CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
- X... Thomas,
- Y... Gilbert,
prévenus,
- la Société Remat, solidairement responsable,
- l'administration des Douanes, partie poursuivante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 7 mars 1995, qui, pour importations, réputées faites sans déclaration de marchandises prohibées, a condamné les prévenus et la société, solidairement, au paiement de la TVA éludée et débouté l'Administration du surplus de ses demandes.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de leur connexité ;
I. Sur le pourvoi de Thomas X... :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II. Sur les pourvois de l'administration des Douanes et de Gilbert Y... :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur les faits :
Attendu que Gilbert Y... et Richard X..., dirigeants respectifs des sociétés Remat et Dupasquier Nord, sises l'une en Belgique, l'autre en France et exerçant toutes 2 l'activité de négoce de fruits secs, ont procédé à 37 importations, en Belgique, de 776 400 kg de raisins secs originaires de Turquie, totalisant une valeur de 4 715 017 francs ;
Que, pour éluder la taxe compensatoire perçue sur les importations de raisins secs en provenance de pays tiers lorsque leur prix d'achat au départ du pays d'exportation s'avérait inférieur à un prix minimum fixé par la Communauté européenne, les intéressés ont demandé une surfacturation de la marchandise à leur fournisseur et déclaré celle-ci comme ayant une valeur en douane de 5 786 611 francs, cette majoration étant ultérieurement neutralisée par l'envoi d'un avoir artificiellement causé par le caractère défectueux de partie de la marchandise ;
Qu'une fois arrivée en Belgique celle-ci a été dédouanée et mise en libre pratique par la société Remat, puis expédiée sous régime du transit communautaire interne à destination de la France où elle a été revendue par la société Dupasquier Nord ;
Que, selon les estimations faites par les douanes belges, ces fausses déclarations ont permis d'éluder, au titre de la taxe compensatoire, l'équivalent de 1 171 018 francs français ;
Que le défaut d'incorporation de cette somme dans l'assiette de la TVA perçue en France, à l'occasion de la mise à la consommation de la marchandise aurait permis d'éluder, selon les estimations faites par les douanes françaises, 65 707 francs de TVA ;
Qu'à l'initiative des douanes belges, qui étaient à l'origine de la découverte de la fraude, Gilbert Y... et Thomas X... ont été poursuivis, devant la juridiction correctionnelle d'Anvers, pour avoir procédé à une mise en libre pratique frauduleuse de la marchandise permettant d'éluder le paiement de la taxe compensatoire ;
Que, concurremment et à partir des seuls procès-verbaux d'audition des intéressés établis dans le cadre de l'assistance administrative sollicitée par leurs homologues belges, Richard X... père, Richard X... fils, Thomas X..., et la société Dupasquier Nord ont été cités, par l'administration des Douanes françaises, devant le tribunal correctionnel de Lille, sur le fondement de l'article 426 du Code des douanes et des règlements n° 2742/ 82/ CEE du 13 octobre 1982 et n° 2089/ 85/ CEE du 23 juillet 1985, pour avoir, comme auteurs ou intéressés à la fraude, " organisé et géré l'importation en France de 776 400 kg de raisins secs, d'une valeur de 4 715 017 francs, avec mise en libre pratique frauduleuse en Belgique, délit réputé importation sans déclaration de marchandises prohibées ayant permis d'éluder 1 194 584 francs au titre des droits et taxes dus au budget de la Communauté européenne et 65 707 francs dus en France " ;
Que Gilbert Y... a été également poursuivi, à cette occasion, comme complice de ce délit ;
Que, par jugement en date du 19 mars 1993, le tribunal correctionnel, après avoir écarté les conclusions dont il était saisi, a reconnu les prévenus coupables des faits qui leur étaient reprochés et en répression les a condamnés à 4 mois d'emprisonnement avec sursis, à une amende de 4 715 017 francs, au paiement d'une somme d'égal montant pour tenir lieu de confiscation et au paiement de la TVA éludée ;
Que, par jugement rectificatif du 18 octobre 1994, le tribunal a, à la requête des Douanes, dit que le montant de l'amende comme celui de la somme tenant lieu de confiscation s'élevait à 4 715 017 francs ;
