Pourvoi n° N 15-21.438
LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par l'Agent judiciaire de l'Etat, domicilié bâtiment Condorcet, télédoc 353, 6 rue Louise Weiss, 75703 Paris cedex 13,
contre l'arrêt rendu le 6 mai 2015 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. Jean-Pierre X..., domicilié ...,
2°/ à la société Acolyance, société coopérative agricole, venant aux droits de la société Cohesis distribution,
3°/ à la société Cohesis distribution, société par actions simplifiée,
ayant toutes deux leur siège ...,
défendeurs à la cassation ;
Le premier président a, par ordonnance du 28 avril 2016, renvoyé la cause et les parties devant l'assemblée plénière ;
Le demandeur invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Ce moyen a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat ;
Un mémoire en défense et des observations complémentaires ont été déposés au greffe de la Cour de cassation par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de M. X... et de la société Acolyance ;
Le rapport écrit de M. Echappé, conseiller, et l'avis écrit ainsi que l'avis complémentaire de M. Marin, procureur général, ont été mis à la disposition des parties ;
Un avis 1015 du code de procédure civile a été mis à disposition des parties et des observations ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat, et la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de M. X... et de la société Acolyance ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en assemblée plénière, en l'audience publique du 28 octobre 2016, où étaient présents : M. Louvel, premier président, Mme Flise, M. Guérin, Mme Batut, M. Frouin, Mme Mouillard, M. Chauvin, présidents, M. Echappé, conseiller rapporteur, Mme Riffault-Silk, MM. Chollet, Prétot, Pers, Mme Kamara, MM. Jardel, Buisson, Savatier, Mmes Bozzi, Slove, Bélaval, conseillers, M. Marin, procureur général, Mme Morin, directeur de greffe adjoint ;
Sur le rapport de M. Echappé, conseiller, assisté de M. Burgaud, auditeur au service de documentation, des études et du rapport et de M. Turlin, directeur des services de greffe judiciaires au même service, les observations de la SCP Meier- Bourdeau et Lécuyer, la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, l'avis de M. Marin, procureur général, auquel, invitées à le faire, les parties ont répliqué, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à l'Agent judiciaire de l'Etat du désistement partiel de son pourvoi à l'égard de la société Cohesis distribution ;
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble le principe de la responsabilité des Etats membres du fait de la violation du droit de l'Union européenne ;
Attendu qu'il résulte de la combinaison de ce texte et de ce principe (CJCE, 30 septembre 2003, G. Köbler, C-224/01 et CJUE, 28 juillet 2016, Tomášová, C-168/15) que la responsabilité de l'Etat pour des dommages causés aux particuliers du fait d'une violation du droit de l'Union européenne, par une décision d'une juridiction nationale de l'ordre judiciaire statuant en dernier ressort, n'est susceptible d'être engagée que si, par cette décision, ladite juridiction a méconnu de manière manifeste le droit applicable, ou si cette violation intervient malgré l'existence d'une jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l'Union européenne ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la coopérative agricole de l'arrondissement de Reims (la CAAR), aux droits de laquelle sont venues la société Cohesis distribution puis la société Acolyance, dirigée par M. X..., a procédé, en 1987 et 1988, à l'importation de pois protéagineux ; que ces pois ont été déclarés, lors de leur entrée en France, comme provenant des Pays-Bas et de Grande-Bretagne et n'étant pas destinés à l'ensemencement, ce qui ouvrait droit à des aides communautaires, que la CAAR a effectivement perçues ; qu'estimant que ces pois provenaient pour partie de Hongrie et avaient été en réalité utilisés pour l'ensemencement, la direction générale des douanes a poursuivi M. X... pour déclaration d'origine inexacte et fausse déclaration à l'importation ; que le pourvoi, formé par M. X... contre la décision l'ayant condamné de ces chefs, a été rejeté par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 19 septembre 2007, aux motifs que "les demandeurs ne sauraient se faire un grief de ce que l'arrêt n'a pas écarté, comme contraire au principe de l'application rétroactive de la peine plus légère, l'article 110 de la loi du 17 juillet 1992, selon lequel les dispositions de cette loi ne font pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures, dès lors qu'en l'espèce, la modification apportée par la loi du 17 juillet 1992 n'a eu d'incidence que sur les modalités de contrôle du respect des conditions de l'octroi de l'aide aux pois protéagineux et de leur origine et non sur l'existence de l'infraction ou la gravité des sanctions" ; que, saisi par M. X..., le Comité des droits de l'homme des Nations unies a, le 21 octobre 2010, constaté que l'article 110 de la loi n° 92-677 du 17 juillet 1992 violait le principe de rétroactivité de la peine plus légère, énoncé par l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; que M. X... et la société Cohesis distribution ont alors assigné l'Agent judiciaire de l'Etat en réparation de la faute lourde résultant du fonctionnement défectueux du service de la justice ;
