à caractère salarial liées au temps de travail ni de demande d'indemnité pour travail dissimulé et que les demandes en paiement d'heures supplémentaires et de congés payés afférents, d'indemnité au titre des repos compensateurs et d'indemnité de travail dissimulé étaient effectivement nouvelles ; qu'elle a cependant déclaré ces demandes nouvelles recevables aux motifs qu'elles tendaient aux mêmes fins que la demande de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité présentée en première instance puisqu'elles visaient à rétablir la salariée dans ses droits au titre du temps de travail ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 564 et 565 du code de procédure civile ;
2°/ que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ; qu'une demande en paiement d'un rappel d'heures supplémentaires, de repos compensateur et d'indemnité pour travail dissimulé formulée pour la première fois en appel n'est pas l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire d'une demande de dommages-intérêts présentée en première instance pour réparer le préjudice moral subi du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 564 et 566 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile :
6. Aux termes du premier de ces textes, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
7. Aux termes du deuxième, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
8. Aux termes du dernier, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
9. Pour déclarer les demandes recevables, l'arrêt, après avoir constaté que la salariée avait formé pour la première fois à hauteur d'appel des demandes en paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents, des demandes indemnitaires au titre des repos compensateurs et au titre du travail dissimulé alors qu'en première instance elle avait formé une demande de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité caractérisé par un dépassement des amplitudes horaires et une absence de contrôle de la charge de travail, retient que ces demandes tendent aux mêmes fins que la demande de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du manquement à l'obligation de sécurité évoqué en première instance en ce sens qu'elles tendent à rétablir la salariée dans ses droits au titre du temps de travail et à effacer les dommages en résultant. L'arrêt ajoute que ces demandes en appel sont le complément nécessaire de la demande initiale dans la mesure où le rappel de salaires découle de la discussion sur le forfait en jours et que de plus, il influe nécessairement sur le préjudice subsistant qui devra, s'il est établi, être réparé dans une proportion qui devra en tenir compte.
10. En statuant ainsi, alors que les demandes en paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents fondées sur la privation d'effet du forfait en jours non évoquée en première instance, ainsi que les demandes indemnitaires au titre des repos compensateurs et du travail dissimulé ne tendent pas aux mêmes fins que la demande en paiement de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité invoqué par la salariée au soutien d'une demande au titre du harcèlement moral et de l'exécution déloyale du contrat de travail caractérisée par un dépassement des amplitudes horaires et une absence de contrôle de la charge de travail ni n'en constituent l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à la salariée des dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge doit se prononcer seulement sur ce qui est demandé ; que la cour d'appel a alloué à la salariée la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour méconnaissance par l'employeur de son obligation de sécurité ; que pourtant dans ses conclusions d'appel, Mme [B] ne formulait pas de demande spécifique de ce chef faisant seulement valoir que le manquement prétendu de l'employeur au titre de son obligation de sécurité, rendait son licenciement abusif et que la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral a été formulée au titre du harcèlement moral, de la discrimination subis et des circonstances vexatoires ayant entouré la rupture ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
12. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
13. L'arrêt condamne l'employeur à verser à la salariée des dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
14. En statuant ainsi, alors que le manquement à l'obligation de sécurité était un moyen invoqué au soutien de la demande de contestation d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse pour lequel la salariée a été indemnisée et qu'elle ne formulait aucune demande indemnitaire distincte en réparation du préjudice causé par le manquement à l'obligation de sécurité, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
17. La cassation prononcée n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt faisant masse des dépens et ordonnant leur partage par moitié entre les parties, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare recevables les demandes nouvelles de Mme [B] en paiement d'un rappel de salaire au titre d'heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnités au titre des repos compensateurs et de travail dissimulé, et, par voie de retranchement, en ce qu'il condamne la société Piscines Magiline à verser à Mme [B] les sommes de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, 38 745,43 euros au titre des heures supplémentaires depuis le 15 novembre 2015 jusqu'au 15 novembre 2018, 3 874,54 euros au titre des congés payés afférents, 19 580,63 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos, 28 149,33 euros à titre d'indemnité forfaitaire de travail dissimulé, l'arrêt rendu le 6 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DECLARE IRRECEVABLES les demandes en paiement de sommes au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents ainsi que d'indemnités au titre des repos compensateurs et du travail dissimulé ;
Condamne Mme [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille vingt-quatre.