Qu'après avoir joint les appels des 2 jugements relevés par les prévenus et le ministère public, la cour d'appel a disjoint le sort de Richard X... fils, malade, constaté le décès de Richard X... père, rejeté l'exception d'incompétence soulevée, annulé les dispositions pénales du premier jugement et déclaré le ministère public irrecevable en son appel, celui-ci n'étant pas partie poursuivante, dit les Douanes irrecevables en leur demande en paiement des droits éludés au préjudice de la Communauté européenne, et, après avoir reconnu les prévenus coupables d'importation sans déclaration de marchandise prohibée ayant permis d'éluder 65 707 francs de TVA, les a condamnés au paiement de cette somme avec solidarité et contrainte ;
En cet état :
Sur le quatrième moyen de cassation présenté par Gilbert Y..., pris de la violation des règlements CEE n° 2742/ 82 du 13 octobre 1982 et n° 2089/ 85 du 23 juillet 1985, des articles 38, 377 bis, 382, 398, 399, 414, 426 et 435 du Code des douanes, 177 du traité de Rome du 25 mars 1957, 384, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gilbert Y... coupable du délit réputé importation sans déclaration de marchandises prohibées ayant permis d'éluder 65 707 francs de TVA à l'importation en France et condamné le prévenu à régler cette somme aux douanes avec contrainte par corps ;
" aux motifs que l'arrêt Wilhem précité dispose que l'article 36, paragraphe 1 du règlement n° 222/ 77 du Conseil du 13 décembre 1976, relatif au transit communautaire, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à la naissance d'une dette douanière à l'occasion de la mise en libre pratique, dans un Etat membre, de marchandises en provenance d'un pays tiers qui ont d'abord été introduites en fraude dans un autre Etat membre d'où elles ont été ensuite transportées sous le régime du transit communautaire interne dans l'Etat membre de mise en libre pratique, étant donné que les infractions ou irrégularités commises dans l'autre Etat ont déjà fait naître une dette douanière dans cet État ;
" qu'en application de cet arrêt rendu sur une question préjudicielle de la Bundesfinanzhof relative à l'interprétation du droit communautaire en matière de naissance et de recouvrement d'une dette douanière la douane française n'est, en l'espèce, pas recevable à demander le paiement des droits et taxes éludés au préjudice du budget des Communautés européennes, la dette douanière étant née en Belgique ;
" que, cependant, l'article 36 du règlement 222/ 77 laisse intacte toute possibilité prévue par le droit national français d'engager une action douanière contre celui qui a fait usage d'un formulaire T 2 obtenu irrégulièrement dans un autre Etat membre, ce qui est précisément reproché ici aux prévenus, avec pour résultat une fraude à la TVA ;
" que Gilbert Y... qui n'est pas poursuivi pour ces faits en Belgique peut donc l'être en France en qualité de complice (arrêt, pages 8 et 9) ;
" que les faits fondés sur des dissimulations frauduleuses de prix de raisins secs à l'importation en France réalisées grâce à l'action de Gilbert Y... qui a ainsi obtenu des T 2 dont il a été fait usage en France par X... père et son fils Thomas ont eu pour résultat d'éluder des droits de TVA pour la somme de 65 707 francs que les douanes françaises sont fondées à réclamer aux prévenus ; quelle que soit la réglementation européenne applicable aux raisins secs turcs importés en Belgique pour être vendus en France (en bref montants compensatoires ou taxes d'effet équivalent), ces faits sont constitutifs du délit reproché, les prévenus qui ont commis ce délit en connaissance de cause doivent être déclarés coupables (arrêt, page 10, alinéas 3 et 4) ;
" alors que, dans ces conclusions d'appel, le demandeur a fait valoir qu'en application de l'accord d'association signé le 12 septembre 1963 par la Communauté économique européenne et la Turquie et, conformément à un protocole additionnel conclu par les mêmes parties le 23 novembre 1970, instituant un régime préférentiel à l'importation dans la Communauté pour un certain nombre de produits agricoles, les raisins secs importés de Turquie sont admis à l'importation dans la Communauté en exemption des droits de douane et taxes d'effet équivalent ;
" que, dès lors, en se bornant à énoncer que l'infraction poursuivie était établie quelle que soit la réglementation européenne applicable aux raisins secs turcs importés en Belgique pour être revendus en France, sans répondre à ces conclusions démontrant que les marchandises litigieuses n'étaient soumises ni au prix minimal communautaire ni, par conséquent, aux sanctions attachées à cette réglementation, en matière de droits de TVA, lors d'échanges intracommunautaires, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale " ;