Attendu que pour retenir une violation manifeste du droit communautaire et de l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constitutive d'une faute lourde au sens de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'arrêt énonce que la Cour de cassation connaissait la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 3 mai 2005 (Berlusconi, C-387/02) relative au principe de la rétroactivité de la peine plus légère, ainsi que l'article 15 du Pacte international, et n'ignorait pas que ses arrêts antérieurs n'étaient pas dans la ligne de cette jurisprudence et étaient critiqués par une partie de la doctrine, qu'elle a considéré que la loi du 17 juillet 1992 n'avait ni supprimé l'infraction ni eu d'effet sur les peines, de telle sorte que le principe de rétroactivité in mitius n'avait pas à s'appliquer et qu'elle a ainsi délibérément fait le choix, sachant que l'incrimination en cause avait été supprimée par l'article 111 de la loi du 17 juillet 1992, de ne pas appliquer le principe communautaire et le Pacte international, cependant que, si l'élément matériel de l'infraction pouvait avoir subsisté, l'élément légal avait été supprimé par l'article 111 de cette loi ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ne résulte d'aucun texte ou principe général du droit de l'Union européenne, ni d'une jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l'Union européenne que le principe de l'application rétroactive de la peine plus légère fait obstacle à ce que soient poursuivies et sanctionnées les fausses déclarations en douane ayant pour but ou pour effet d'obtenir un avantage quelconque attaché à des importations intracommunautaires commises antérieurement à la mise en place du marché unique, de sorte que l'application par la Cour de cassation de l'article 110 de la loi du 17 juillet 1992 ne contrevenait pas au droit de l'Union, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 mai 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
REJETTE les demandes formées par M. X... et la société Acolyance ;
Condamne M. X... et la société Acolyance aux dépens comprenant ceux exposés devant les juges du fond ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... et de la société Acolyance et les condamne à payer à l'Agent judiciaire de l'Etat la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le dix-huit novembre deux mille seize par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXÉ au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour l'Agent judiciaire de l'Etat.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la Cour de cassation a commis une violation du droit communautaire et de l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques constitutive d'une faute lourde au sens de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire et condamné en conséquence l'Etat à verser à M. X... la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral et à la société Acolyance venant aux droits de la société Cohesis, la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice résultant du défaut de restitution de la somme versée aux douanes en exécution de la décision définitive de condamnation, 167 089 euros au titre des honoraires d'avocat et 2 000 euros au titre de son préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE sur la responsabilité de l'Etat, aux termes de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, « l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice » ; que constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; que l'appelant estime que la Cour de cassation a commis une faute lourde en rendant l'arrêt du 19 septembre 2007, l'interprétation faite par celle-ci de l'article 110 de la loi du 17 juillet 1992 étant contraire au droit de l'Union européenne et à l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; que, sur la violation du droit de l'Union européenne, l'Agent judiciaire de l'Etat dénie toute possibilité à M. X... de prétendre que la Cour de cassation a méconnu