LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
DB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 novembre 2022
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 659 F-B
Pourvoi n° V 20-22.063
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 NOVEMBRE 2022
La société Santé actions, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 20-22.063 contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Santé restauration services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de la société Santé actions, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Santé restauration services, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 septembre 2020), la société Santé restauration services a, le 10 octobre 2000, conclu un contrat avec la société Clinique chirurgicale obstétricale [3] et [4] (la société Clinique [3]), détenue à 99 % par la société Santé actions, portant sur un service de prestations alimentaires.
2. La société Santé restauration services a, par lettres recommandées des 18, 24 et 30 décembre 2013, mis en demeure la société Clinique [3] de payer plusieurs factures. La société Santé actions a, le 24 décembre 2013, payé à la société Santé restauration services la somme de 30 000 euros au titre de l'une de ces factures.
3. N'ayant pu obtenir le règlement complet des factures, la société Santé restauration services a déclaré sa créance au passif de la société Clinique [3], mise en liquidation judiciaire. Le liquidateur judiciaire a, le 26 février 2015, émis un certificat d'irrécouvrabilité de cette créance.
4. Après avoir, le 27 avril 2016, mis en demeure la société Santé actions de lui payer une somme au titre des factures impayées par la société Clinique [3], la société Santé restauration services l'a assignée en paiement.
Examen du moyen
Sur le moyen
Enoncé du moyen
5. La société Santé actions fait grief à l'arrêt de la condamner, en qualité de société mère, à régler à la société Santé restauration services une somme de 125 681,83 euros au titre de factures impayées par sa filiale, seule engagée à l'égard de la société créancière dans le cadre d'un contrat de restauration du 10 octobre 2000, outre les intérêts à compter de chaque échéance contractuelle au taux de refinancement de la BCE majoré de 10 points, et la capitalisation des intérêts, ainsi qu'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ qu'en vertu de l'effet relatif des contrats et de l'autonomie juridique des sociétés membres d'un groupe, une société mère ne peut être tenue des engagements souscrits par sa filiale, sauf en cas d'immixtion dans la gestion de la filiale et à la condition que cette immixtion ait été de nature à créer une apparence trompeuse, propre à faire croire à un créancier de la filiale que la société mère était devenue son partenaire contractuel ; que ces conditions sont cumulatives ; qu'en considérant en l'espèce que la société mère était obligée à la totalité de la dette de sa filiale envers un créancier à raison seulement d'un paiement partiel (virement de 30 000 euros émis en décembre 2013) destiné à couvrir dans l'urgence sa filiale d'un impayé objet d'une mise en demeure, la cour n'a pas cherché à caractériser l'existence d'une immixtion active de la société mère dans la gestion de sa filiale, méconnaissant ainsi les exigences de l'article 1165, devenu 1199, et 1842 du code civil ;
2°/ en se bornant à retenir que la société mère avait couvert le 24 décembre 2013 une dette de sa filiale à l'égard du créancier prestataire de service de cette dernière, la cour n'a pas recherché si et en quoi ce versement, dans les circonstances de la cause telles que rappelées par la société requérante (caractère exclusif et autonome de la relation de sa filiale avec la société Santé restauration ; absence de réclamation à l'endroit de la société mère avant la délivrance d'un certificat d'irrécouvrabilité de la créance du fournisseur), permettait néanmoins au créancier de nourrir la croyance que la société mère s'était engagée pour l'ensemble des dettes antérieures et postérieures de sa filiale ; qu'en se déterminant par voie d'affirmation sans autrement caractériser la croyance légitime du créancier, la cour a derechef privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1165, devenu 1199, et 1842 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1842 du code civil et l'article 1165 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
6. Il résulte de l'application combinée de ces textes qu'une société n'est tenue de répondre de la dette d'une filiale que si son immixtion dans les relations contractuelles de cette filiale a été de nature à créer, pour le cocontractant de celle-ci, une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement qu'il était aussi le cocontractant de la société mère.
