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23/09/2020 | FRANCE | N°19-12751

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 23 septembre 2020, 19-12751


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 23 septembre 2020

Rejet

Mme BATUT, président

Arrêt n° 492 FS-P+B

Pourvoi n° C 19-12.751

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 23 SEPTEMBRE 2020

M. V... D..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° C 19-12.

751 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant au Syndicat d'irriga...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 23 septembre 2020

Rejet

Mme BATUT, président

Arrêt n° 492 FS-P+B

Pourvoi n° C 19-12.751

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 23 SEPTEMBRE 2020

M. V... D..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° C 19-12.751 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant au Syndicat d'irrigation départemental drômois, dont le siège est [...] , défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. D..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Syndicat d'irrigation départemental drômois, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Girardet, Mme Teiller, MM. Avel, Mornet, Chevalier, Mme Kerner-Menay, conseillers, Mme Canas, M. Vitse, Mmes Dazzan, Le Gall, Kloda, Champ, Comte, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Randouin, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 11 décembre 2018) et les productions, M. D... (l'exploitant), exploitant agricole, est propriétaire de parcelles à Châteaudouble situées à proximité du canal de la Martinette alimenté notamment par la rivière Lierne. Il est membre d'une association syndicale autorisée (ASA) ayant pour objet la gestion de ces eaux. Au cours de l'année 2013, le Syndicat d'irrigation départemental drômois (le syndicat) a procédé à des sondages dans l'une de ces parcelles, sur laquelle se trouve une prise d'eau reliée au canal, destinée à l'irrigation pour les besoins de l'exploitation agricole.

2. Par arrêté du 25 mars 2014, le préfet de la Drôme a mis en demeure l'ASA de déposer une demande d'autorisation de prélèvement dans la rivière Lierne. Soutenant être titulaire de droits d'eau fondés en titre, l'ASA a saisi, aux fins d'annulation de l'arrêté, le tribunal administratif qui, par jugement du 21 juin 2016, a rejeté sa requête. L'exploitant a, alors, assigné le syndicat devant la juridiction judiciaire en vue de faire reconnaître l'existence de droits d'eau fondés en titre attachés aux parcelles dont il est propriétaire. Le syndicat a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L'exploitant fait grief à l'arrêt de déclarer la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige, alors :

« 1°/ que le juge judiciaire est seul compétent pour connaître des questions de propriété immobilière privée, en particulier celles portant sur l'existence d'un droit réel immobilier ; que les droits d'usage d'eau sont des droits réels immobiliers ; qu'en se bornant à affirmer, pour déclarer le tribunal de grande instance de Valence incompétent pour connaître des demandes de l'exploitant tendant à la reconnaissance de droits d'usage d'eau fondés en titre attachés à sa propriété, qu'il s'agit de droits d'usage et non de droits propriété, la cour d'appel a violé le principe de séparation entre les autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

2°/ que le juge judiciaire est seul compétent pour connaître des questions de propriété immobilière privée, en particulier celles portant sur l'existence d'un droit réel immobilier, lorsque l'immeuble en question n'appartient pas au domaine public ; qu'en déclarant le tribunal de grande instance de Valence incompétent pour connaître des demandes de l'exploitant tendant à la reconnaissance de droits d'usage d'eau fondés en titre attachés à sa propriété sans constater que lesdits droits portaient sur un cours d'eau domanial, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de séparation entre les autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

4. Saisi par la Cour de cassation (1re Civ., 5 février 2020, pourvoi n° 19-12.751, publié), en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le Tribunal des conflits a, par arrêt du 8 juin 2020 (n° 4190), énoncé :

« Les droits fondés en titre constituent des droits d'usage de l'eau. Ils ont le caractère de droits réels immobiliers. Toutefois, tout en confirmant le régime des droits acquis, les dispositions législatives du code de l'environnement relatives à la police de l'eau les ont inclus dans leur champ d'application. En particulier, le II de l'article L. 214-6 du code de l'environnement dispose que les installations et ouvrages fondés en titre « sont réputés déclarés ou autorisés » pour l'application des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code et les droits fondés en titre sont soumis aux conditions générales d'abrogation, de révocation et de modification des autorisations définies par les articles L. 214-4 et L. 215-10 du même code. En outre, l'autorité administrative exerçant ses pouvoirs de police de l'eau peut modifier la portée d'un droit fondé en titre en imposant le respect de prescriptions. Il appartient dès lors à la juridiction administrative de se prononcer sur l'existence ou la consistance d'un droit d'usage de l'eau fondé en titre et de statuer sur toute contestation sur l'un ou l'autre de ces points. Il appartient en revanche au juge judiciaire de connaître de toute contestation relative à la personne titulaire d'un tel droit. Lorsque, dans le cadre d'un litige porté devant lui, l'existence ou la consistance du droit est contestée, le juge judiciaire reste compétent pour connaître du litige, sauf si cette contestation soulève une difficulté sérieuse, notamment parce qu'elle porte sur une décision affectant l'existence ou la consistance du droit que l'administration a prise ou qu'il pourrait lui être demandé de prendre dans l'exercice de ses pouvoirs de police de l'eau. Dans un tel cas, il appartient au juge judiciaire de saisir de cette question, par voie préjudicielle, le juge administratif. Il résulte de ce qui précède que le présent litige ressortit à la compétence de la juridiction administrative. »

5. Conformément à l'article 11 de la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits, cette décision s'impose à toutes les juridictions de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif.