le droit communautaire dès lors que sa critique porte sur le contenu même de la décision de cette dernière et tend à critiquer le bien-fondé de l'arrêt ; que toutefois, si l'autorité qui s'attache à la chose jugée s'oppose à la mise en jeu de la responsabilité dans les cas où la faute lourde résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette dernière serait définitive, la responsabilité de l'Etat peut cependant être engagée dans le cas où ce contenu est entaché d'une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers ; qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le principe selon lequel les Etats membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables est également applicable lorsque la violation en cause découle d'une décision d'une juridiction statuant en dernier ressort dès lors que la règle de droit communautaire violée a pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation est suffisamment caractérisée et qu'il existe un lien de causalité directe entre cette violation et le préjudice subi ; que, dans ce cas, pour que la violation en cause découle d'une telle décision, le juge national compétent doit, en tenant compte de la spécificité de la fonction juridictionnelle, rechercher si cette violation présente un caractère manifeste ; que dès lors, il appartient à la présente juridiction d'examiner la décision de la Cour de cassation du 19 septembre 2007 au regard de ces prescriptions ; que la discussion élevée devant la Cour de cassation a porté sur l'application de l'article 10 de la loi du 17 juillet 1992 qui prévoit que « les dispositions de la présente loi ne font pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement de dispositions législatives antérieures » ; que l'article 111 de la loi crée un article 2 bis dans le code des douanes qui énonce que « sans préjudice de dérogations particulières, le présent code ne s'applique pas : - à l'entrée sur le territoire douanier de marchandises communautaires ; - à la sortie du territoire douanier de marchandises communautaires à destination des autres Etats membres de la Communauté européenne » ; que par ailleurs, l'article 112-1 du code pénal, qui prescrit que « seuls sont punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date. Toutefois, les dispositions nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes » ; que la discussion porte sur l'application de ces dispositions au litige dès lors que les pois importés par la CCAR de novembre 1987 à mars 1988 étaient en réalité destinés à l'ensemencement et que l'administration des douanes a donc poursuivi M. X... pour fausse déclaration d'espèce ayant pour but ou pour effet d'obtenir un avantage quelconque attaché à l'importation ; que la prévention retenue à l'encontre de M. X... visait expressément le délit d'importation sans déclaration de marchandises prohibées et la contravention douanière de 1re classe de déclaration d'origine inexacte, infractions prévues et réprimées par les articles 410, 426-4, 435, 414, 399, 383, 404 à 407 du code des douanes, 750 du code de procédure pénale et les règlements CEE n° 1431/82 et 2036/83 du Conseil et 3540/85 de la Commission ; qu'il est soutenu par les appelants que l'incrimination ayant disparu, ils ne pouvaient plus être poursuivis par application du principe de rétroactivité in mitius que la Cour de cassation a refusé d'appliquer ; que la Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises à partir de 1996 que le principe de la rétroactivité in mitius ne s'appliquait pas à la loi du 17 juillet 1992 ; que, dans l'arrêt du 19 septembre 2007, elle s'est prononcée comme suit : « les demandeurs ne sauraient faire grief de ce que l'arrêt n'a pas écarté, comme contraire au principe de l'application rétroactive de la peine plus légère, l'article 110 de la loi du 17 juillet 1992, selon lequel les dispositions de cette loi ne font pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures dès lors qu'en l'espèce, la modification apportée par la loi du 17 juillet 1992 n'a eu d'incidence que sur les modalités de contrôle du respect des conditions de l'octroi de l'aide aux pois oléagineux et de leur origine et non sur l'existence de l'infraction ou la gravité des sanctions » ; que le conseiller rapporteur a indiqué : « Sur le fond, il convient de rappeler que, dans le but de mettre en oeuvre la directive CE 91/680 prescrivant la suppression des taxes et contrôles douaniers à compter du 1er janvier 1993, l'article 111 de la loi du 17 juillet 1992 dispose que le code des douanes ne trouve plus à s'appliquer à l'entrée des marchandises communautaires. Cependant l'article 110 précise que "les dispositions de la présente loi ne font pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures". C'est en vertu de ce texte que de nombreux arrêts ont approuvé des condamnations prononcées postérieurement au 1er janvier 1993 pour des importations ou exportations sans déclaration ou ont au contraire censuré les décisions de relaxe. Le moyen soutient que l'article 110, qui constitue une dérogation au principe de l'application immédiate des lois pénales plus douces, est contraire à l'article 112-1 du code pénal qui ne prévoit pas de dérogation, au droit communautaire et à l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il convient de rappeler que la Cour de justice a, dans un arrêt du 3 mai 2005, jugé pour la première fois que le principe de "l'application rétroactive de la peine plus légère" constitue un principe général du droit communautaire. La formulation utilisée par la Cour pour énoncer ce principe est similaire à celle qui figure à l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Or nous jugeons que cet article ne s'applique qu'aux peines et non aux incriminations. Cette jurisprudence a suscité la critique d'une partie de la doctrine qui fait valoir que le principe doit s'appliquer a fortiori où la loi ne se contente pas d'atténuer les sanctions mais fait disparaître l'incrimination. Dans l'arrêt Berlusconi, la Cour de justice a d'ailleurs énoncé le principe à l'occasion d'une affaire dans laquelle la modification ne concernait pas seulement les peines mais également les conditions d'engagement des poursuites ainsi que les règles de connexité et de prescription. Dans le cas où la chambre estimerait que le principe énoncé tant par l'article 15 du Pacte que par la Cour de justice ne concerne pas seulement les hypothèses dans lesquelles la sanction est plus légère mais également celles dans lesquelles l'incrimination a disparu, elle devra se demander si cette hypothèse est celle de la présente affaire. À cet égard, il faut souligner que l'article 31, paragraphe 1, du règlement 3540/85 de la Commission du 5 décembre 1985 destiné à mettre en oeuvre le règlement n° 1431/82 précité prévoyant l'aide aux pois énonçait que "les Etats membres instaurent un régime de contrôle douanier ou de contrôle administratif présentant des garanties équivalentes qui est appliqué dès la mise en libre pratique dans la Communauté des produits visés à l'article 1er du règlement (CEE) n° 1431/82 (parmi lesquels figurent les pois autres que les pois chiche) jusqu'à ce que ces produits aient atteint l'une des destinations suivantes : - qu'ils aient été effectivement utilisés pour une des utilisations visées à l'article 9 sans bénéficier de l'aide, - qu'ils aient été réexportés vers des pays tiers". Cependant le paragraphe 2 du même article disposait que, "ne sont pas soumis au paragraphe visé au paragraphe 1 les produits qui ont été présentés en l'état dans des emballages neufs d'un contenu égal ou inférieur à 12,5 kilogrammes même en mélange avec d'autres graines". Dès lors qu'ils étaient conditionnés dans de tels emballages, les pois provenant d'autres Etats membres n'étaient donc soumis à aucun contrôle résultant de la réglementation communautaire. Or dans la présente affaire, l'arrêt constate que les produits étaient présentés dans des sacs de 12,5 kg. En revanche, le code des douanes dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juillet 1992 permettait un contrôle. La question se pose dès lors de savoir si le principe de rétroactivité in mitius s'applique à des dispositions qui régissent les contrôles et non la substance des infractions. Par ailleurs, il convient de souligner que, selon l'article 65 A bis du code des douanes, "au titre des dispositions dérogatoires de l'article 65 A bis, l'administration des douanes est habilitée à contrôler la quantité, la qualité des marquages, les emballages, la destination ou l'utilisation des marchandises ayant le statut national ou communautaire pour lesquelles un avantage quelconque est alloué par le fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA) est sollicité". Or il résulte de la lecture du règlement n° 1431/82 que l'aide aux pois relève de la politique agricole commune. Cependant l'article 65 A bis n'a été créé que par une loi du 10 février 1994 soit postérieurement aux faits. » ; qu'il résulte de ces énonciations que la Cour de cassation connaissait la décision de la Cour de justice de l'Union européenne relative au principe de la rétroactivité in mitius ainsi que l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; qu'elle savait que la formulation de la Cour de justice était similaire à celle figurant à l'article 15 du Pacte ; qu'elle n'ignorait pas que ses arrêts antérieurs n'étaient pas dans la