7. Pour condamner la société Santé actions à payer à la société Santé restauration services une somme au titre de factures non réglées par la société Clinique [3], sa filiale, l'arrêt, après avoir relevé que la société Santé restauration services avait, les 18, 24 et 30 décembre 2013, mis en demeure la société Clinique [3] de payer ces factures, qu'elle avait déclaré sa créance, d'un montant de 125 691,83 euros, au passif de la société Clinique [3], mise en liquidation judiciaire, que le liquidateur judiciaire avait, le 26 février 2015, émis un certificat d'irrécouvrabilité et que ce n'est qu'au mois d'avril 2016 qu'elle avait mis en demeure la société mère Santé actions de payer les sommes qui lui étaient dues par sa filiale, retient que le fait que la société Santé actions ait délivré un ordre de virement de 30 000 euros pour couvrir une dette de la société Clinique [3] à l'égard de la société Santé restauration services, à un moment où cette dernière venait de mettre en demeure sa cocontractante de lui régler une somme de 52 014,59 euros au titre de factures impayées à peine de résiliation de plein droit du contrat les liant, a légitimement pu fonder la croyance de la société Santé restauration services dans l'engagement de la société mère aux côtés de sa filiale pour régler les dettes issues de ce contrat.
8. En se déterminant ainsi, alors que le paiement partiel, par la société Santé actions, d'une dette que sa filiale avait été mise en demeure de payer, ne saurait, à lui seul, caractériser une immixtion de cette société de nature à créer, pour la société Santé restauration services, une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement que la société Santé actions s'était substituée à sa filiale dans l'exécution du contrat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en que, confirmant le jugement, il déboute la société Santé restauration services de sa demande en dommages et intérêts pour résistance abusive, l'arrêt rendu le 10 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Reims ;
Condamne la société Santé restauration services aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Santé restauration services et la condamne à payer à la société Santé actions la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour la société Santé actions.
La demanderesse au pourvoi reproche à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamnée en qualité de société-mère à régler à la SAS Santé Restauration Services une somme de 125.681,83 € TTC au titre de factures (factures des 30 septembre, 31 octobre, 30 novembre et 31 décembre 2013 ainsi que du 14 février 2014) impayées par sa filiale, seule engagée à l'égard de la société créancière dans le cadre d'un contrat de restauration du 10 octobre 2000, outre les intérêts à compter de chaque échéance contractuelle au taux de refinancement de la BCE majoré de 10 points, et la capitalisation des intérêts ainsi qu'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
aux motifs que « Sur la demande en paiement de factures : La société Santé Restauration réclame à la société Santé Action le paiement de factures demeurées impayées par sa filiale, la société clinique [3], soit : -25 157,92 euros TTC au titre du solde d'une facture n°2013/209 du 30 septembre 2013, -26 856,67 euros TTC au titre d'une facture n°2013/210 du 31 octobre 2013, -27 110,69 euros TTC au titre d'une facture n°2013/211 du 30 novembre 2013, -27 111,56 euros TTC au titre d'une facture n°2013/212 du 31 décembre 2013, -16 092 euros TTC au titre d'une facture n°2014/00201 du 14 février 2014,-3 363 euros TTC au titre d'une facture n°2014/00202 du 14 février 2014. En vertu de l'effet relatif des contrats et du principe d'autonomie juridique des sociétés membres d'un groupe, la société mère ne peut être tenue des engagements souscrits par sa filiale. Toutefois l'immixtion d'une société mère, de nature à créer une apparence propre à faire croire à un créancier de l'une de ses filiales qu'elle s'y substitue dans l'exécution d'un contrat, oblige ladite société mère à répondre de la dette de sa filiale. La société qui se prévaut d'une telle immixtion doit rapporter la preuve que cette immixtion a été de nature à créer une apparence trompeuse, à l'origine de sa croyance que la société mère s'est engagée aux côtés ou à la place de sa filiale. En l'espèce, pour soutenir que la société Santé actions s'est immiscée dans la gestion de sa filiale, la société Santé restauration services se prévaut: - d'une détention de la clinique [3] par la société Santé Actions à concurrence de 99% du capital social, -de l'apposition du cachet de la société Santé Actions et de la signature de son Président sur l'avenant n°8 du 9 novembre 2012, -d'un échange de courriels de décembre 2013 entre la clinique et la société Santé Restauration services adressé en copie à M. [F], Président de la société Santé Action, et Mme [N], comptable de la société Santé actions, et d'un courriel de décembre 2013 dans lequel cette dernière se préoccupe des paiements de la clinique, -d'un ordre de virement de 30 000 euros donné par la société Santé Action le 24 décembre 2013 au profit de la société Santé restauration services pour régler une dette de la clinique St Louis qui avait émis un chèque le 30 octobre 2013 dont le paiement a été refusé pour défaut de provision. Ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges la détention par une société- mère du capital social d'une filiale à concurrence de 99% n'induit pas une présomption d'immixtion dans sa gestion. En outre, l'apposition du cachet de la société Santé Actions et de la signature de M. [M] [F] sur l'avenant n°8 du 9 novembre 2012, ne permet pas de caractériser une immixtion dès lors que l'avenant n°8 mentionne bien que seule la société clinique [3] est partie au contrat et que M. [F] a signé cet avenant en qualité de président de la société clinique [3] étant précisé que le directeur général de cette société avait démissionné le 26 janvier 2012. Ainsi la société Santé Restauration Services n'a pas pu se méprendre sur l'identité de son cocontractant par la seule apposition par erreur du cachet de la société Santé Action sur cet avenant. En revanche, le fait que la société Santé Actions ait délivré un ordre de virement de 30 000 euros pour couvrir une dette de la société clinique [3] à l'égard de la société Santé Restauration Services à un moment où cette dernière venait de mettre en demeure sa cocontractante de lui régler une somme de 52 014,59 euros au titre de factures impayées à peine de résiliation de plein droit du contrat les liant a légitimement pu fonder la croyance de la société Santé Restauration Services dans l'engagement de la société mère aux côtés de sa filiale pour régler les dettes issues de ce contrat. En conséquence, il convient de faire droit à la demande en paiement et la société Santé Actions sera condamnée à payer à la société Santé Restauration Services une somme de 125 691,83 euros TTC au titre des factures des 30 septembre, 31 octobre, 30 novembre et 31 décembre 2013 ainsi que du 14 février 2014 impayées par la société clinique [3] assortie d'intérêts à compter de chaque échéance contractuelle au taux de refinancement de la BCE majoré de 10 points. La capitalisation des intérêts sera ordonnée. Le jugement entrepris sera infirmé sur ces points » (arrêt attaqué p. 4, dernier § à p. 6, § 1) ;
1°) alors que, d'une part, en vertu de l'effet relatif des contrats et de l'autonomie juridique des sociétés membres d'un groupe, une société-mère ne peut être tenue des engagements souscrits par sa filiale sauf en cas d'immixtion dans la gestion de la filiale et à la condition que cette immixtion ait été de nature à créer une apparence trompeuse, propre à faire croire à un créancier de la filiale que la société mère était devenue son partenaire contractuel ; que ces conditions sont cumulatives ; qu'en considérant en l'espèce que la société-mère était obligée à la totalité de la dette de sa filiale envers un créancier à raison seulement d'un paiement partiel (virement de 30.000 € émis en décembre 2013) destiné à couvrir dans l'urgence sa filiale d'un impayé objet d'une mise en demeure, la cour n'a pas cherché à caractériser l'existence d'une immixtion active de la société-mère dans la gestion de sa filiale, méconnaissant ainsi les exigences de l'article 1165 devenu 1199 et 1842 du code civil ;
2°) alors que, d'autre part, en se bornant à retenir que la société-mère avait couvert le 24 décembre 2013 une dette de sa filiale à l'égard du créancier prestataire de service de cette dernière, la cour n'a pas recherché si et en quoi ce versement, dans les circonstances de la cause telles que rappelées par la société requérante (concl. p. 3, 5 et 8 : caractère exclusif et autonome de la relation de sa filiale avec la société Santé Restauration ; absence de réclamation à l'endroit de la société-mère avant la délivrance d'un certificat d'irrécouvrabilité de la créance du fournisseur, etc.), permettait néanmoins au créancier de nourrir la croyance que la société-mère s'était engagée pour l'ensemble des dettes antérieures et postérieures de sa filiale ; qu'en se déterminant par voie d'affirmation sans autrement caractériser la croyance légitime du créancier, la cour a derechef privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1165 devenu 1199 et 1842 du code civil.