LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 25 octobre 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1093 FS-B
Pourvoi n° P 21-21.946
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [K].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 17 juin 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 OCTOBRE 2023
M. [L] [K], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-21.946 contre l'arrêt rendu le 23 octobre 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société W.R.A, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [G] [S], en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Eupec Pipecoatings France, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Doumic-Seiller, avocat de M. [K], et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Mme Deltort, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 23 octobre 2020), M. [K], ouvrier qualifié, a été mis à disposition de la société Eupec Pipecoatings France, spécialisée dans les gazoducs, par plusieurs entreprises de travail temporaire, entre janvier 2002 et décembre 2015.
2. Le 11 mars 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
3. Par jugement d'un tribunal de commerce du 3 mai 2022, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'égard de la société Eupec Pipecoatings France, la société W.R.A étant désignée en qualité de liquidatrice. Cette dernière a été appelée en cause par mémoire déposé le 24 avril 2023 et signifié le 5 mai 2023.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts pour violation des durées maximales de travail, alors « que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur ; qu'en retenant qu'aucune des pièces produites par le salarié ne permettait de retenir la violation par l'entreprise utilisatrice de la durée maximale du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le salarié, a violé l'article 1315 du code civil, devenu 1353 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1251-21 du code du travail et 1315, devenu 1353, du code civil :
6. Selon le premier de ces textes, pendant la durée de la mission, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail, telles qu'elles sont déterminées par les dispositions légales et conventionnelles applicables au lieu de travail, notamment pour ce qui a trait à la durée du travail.
7. Selon le second, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
8. Il en résulte que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'entreprise utilisatrice.
9. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour violation des durées maximales quotidiennes de travail, l'arrêt retient que le salarié, qui ne précise pas les dates ni même les périodes des dépassements et laisse le soin à la cour de se reporter sans autre précision aux pièces du dossier, produit aux débats des attestations de collègues de travail. Il relève qu'aucune de ces pièces ne permet de retenir la violation par l'entreprise utilisatrice des durées maximales de travail. Il souligne que la plupart des attestants procèdent par voie d'affirmations générales en indiquant que l'intéressé travaillait dix heures par jour "voire plus" mais ces attestations sont douteuses comme rédigées en des termes similaires sans aucun élément permettant de les corroborer. L'arrêt précise que l'étude des quelques bulletins de paie produits aux débats, comportant fréquemment des heures supplémentaires, ne révèle aucun dépassement des durées maximales de travail.
10. L'arrêt ajoute qu'en ce qui concerne la durée des pauses, la société utilisatrice évoque la forte rémunération allouée au salarié pour compenser les sujétions rencontrées lors des chantiers, mais admet être dans l'impossibilité de justifier du respect de ses obligations en matière de pauses. L'arrêt en conclut que la société ne justifie pas avoir respecté les obligations lui incombant en sa qualité d'entreprise utilisatrice.
11. L'arrêt retient encore que le salarié qui se borne, sans autre explication, à réclamer une somme n'explicite pas sa demande, alors qu'en vertu de l'article 9 du code de procédure civile il incombe aux parties d'alléguer les faits utiles au soutien de leur demande et de les prouver et que s'en tenant à des considérations générales, il ne démontre ni l'étendue ni même l'existence de son préjudice.
12. En statuant ainsi, sans constater que l'entreprise utilisatrice justifiait avoir respecté les durées maximales de travail prévues par le droit interne, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [K] de sa demande en paiement de dommages-intérêts au titre de la violation des durées maximales de travail, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le condamne aux dépens, l'arrêt rendu le 23 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne la société W.R.A, prise en la personne de M. [G] [S], en sa qualité de liquidatrice judiciaire de la société Eupec Pipecoatings France, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société W.R.A, prise en la personne de M. [G] [S] ès qualités, à payer à la SCP Doumic-Seiller la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq octobre deux mille vingt-trois.