Attendu que Gilbert Y... a soutenu, pour sa défense, qu'en raison de la convention d'union douanière conclue en 1963 les échanges commerciaux entre la Communauté européenne et la Turquie étaient exonérés de droits de douanes et de taxes d'effet équivalent et qu'ainsi la prévention, qui lui faisait grief d'avoir éludé un prélèvement communautaire et la TVA à l'importation, manquait de base légale ;
Attendu que, si c'est à tort que, pour écarter ce chef de conclusions, la cour d'appel a cru pouvoir énoncer que, " quelle que soit la réglementation européenne applicable aux raisins secs turcs importés en Belgique, ces faits sont constitutifs du délit reproché ", la décision, eu égard aux constatations des premiers juges, qui ont relevé que la marchandise a été introduite sans justification d'une quelconque origine préférentielle, n'en est pas moins fondée ;
Qu'en effet, par dérogation au principe de l'union douanière, les produits agricoles originaires de Turquie ne bénéficiaient, en application des articles 33 à 35 du protocole additionnel à l'accord d'Ankara, que d'un régime préférentiel de taxation et non d'un droit de libre circulation en franchise de taxes ;
Que si les importations dans la Communauté de raisins secs originaires de Turquie bénéficiaient à ce titre, en application de l'article 3 de l'annexe I-1 dudit protocole, d'une exemption de droits de douane et de taxes d'effet équivalent, l'octroi de cet avantage est néanmoins subordonné, aux termes des articles 1, 2 et 4 de l'annexe I-4 de ce texte, au placement préalable de la marchandise sous ce régime et à la production d'un certificat de circulation " ATR. 1 " régulièrement visé par les autorités douanières du pays exportateur ;
Que, tel n'étant pas le cas en l'espèce, le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, présenté par Gilbert Y..., pris de la violation des règlements CEE n° 2742/ 82 du 13 octobre 1982 et n° 2089/ 85 du 23 juillet 1985, de la directive n° 91/ 680/ CEE du conseil des Communautés du 16 décembre 1991, de la loi n° 92-677 du 17 juillet 1992, des articles 38, 377 bis, 382, 398, 399, 414, 426 et 435 du Code des douanes, 177 du traité de Rome du 25 mars 1957, 384, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gilbert Y... coupable du délit réputé importation sans déclaration de marchandises prohibées ayant permis d'éluder 65 707 francs de TVA à l'importation en France et condamné le prévenu à régler cette somme aux Douanes avec contrainte par corps ;
" aux motifs que l'arrêt Wilhem précité dispose que l'article 36, paragraphe 1 du règlement n° 222/ 77 du Conseil du 13 décembre 1976, relatif au transit communautaire, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à la naissance d'une dette douanière à l'occasion de la mise en libre pratique, dans un Etat membre, de marchandises en provenance d'un pays tiers qui ont d'abord été introduites en fraude dans un Etat membre d'où elles ont été ensuite transportées sous le régime du transit communautaire interne dans l'Etat membre de mise en libre pratique, étant donné que les infractions ou irrégularités commises dans l'autre Etat ont déjà fait naître une dette douanière dans cet Etat ;
" qu'en application de cet arrêt rendu sur une question préjudicielle de la Bundesfinanzhof relative à l'interprétation du droit communautaire en matière de naissance et de recouvrement d'une dette douanière, la douane française n'est, en l'espèce, pas recevable à demander le paiement des droits et taxes éludés au préjudice du budget des Communautés européennes, la dette douanière étant née en Belgique ;
" que, cependant, l'article 36 du règlement n° 222/ 77 laisse intacte toute possibilité prévue par le droit national français d'engager une action douanière contre celui qui a fait usage d'un formulaire T 2 obtenu irrégulièrement dans un autre Etat membre, ce qui est précisément reproché ici aux prévenus, avec pour résultat une fraude à la TVA ;
" que Gilbert Y... qui n'est pas poursuivi pour ces faits en Belgique peut donc l'être en France en qualité de complice (arrêt, pages 8 et 9) ;
" que les faits fondés sur des dissimulations frauduleuses de prix de raisins secs à l'importation en France réalisées grâce à l'action de Gilbert Y... qui a ainsi obtenu des T 2 dont il a été fait usage en France par X... père et son fils Thomas ont eu pour résultat d'éluder des droits de TVA pour la somme de 65 707 francs que les douanes françaises sont fondées à réclamer aux prévenus ;
" quelle que soit la réglementation européenne applicable aux raisins secs turcs importés en Belgique pour être vendus en France (en bref montants compensatoires ou taxes d'effet équivalent) ces faits sont constitutifs du délit reproché, les prévenus qui ont commis ce délit en connaissance de cause doivent être déclarés coupables (arrêt, page 10, al. 3 et 4) ;
