LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 10 mars 2021
Cassation
Mme BATUT, président
Arrêt n° 198 FS-P
Pourvoi n° S 20-11.917
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 10 MARS 2021
1°/ La Caisse de crédit mutuel Bartholdi, association coopérative, dont le siège est [...] ,
2°/ La société Assurances du crédit mutuel vie, société anonyme, dont le siège est [...] ,
ont formé le pourvoi n° S 20-11.917 contre l'arrêt rendu le 28 novembre 2019 par la cour d'appel de Colmar (2e chambre civile, section A), dans le litige les opposant à M. E... T..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la Caisse de crédit mutuel Bartholdi et de la société Assurances du crédit mutuel vie, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. T..., et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 janvier 2021 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, Mme Teiller, MM. Avel, Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Darret-Courgeon conseillers, MM. Vitse, Mmes Dazzan, Le Gall, Kloda, M. Serrier, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 28 novembre 2019), suivant acte du 29 juin 2007, la Caisse de crédit mutuel Bartholdi (la banque) a consenti à la société Le Caprice (l'emprunteur) deux prêts dont le terme était fixé le 30 juin 2011, garantis, selon deux avenants du 12 septembre 2007, par le nantissement d'un contrat d'assurance sur la vie souscrit par M. T... (le souscripteur) auprès de la société Assurances du crédit mutuel vie (l'assureur). Le 9 décembre 2009, l'emprunteur a été placé en redressement judiciaire et a bénéficié d'un plan de redressement arrêté par jugement du 7 juin 2011, prévoyant le remboursement des créances de la banque en cent-quarante-quatre mensualités jusqu'au 30 juin 2023, qui a été résolu par jugement du 26 mars 2013 ayant, en outre, prononcé la liquidation judiciaire de l'emprunteur.
2. Soutenant que la garantie accordée était venue à terme le 30 juin 2011, le souscripteur a, par actes du 26 septembre 2012, assigné l'assureur et la banque aux fins d'exercer ses droits sur le contrat d'assurance sur la vie, et d'obtenir le paiement de dommages-intérêts. Parallèlement, la banque a exercé ses droits de rachat du contrat d'assurance sur la vie et, le 20 juin 2014, l'assureur a versé à la banque la valeur de rachat.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La banque et l'assureur font grief à l'arrêt de condamner la première à payer au souscripteur la somme de 76 695,29 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2014, au titre de la valeur de rachat, alors « que le contrat de prêt s'éteint par le remboursement des fonds remis à l'emprunteur, et non par l'arrivée du terme de la dernière échéance ; la durée du prêt s'étend donc au-delà de la dernière échéance tant que l'emprunteur n'a pas intégralement remboursé la somme prêtée ; qu'en décidant le contraire, pour en déduire que le nantissement « qui avait la même durée que celle des prêts » qu'il garantissait, avait cessé de produire effet à la date de la dernière échéance et ne pouvait donc plus être mis en oeuvre ultérieurement, malgré l'absence de remboursement intégral du prêt, la cour d'appel a violé les articles 1234, 1892, 1902 et 1185 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. Le souscripteur conteste la recevabilité du moyen, en raison de sa nouveauté.
5. Cependant, le moyen est de pur droit.
6. Il est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 1234 et 1185 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les articles 2355 et 2365 du même code :
7. Il résulte des deux premiers de ces textes qu'un contrat de prêt prend fin lors du remboursement des fonds prêtés, nonobstant l'existence éventuelle d'un rééchelonnement des échéances.
8. Selon les deux derniers, le nantissement est l'affectation, en garantie d'une obligation, d'un bien meuble incorporel ou d'un ensemble de biens incorporels, présents ou futurs et, en cas de défaillance du débiteur, le créancier nanti peut attendre l'échéance de la créance nantie pour se faire attribuer la créance donnée en nantissement.
9. Il s'en déduit que, sauf volonté contraire des parties, le prêteur, bénéficiaire du nantissement d'un contrat d'assurance sur la vie donné en garantie du remboursement du prêt, a droit au paiement de la valeur de rachat tant que celui-ci n'a pas été remboursé.
