LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 septembre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 918 FS-B
Pourvoi n° T 21-10.105
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 SEPTEMBRE 2022
La société [2], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 21-10.105 contre l'arrêt rendu le 5 novembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (5e chambre), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Ile-de-France, dont le siège est division des recours amiables et judiciaires, [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société [2], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF d'Ile-de-France, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, Mmes Coutou, Renault-Malignac, Cassignard, Lapasset, M. Leblanc, conseillers, Mmes Vigneras, Dudit, M. Labaune, conseillers référendaires, M. Gaillardot, premier avocat général, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 novembre 2020), à la suite d'un contrôle effectué sur les années 2011 à 2013 ayant donné lieu à une lettre d'observations, l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale d'Ile-de-France (l'URSSAF), après avoir notifié à la société [2] (la société) une mise en demeure du 19 décembre 2014, lui a signifié le 27 janvier 2015 une contrainte émise le 22 janvier 2015, portant sur diverses sommes afférentes aux chefs de redressement notifiés le 30 septembre 2014.
2. La société a formé opposition à la contrainte le 4 février 2015 devant une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen relevé d'office
3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles R. 133-3, R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige :
4. Selon le premier de ces textes, si la mise en demeure reste sans effet au terme du délai d'un mois à compter de sa notification, le directeur de l'organisme créancier peut décerner une contrainte à laquelle le débiteur peut former opposition auprès du tribunal compétent dans les quinze jours de sa signification.
5. Il résulte des deux derniers que la contestation formée à l'encontre de la mise en demeure doit être présentée, préalablement à la saisine de la juridiction de sécurité sociale, à la commission de recours amiable de l'organisme créancier dans un délai d'un mois à compter de sa notification.
6. La Cour de cassation interprétait ces textes en retenant que si le cotisant n'était pas recevable à contester, à l'appui de son opposition à contrainte, le bien-fondé des sommes réclamées, dès lors que la décision de la commission de recours amiable était devenue définitive (Soc., 5 juin 1997, pourvoi n° 95-17.148 ; 2e Civ., 16 juin 2016, pourvoi n° 15-20.542), une contrainte pouvait faire l'objet d'une opposition devant la juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale même si la dette de cotisation n'avait pas été antérieurement contestée (Soc., 28 mars 1996, pourvoi n° 93-20.475, Bull. 1996, V, n° 130 ; 2e Civ., 1er juillet 2003, pourvoi n° 02-30.595).
7. Par arrêt du 4 avril 2019 (2e Civ., 4 avril 2019, pourvoi n° 18-12.014), la Cour de cassation est revenue sur cette jurisprudence en retenant qu'il résulte des dispositions des articles R. 133-3 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale, qui ne méconnaissent pas les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'intéressé a été dûment informé des voies et délais de recours qui lui sont ouverts devant les juridictions du contentieux de la sécurité sociale, que le cotisant qui n'a pas contesté en temps utile la mise en demeure qui lui a été adressée au terme des opérations de contrôle, ni la décision de la commission de recours amiable saisie à la suite de la notification de la mise en demeure, n'est pas recevable à contester, à l'appui de l'opposition à la contrainte décernée sur le fondement de celle-ci, la régularité et le bien-fondé des chefs de redressement qui font l'objet de la contrainte.
8. Cette interprétation est celle adoptée par l'arrêt contre lequel le pourvoi a été formé. Elle a suscité des critiques en ce qu'elle méconnaît le droit à un recours effectif devant une juridiction. En outre, elle a donné lieu à des divergences de jurisprudence des juridictions du fond. L'ensemble de ces considérations en justifient le réexamen.
9. Contrairement au cotisant qui a saisi la commission de recours amiable d'une contestation de la mise en demeure et qui, dûment informé des voies et délais de recours qui lui sont ouverts devant les juridictions chargées du contentieux de la sécurité sociale, n'a pas contesté en temps utile la décision de cette commission, le cotisant qui n'a pas contesté la mise en demeure devant celle-ci, ne dispose d'un recours effectif devant une juridiction, pour contester la régularité de la procédure et le bien-fondé des sommes qui font l'objet de la contrainte, que par la seule voie de l'opposition à contrainte.
10. Dès lors, le cotisant qui n'a pas contesté la mise en demeure devant la commission de recours amiable peut, à l'appui de l'opposition à la contrainte décernée sur le fondement de celle-ci, contester la régularité de la procédure et le bien-fondé des causes de la contrainte.
11. Pour valider la contrainte, l'arrêt, après avoir constaté que la société n'avait pas contesté la mise en demeure, la déclare irrecevable en sa contestation de la régularité et du bien-fondé des chefs de redressement critiqués.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré le recours de la société [2] recevable, l'arrêt rendu le 5 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.
Condamne l'union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales d'Ile-de-France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales d'Ile-de-France et la condamne à payer à la société [2] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux septembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société [2]
La société [2] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir 1) décidé qu'il n'y a pas lieu de faire exception à la règle de la nécessaire contestation préalable d'une mise en demeure, avant de former opposition à contrainte, pour pouvoir contester la régularité et le montant des chefs d'un redressement effectué par l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales d'Île-de-France ; 2) infirmé le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine (1500256) en date du 18 avril 2017 (13-02001) en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a déclaré le recours de la société [2] recevable ; 3) décidé que la société [2] est irrecevable en ses contestations de la régularité et du bien-fondé des chefs de redressement critiqués ; 4) validé la contrainte délivrée par l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales d'Île-de-France pour son entier montant, soit la somme de 124 184 €, dont 108 597 de cotisations et 15 587 € de majorations de retard provisoires ;
alors que le principe de la sécurité juridique implique que les normes nouvelles n'affectent pas le droit à l'accès effectif et substantiel au juge de sorte que toute modification de la jurisprudence ne saurait être appliquée aux instances en cours dès lors qu'elle a pour effet de restreindre l'accès à une voie de recours ; que la société [2], qui avait fait opposition à une contrainte de l'Urssaf, mais n'avait pas contesté la mise en demeure préalable, du 19 décembre 2014, devant la commission de recours amiable de l'organisme de recouvrement, a été jugée irrecevable au visa d'un arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 2019 (n° 18-12014) qui a modifié la jurisprudence en restreignant l'accès à une voie de recours que l'application de cette norme nouvelle aux redressements antérieurs à cet arrêt revient à interdire au cotisant l'accès au juge, partant à le priver d'un procès équitable ; qu'en jugeant néanmoins le recours irrecevable au motif inopérant que le cotisant avait eu accès au juge pour défendre à la fin de non-recevoir, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.