LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
-
M. Bernard X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 12 janvier 2016, qui, pour vente de produits propres à falsifier des denrées alimentaires et nuisibles à la santé, vente sans facturation, vente de marchandises dont l'identité est altérée, tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise, exercice illégal de la médecine vétérinaire, faux et usage, délivrance au détail de médicaments vétérinaires contenant des substances faisant l'objet d'obligation particulière sans mention conforme sur un registre, l'a condamné à un an d'emprisonnement assorti du sursis, 70 000 euros et 400 euros d'amende, prononcé une interdiction d'exercer et ordonné une publication, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 27 juin 2017 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Dreifuss-Netter, conseiller rapporteur, MM. Pers, Fossier, Mmes Schneider, Ingall-Montagnier, Farrenq-Nési, M. Lavielle, conseillers de la chambre, Mmes Harel-Dutirou, Guého, conseillers référendaires ;
Avocat général référendaire : Mme Caby ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DREIFUSS-NETTER, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle ROUSSEAU et TAPIE, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, et 3, a, et c, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, rejetant les demandes de renvoi et d'expertise médicale, a statué, par arrêt contradictoire à signifier, sur l'action publique et l'action civile ;
"aux motifs qu'il ressort de la procédure qu'appelée à l'audience du 15 octobre 2015, cette affaire a fait l'objet d'un renvoi contradictoire à l'audience du 15 décembre 2015 ; qu'à cette date, l'avocat du prévenu a adressé à la cour un courrier auquel était joint un certificat médical et par lequel il a sollicité un renvoi de l'affaire avec désignation d'un expert « pour déterminer si l'état de santé de M. X... est bien incompatible avec sa présentation devant la chambre des appels correctionnels » ; que le certificat émane de M. Y..., psychiatre à Saint-Georges de Montelar ; qu'il est en date du 16 novembre 2015 et ainsi libellé : « Je soussigné docteur Daniel Y... certifie, ainsi que j'en faisais état dans mes deux précédents certificats, que l'état de santé de M. Daniel X... lequel présente une psychose paranoïaque dont les manifestations sont alimentées par les séquelles d'un accident vasculaire cérébral ayant laissé subsister des séquelles cognitives importantes est définitivement [en gras souligné dans le texte] incompatible avec sa participation à une procédure judiciaire et une présentation à une quelconque procès » ; que l'erreur sur le prénom du prévenu est vénielle ; que la cour considère que ce document s'applique bien à M. Bernard X... dont le second prénom à l'état civil est Daniel ; qu'un tel document médical rédigé par un psychiatre rend inutile par la précision de ses termes par le diagnostic et le pronostic qu'il énonce avec clarté, l'organisation d'une expertise ; que lors de l'enquête, le prévenu était selon ses propres déclarations devant les enquêteurs en bonne santé au point de refuser d'être visité par un médecin ; que devant les premiers juges, il avait fait choix de donner pouvoir à son avocat de le représenter ; que la dégradation de son état de santé est survenue après le 16 juillet 2012 date à laquelle le prévenu a en personne relevé appel du jugement du 10 juillet précédent ; que la cour a ainsi été rendue destinataire d'un certificat du 12 novembre 2013 émanant de M. Christian Z..., médecin, et selon lequel « suite à un problème de santé important M. X... est incapable actuellement de se rendre ce jour au tribunal » ; que le 28 mars 2014, ce même praticien attestait que « suite à des sérieux problèmes de santé tant sur le plan physique que mental, M. Bernard X... est incapable à ce jour, et pour au moins une période de six mois encore, de se rendre au tribunal » ; que le 31 octobre 2014 M. Y..., médecin, écrivait que « M. Daniel X... en attente de greffe rénale a présenté un accident vasculaire cérébral ayant engendré une détérioration mentale conséquente. Il existe des troubles de l'attention, de la concentration et de l'élocution accompagnant une précarité émotionnelle majeure. Cet ensemble clinique contre-indique de manière absolue la participation de M. X... à l'audience judiciaire pour laquelle il est convoquée, celle-ci étant tout à la fois impossible à assumer par le sujet et présentant un danger majeur et immédiat pour sa santé physique et mentale" ; qu'un tel tableau clinique a abouti à de multiples renvois puis à l'arrêt par défaut du 17 mars 2015 ; qu'à ce jour, la cour constate que le prévenu régulièrement opposant et qui n'a donné à son conseil ni pouvoir de représentation ni instructions aux fins de conclure ne comparaîtra pas devant elle ; qu'à la précédente audience, la cour avait procédé à un renvoi contradictoire ; qu'absent à l'audience de renvoi M. X... doit être jugé par arrêt contradictoire à signifier (cf. Cass. crim. 16 novembre 2005 n°04-87.377) ;