10. Pour condamner la banque à payer au souscripteur la valeur de rachat du contrat d'assurance sur la vie, l'arrêt constate, d'abord, que les deux avenants n'indiquent pas la durée de la garantie, mais le terme des prêts garantis du 30 juin 2011. Il énonce, ensuite, que la clause selon laquelle « l'adhérent s'engage à reconduire ou à renouveler à l'échéance le contrat d'assurance-vie pendant toute la durée du prêt ou de l'ouverture de crédit » signifie que, dans le cas où le contrat d'assurance arrive à terme avant les contrats de prêt, la durée de la garantie doit être prorogée jusqu'au terme des contrats de prêt, mais non que, dans l'hypothèse inverse, la durée de la garantie est prorogée au-delà de la durée des prêts et que les avenants de mise en gage n'indiquent pas que la garantie devra être prorogée jusqu'au remboursement intégral des prêts. Il en déduit que les contrats de nantissement doivent être interprétés en faveur de celui qui s'est engagé et que leur durée était celle des prêts expirant le 30 juin 2011.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le prêt n'avait pas été remboursé à cette date, sans relever une volonté expresse des parties de mettre fin au nantissement avant l'exécution de l'obligation de remboursement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne M. T... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la Caisse de crédit mutuel Bartholdi et la société Assurances du crédit mutuel vie
Il est fait grief à la décision infirmative attaquée d'avoir condamné la Caisse de Crédit Mutuel Bartholdi à payer à M. T... la somme de 76.695,29 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2014 ;
aux motifs que « Aux termes de l'article 2358 du code civil, le nantissement de créance peut être constitué pour un temps déterminé. Si le contrat de nantissement ne précise pas la durée de la garantie, celle-ci doit être déterminée par interprétation de la volonté des parties. En l'espèce, les deux "avenants de mise en gage d'un contrat d'assurance vie" en date du 12 septembre 2007 n'indiquent pas la durée de la garantie, mais mentionnent le terme des prêts garantis (30 juin 2011). La clause selon laquelle "l'adhérent s'engage à reconduire ou à renouveler à l'échéance le contrat d'assurance vie pendant toute la durée du prêt ou de l'ouverture de crédit" signifie que, dans le cas où le contrat d'assurance arrive à terme avant les contrats de prêt, la durée de la garantie doit être prorogée jusqu'au terme des contrats de prêt, mais non que, dans l'hypothèse inverse, qui est celle de la présente espèce, où les contrats de prêts sont venus à terme avant le contrat d'assurance vie, la durée de la garantie est prorogée au-delà de la durée des prêts. Etant en outre observé, d'une part, que les avenants de mise en gage n'indiquent nullement que la garantie devra être prorogée jusqu'au remboursement intégral des prêts, et, d'autre part, que, selon l'article 1162 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable en l'espèce eu égard à la date des contrats de nantissement, ceux-ci doivent être interprétés en faveur de celui qui s'est engagé, à savoir M. T..., il convient de juger que la durée de la garantie était, en l'espèce, celle des prêts, et donc que cette garantie expirait le 30 juin 2011. Certes, avant cette date, le terme des prêts avait été reporté, par le jugement du 7 juin 2011 ayant arrêté le plan de continuation de la société Le caprice, jusqu'au 30 juin 2023, mais il ne peut être déduit de cette prorogation de la durée des prêts une prorogation du nantissement accordé par M. T... en garantie de ces prêts. En effet, selon l'article L. 626-10, alinéa premier, du code de commerce, le plan désigne les personnes tenues de l'exécuter et mentionne l'ensemble des engagements qui ont été souscrits par elles et qui sont nécessaires à la sauvegarde de l'entreprise. L'alinéa deux de cet article précise que les personnes qui exécuteront le plan, même à titre d'associés, ne peuvent pas se voir imposer des charges autres que les engagements qu'elles ont souscrits au cours de sa préparation. Or, en l'espèce, si le jugement du 7 juin 2011 arrêtant le plan de continuation de la société Le caprice mentionne, en ce qui concerne le règlement de la créance de la caisse de Crédit mutuel Bartholdi: "application de l'accord convenu avec Me R... avec intégration de la somme de 70 000 euros, actuellement nantie par M T..., dans le capital à rembourser en 12 mensualités (sic) selon le tableau d'amortissement ci-joint", il n'est aucunement établi que M. T... s'était engagé à proroger la durée de la garantie qu'il avait accordée. Au contraire, dans un courrier en date du 6 juin 2011 adressé au tribunal par Me K... R..., administrateur judiciaire de la société Le caprice, celui-ci écrivait : "le nantissement consenti par M T... au profit de la banque arrive à échéance le 30 juin prochain et M T... ne paraît pas disposé à renouveler cette garantie au profit de la caisse". Il s'ensuit que le nantissement auquel M. T... avait consenti était arrivé à terme le 30 juin 2011 et que, passée cette date, le créancier nanti ne disposait plus d'aucun droit à exercer à son profit la faculté de rachat du contrat d'assurance vie. En conséquence, M. T... est fondé à demander que la caisse de Crédit mutuel Bartholdi lui verse la somme de 76.695,29 euros qu'elle a perçue de la société ACM vie au titre de la valeur nette de rachat du contrat d'assurance vie. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2014, date à laquelle la caisse de Crédit mutuel Bartholdi a indûment perçu la valeur de rachat » ;
alors que le contrat de prêt s'éteint par le remboursement des fonds remis à l'emprunteur, et non par l'arrivée du terme de la dernière échéance ; la durée du prêt s'étend donc au-delà de la dernière échéance tant que l'emprunteur n'a pas intégralement remboursé la somme prêtée ; qu'en décidant le contraire, pour en déduire que le nantissement « qui avait la même durée que celle des prêts » qu'il garantissait (arrêt p. 4 § 5), avait cessé de produire effet à la date de la dernière échéance et ne pouvait donc plus être mis en oeuvre ultérieurement, malgré l'absence de remboursement intégral du prêt (arrêt p. 4 § 7), la cour d'appel a violé les articles 1234, 1892, 1902 et 1185 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.