ligne de cette jurisprudence et à ce texte et que sa position était critiquée par la doctrine ; qu'il était clairement indiqué par le rapporteur que, dans cet arrêt, la Cour n'avait pas seulement étendu le principe in mitius au cas où la modification portait sur la sanction plus légère mais aux conditions de l'engagement des poursuites, à la connexité et à la prescription ; qu'il s'ensuivait qu'elle avait une interprétation extensive de ce principe ; que l'analyse faite par le rapporteur informait clairement la chambre de ce que si le litige se situait dans l'hypothèse où l'incrimination avait disparu, l'article 15 du Pacte et le droit communautaire devaient s'appliquer ; que ne pas suivre la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne telle que posée dans l'arrêt Berlusconi reviendrait à violer le droit communautaire ; que la Cour de cassation a statué en disant que la loi du 17 juillet 1992 ne portait que sur les modalités de contrôle du respect des conditions de l'octroi de l'aide aux pois oléagineux laissant à penser que ce texte n'avait ni supprimé l'infraction ni eu d'effet sur les peines de sorte que le principe de rétroactivité in mitius n'avait pas à s'appliquer ; que pourtant elle n'ignorait pas que l'article 111 de cette loi, qui a inséré l'article 2 bis dans le code des douanes, disposait que ce code ne s'appliquait plus à l'entrée des marchandises communautaires ; qu'elle savait que le contrôle douanier institué par le règlement 3540/85 de la Commission et 1432/82 n'existait donc plus au jour de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 1992 et que le contrôle douanier prévu par la loi du 10 février 1994 qui a introduit l'article 65 A bis dans le code des douanes n'est entré en vigueur qu'à cette date soit postérieurement aux faits, objets de la procédure, ainsi que l'a souligné le rapporteur ; que même si l'élément matériel de l'infraction pouvait avoir subsisté, l'élément légal avait disparu à la suite de la loi du 17 juillet 1992 ; que la Cour de cassation, qui disposait de toutes les informations nécessaires à l'appréciation du litige et qui avait connaissance de ce que l'incrimination en cause avait été supprimée, a délibérément fait le choix de ne pas appliquer le principe communautaire en recourant à une motivation dont elle n'ignorait pas qu'elle n'était ni pertinente ni appropriée ; qu'il en résulte que cette violation manifeste de la règle de droit communautaire, qui avait pour objet de conférer des droits aux particuliers par la Cour de cassation, a causé un préjudice à M. X... qui s'est vu condamné à une peine qui, si celle-ci n'avait pas existé, n'aurait pas été prononcée ; qu'un tel manquement de la part de la plus haute juridiction appelée à dire le droit est constitutive d'une faute lourde relevant de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ; sur la violation de l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l'homme a été établi en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; qu'en vertu de l'article 2 de ce Pacte, les Etats qui y sont parties s'engagent à : - a) garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ; - b) garantir que l'autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative ou toute autorité compétente selon la législation de l'Etat statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de recours juridictionnel ; - c) garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu comme justifié ; qu'en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif ratifié également par la France, « tout particulier qui prétend être victime d'une violation de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte et qui a épuisé les recours internes disponibles peut présenter une communication écrite au Comité pour qu'il l'examine » ; que, dans ce cadre, M. X... a saisi le Comité sur le fondement de l'article 15 du Pacte qui a rendu son avis ; que l'article 15 dispose que « Nul ne sera condamné pour des actions ou des omissions qui ne constitueraient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera pas infligé une peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier » ; que les constatations du Comité sont les suivantes : « S'agissant du grief tiré de l'article 15, paragraphe 1, du Pacte, le Comité note que, selon la citation à prévenu fournie par l'auteur, les faits commis entre novembre 1987 et mars 1988 étaient constitutifs du délit d'importation sans déclaration de marchandises prohibées et d'une contravention douanière de 1re classe, prévus et punis par les articles 410, 426-4, 435, 414, 399, 382, 404 à 407 du code des douanes, 750 du code de procédure pénale et les règlements CEE n° 1431/82 et 2036/82 du