6. Le moyen ne peut donc être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. D... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois septembre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. D....

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR déclaré le tribunal de grande instance de Valence incompétent pour statuer sur les demandes de M. D... et renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

AUX MOTIFS PROPRES QUE sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d'eau sur des cours d'eaux non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux ; que les droits fondés en titre constituent des droits d'usage particuliers de l'eau exclusivement attachés à des ouvrages situés sur les cours d'eau ; qu'il s'agit de droits d'usage et non de propriété qui relèvent, en l'absence de voie de fait, de la compétence des juridictions administratives ; qu'en l'espèce, il n'est allégué aucune voie de fait ; que la reconnaissance des droits invoqués par V... D... relève donc de la compétence du juge administratif ; que la décision déférée doit être confirmée ;

ET AUX MOTIFS RÉPUTÉS ADOPTÉS QUE sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale les prises d'eau sur des cours d'eaux non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit ont été établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux ; qu'une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle avant cette date (en ce sens notamment : Conseil d'Etat, 16 janvier 2006 n° 263010 et 7 février 2007 n° 280373) ; que les droits fondés en titre constituent de simples droits d'usage particuliers de l'eau, exclusivement attachés à des ouvrages situés sur les cours d'eau (réseaux d'irrigation collective, canaux, moulins, retenues des barrages et des centrales électriques, étangs, autres ouvrages annexes
) et ne peuvent en aucun cas être assimilés à un droit de propriété ; que toutes les demandes visant à la reconnaissance de tels droits par l'administration, ou à l'annulation d'une décision de celle-ci impliquant leur contestation, leur limitation ou leur suppression, relèvent de la compétence exclusive de la juridiction administrative (en ce sens notamment : Conseil d'Etat, 26 janvier 2006 n° 263010 et 7 février 2007 n° 280373) ; que dans le présent [litige], il convient de relever que les demandes formées par M. V... D..., dirigées à l'encontre de l'établissement public dénommé Syndicat d'irrigation drômois (SID), autorisant le captage de l'eau provenant de la source Matras depuis le canal de la Martinette pour les besoins de son exploitation agricole, et à s'opposer à toute décision administrative de nature à restreindre ou à modifier les conditions de ce captage ; que de telles demandes relèvent de la compétence exclusive du juge administratif ;

1) ALORS QUE le juge judiciaire est seul compétent pour connaître des questions de propriété immobilière privée, en particulier celles portant sur l'existence d'un droit réel immobilier ; que les droits d'usage d'eau sont des droits réels immobiliers ; qu'en se bornant à affirmer, pour déclarer le tribunal de grande instance de Valence incompétent pour connaître des demandes de M. D... tendant à la reconnaissance de droits d'usage d'eau fondés en titre attachés à sa propriété, qu'il s'agit de droits d'usage et non de droits propriété, la cour d'appel a violé le principe de séparation entre les autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

2) ALORS QUE le juge judiciaire est seul compétent pour connaître des questions de propriété immobilière privée, en particulier celles portant sur l'existence d'un droit réel immobilier, lorsque l'immeuble en question n'appartient pas au domaine public ; qu'en déclarant le tribunal de grande instance de Valence incompétent pour connaître des demandes de M. D... tendant à la reconnaissance de droits d'usage d'eau fondés en titre attachés à sa propriété sans constater que lesdits droits portaient sur un cours d'eau domanial, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de séparation entre les autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 19-12751
Date de la décision : 23/09/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

SEPARATION DES POUVOIRS - Compétence judiciaire - Exclusion - Cas - Contentieux des mesures de police administrative - Mesures de police - Déclaration ou autorisation préalable visée par l'article L. 214-6 du code de l'environnement - Action en reconnaissance d'un droit d' eau fondé en titre engagé par un particulier contre un syndicat d'irrigation départemental

Saisi par la Cour de cassation (1re Civ., 5 février 2020, pourvoi n° 19-12.751, Bull. 2020, I, (renvoi devant le Tribunal des conflits et sursis à statuer)), en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le Tribunal des conflits a, par arrêt du 8 juin 2020 (n° 4190), énoncé que les droits fondés en titre constituent des droits d'usage de l'eau qui ont le caractère de droits réels immobiliers. Il a ajouté que tout en confirmant le régime des droits acquis, les dispositions législatives du code de l'environnement relatives à la police de l'eau les ont inclus dans leur champ d'application et que l'autorité administrative exerçant ses pouvoirs de police de l'eau peut modifier la portée d'un droit fondé en titre en imposant le respect de prescriptions. Il a jugé qu'il appartient dès lors à la juridiction administrative de se prononcer sur l'existence ou la consistance d'un droit d'usage de l'eau fondé en titre et de statuer sur toute contestation sur l'un ou l'autre de ces points. Le moyen qui postule le contraire ne peut donc être accueilli


Références :

article L. 214-6 du code de l'environnement.

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, 11 décembre 2018

A rapprocher : 1re Civ., 5 février 2020, pourvoi n° 19-12751, Bull. 2020, (renvoi devant le Tribunal des conflits et sursis à statuer).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 23 sep. 2020, pourvoi n°19-12751, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.12751
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