" alors qu'en application de la directive n° 91/ 680/ CEE du Conseil des Communautés du 16 décembre 1991, transposée en droit français par la loi n° 92-677 du 17 juillet 1992, les notions d'importation et d'exportation sont étrangères aux échanges intracommunautaires qui obéissent à un régime spécifique, la TVA intracommunautaire étant assimilée à une taxe intérieure ;
" qu'ainsi la minoration de la valeur des marchandises lors d'une acquisition intracommunautaire, avec pour résultat d'éluder des droits de TVA dans un Etat membre, ne saurait à elle seule caractériser le délit réputé importation sans déclaration visé à l'article 426. 3° et 4° du Code des douanes ;
" que, dès lors, en estimant le contraire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu que le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que la cour d'appel ait pu, nonobstant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 1992 ayant modifié le Code des douanes, prononcer sur l'existence d'importations de marchandises prohibées en provenance d'un autre Etat membre de la Communauté ;
Qu'en effet une loi nouvelle qui modifie une incrimination ou les sanctions applicables à une infraction ne s'applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés qu'à la condition que cette loi n'ait pas prévu de dispositions expresses contraires ;
Que si l'article 111 de la loi du 17 juillet 1992 dispose que le Code des douanes ne trouve plus à s'appliquer à l'entrée sur le territoire douanier des marchandises communautaires, il n'en demeure pas moins que l'article 110 de ce même texte précise que ces dispositions ne font pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le premier moyen de cassation présenté par Gilbert Y..., pris de la violation des règlements CEE n° 2742/ 82 et n° 2089/ 85 du 23 juillet 1985, des articles 38, 377 bis, 382, 398, 399, 414, 426 et 435 du Code des douanes, 177 du traité de Rome du 25 mars 1957, 384, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gilbert Y... coupable du délit réputé importation sans déclaration de marchandises prohibées ayant permis d'éluder 65 707 francs de TVA à l'importation en France et condamné le prévenu à régler cette somme aux Douanes avec contrainte par corps ;
" aux motifs que l'arrêt Wilhem précité dispose que l'article 36, paragraphe 1, du règlement n° 222/ 77 du Conseil du 13 décembre 1976, relatif au transit communautaire, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à la naissance d'une dette douanière à l'occasion de la mise en libre pratique, dans un Etat membre, de marchandises en provenance d'un pays tiers qui ont d'abord été introduites en fraude dans un autre Etat membre d'où elles ont été ensuite transportées sous le régime du transit communautaire interne dans l'Etat membre de mise en libre pratique, étant donné que les infractions ou irrégularités commises dans l'autre Etat ont déjà fait naître une dette douanière dans cet Etat ;
" qu'en application de cet arrêt rendu sur une question préjudicielle de la Bundesfinanzhof relative à l'interprétation du droit communautaire en matière de naissance et de recouvrement d'une dette douanière, la douane française n'est, en l'espèce, pas recevable à demander le paiement des droits et taxes éludés au préjudice du budget des Communautés européennes, la dette douanière étant née en Belgique ;
" que, cependant, l'article 36 du règlement n° 222/ 77 laisse intacte toute possibilité prévue par le droit national français d'engager une action douanière contre celui qui a fait usage d'un formulaire T 2 obtenu irrégulièrement dans un autre Etat membre, ce qui est précisément reproché ici aux prévenus, avec pour résultat une fraude à la TVA ;
" que Gilbert Y... qui n'est pas poursuivi pour ces faits en Belgique peut donc l'être en France en qualité de complice (arrêt, pages 8 et 9) ;
1° alors que, selon les énonciations de l'arrêt n° 252/ 87 rendu le 20 septembre 1988 par la Cour de justice des Communautés européennes, lorsqu'une infraction ou irrégularité commise dans un Etat membre a donné naissance à une dette douanière dans cet Etat, l'article 36 du règlement n° 222/ 77 ne laisse aucune place à la naissance d'une dette douanière dans un autre Etat membre où le formulaire T 2 a été ensuite utilisé, en vue d'obtenir la mise en libre pratique des marchandises en cause, de sorte que les juridictions de l'autre Etat membre sont incompétentes pour statuer sur l'infraction résultant de l'utilisation frauduleuse d'un formulaire T 2 et sur ses conséquences au regard de la TVA due lors du transit intracommunautaire ;
