LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 décembre 2014), que Pierre X..., né le 10 janvier 1925, et Mme Y..., née le 6 juillet 1949, se sont mariés le 28 janvier 1984 ; qu'après leur divorce, prononcé par jugement du 13 décembre 2000, Pierre X... a épousé, le 12 janvier 2002, Mme Z..., fille de Mme Y..., née le 24 avril 1975 d'une précédente union ; qu'après le décès de Pierre X..., le 5 avril 2010, Mme Anne X..., épouse A... et MM. Philippe, Jacques et Frédéric X... (les consorts X...) ont assigné Mme Z... aux fins de voir prononcer, sur le fondement de l'article 161 du code civil, l'annulation de son mariage avec leur père et beau-père ; que, Mme Z... ayant été placée sous curatelle renforcée en cours de procédure, son curateur, l'ATMP du Var, est intervenu à l'instance ;
Attendu que Mme Z... et l'ATMP du Var font grief à l'arrêt de prononcer l'annulation du mariage et, en conséquence, de rejeter leur demande de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ que le prononcé de la nullité du mariage célébré entre anciens alliés en ligne directe, après la dissolution par divorce de la première union qui avait été contractée par l'un des deux alliés avec le parent du second, porte une atteinte disproportionnée au droit du mariage ; qu'en prononçant, sur le fondement de l'article 161 du code civil, la nullité du mariage célébré le 12 janvier 2002 entre Pierre X... et Mme Z..., fille de sa précédente épouse toujours en vie, quand l'empêchement à mariage entre alliés en ligne directe, qui peut néanmoins être célébré en vertu d'une dispense si celui qui a créé l'alliance est décédé et ne repose pas sur l'interdiction de l'inceste, inexistant entre personnes non liées par le sang, porte une atteinte disproportionnée au droit au mariage, la cour d'appel a violé l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950 ;
2°/ que le prononcé de la nullité du mariage célébré entre anciens alliés en ligne directe est susceptible de revêtir, à leur égard, le caractère d'une ingérence injustifiée dans l'exercice de leur droit au respect de la vie privée et familiale, dès lors que leur union, célébrée sans opposition, a duré plusieurs années ; qu'en prononçant, sur le fondement de l'article 161 du code civil, la nullité du mariage célébré le 12 janvier 2002 entre Pierre X... et Mme Z..., fille de sa précédente épouse toujours en vie, quand ce mariage célébré sans opposition, avait duré pendant huit années, la cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950 ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 161 du code civil, en ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne ; que, selon l'article 184 du même code, tout mariage contracté en contravention à ces dispositions peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, par tous ceux qui y ont intérêt ;
Qu'aux termes de l'article 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit ;
Que, selon la Cour européenne des droits de l'homme, si l'exercice de ce droit est soumis aux lois nationales des Etats contractants, les limitations en résultant ne doivent pas le restreindre ou le réduire d'une manière ou à un degré qui l'atteindraient dans sa substance même ; qu'il en résulte que les conditions requises pour se marier dans les différentes législations nationales ne relèvent pas entièrement de la marge d'appréciation des Etats contractants car, si tel était le cas, ceux-ci pourraient interdire complètement, en pratique, l'exercice du droit au mariage ;
Que, cependant, le droit de Mme Z... et Pierre X... de se marier n'a pas été atteint, dès lors que leur mariage a été célébré sans opposition et qu'ils ont vécu maritalement jusqu'au décès de l'époux ; qu'en annulant le mariage, la cour d'appel n'a donc pas méconnu les exigences conventionnelles résultant du texte susvisé ;
Attendu, en second lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ;
Que l'ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale que constitue l'annulation d'un mariage entre alliés en ligne directe est prévue par les articles 161 et 184 du code civil et poursuit un but légitime en ce qu'elle vise à sauvegarder l'intégrité de la famille et à préserver les enfants des conséquences résultant d'une modification de la structure familiale ;
Qu'il appartient toutefois au juge d'apprécier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, la mise en oeuvre de ces dispositions ne porte pas au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Convention une atteinte disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ;
Attendu que l'arrêt relève, d'abord, que Mme Z... avait 9 ans quand Pierre X... a épousé sa mère en troisièmes noces, qu'elle avait 25 ans lorsque ces derniers ont divorcé et 27 ans lorsque son beau-père l'a épousée ; qu'il en déduit que l'intéressée a vécu, alors qu'elle était mineure, durant neuf années, avec celui qu'elle a ultérieurement épousé et qui représentait nécessairement pour elle, alors qu'elle était enfant, une référence paternelle, au moins sur le plan symbolique ; qu'il constate, ensuite, que son union avec Pierre X... n'avait duré que huit années lorsque les consorts X... ont saisi les premiers juges aux fins d'annulation ; qu'il relève, enfin, qu'aucun enfant n'est issu de cette union prohibée ; que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire que l'annulation du mariage ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme Z..., au regard du but légitime poursuivi ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour Mme Z... et l'ATMP du Var.
