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04/11/2020 | FRANCE | N°19-17559

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 04 novembre 2020, 19-17559


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 4 novembre 2020

Rejet

Mme BATUT, président

Arrêt n° 644 FS-P+B

Pourvoi n° D 19-17.559

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 NOVEMBRE 2020

M. B... J..., domicilié [...] ), a formé le pourvoi n° D 19-17.559

contre l'arrêt rendu le 18 septembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant au procureur général près ...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 4 novembre 2020

Rejet

Mme BATUT, président

Arrêt n° 644 FS-P+B

Pourvoi n° D 19-17.559

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 NOVEMBRE 2020

M. B... J..., domicilié [...] ), a formé le pourvoi n° D 19-17.559 contre l'arrêt rendu le 18 septembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié [...] , défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. J..., et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller faisant fonction de doyen, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mme Poinseaux, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme Marilly, avocat général référendaire, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 septembre 2018), M. B... J..., né le [...] à Pondichéry, a introduit une action déclaratoire de nationalité en raison de sa filiation avec un père français né sur le territoire de Pondichéry et une mère née en Inde anglaise et devenue française par son mariage.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. M. J... fait grief à l'arrêt de dire qu'il n'est pas français, alors « que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve fournis par les parties ; qu'en n'examinant pas les documents français produits par M. J... pour établir sa nationalité française, documents dont il n'était pas contesté ou constaté qu'ils n'étaient pas produits, la cour d'appel a violé les articles 455 et 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. Le moyen, qui critique des motifs surabondants de l'arrêt, est inopérant.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. M. J... fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que, conformément à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que la nationalité, effet de la filiation, relève de la vie sociale et familiale d'un individu, à travers le lien qu'il entretient avec ses parents égaux entre eux et avec la société de ses parents ; qu'elle est donc incluse à ce titre dans le champ d'application de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en vertu de l'article 14 de cette convention, aucune distinction dans l'exercice de ce droit ne peut être fondée sur des critères tenant au sexe ; que l'article 5 du traité bilatéral de 1962 interdit à l'enfant mineur, né d'une mère française restée française, de conserver la nationalité française, si le père opte pour la nationalité indienne ; que, selon cet article, l'enfant conservera la nationalité française si son père est français, même si sa mère est indienne ; qu'il perdra, en revanche, la nationalité française bien que sa mère soit française, si son père devient indien ; que l'article 5 aboutit ainsi à ce que des enfants placés dans une même situation, enfants de parents dont l'un conserve la nationalité française et pas l'autre, voient leur nationalité française dépendre du sexe du parent français ; que cette disposition consacre une inégalité entre les filiations paternelle et maternelle, comme entre l'homme et la femme ou encore entre les parents, reposant sur le sexe du parent ; qu'une telle disposition discriminatoire porte atteinte au droit à la vie privée et familiale ; qu'en ne l'écartant pas, la cour d'appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 55 de la Constitution ;

2°/ que les buts légitimes susceptibles de justifier une ingérence dans l'exercice des droits à la vie privée et familiale sont la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, ou la protection des droits et libertés d'autrui ; qu'aucun de ces buts ne recouvre celui de préserver l'identité de la population des anciens établissements français cédés à l'Inde par le choix d'une disposition qui privilégie la nationalité du père sur celle de la mère ; que l'article 5 du traité de 1962 ne poursuit pas un but légitime justifiant une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale ; qu'en refusant d'écarter son application parce qu'il ne violerait pas l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a violé ledit article ;

3°/ que constitue une discrimination, même si l'assurance au droit à une nationalité est préservée, la détermination des nationaux d'un Etat par application de critères discriminatoires à raison du sexe du parent ; qu'en retenant que la détermination par un Etat de ses nationaux ne peut constituer une discrimination au sens de cet article dès lors qu'est assuré, comme en l'espèce, le droit à une nationalité, quand ce droit est assuré par le recours à un critère discriminatoire, la cour d'appel a violé l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble son article 8 ;

