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19/06/2019 | FRANCE | N°18-10380

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 19 juin 2019, 18-10380


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que soutenant avoir été exposée in utero au diéthylstilbestrol (DES), Mme B... A... a assigné en responsabilité et indemnisation la société UCB Pharma, venant aux droits de la société Ucepha, producteur du Distilbène, et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Gard aux droits de laquelle est venue la caisse de l'Hérault, qui a demandé le remboursement de ses débours ; que la société UCB Pharma a mis en cause la société Novartis santé familiale,

venant aux droits de la société Borne, producteur du Stilbestrol-Borne, et d...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que soutenant avoir été exposée in utero au diéthylstilbestrol (DES), Mme B... A... a assigné en responsabilité et indemnisation la société UCB Pharma, venant aux droits de la société Ucepha, producteur du Distilbène, et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Gard aux droits de laquelle est venue la caisse de l'Hérault, qui a demandé le remboursement de ses débours ; que la société UCB Pharma a mis en cause la société Novartis santé familiale, venant aux droits de la société Borne, producteur du Stilbestrol-Borne, et devenue la société Glaxosmithkline santé grand public ; que Mme R... A..., mère de Mme B... A..., est intervenue volontairement à la procédure ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble l'article 1353 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Attendu que, pour rejeter les demandes de Mme B... A... et de Mme R... A..., l'arrêt retient que l'attestation rédigée par une personne très proche de la victime quelques mois avant l'assignation au fond, même confortée par une ordonnance prescrivant du Distilbène qui n'est pas nominative et est présentée comme se rapportant à une grossesse antérieure de Mme R... A..., ne suffit pas à constituer une preuve de l'exposition au DES, que même en considérant que ces éléments constituent un commencement de preuve, ils doivent être corroborés par d'autres indices, tirés des pathologies présentées, qui peuvent constituer des présomptions graves, concordantes et précises tant de l'exposition que de l'imputabilité des dommages à celle-ci, mais que, pour remplir ce rôle probant, les pathologies présentées ne doivent avoir aucune autre cause possible que l'exposition in utero au DES ; qu'il en déduit, après les avoir examinées, que les anomalies physiologiques présentées par Mme B... A... ne peuvent être imputées avec certitude à une telle exposition ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, s'il n'est pas établi que le DES est la seule cause possible des pathologies présentées, la preuve d'une exposition in utero à cette molécule puis celle de l'imputabilité du dommage à cette exposition peuvent être apportées par tout moyen, et notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, sans qu'il puisse être exigé que les pathologies aient été exclusivement causées par cette exposition, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur la deuxième branche du moyen :

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

Attendu que, pour retenir qu'une exposition au DES ne peut être déduite de l'existence d'une hypoplasie utérine, après avoir énoncé que Mme B... A... présentait un utérus cloisonné qui n'était pas imputable à une exposition au DES ainsi qu'une hypoplasie utérine, l'arrêt relève qu'interpellés par la société UCB Pharma dans un dire sur l'existence d'un lien entre l'utérus cloisonné et l'hypoplasie, les experts n'ont pas exclu un tel lien ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les experts n'avaient pas répondu au dire de la société UCB Pharma sur l'éventualité d'un lien entre l'hypoplasie et l'utérus cloisonné, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise et violé le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne les sociétés UCB Pharma et Glaxosmithkline santé grand public aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

.

Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour Mmes B... et R... A....

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué de débouter Mmes B... et R... A... de leurs demandes ;