" qu'ainsi, en retenant sa compétence pour statuer sur ces derniers faits, tout en admettant que seul le juge belge, déjà saisi, était compétent pour statuer sur les infractions nées de l'importation des marchandises en Belgique, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et violé les textes susvisés ;
2°) alors que, si l'interprétation de l'article 36, paragraphe 1er, du règlement n° 222/ 77, résultant de l'arrêt n° 252/ 87 rendu le 20 septembre 1988 par la Cour de justice des Communautés européennes, laissait incertain le point de savoir si le tribunal saisi des infractions commises à l'origine dans le premier pays d'importation demeure compétent pour statuer sur toutes les infractions subséquentes, et notamment sur l'usage d'un formulaire T 2 obtenu irrégulièrement avec pour résultat une fraude à la TVA dans un autre Etat membre, il conviendrait de surseoir à statuer et de renvoyer l'affaire devant la Cour de justice des Communautés européennes, pour qu'il soit prononcé sur cette question dont dépend la légalité de la compétence des juridictions françaises " ;
Sur l'unique moyen de cassation présenté par l'administration des Douanes, pris de la violation des articles 369-4, 377 bis, 414, 435 du Code des douanes, 36, § 1, du règlement CEE n° 222/ 77 du 13 décembre 1976, 690 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la demanderesse irrecevable à demander le paiement des droits et taxes éludés au préjudice du budget des Communautés européennes ;
" aux motifs que l'arrêt Wilhem de la Cour de justice des Communautés européennes du 20 septembre 1988 dispose que l'article 36, § 1, du règlement du conseil du 13 décembre 1976, relatif au transit communautaire, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à la naissance de la dette douanière à l'occasion de la mise en libre pratique, dans un Etat membre, de marchandises en provenance d'un pays tiers qui ont d'abord été introduites en fraude dans un autre Etat membre d'où elles ont été ensuite transportées sous le régime du transit communautaire interne dans l'Etat membre de mise en pratique, étant donné que les infractions ou irrégularités commises dans l'autre Etat membre ont déjà fait naître une dette douanière dans cet Etat ; qu'en application de cet arrêt la douane française n'est pas recevable à demander le paiement des droits et taxes éludés au préjudice du budget des Communautés européennes, la dette douanière étant née en Belgique ;
" alors que les juges nationaux sont compétents pour connaître d'une infraction d'intérêt à une fraude douanière commise à l'occasion de diverses opérations de transit communautaire dès lors que les actes caractérisant ladite infraction ont été accomplis en France, ce qui implique que les autorités douanières françaises sont compétentes pour constater et faire sanctionner l'infraction dont s'agit ; qu'en l'espèce il résulte des procès-verbaux de douane, base des poursuites, que Richard X... et Gilbert Y..., " avec la complicité des fournisseurs turcs Pagy et Lion Brand " ont " mis en place un circuit commercial entre la Turquie et la France d'importations frauduleuses de raisins secs " et " se sont livrés à des opérations d'achats et de revente en France de raisins secs pour lesquelles la réglementation en matière de prix minimum applicable à l'importation n'a pas été respectée ", que Richard X... gérait et contrôlait l'ensemble des opérations de l'achat jusqu'à la livraison à sa clientèle française ", que la société Remat, dirigée par Gilbert Y... s'occupait " d'effectuer les formalités de dédouanement et de réexpédition sous T 2 à destination de la France, d'établir les factures de revente aux clients français sur instructions de Richard X...... " ; que Gilbert Y... a été poursuivi " en tant que complice à la fraude à l'importation en France de 776 400 kg de raisins secs " ; qu'en estimant, dès lors, bien que le circuit de fraude ait été mis en place depuis la France, que la demanderesse était irrecevable à demander le paiement des droits et taxes éludés au préjudice du budget des Communautés européennes, la dette douanière étant née en Belgique, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que Gilbert Y..., ressortissant belge, est poursuivi en France, sur le fondement des articles 398 et 426 du Code des douanes, pour avoir aidé et assisté les consorts X... dans l'organisation et la gestion de l'importation, en France, de raisins secs mis frauduleusement en libre pratique en Belgique, délit réputé importation sans déclaration de marchandises prohibées ;