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR prononcé l'annulation du mariage célébré le 12 janvier 2002 à Sanary-sur-Mer entre Pierre X..., né le 10 janvier 1925 à Alger, décédé le 5 avril 2010 à la Seyne-sur-Mer et Marie-Antoinette Z..., née le 24 avril 1975 à Paris (14ème) et, en conséquence, d'AVOIR débouté Marie-Antoinette Z... de sa demande de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE selon les dispositions de l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'homme, « à partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit » ; que conformément à l'article 161 du Code civil, « en ligne directe le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne » ; que le droit au mariage est donc, selon les termes mêmes de la Convention, régi par les lois nationales ; que pourtant, dans une affaire jugée le 13 septembre 2005 (n° 36536/02, B et C contre Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que si la prohibition à mariage existant en droit anglais entre un beau-père et son ex-bru était justifiée par des finalités légitimes – sauvegarder l'homogénéité des familles et assurer la protection des enfants – cet empêchement avait, en l'espèce, abouti à une violation de l'article 12 de la Convention ; que la Cour de Strasbourg a en effet jugé que, dans la mesure où cette prohibition n'avait pas permis que l'enfant né de l'union de sa mère, ex-bru du requérant et du fils de celui-ci, vive depuis plusieurs années au foyer familial avec son grand-père paternel, nouveau compagnon de sa mère et cette dernière, divorcée de son père, cela signifiait que l'intérêt de l'enfant ne pouvait justifier, en l'espèce, la prohibition et qu'il y avait donc eu violation de l'article 12 de la Convention ; que c'est donc une situation de fait, l'existence de relations « incestuelles » ayant brouillé les repères générationnels d'un enfant, qui a justifié la décision de la CEDH ; que dans une affaire jugée par la 1ère chambre civile le 4 décembre 2013, la Cour de cassation a considéré que l'annulation du mariage de la mère d'une enfant avec le grand-père paternel de celle-ci revêtait, à l'égard de la nouvelle épouse du grand-père c'est-à-dire à l'égard de la mère de l'enfant, le caractère d'une ingérence injustifiée dans l'exercice de son droit au respect de la vie privée et familiale, dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans ; que la présente affaire ne concerne pas l'union d'une bru et de son beau-père mais celle d'une femme et de l'ex-époux de sa mère, laquelle est toujours en vie ; qu'il est donc demandé à la cour de dire si l'annulation de ce mariage entre alliés en ligne directe, demande que les premiers juges ont rejeté par des motifs erronés, serait, ainsi que le soutient le parquet général, une ingérence injustifiée dans l'exercice du droit de l'intimée au respect de sa vie privée et familiale ; que Marie-Antoinette Z... veuve X..., majeure protégée, avait neuf ans quand feu Pierre X... a épousé, en troisièmes noces, sa mère ; qu'elle avait 25 ans lorsque tous deux ont divorcé et 27 ans lorsque son beau-père l'a épousée ; que considérant d'une part, l'intimée a vécu, alors qu'elle était mineure durant neuf années avec celui qu'elle a ultérieurement épousé et qui représentait nécessairement pour elle, alors qu'elle était enfant, une référence paternelle, au moins sur le plan symbolique, d'autre part que son union avec feu Pierre X... n'avait duré que huit années lorsque les consorts X... ont saisi les premiers juges aux fins d'annulation de celle-ci, enfin qu'aucun enfant n'est né de cette union prohibée, la Cour infirme le jugement entrepris et annule le mariage célébré le 12 janvier 2002 à Sanary-sur-Mer ; que l'intimée sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;
1) ALORS QUE le prononcé de la nullité du mariage célébré entre anciens alliés en ligne directe, après la dissolution par divorce de la première union qui avait été contractée par l'un des deux alliés avec le parent du second, porte une atteinte disproportionnée au droit du mariage ; qu'en prononçant, sur le fondement de l'article 161 du Code civil, la nullité du mariage célébré le 12 janvier 2002 entre Pierre X... et Mme Marie-Antoinette Z..., fille de sa précédente épouse toujours en vie, quand l'empêchement à mariage entre alliés en ligne directe, qui peut néanmoins être célébré en vertu d'une dispense si celui qui a créé l'alliance est décédé et ne repose pas sur l'interdiction de l'inceste, inexistant entre personnes non liées par le sang, porte une atteinte disproportionnée au droit au mariage, la Cour d'appel a violé l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950 ;
2) ALORS QUE le prononcé de la nullité du mariage célébré entre anciens alliés en ligne directe est susceptible de revêtir, à leur égard, le caractère d'une ingérence injustifiée dans l'exercice de leur droit au respect de la vie privée et familiale, dès lors que leur union, célébrée sans opposition, a duré plusieurs années ; qu'en prononçant, sur le fondement de l'article 161 du Code civil, la nullité du mariage célébré le 12 janvier 2002 entre Pierre X... et Mme Marie-Antoinette Z..., fille de sa précédente épouse toujours en vie, quand ce mariage célébré sans opposition, avait duré pendant huit années, la Cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950.