"1°) alors que lorsque l'altération des facultés d'un prévenu est telle que celui-ci se trouve dans l'impossibilité absolue et définitive d'assurer effectivement sa défense, il doit être sursis à son jugement ; qu'en condamnant pénalement et civilement M. X..., après avoir pourtant constaté que, du fait des séquelles d'un accident vasculaire, son état était définitivement incompatible avec sa participation à une procédure judiciaire et sa présentation à un quelconque procès, la cour a violé les articles 6, § 1, et 3, a, et c, de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale ;
"2°) alors que le droit à un procès équitable et les droits de la défense s'opposent à ce qu'une personne qui n'est plus capable, en raison d'une altération de ses facultés, de participer à une procédure judiciaire, puisse être condamnée sans avoir bénéficié de garanties spéciales de procédure et sans aucune assistance ou représentation ; qu'en condamnant pénalement et civilement M. X..., absent, non assisté ni représenté, après avoir pourtant constaté que, du fait des séquelles d'un accident vasculaire, son état était définitivement incompatible avec sa participation à une procédure judiciaire et sa présentation à un quelconque procès, la cour a derechef violé les articles 6, § 1, et 3, a, et c, de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale ; que la cassation interviendra sans renvoi" ;
Vu l'article 6, § 1, et 3, a, et c, de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il se déduit de ces textes que, lorsque l'altération des facultés physiques ou mentales d'un prévenu est telle qu'elle est incompatible avec sa participation personnelle à la procédure, il appartient aux juges de de vérifier qu'il est accessible à une sanction pénale et de s'assurer de la mise en oeuvre de garanties spéciales de procédure lui permettant d'exercer effectivement les droits de la défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure, que M. Bernard X..., pharmacien à Sigoules (Dordogne), a été poursuivi pour diverses infractions au code de la santé publique, au code de la consommation et infractions connexes, commises entre 2007 et 2010 ; que le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable ; que M. X..., ainsi que le ministère public et certaines parties civiles ayant interjeté appel, la cour d'appel de Bordeaux, par arrêt rendu par défaut, a confirmé le jugement sur l'action publique, l'a réformé sur la peine et a prononcé sur les intérêts civils ; que le prévenu a formé opposition à cette décision ;
Attendu que, pour rejeter les demandes de renvoi et d'expertise médicale présentées à l'audience par un avocat, substituant le conseil du prévenu et statuer sur l'action publique et l'action civile, l'arrêt, rappelant que M. X... a été victime, postérieurement à l'acte par lequel il a interjeté appel du jugement, d'un accident vasculaire cérébral, qui a abouti à de multiples renvois puis à l'arrêt par défaut du 17 mars 2015, énonce qu'il ressort de la procédure qu'appelée à l'audience du 15 octobre 2015, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi contradictoire à l'audience du 15 décembre 2015, qu'à cette date, l'avocat du prévenu a adressé à la cour un courrier, auquel était joint un certificat médical, et par lequel il a sollicité un renvoi de l'affaire avec désignation d'un expert « pour déterminer si l'état de santé de M. X... est bien incompatible avec sa présentation devant la chambre des appels correctionnels », certificat ainsi libellé: « Je soussigné Docteur Daniel Y... certifie, ainsi que j'en faisais état dans mes deux précédents certificats, que l'état de santé de M. Daniel X... lequel présente une psychose paranoïaque dont les manifestations sont alimentées par les séquelles d'un accident vasculaire cérébral ayant laissé subsister des séquelles cognitives importantes est définitivement incompatible avec sa participation à une procédure judiciaire et une présentation à une quelconque procès »; que les juges ajoutent qu'un tel document médical rédigé par un psychiatre rend inutile par la précision de ses termes, par le diagnostic et le pronostic qu'il énonce avec clarté, l'organisation d'une expertise ; qu'ils en déduisent qu'à ce jour, le prévenu, régulièrement opposant et qui n'a donné à son conseil ni pouvoir de représentation ni instructions aux fins de conclure ne comparaîtra pas devant elle et qu'absent à l'audience de renvoi, il doit être jugé par arrêt contradictoire à signifier ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, à qui il appartenait d'ordonner toute mesure permettant de vérifier que le prévenu était accessible à une sanction pénale, et de provoquer, le cas échéant, la mise en oeuvre des procédures d'assistance ou de représentation nécessaires à l'exercice des droits de la défense, a méconnu les textes légaux et conventionnels susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de cassation proposés ;
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 12 janvier 2016, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze juillet deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.