Attendu que Gilbert Y... a fait valoir que les juridictions françaises sont incompétentes, en raison du lieu de commission de l'infraction initiale, non seulement pour assurer le recouvrement de la taxe compensatoire fraudée en Belgique, mais encore pour poursuivre le recouvrement des taxes qui, en France, en procèdent ;
Que l'administration des Douanes, a, en sens contraire, soutenu que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître tant de cette mise en libre pratique frauduleuse, dont un des actes avait été commis en France, que de l'importation en France effectuée à partir d'un document de transit communautaire interne irrégulièrement obtenu ;
Attendu que, pour écarter les conclusions du prévenu, d'une part, et dire l'administration des Douanes irrecevable à demander le paiement des droits éludés au préjudice de la Communauté, d'autre part, la cour d'appel énonce qu'il est constant que Gilbert Y... et Richard X... ont procédé, de concert, entre 1987 et 1989, à la mise en libre pratique de raisins secs originaires de Turquie, d'une valeur de 4 715 017 francs, qu'ils ont déclarés, pour éluder le paiement de la taxe compensatoire, comme ayant une valeur de 5 786 611 francs, et qu'une fois arrivée en Belgique, la marchandise a été frauduleusement expédiée sous le couvert d'un formulaire T 2, au bénéfice du régime du transit communautaire interne, à destination de la France où elle a été revendue à sa vraie valeur marchande ;
Que les juges ajoutent que, si l'article 36 du règlement n° 222/ 77/ CEE relatif au transit communautaire, tel qu'interprété par la Cour de justice des Communautés européennes dans l'arrêt Wilhem Kiwall du 20 septembre 1988 cité par le prévenu, interdit le recouvrement de la taxe compensatoire en France, l'utilisation irrégulière d'un formulaire T 2 ne faisant pas naître une nouvelle dette douanière dans le pays d'utilisation de ce document, ce texte laisse intacte la possibilité d'engager des poursuites contre ceux qui ont fait usage de ce titre de circulation obtenu irrégulièrement, fait précisément retenu en l'espèce à l'encontre des consorts X... et, au titre de la complicité, à l'encontre de Gilbert Y... ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que la prévention vise, non la participation à un plan de fraude pour partie commis à l'étranger, qui aurait pu être poursuivi sur le fondement de l'article 693 du Code de procédure pénale alors applicable, sans pouvoir donner lieu toutefois au paiement des droits éludés hors du territoire, mais la seule importation sans déclaration de marchandises prohibées ayant permis d'éluder la TVA due à l'importation, la cour d'appel a, au regard des faits dont elle était saisie, justifié sa décision ;
Qu'en effet, aux termes de l'article 36 précité, quand il est constaté qu'au cours ou à l'occasion d'une opération de transit communautaire, une infraction ou une irrégularité a été commise dans un Etat membre déterminé, le recouvrement des droits et autres impositions éventuellement exigibles est poursuivi par cet Etat membre, conformément à ses dispositions législatives, réglementaires et administratives, sans préjudice de l'exercice des actions pénales ;
Que ces dispositions, qui réservent l'action en recouvrement des droits éludés au seul Etat membre où est née la dette douanière, ne font pas obstacle à l'application, sur le territoire d'un autre Etat membre, des dispositions pénales réprimant les infractions qui y sont commises ou réputées commises, dans la mesure où elles ne conduisent pas, en méconnaissance de ce texte, au paiement des droits éludés par ailleurs ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation présenté par Gilbert Y..., pris de la violation des règlements CEE n° 2742/ 82 du 13 octobre 1982 et n° 2089/ 85 du 23 juillet 1985, des articles 38, 377 bis, 382, 398, 399, 414, 426 et 435 du Code des douanes, 177 du traité de Rome du 25 mars 1957, 384, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gilbert Y... coupable du délit réputé importation sans déclaration de marchandises prohibées ayant permis d'éluder 65 707 francs de TVA à l'importation en France et condamné le prévenu à régler cette somme aux Douanes avec contrainte par corps ;