AUX MOTIFS QUE selon le rapport d'expertise, Mme A... a présenté un utérus cloisonné opéré à deux reprises en janvier et octobre 2007 ; que consulté le professeur T... a conclu à l'existence d'un utérus hypoplasique présentant l'aspect d'un utérus DES ; que Mme A... a subi une hystéroplastie d'agrandissement en 2009 et obtenu après 9 fausses couches et 2 FIV une grossesse gémellaire menée à terme, mais pendant laquelle elle a été alitée ; qu'aucune prescription de Distilbène n'a été retrouvée ; que néanmoins Mme R... A... a attesté avoir été traitée par Distilbène pendant ses deux grossesses, et a produit une ordonnance, il est vrai non nominative, correspondant à la grossesse de son fils aîné ; que peuvent être rattachés à l'exposition au DES l'aspect hypoplasique de l'utérus (utérus petit dans sa globalité), certaines fausses couches, les anomalies vasculaires utérines, et l'infertilité qui en résulte, même si d'autres facteurs entrent en jeu ; que l'utérus cloisonné n'est pas en rapport avec une exposition in utero au DES et est une anomalie relativement fréquente ; qu'il existe une corrélation entre les fausses couches et l'existence d'un utérus cloisonné, et il en existe également une autre entre exposition au DES et fausses couches (...) ; qu'ainsi que l'a justement relevé le tribunal, l'attestation de Mme R... A..., rédigée par une personne très proche de la victime directe, et quelques mois avant l'assignation au fond, ne suffit pas à constituer une preuve suffisante de l'exposition à la molécule, même confortée par l'ordonnance produite, qui n'est pas nominative et est présentée comme se rapportant à une grossesse antérieure de Mme R... A... ; qu'ainsi, même en considérant que ces éléments constituent un commencement de preuve, ils doivent être corroborés par d'autres indices, tirés des pathologies présentées, qui peuvent ainsi constituer des présomptions graves, concordantes et précises tant de l'exposition que de l'imputabilité des dommages à cette dernière ; que néanmoins pour remplir ce rôle probant, les pathologies présentées, ne doivent avoir aucune autre cause possible que l'exposition in utero au DES ; qu'or en l'espèce, les experts ont manifesté une grande prudence dans leur appréciation de l'imputabilité des pathologies constatées à une exposition au DES, puisqu'ils indiquent (p. 30 de leur rapport) que l'hypoplasie constatée par le professeur T... est seulement "compatible" avec une exposition au DES, et que, de même, les anomalies vasculaires utérines mises en évidence, facteur de mauvaise implantation embryonnaire, ont été décrites comme plus fréquentes chez les femmes exposées au DES, sans qu'il y ait d'études de méthodologie rigoureuse qui l'aient démontré ; que sur l'hypoplasie, il résulte également de l'expertise que Mme A... présentait un utérus cloisonné, malformation fréquente, décrite en dehors de toute exposition in utero au DES, et qui n'est pas caractéristique d'une telle exposition ; que Mme A... a subi deux interventions afin de réséquer cette cloison utérine, qui est apparue aux médecins qui l'ont suivie, faire obstacle à son projet de maternité ; qu'or, alors qu'elles étaient directement interpellées par UCB Pharma dans le cadre de son dire du 4 septembre 2012 sur l'existence d'un lien de l'hypoplasie utérine avec l'anomalie utérine présentée par Mme A... (utérus cloisonné), qui est, elle, sans rapport avec l'exposition au DES, les experts n'ont pas exclu ce lien ; qu'est en outre produit par UCB Pharma un extrait d'un ouvrage de pelvi-périnéologie publié sous la direction du professeur G..., autre spécialiste des problématiques DES, et propre médecin conseil de Mme A..., dans le chapitre consacré aux malformations utérines en général, et notamment aux utérus cloisonnés, qu'une « hypoplasie est souvent associée à la malformation et aggrave le pronostic obstétrical » ; que l'exposition au DES ne peut donc être déduite de l'hypoplasie utérine, et, réciproquement, l'hypoplasie peut ne pas lui être imputable ; que sur les anomalies vasculaires utérines, et sur dire des parties, les experts ont précisé que les difficultés implantatoires ont été décrites par une seule étude, et constatées par le docteur H... (très averti des problématiques DES) et sont fortement suspectées, d'autant plus que le traitement par Torental est prescrit par les équipes spécialisées dans la prise en charge des femmes exposées au DES et présentant des augmentations des résistances vasculaires au doppler ; qu'elles ont cependant indiqué que ces constatations n'ont pas été confirmées par des études ultérieures ; qu'enfin, les experts ont précisé qu'existait une corrélation forte entre les fausses couches à répétition et les utérus cloisonnés, et que l'amélioration des issues de grossesse après intervention sur la cloison a largement été rapportée, malgré l'absence d'études randomisées ; qu'elles rappellent également qu'il existe aussi une corrélation entre exposition au DES et fausses couches ; qu'ainsi, la survenance de très nombreuses fausses couches chez Mme A... ne constitue pas, à raison de cette autre cause possible, un indice univoque d'une exposition au DES ; qu'ainsi, en l'état de l'absence de preuve formelle d'une exposition à la molécule DES, et d'anomalies physiologiques qui, même considérées ensemble, ne peuvent être imputées avec certitude à une exposition au DES in utero, et de l'existence, au contraire, d'une anomalie utérine majeure, qui n'est pas imputable à cette exposition et qui peut suffire à expliquer les pathologies observées, il sera retenu que la preuve de l'imputabilité des pathologies constatées à une exposition au DES n'est pas suffisamment rapportée ;