4°/ que la poursuite d'un but légitime ne constitue pas en soi une justification objective et raisonnable justifiant une discrimination ou une ingérence dans un droit fondamental ; qu'il faut encore que la mesure constitutive d'une ingérence en cause soit nécessaire dans une société démocratique au regard du but poursuivi, adéquate et proportionnée à l'objectif poursuivi ; qu'en se limitant à affirmer que les règles gouvernant la conservation de la nationalité française poursuivaient le but légitime de préserver l'identité de la population des anciens établissements français cédés à l'Inde et constituaient ainsi une justification objective et raisonnable, assimilant ainsi le but légitime et les modalités de la mesure prises pour l'atteindre, la cour d'appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5°/ que l'ingérence dans l'exercice d'un droit fondamental fondée sur une discrimination n'est justifiée que si elle est nécessaire dans une société démocratique au regard du but poursuivi, adéquate et proportionnée à l'objectif poursuivi ; que la détermination par un Etat de ses nationaux par application d'un critère discriminatoire fondé sur le sexe du parent n'est ni adéquat, ni proportionné au but poursuivi qu'il s'agisse pour cet Etat de déterminer ses nationaux ou de conserver l'identité de la population des anciens établissements français cédés à l'Inde ; que ces objectifs peuvent parfaitement être atteints par une disposition respectueuse de l'égalité entre les hommes et les femmes, entre les filiations maternelle et paternelle, et entre les parents ; qu'en faisant application de l'article 5 du traité de 1962 parce qu'il ne violerait pas les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a violé lesdits articles ;

6°/ que l'article 9 de la convention multilatérale des Nations Unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ratifiée par la France et entrée en vigueur le 3 septembre 1981, prévoit que les femmes doivent avoir des droits égaux à ceux des hommes en ce qui concerne la nationalité de leurs enfants ; que l'article 5 du traité bilatéral entre la France et l'Inde de 1962 dispose que la nationalité des enfants mineurs suit celle du père seul ; que cette disposition établit une discrimination fondée sur le sexe du parent ; qu'émanant d'un traité bilatéral antérieur elle doit s'effacer devant les dispositions claires et précises émanant de traités multilatéraux postérieurs énonçant des droits fondamentaux tels que l'égalité entre l'homme et la femme ; qu'en n'écartant pas l'application de l'article 5 du traité de 1962 et en refusant de reconnaître la nationalité française de M. J... par filiation avec sa mère restée française, la cour d'appel a violé l'article 9.2 de la Convention des Nations Unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ensemble l'article 55 de la Constitution ;

7°/ que l'article 5 du Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales énonce que « les époux jouissent de l'égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution » ; que l'article 5 du traité bilatéral entre la France et l'Inde de 1962 fait produire plus de conséquences juridiques à la filiation paternelle qu'à la filiation maternelle pour les enfants du couple ; qu'il établit une inégalité entre les parents dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage en faisant prévaloir la nationalité du père sur celle de la mère ; qu'émanant d'un traité bilatéral antérieur l'article 5 du traité de 1962 doit s'effacer devant les dispositions de l'article 5 du protocole n° 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales énonçant des droits fondamentaux tels que l'égalité entre les parents vis-à-vis de leurs enfants, et nécessairement entre le père et la mère ; qu'en n'écartant pas l'application de l'article 5 du traité de 1962 et en refusant de reconnaître la nationalité française de M. J... par filiation avec sa mère restée française parce que son père n'avait pas fait le choix de conserver la nationalité française, la cour d'appel a violé l'article 5 du Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 55 de la Constitution de 1955 et le préambule de la Constitution de 1946. »

Réponse de la Cour

5. L'arrêt retient à bon droit, par motifs adoptés, que la détermination par un Etat de ses nationaux, par application de la loi sur la nationalité, ne peut constituer une discrimination au sens de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dès lors qu'est assuré le droit à une nationalité (1re Civ., 25 avril 2007, pourvoi n° 04-17.632, Bull. 2007, I, n° 159).

