LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- Le procureur général près la cour d'appel de Versailles,
- Le Crédit agricole Corporate et Investments Bank (CACIB), venant aux droits du Crédit agricole Indosuez Cheuvreux (CAIC), partie civile,
contre l'arrêt de ladite cour d'appel, 9° chambre, en date du 3 juillet 2015, qui, dans la procédure suivie contre MM. Didier X..., Eric Y...et autres des chefs d'escroquerie et faux, a constaté l'extinction de l'action publique, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 28 juin 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, M. Steinmann, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller PLANCHON, les observations de la société civile professionnelle CÉLICE, SOLTNER, TEXIDOR et PÉRIER, de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, de la société civile professionnelle FABIANI, LUC-THALER et PINATEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MONDON ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé pour le Crédit agricole Corporate et Investments Bank (CACIB), pris de la violation des articles 593 et 6 du code de procédure pénale, 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et de l'article 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme ;
" en ce que la cour d'appel a constaté l'extinction des poursuites ;
" aux motifs que pour conclure à l'extinction de l'action publique sur le fondement de l'article 6, alinéa 1er du code de procédure pénale, MM. Y...et X...soutiennent qu'ils ont été sanctionnés par le Conseil des marchés financiers pour les mêmes faits que ceux déférés devant la juridiction pénale et se prévalent du principe ne bis in idem dans les termes adoptés par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt du 4 mars 2014 (CDH affaire Grande Stevens et autres c/ Italie) pris en application des articles 4 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme (la Convention), 7 du Pacte international de New-York relatif aux droits civils et politiques, et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; qu'aux termes de l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention relatif au droit à ne pas être jugé ou puni deux fois, il est énoncé que nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ; qu'en premier lieu, que par arrêt du 10 février 2009 (CDH affaire Sergueï Z...c/ Russie), la grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a dit pour droit que l'article 4 du Protocole n° 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde infraction pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes ; qu'en fait, qu'outre les violations des obligations purement déclaratives prescrites par la réglementation des marchés financiers ainsi que des règles en matière d'enregistrement comptable, le Conseil des marchés financiers et le Conseil d'Etat n'ont pas établi, au sens qui peut être donné à l'article 10-3 de l'ordonnance no 67-833 du 28 septembre 1967 modifiée alors applicable, la preuve que le comportement des prévenus avait porté atteinte à l'intégrité dans la formation des prix sur les marchés primaire et secondaire des instruments financiers à terme à l'occasion de la revente des instruments structurés, ou des achats et des ventes des blocs de titres, ni non plus déduit ou établi la preuve d'une atteinte à la confiance des investisseurs autres que ceux en relation d'affaires avec le Caic ; qu'en revanche, les autorités administratives ont indissociablement lié et censuré les comportements de MM. X...et Y...sur les marchés financiers entre, d'une part, les écarts de prix pratiqués par les prévenus, leur recherche de marges considérées comme abusives au détriment du Caic et de la primauté des intérêts des clients de ce dernier, avec, d'autre part, les manquements des prévenus, notamment, dans la vérification de l'identité des clients, de leur capacité juridique et de leur qualité requises pour effectuer des opérations (article 3-3-2 du conseil des marchés financiers), leur carence dans le recueil des informations relatives à la situation financière des clients (article 3-3-5), leur abstention dans l'obligation de souscrire une convention de services écrite avec les investisseurs (article 2-4-12), leurs carences dans la communication sans délai au client les informations et requises par les articles 3-3-3 et 3-3-5 (article 3-3-6), leurs manquements aux règles générales de bonne conduite applicables dans leurs relations avec leurs clients (article 3-3-1), leur violation de l'intérêt du client pour la transmission d'ordres (article 3-3-1), leur défaut d'information sur les conditions générales pour les services, et particulièrement pour la tarification des différentes prestations (article 3-3-3), leurs carences dans la preuve du moment de la transmission et de la réception des ordres (article 3-3-10), leur incapacité de justifier lorsqu'une transaction était effectuée à un prix différent d'un prix disponible sur le prix du marché (article 3-4-2), les irrégularités commises dans la mise à disposition périodique et à jour des informations détenues au titre de l'article 3-3-2, l'exécution d'ordres sur un marché non partie à l'accord sur l'Espace économique européen (4-1-31) et enfin, leurs dépenses de cadeaux et d'avantages jugées