1°) ALORS QUE la preuve de l'imputabilité d'un dommage à un fait générateur peut légalement résulter de présomptions graves, précises et concordantes ; qu'il était soutenu que la preuve de l'exposition de Mme B... A... au DES résultait, outre de l'attestation de sa mère et de l'existence d'une prescription médicale antérieure à cette grossesse, des différentes pathologies qu'elle présentait, telles que l'hypoplasie utérine, ses anomalies vasculaires utérines, la multitude des fausses couches qu'elle avait subies et le fait que l'hystéroplastie d'agrandissement avait permis l'obtention d'une grossesse ; qu'en subordonnant la preuve de l'exposition de Mme B... A... au DES à la preuve que les pathologies qu'elle a présentées soient imputables au DES, ce qui revenait à exiger la preuve directe de son exposition au DES à l'exclusion d'une preuve par présomptions graves, précises et concordantes qui lui imposait d'examiner si chacune de ces pathologies était significative d'une telle exposition et si, prises dans leur ensemble, elles ne caractérisaient pas une présomption d'exposition au DES, la cour d'appel a violé l'article 1353 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°) ALORS QU'à propos de l'existence d'une hypoplasie utérine, l'arrêt énonce qu'en réponse au dire du 4 septembre 2012 évoquant un possible lien entre cette anomalie et l'utérus cloisonné, « les experts n'ont pas exclu ce lien » ; que le rapport d'expertise, qui ne contient aucune réponse au dire du 4 septembre 2012, énonce que « est en rapport possible avec une exposition in utero au DES l'hypoplasie utérine » (rapport p. 30) ; qu'en se prononçant ainsi, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise en méconnaissance de l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause ;

3°) ALORS QU'en affirmant d'un côté que l'anomalie utérine majeure (l'utérus cloisonné) « peut suffire à expliquer les pathologies observées », au nombre desquelles les anomalies vasculaires utérines, tout en affirmant, de l'autre, que, sur les anomalies vasculaires utérines, les experts ont précisé que les difficultés implantatoires ont été décrites par une seule étude, et constatées par le docteur H... (très averti des problématiques DES) et sont fortement suspectées, d'autant plus que le traitement par Torental est prescrit par les équipes spécialisées dans la prise en charge des femmes exposées au DES et présentant des augmentations des résistances vasculaires au doppler ; qu'en se prononçant par ces motifs contradictoires sur le point de savoir si les anomalies vasculaires étaient imputables à l'utérus cloisonné, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 18-10380
Date de la décision : 19/06/2019
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

SANTE PUBLIQUE - Produits pharmaceutiques - Médicaments à usage humain - Défectuosité - Lien de causalité avec le dommage - Preuve - Moyen de preuve - Présomptions graves, précises et concordantes - Conditions - Exclusion - Cause exclusive de la pathologie

RESPONSABILITE DU FAIT DES PRODUITS DEFECTUEUX - Produit - Défectuosité - Lien de causalité avec le dommage - Preuve par le demandeur - Caractérisation - Présomptions graves, précises et concordantes - Conditions - Exclusion - Cause exclusive de la pathologie SANTE PUBLIQUE - Produits pharmaceutiques - Médicaments à usage humain - Défectuosité - Lien de causalité avec le dommage - Preuve - Moyen de preuve - Présomptions graves, précises et concordantes - Possibilité - Portée RESPONSABILITE DU FAIT DES PRODUITS DEFECTUEUX - Produit - Défectuosité - Lien de causalité avec le dommage - Preuve par le demandeur - Caractérisation - Présomptions graves, précises et concordantes - Possibilité - Portée PREUVE - Règles générales - Moyen de preuve - Preuve par tous moyens - Domaine d'application - Exposition in utero au DES et imputabilité du dommage à cette exposition

Lorsqu'il n'est pas établi que le diéthylstilbestrol DES est la seule cause possible des pathologies présentées par la requérante, la preuve d'une exposition in utero à cette molécule puis celle de l'imputabilité du dommage à cette exposition peuvent être apportées par tout moyen, et notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, sans qu'il puisse être exigé que les pathologies aient été exclusivement causées par cette exposition


Références :

article 1382, devenu 1240, du code civil

article 1353 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 23 novembre 2017

Sur la possibilité de rapporter, par tous moyens, la preuve d'une exposition in utero à la molécule DES contenue dans le "distilbène", puis celle de l'imputabilité du dommage à cette exposition, à rapprocher : 1re Civ., 24 septembre 2009, pourvoi n° 08-10081, Bull. 2009, I, n° 186 (rejet).Sur la possibilité de rapporter, par tous moyens, et notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, la preuve de l'imputabilité du dommage au produit de santé en cause, à rapprocher : 1re Civ., 18 octobre 2017, pourvoi n° 14-18118, Bull. 2017, I, n° 221 (rejet), et les arrêts cités ;

1re Civ., 18 octobre 2017, pourvoi n° 15-20791, Bull. 2017, I, n° 222 (rejet), et les arrêts cités


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 19 jui. 2019, pourvoi n°18-10380, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, SCP Hémery, Thomas-Raquin et Le Guerer, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.10380
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