6. Le moyen ne fait état d'aucune incidence concrète de l'application du Traité de cession des établissements français de Pondichéry, F..., W... et E... à l'Union indienne du 28 mai 1956 sur la vie privée et familiale de M. J....

7. M. J... n'a invoqué devant la cour d'appel ni la convention des Nations Unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ni le Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Dès lors, le moyen, nouveau et mélangé de fait en ses sixième et septième branches, comme tel irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. J... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. J...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que M. B... J... n'est pas français,

AUX MOTIFS QUE par application de l'article 30 du code civil, il appartient à M. B... J..., qui n'est pas personnellement titulaire d'un certificat de nationalité française de rapporter la preuve que les conditions requises par la loi pour l'établissement de sa nationalité française sont remplies ; que le certificat de nationalité française délivrée à un tiers, serait-elle sa mère, n'a pas pour effet de renverser la charge de la preuve qui pèse sur l'appelante ; qu'en cause d'appel, le ministère public soulève une contestation quant à la formalité de l'apostille des actes de l'état civil indien versés aux débats par l' appelante ; que pour être reconnus en France, les actes de l'état civil dressés en Inde doivent être revêtus de l'apostille conformément à la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 supprimant l'exigence de la légalisation des actes publics étrangers (la Convention de La Haye) ; que l'article 3 de la Convention de La Haye dispose que «La seule formalité qui puisse être exigée pour attester la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu, est l'apposition de l'apostille définie à l'article 4, délivrée par l'autorité compétente de l'État d'où émane le document » ; que l'article 4 précise que « L'apostille prévue à l'article 3, alinéa premier, est apposée sur l'acte lui-même ou sur une allonge; elle doit être conforme au modèle annexé à la présente Convention » ; que, comme le relève justement le ministère public, certains actes de l'état civil indien versés aux débats par l'appelante sont soit dépourvus d'apostille, soit comportent une apostille incomplète ou non conforme au modèle prévu par la Convention de La Haye ; que l'acte de naissance de l'appelant (pièce n°1.1) ne comporte pas au recto le nom du signataire de l'acte mais seulement sa qualité (Registar) ; que le nom du Registar est précisé au verso de l'acte sur un simple tampon signé de P. O..., Under Secretary to Govt., qui n'est pas conforme au modèle prévu par la Convention de La Haye ; que l'apostille figurant à côté de ce tampon, outre qu'elle ne comporte pas le nom du Registar mais seulement sa qualité, fait une mention erronée du timbre dont l'acte est revêtu puisqu'il vise celui de l'Under Secretary to Govt ; que les mêmes irrégularités affectent l'acte de mariage de l'appelant avec Mme X... D... ; que les autres actes d'état civil versés par l'appelant n'ont pas fait l'objet de la formalité de l'apostille ; que les actes de l'état civil indien versés par M. B... J... aux débats ne pouvant pas être reconnus en France, l'appelant ne justifie pas qu'il réunit les conditions requises par la loi pour l'établissement de sa nationalité française ; que le jugement est donc confirmé ;

ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve fournis par les parties ; qu'en n'examinant pas les documents français produits par M. J... pour établir sa nationalité française, documents dont il n'était pas contesté ou constaté qu'ils n'étaient pas produits, la cour d'appel a violé les article 455 et 16 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que M. B... J... n'est pas français ;

AUX MOTIFS ADOPTES QUE le contenu [de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne], notamment les droits qu'elle reconnaît, n'est qu'une reprise de ceux reconnus par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales. En particulier, le droit d'acquérir une nationalité plutôt qu'une autre n'y figure pas davantage que dans celle-ci, parmi les droits et libertés protégés.

En tout état de cause, d'une part, en application de l'article 4 du Traité, le droit d'option étant ouvert tant à l'homme qu'à la femme, il n'existait pas de discrimination par le sexe pour conserver la nationalité française. D'autre part, si l'enfant suivait la condition de son père, la détermination par un Etat de ses nationaux par application de la loi sur la nationalité ne peut constituer une discrimination au sens tant de l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'est assuré, comme en l'espèce, le droit à une nationalité.