anormales (article 3-2-8) ; que ces comportements entrent dans la même qualification des faits matériels et de l'intention nécessaires pour caractériser non seulement les faits de faux en écriture privée mais aussi les faits d'escroquerie qui consistent dans l'emploi de manoeuvres frauduleuses en vue de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ; que l'ordre public économique des marchés financiers et l'intérêt social protégé par les dispositions précitées sur le fondement desquelles les autorités administratives ont censuré les prévenus sont également dévolus à l'appréciation des juridictions pénales, et ne comprennent pas, en l'espèce, de finalité étrangère à celles devant être protégées par la poursuite des faits d'escroquerie, fût-elle aussi fondée pour la défense d'intérêts particuliers ; qu'il ne résulte pas de l'énonciation des faits dans l'ordonnance de renvoi ou des faits rapportés au dossier d'instruction, l'allégation d'autres faits ou d'une substance différente de ceux qui ont servi de fondement aux sanctions de MM. Y...et X...par les autorités administratives, lesquels portaient sur la même période, 1999 et 2000- aucun fait n'étant établi par l'instruction au titre de l'année 1998 visée dans l'ordonnance de renvoi-, au préjudice des mêmes victimes-les investisseurs sociétés Mavps, Said Gestion et les caisses Cancava, LFM, AG2R CAVEC, CAVOM, CIPAV, IRCEC CRPNPAC-CRPNAC, ainsi que le prestataire de services d'investissement, la société Caic et pour le montant de détournement approchant celui déterminé et transigé entre les parties ; qu'en second lieu, qu'aux termes de son arrêt n° 207434 du 3 décembre 1999, le Conseil d'Etat a dit pour droit que, lorsqu'il est saisi d'agissements pouvant donner lieu aux sanctions disciplinaires prévues par l'article 69 de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996, le Conseil des marchés financiers doit être regardé comme décidant du bien-fondé d'accusations en matière pénale au sens de l'article 6 de la Convention ; que par arrêt du 27 août 2002 (CDH affaire A... c/ France), la deuxième section de la Cour européenne des droits de l'homme a estimé, au contraire des motifs adoptés par l'arrêt du Conseil d'Etat précité du 3 décembre 1999, que le Conseil des marchés financiers statuant en matière disciplinaire doit être regardé comme un tribunal sens des dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention et de l'article 2 du Protocole n° 7 relatif au Droit à un double degré de juridiction en matière pénale ; Qu'aux termes du § 22, du rapport explicatif de l'article 2 du Protocole n° 7 de la Convention relatif au droit à un double degré de juridiction en matière pénale, et signé par la France le 22 novembre 1984, il est énoncé qu'une décision est définitive lorsqu'elle est irrévocable, c'est-à-dire lorsqu'elle n'est pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les parties ont épuisé ces voies ou laissé passer les délais sans les exercer ; que par ces motifs, qu'il est acquis la preuve que les faits poursuivis devant la juridiction pénale étaient identiques à ceux définitivement sanctionnés le 26 septembre 2001 pour M. Y...et 19 mars 2003 pour M. X..., en sorte qu'il convient de faire droit à l'exception et de constater l'extinction de l'action publique à l'encontre des prévenus ; qu'il convient d'ordonner la restitution du cautionnement de 300 000 euros à M. X...;
" 1°) alors que s'il résulte de l'article 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme que nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions d'un même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif, le Gouvernement français, a, comme le protocole et la Convention européenne des droits de l'homme le lui autorisait, émis une réserve tenant au fait que seules les infractions pénales relevant, en droit français, de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale devaient être regardées comme une « infraction » au sens de cette disposition ; qu'en décidant dès lors, au visa de l'article 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme, de ne pas sanctionner pénalement des comportements qui, « en substance », auraient d'ores et déjà été sanctionnés par une décision prononcée par le Conseil des marchés financiers, statuant en matière disciplinaire, alors ledit Conseil n'est pas, en droit interne, un tribunal statuant en matière pénale ayant compétence pour sanctionner la commission d'infraction pénale, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 2°) alors en toute hypothèse que l'article 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme interdit de cumuler les sanctions ou les poursuites fondées sur des faits identiques ou des faits en substance identiques ; que dans sa décision du 26 septembre 2001, le conseil des marchés financiers a sanctionné les co-prévenus pour avoir manqué à des règles objective de bonne conduite, tenant essentiellement au respect de l'intérêt des clients et au devoir de loyauté pesant sur tout prestataire de services d'investissement ; que le Conseil des marchés financiers, qui n'en avait pas le pouvoir, n'a pas sanctionné les co-prévenus pour avoir commis des faits d'escroquerie au préjudice de la société CAIC, infraction complexe dont la caractérisation