conseil et 3540/85 de la Commission. Le Comité note, comme l'a soulevé l'auteur, que ces dispositions ne trouvent plus à s'appliquer depuis le 1er janvier 1993, soit la date d'entrée en vigueur du régime prévu par la loi du 17 juillet 1992. Il note en outre que les poursuites pénales contre l'auteur sur la base de ces infractions ont été engagées 18 mois après l'entrée en vigueur de ce régime, soit le 1er août 1994. Le Comité constate que ces données ne sont pas contestées par l'Etal partie. II s'agit donc bien ici de la disparition d'une infraction et de ses peines puisque les actes reprochés par l'Etat partie ne constituent plus des actes délictueux depuis le 1er janvier 1993. La loi du 17 juillet 1992 vise donc bien un régime portant sur des infractions et les peines s'y rattachant et non sur de simples procédures de contrôle, telles que l'a affirmé l'Etat partie. S'agissant du champ d'application de l'article 15 paragraphe l du Pacte, le Comité considère qu'il ne saurait être interprété de manière restrictive ; que, si cette disposition vise le principe de rétroactivité d'une loi prévoyant une peine plus légère, elle doit être entendue comme visant a fortiori une loi prévoyant une suppression de peine pour un acte qui ne constitue plus une infraction. Il convient en outre de citer l'article 112-4 du code pénal français qui prévoit que la peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu d'une loi postérieure au jugement, n'a plus de caractère d'une infraction pénale. Le Comité conclut que le principe de la rétroactivité de la peine plus légère, à savoir, en l'espèce, l'absence de toute peine, trouve à s'appliquer en l'espèce ; que, par conséquent, l'article 110 de la loi du 17 juillet 1992 viole le principe de la rétroactivité de la loi pénale plus douce de l'article 15 du Pacte. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques constate que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation de l'article 15 paragraphe I du Pacte. Conformément au paragraphe 3) de l'article 2 du Pacte, l'Etat partie est tenu de fournir à l'auteur un recours utile, y compris une indemnisation appropriée. L 'Etat partie est, en outre, tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir. Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'Etat partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à I'article 2 de celui-ci, il s 'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. » ; qu'il s'en déduit que la violation de l'article 15 a été dénoncée par le Comité des droits de l'homme ; que l'article 1 du Protocole facultatif des droits de l'homme dispose que « tout Etat partie au Pacte qui devient partie au présent Protocole reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner les communications des particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d'une violation par cet Etat partie de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte » ; que l'article 28 du Pacte prévoit la composition du Comité sans mentionner qu'il s'agit d'une juridiction ; qu'en l'état, nonobstant le fait que la Cour européenne ait parlé dans une de ces décisions de la jurisprudence du Comité, il ne peut être retenu que les constatations du Comité constituent une décision juridictionnelle ayant valeur contraignante pour les Etats auxquels elles sont adressées ; que la présente Cour doit donc examiner si le service public de la justice a commis une faute lourde en ne respectant pas l'article 15 du Pacte ; que les énonciations relatives à la violation du principe de droit communautaire développées précédemment sont transposables à celle de l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; que la démonstration susvisée permet de retenir une violation de cet article par la Cour de cassation de nature à constituer une faute lourde telle que prévue à l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ; que sur le préjudice : • sur le préjudice subi par M. X... : que celui-ci a été l'objet d'une procédure pénale, ayant entraîné le prononcé de sept décisions successives ; que cela a abouti finalement à sa condamnation et subséquemment à l'inscription à son casier judiciaire de celle-ci alors qu'une telle condamnation n'aurait pas dû intervenir ; qu'il a subi ensuite des procédures destinées à l'exécution de cette condamnation ; que le préjudice moral en résultant est apprécié à la somme de 15 000 euros ; que, s'agissant de dommages-intérêts fixés par la présente Cour, cette somme ne saurait donner lieu à l'octroi d'intérêts à compter de l'assignation et que la capitalisation n'est accordée que sous réserve que les conditions de l'article 1154 du code civil soient remplies ; • sur le préjudice de la société