Enfin, et en toute hypothèse, une distinction est discriminatoire lorsqu'elle est privée de justification objective et raisonnable, au sens de la charte et de la convention précitées. Or, les règles gouvernant la conservation de la nationalité française poursuivaient un but légitime, celui de préserver l'identité de la population des anciens Etablissements français cédés à l'Inde ;

1°) ALORS QUE, conformément à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que la nationalité, effet de la filiation, relève de la vie sociale et familiale d'un individu, à travers le lien qu'il entretient avec ses parents égaux entre eux et avec la société de ses parents ; qu'elle est donc incluse à ce titre dans le champ d'application de l'article 8 de la convention européenne ; qu'en vertu de l'article 14 de cette convention, aucune distinction dans l'exercice de ce droit ne peut être fondée sur des critères tenant au sexe ; que l'article 5 du traité bilatéral de 1962 interdit à l'enfant mineur, né d'une mère française restée française, de conserver la nationalité française, si le père opte pour la nationalité indienne ; que, selon cet article, l'enfant conservera la nationalité française si son père est français, même si sa mère est indienne ; qu'il perdra, en revanche, la nationalité française bien que sa mère soit française, si son père devient indien ; que l'article 5 aboutit ainsi à ce que des enfants placés dans une même situation, enfants de parents dont l'un conserve la nationalité française et pas l'autre, voient leur nationalité française dépendre du sexe du parent français ; que cette disposition consacre une inégalité entre les filiations paternelle et maternelle, comme entre l'homme et la femme ou encore entre les parents, reposant sur le sexe du parent ; qu'une telle disposition discriminatoire porte atteinte au droit à la vie privée et familiale ; qu'en ne l'écartant pas, la cour d'appel a violé les articles 8 et 14 de la CEDH, ensemble l'article 55 de la Constitution ;

2°) ALORS QUE les buts légitimes susceptibles de justifier une ingérence dans l'exercice des droits à la vie privée et familiale sont la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, ou la protection des droits et libertés d'autrui ; qu'aucun de ces buts ne recouvre celui de préserver l'identité de la population des anciens établissements français cédés à l'Inde par le choix d'une disposition qui privilégie la nationalité du père sur celle de la mère ; que l'article 5 du traité de 1962 ne poursuit pas un but légitime justifiant une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale ; qu'en refusant d'écarter son application parce qu'il ne violerait pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la cour d'appel a violé ledit article ;

3°) ALORS QUE constitue une discrimination, même si l'assurance au droit à une nationalité est préservée, la détermination des nationaux d'un Etat par application de critères discriminatoires à raison du sexe du parent ; qu'en retenant que la détermination par un Etat de ses nationaux ne peut constituer une discrimination au sens de cet article dès lors qu'est assuré, comme en l'espèce, le droit à une nationalité, quand ce droit est assuré par le recours à un critère discriminatoire, la cour d'appel a violé l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ensemble son article 8 ;

4°) ALORS QUE la poursuite d'un but légitime ne constitue pas en soi une justification objective et raisonnable justifiant une discrimination ou une ingérence dans un droit fondamental ; qu'il faut encore que la mesure constitutive d'une ingérence en cause soit nécessaire dans une société démocratique au regard du but poursuivi, adéquate et proportionnée à l'objectif poursuivi ; qu'en se limitant à affirmer que les règles gouvernant la conservation de la nationalité française poursuivaient le but légitime de préserver l'identité de la population des anciens établissements français cédés à l'Inde et constituaient ainsi une justification objective et raisonnable, assimilant ainsi le but légitime et les modalités de la mesure prises pour l'atteindre, la cour d'appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

5°) ALORS QUE, en toute hypothèse, l'ingérence dans l'exercice d'un droit fondamental fondée sur une discrimination n'est justifiée que si elle est nécessaire dans une société démocratique au regard du but poursuivi, adéquate et proportionnée à l'objectif poursuivi ; que la détermination par un Etat de ses nationaux par application d'un critère discriminatoire fondé sur le sexe du parent n'est ni adéquat, ni proportionné au but poursuivi qu'il s'agisse pour cet Etat de déterminer ses nationaux ou de conserver l'identité de la population des anciens établissements français cédés à l'Inde ; que ces objectifs peuvent parfaitement être atteints par une disposition respectueuse de l'égalité entre les hommes et les femmes, entre les filiations maternelle et paternelle, et entre les parents ; qu'en faisant application de l'article 5 du traité de 1962 parce qu'il ne violerait pas les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la cour d'appel a violé lesdits articles :

6°) ALORS QUE, l'article 9 de la convention multilatérale des Nations Unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ratifiée par la France et entrée en vigueur le 3 septembre 1981, prévoit que les femmes doivent avoir des droits égaux à ceux des hommes en ce qui concerne la nationalité de leurs enfants ; que l'article 5 du traité bilatéral entre la France et l'Inde de 1962 dispose que la nationalité des enfants mineurs suit celle du père seul ; que cette disposition établit une discrimination fondée sur le sexe du parent ; qu'émanant d'un traité bilatéral antérieur elle doit s'effacer devant les dispositions claires et précises émanant de traités multilatéraux postérieurs énonçant des droits fondamentaux tels que l'égalité entre l'homme et la femme ; qu'en n'écartant pas l'application de l'article 5 du traité de 1962 et en refusant de reconnaître la nationalité française de M. J... par filiation avec sa mère restée française, la cour d'appel a violé l'article 9.2 de la convention des Nations Unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ensemble l'article 55 de la Constitution ;

7°) ALORS QUE l'article 5 du Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales énonce que « les époux jouissent de l'égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution» ; que l'article 5 du traité bilatéral entre la France et l'Inde de 1962 fait produire plus de conséquences juridiques à la filiation paternelle qu'à la filiation maternelle pour les enfants du couple ; qu'il établit une inégalité entre les parents dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage en faisant prévaloir la nationalité du père sur celle de la mère ; qu'émanant d'un traité bilatéral antérieur l'article 5 du traité de 1962 doit s'effacer devant les dispositions de l'article 5 du protocole n°7 de la CEDH énonçant des droits fondamentaux tels que l'égalité entre les parents vis-à-vis de leurs enfants, et nécessairement entre le père et la mère ; qu'en n'écartant pas l'application de l'article 5 du traité de 1962 et en refusant de reconnaître la nationalité française de M. J... par filiation avec sa mère restée française parce que son père n'avait pas fait le choix de conserver la nationalité française, la cour d'appel a violé l'article 5 du Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ensemble l'article 55 de la Constitution de 1955 et le préambule de la Constitution de 1946.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 19-17559
Date de la décision : 04/11/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 14 - Interdiction de discrimination - Violation - Défaut - Cas - Détermination par un Etat de ses nationaux par application de la loi sur la nationalité - Condition

NATIONALITE - Nationalité française - Preuve - Cas - Traité de cession des établissements français de Pondichéry, Karikal, Mahé et Yanaon à l'Union indienne du 28 mai 1956

La détermination par un Etat de ses nationaux, par application de la loi sur la nationalité, ne peut constituer une discrimination au sens de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dès lors qu'est assuré le droit à une nationalité (1re Civ., 25 avril 2007, pourvoi n° 04-17.632, Bull. 2007, I, n° 159 (rejet)). Est rejeté le pourvoi qui ne fait état d'aucune incidence concrète de l'application du Traité de cession des établissements français de Pondichéry, Karikal, Mahé et Yanaon à l'Union indienne du 28 mai 1956 sur la vie privée et familiale du demandeur qui a engagé une action déclaratoire de nationalité française


Références :

article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 18 septembre 2018

A rapprocher : 1re Civ., 25 avril 2007, pourvoi n° 04-17632, Bull. 2007, I, n° 159 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 04 nov. 2020, pourvoi n°19-17559, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.17559
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