impliquait d'établir non seulement le recours à des « manoeuvres frauduleuses » au sens de l'article L. 313-1 du code pénal, mais également l'intention frauduleuse des personnes poursuivies ; qu'en outre, il ne résulte pas de la décision rendue par le Conseil des marchés financiers que celle-ci se soit prononcée sur l'ensemble des opérations effectuées sur les marchés secondaires et primaires telles que visées dans l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel ; qu'enfin, le Conseil des marchés financiers n'a, à aucun moment, sanctionné MM. X...et Y...pour les faits de recel, du chef desquels ils étaient poursuivis, pour avoir artificiellement placé face à face leurs clients sur le marché des opérations convertibles ou pour avoir altéré des documents ; que l'ensemble de ces éléments, sur lesquels le Conseil des marchés financiers ne s'était pas prononcé, fondaient les poursuites pénales initiées à l'encontre de MM. X...et Y...; qu'en estimant dès lors qu'en application du protocole susvisé, elle ne pouvait sanctionner pénalement les co-prévenus puisqu'ils avaient d'ores et déjà été sanctionnés, pour des faits identiques ou en substance identiques, par le Conseil des marchés financiers statuant en matière disciplinaire, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées " ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé par le procureur général près la cour d'appel de Versailles, pris de la violation des articles 6 du code de procédure pénale, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 4-1 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;
Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 4-1 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les déclarations et réserves accompagnant l'instrument de ratification de ce protocole par la France ;
Attendu que l'interdiction d'une double condamnation en raison des mêmes faits prévue par ce texte ne trouve à s'appliquer, selon les réserves susvisées, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que l'équipe de vente de produits dérivés et d'obligations convertibles du CAIC composée notamment de M. Didier X..., commis de bourse et responsable de l'équipe, et de MM. Jean-Pierre B...et Eric Y..., vendeurs, a, entre 1998 et 2000, en violation de ses obligations professionnelles et déontologiques, d'une part, s'agissant du marché secondaire, placé, de façon occulte, certains de ses clients face à face en fixant les cours à l'achat et à la vente, créant ainsi son propre marché, d'autre part, s'agissant du marché primaire, acquis puis revendu des produits financiers en augmentant les marges qui ont été dissimulées derrière une valorisation erronée des produits ; que, par décision du 26 septembre 2001, confirmée par un arrêt du Conseil d'Etat en date du 19 mars 2003, MM. X...et Y...notamment ont été sanctionnés disciplinairement par le Conseil des marchés financiers notamment pour les manquements à leurs obligations professionnelles de diligence, de loyauté, d'équité, de respect de la primauté des intérêts des clients, de vérification de leur capacité d'agir, de fourniture des informations qui leur sont dues, d'établissement de conventions écrites et de centralisation des ordres sur le marché réglementé édictées par le Règlement général dudit Conseil ; que par ailleurs, à l'issue d'une information ouverte le 27 janvier 2001 sur la base du rapport de la Commission des opérations de bourse (COB), MM. X..., Y...et B..., notamment, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs d'escroquerie, faux et usage ; qu'il leur est reproché, d'une part, de s'être, courant 1998, 1999 et 2000, profitant de la méconnaissance en matière boursière de certains de leurs clients, notamment des caisses de retraite, fait remettre, à l'insu de celles-ci, des rémunérations excessives en fixant de façon artificielle, sur le marché secondaire, les cours à l'achat et à la vente et en communiquant au client des valorisations faussement surévaluées pour dissimuler les marges manifestement excessives réalisées sur la vente de produits financiers sur le marché primaire, d'autre part, de s'être, au cours de la même période, fait remettre par le CAIC des boni d'un montant surévalué puisqu'indexé sur les chiffres d'affaires réalisés sur la base des opérations frauduleuses de placement ;
Attendu que, par jugement en date du 29 novembre 2013, le tribunal correctionnel de Nanterre a renvoyé les prévenus des fins de la poursuite des chefs de faux et usage et les a déclarés coupables du délit d'escroquerie et condamnés à ce titre ; que MM. X...et Y...ainsi que le ministère public et le CACIB ont interjeté appel de cette décision ;
Attendu que, pour constater l'extinction de l'action publique, l'arrêt relève que MM. X...et Y...ont déjà été définitivement sanctionnés par le Conseil des marchés financiers pour les mêmes faits donnant lieu aux poursuites devant la juridiction pénale ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, et alors que le Conseil des marchés financiers n'est pas une juridiction pénale au sens de la réserve susvisée, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 3 juillet 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize septembre deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.