Acolyance venant aux droits de la société Cohesis ; que cette société justifie qu'elle a, dans le cadre de l'exécution de la décision de la cour d'appel devenue définitive par l'effet du rejet du pourvoi en cassation, versé à l'administration des douanes, la somme de 100 000 euros ; que cette somme, eu égard à la condamnation qui a été prononcée, ne sera pas restituée à cette société dès lors que la condamnation n'est pas mise à néant ; qu'il convient donc de condamner l'Agent judiciaire de l'Etat à verser la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice ainsi subi ; que s'agissant de dommages-intérêts fixés par la présente décision, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande en paiement d'intérêts à compter de la demande de restitution ; que la société Cohesis justifie qu'elle a dû assumer la charge des honoraires d'avocat dans le cadre des diverses instances pénales ; qu'il est produit des notes d'honoraires et des factures émanant des divers avocats à la procédure ; que seules peuvent être prises en compte celles adressées à la Coopérative agricole de Reims ou à la société Cohesis ; que celles relatives à ABC Agro Brie Champagne sont écartées dès lors que cette société n'apparaît pas dans la procédure ; qu'au regard de ces éléments et après conversion des sommes versées en francs, la somme allouée de ce chef est de 167 089 euros
1°) ALORS QUE n'est pas contraire au principe de rétroactivité de la peine plus légère, la loi qui se borne à supprimer un contrôle douanier sans faire disparaître l'infraction douanière ni modifier les peines et précise qu'elle ne fait pas obstacle à la poursuite des infractions commises avant son entrée en vigueur ; que dès lors, n'est pas constitutive d'une faute lourde, la décision par laquelle la Cour de cassation déclare conforme au principe de l'application rétroactive de la peine plus légère, l'article 110 de la loi du 17 juillet 1992 aux termes duquel « Les dispositions de la présente loi ne font pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures », dès lors que la modification apportée par la loi du 17 juillet 1992 n'a eu d'incidence que sur les modalités de contrôle du respect des conditions de l'octroi de l'aide aux pois oléagineux et de leur origine et non sur l'existence de l'infraction ou la gravité des sanctions ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, seule la violation manifeste d'une règle claire et précise du droit communautaire ou conventionnel est susceptible de constituer une faute lourde engageant la responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice ; que la seule circonstance que le principe de rétroactivité de la peine plus légère, principe formulé dans mêmes termes par l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ait été érigé en principe général du droit communautaire à l'occasion d'une affaire où la modification ne concernait pas seulement les peines mais également les conditions d'engagement des poursuites ainsi que les règles de prescription et de connexité, ne permet pas de conclure que le principe de rétroactivité de la peine plus légère reconnu par la Cour de justice des communautés européennes et l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques concerne aussi une loi qui supprime une incrimination ou un mode de contrôle ; qu'en jugeant que la Cour de cassation avait méconnu délibérément le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce motif pris que la Cour de justice avait posé le principe de rétroactivité de la peine plus légère dans une affaire où la modification portait sur la sanction plus légère et sur les conditions de l'engagement des poursuites, la connexité et la prescription, d'où il s'ensuivait qu'elle avait eu une interprétation extensive de ce principe, la cour d'appel s'est prononcée par un motif impropre à caractériser le caractère manifeste de la violation du droit communautaire et, partant, la faute lourde de l'Etat, en violation de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, il n'y a pas d'erreur de droit délibérée ou inexcusable lorsque la réponse à apporter à une question posée n'avait aucune évidence et que les avis étaient partagés ; qu'en énonçant que la Cour de cassation, par arrêt du 19 septembre 2007, avait délibérément fait le choix de ne pas appliquer le droit communautaire quand il résultait des pièces de la procédure que l'avocat général affirmait que l'article 110 de la loi du 17 juillet 1992 n'était pas en conflit avec le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce et que d'autres arrêts rendus par la haute juridiction avaient statué en ce sens, la cour d'appel a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire.