LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 septembre 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 926 FS-B
Pourvoi n° R 21-22.937
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 27 SEPTEMBRE 2023
M. [F] [X], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 21-22.937 contre l'arrêt rendu le 11 juin 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-2), dans le litige l'opposant à la société Delta route, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La société Delta route a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [X], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Delta route, et l'avis de M. Juan, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juillet 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, M. Leperchey, conseillers référendaires, M. Juan, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 juin 2021), la société Delta route a engagé M. [X] en qualité de responsable commercial le 4 juillet 2016.
2. Le salarié a été licencié le 24 janvier 2018 pour cause réelle et sérieuse.
3. Estimant que son licenciement était intervenu pendant la période de protection prévue à l'article L. 1225-4-1 du code du travail, faisant suite à la naissance de son enfant le 10 janvier 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le pourvoi incident, qui est préalable
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief l'arrêt de dire que le licenciement du salarié est nul, et de le condamner à lui payer diverses sommes à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, de rappel d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement nul, alors :
« 1°/ que l'employeur peut rompre le contrat de travail d'un salarié pendant les dix semaines suivant la naissance de son enfant, s'il justifie de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'arrivée de l'enfant ; qu'en l'espèce, dans ses écritures, la société Delta route offrait de démontrer en quoi elle se trouvait dans l'impossibilité de maintenir le contrat de M. [X] pour des motifs liés à des manquements professionnels objectifs, sans aucun lien avec la naissance de son enfant ; qu'elle expliquait notamment que les manquements reprochés à M. [X] n'étaient pas compatibles avec ses fonctions de responsable commercial, statut cadre, et qu'ils étaient de nature à causer un préjudice commercial à l'entreprise, raison pour laquelle celui-ci avait été dispensé de l'exécution de son préavis, quand bien même son licenciement n'était pas motivé par une faute grave ; qu'en se bornant à affirmer que la société Delta route "ne pouvait valablement licencier le salarié sans attendre l'écoulement du délai de 10 semaines en l'absence de faute grave ou d'impossibilité de maintenir le contrat de travail" sans examiner même sommairement cette offre de preuve, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L.1225-4-1 du code du travail ;
2°/ qu'en se bornant à affirmer l'absence d'une impossibilité de maintenir le contrat de travail de M. [X] sans examiner les moyens et explications de la société Delta route dans ses écritures d'appel, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article L. 1225-4-1 du code du travail, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'un salarié pendant les dix semaines suivant la naissance de son enfant. Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressé ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'arrivée de l'enfant.
6. La cour d'appel, qui a relevé, par motifs propres et adoptés, que les griefs énoncés dans la lettre de licenciement ne caractérisaient pas l'impossibilité de maintenir le contrat de travail, a, par une décision motivée, sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, légalement justifié sa décision.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, et sur le second moyen du pourvoi principal, réunis
Enoncé des moyens
7. Le salarié fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en ses demandes de complément de sommes dans le solde de tous comptes déduites à tort, de réintégration et d'indemnité d'éviction, alors « qu'aux termes de l'article 566 du code de procédure civile, les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ; qu'est ainsi recevable en appel toute demande qui présente un lien suffisant avec la demande originaire ; que la demande de réintégration, conséquence normale de la nullité d'un licenciement réputé n'avoir jamais existé, présente par nature un lien suffisant avec la demande d'annulation du licenciement prononcée en méconnaissance des dispositions d'ordre public relatives à la parentalité ; qu'en déclarant irrecevable, car présentée pour la première fois en cause d'appel, la demande de réintégration de M. [X] formulée en conséquence d'un licenciement dont il avait invoqué en première instance la nullité, la cour d'appel a violé les articles 564 et 566 du code de procédure civile. »
8. Il fait également grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en sa demande de dommages-intérêts pour violation de la protection de l'article L. 1225-4-1 du code du travail, alors « qu'aux termes de l'article 566 du code de procédure civile, les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ; que sont ainsi recevables en appel les demandes qui présentent un lien suffisant avec la demande originaire ; que la demande de dommages-intérêts pour violation de la protection de l'article L. 1225-4-1 du code du travail est la conséquence ou le complément nécessaire de la demande d'annulation du licenciement prononcé en méconnaissance de ce texte ; qu'en déclarant irrecevable, car présentée pour la première fois en cause d'appel, la demande de dommages-intérêts de M. [X] alors qu'elle complétait la demande d'annulation de son licenciement formulée en première instance, la cour d'appel a violé les articles 564 et 566 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 564 et 566 du code de procédure civile :
9. Aux termes du premier de ces textes, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
10. Selon le second, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
11. Pour déclarer irrecevables les demandes de réintégration et d'indemnité d'éviction et de dommages-intérêts pour violation de la protection de l'article L. 1225-4-1 du code du travail, l'arrêt retient qu'une demande de réintégration ne constitue nullement l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de la nullité du licenciement, dès lors que le salarié dispose d'une faculté de choix lui permettant de solliciter, soit la réparation de la rupture abusive du contrat de travail, soit sa poursuite accompagnée d'une indemnité d'éviction, les deux actions ne poursuivant pas la même fin de réparation du préjudice, même si elles partagent un fondement commun dans la nullité du licenciement, et qu'en l'espèce, le salarié a choisi de ne solliciter que la réparation des conséquences de la rupture du contrat de travail en première instance.
12. En statuant ainsi, alors que le salarié dont le licenciement est nul est en droit de demander sa réintégration, ce dont il résulte que cette demande et la demande de dommages-intérêts pour violation de la protection de l'article L. 1225-4-1 du code du travail sont la conséquence de la demande de nullité du licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. Le premier moyen ne formulant aucune critique contre les motifs de l'arrêt au soutien de la décision déclarant le salarié irrecevable en sa demande de complément de sommes dans le solde de tous comptes déduites à tort, la cassation ne peut s'étendre à cette disposition de l'arrêt qui n'est pas dans un lien de dépendance nécessaire avec les dispositions de l'arrêt critiquées par ce moyen.
14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation sur les moyens du pourvoi principal entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif condamnant l'employeur à payer au salarié un complément d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, un rappel d'indemnité de licenciement, des dommages-intérêts pour licenciement nul, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
15. La cassation des chefs de dispositif déclarant le salarié irrecevable en ses demandes de réintégration, d'indemnité d'éviction et de dommages-intérêts pour violation de la protection de l'article L. 1225-4-1 du code du travail n'emporte pas la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare M. [X] irrecevable en ses demandes de réintégration, d'indemnité d'éviction et de dommages-intérêts pour violation de la protection de l'article L. 1225-4-1 du code du travail, et condamne la société Delta route à payer à M. [X] les sommes de 7 344,83 euros à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis et 734,48 euros au titre des congés payés afférents, 368,53 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement et 24 492,48 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, l'arrêt rendu le 11 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Delta route aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Delta route et la condamne à payer à M. [X] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept septembre deux mille vingt-trois.