" aux motifs que l'arrêt Wilhem précité dispose que l'article 36, paragraphe 1 du règlement n° 222/ 77 du Conseil du 13 décembre 1976, relatif au transit communautaire, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à la naissance d'une dette douanière à l'occasion de la mise en libre pratique, dans un Etat membre, de marchandises en provenance d'un pays tiers qui ont d'abord été introduites en fraude dans un autre Etat membre d'où elles ont été ensuite transportées sous le régime du transit communautaire interne dans l'Etat membre de mise en libre pratique, étant donné que les infractions ou irrégularités commises dans l'autre Etat membre ont déjà fait naître une dette douanière dans cet Etat ;
" qu'en application de cet arrêt rendu sur une question préjudicielle de la Bundesfinanzhof relative à l'interprétation du droit communautaire en matière de naissance et de recouvrement d'une dette douanière, la douane française n'est, en l'espèce, pas recevable à demander le paiement des droits et taxes éludés au préjudice du budget des Communautés européennes, la dette douanière étant née en Belgique ;
" que, cependant, l'article 36 du règlement n° 222/ 77 laisse intacte toute possibilité prévue par le droit national français d'engager une action douanière contre celui qui a fait usage d'un formulaire T 2 obtenu irrégulièrement dans un autre Etat membre, ce qui est précisément reproché ici aux prévenus, avec pour résultat une fraude à la TVA ;
" que Gilbert Y... qui n'est pas poursuivi pour ces faits en Belgique peut donc l'être en France en qualité de complice (arrêt, pages 8 et 9) ;
" alors que les poursuites diligentées à l'encontre du demandeur du chef d'importation sans déclaration de marchandises prohibées, ayant permis d'éluder des droits et taxes au préjudice du budget des Communautés européennes en Belgique, sont actuellement pendantes devant la juridiction belge ;
" que, dès lors, en s'abstenant de surseoir à statuer sur les poursuites subséquentes du chef de complicité d'usage d'un formulaire T 2 obtenu irrégulièrement dans un autre Etat membre avec pour résultat une fraude à la TVA en France, tout en admettant la compétence de la juridiction belge pour statuer sur l'infraction initiale, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations " ;
Et sur le moyen relevé d'office, pris de la violation du règlement 222/ 77/ CEE du 13 décembre 1976 et des articles 292, 1695 et 1790 du Code général des impôts ;
Et sur les mêmes moyens relevés en faveur de Thomas X... :
Les moyens étant réunis ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, selon l'article 292 du Code général des impôts, la base de la TVA à l'importation est constituée par la valeur en douane augmentée des divers impôts, droits, prélèvements et autres taxes dus en raison de l'importation, ainsi que des frais accessoires intervenant jusqu'au premier lieu de destination des biens à l'intérieur du pays, et diminuée des déductions de prix acquises au moment de l'importation ;
Attendu que l'administration des Douanes a sollicité la condamnation des prévenus au paiement d'une somme de 65 707 francs, représentant, selon elle, l'incidence du défaut d'incorporation de la taxe compensatoire dans l'assiette de la taxe à la valeur ajoutée due à l'importation, c'est-à -dire la somme de 1 171 018 francs, équivalent en monnaie nationale du montant de la taxe compensatoire estimée par l'administration belge, assujettie à un taux d'imposition de 5, 6 % ;
Que Gilbert Y... a fait valoir qu'il est poursuivi en Belgique pour avoir éludé le paiement de cette taxe lors la mise en libre pratique de la marchandise ; que, l'affaire étant toujours pendante, il a demandé à la juridiction de surseoir à statuer sur ce point ;
Attendu que, pour condamner Thomas et Richard X... ainsi que Gilbert Y..., sur le fondement de l'article 377 bis du Code des douanes, au paiement de la somme de 65 707 francs au titre des droits fraudés, la cour d'appel se borne à énoncer que les dissimulations de prix à l'importation ont eu pour résultat d'éluder la TVA à hauteur de ce montant ;
Mais attendu qu'en refusant de surseoir à statuer jusqu'à la décision définitive des juridictions belges sur le principe et le montant de la taxe compensatoire entrant, en aval, dans le calcul de l'assiette de la TVA due en France, la cour d'appel, qui s'est implicitement prononcée sur le montant de la dette douanière née en Belgique et ressortissant aux seules autorités administratives ou judiciaires de ce pays, a excédé ses pouvoirs et privé sa décision de base légale ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Et vu l'article 612-1 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, si seuls Gilbert Y... et la société Remat se sont pourvus et ont soutenu leur pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'ordonner que l'annulation de cette décision aura effet à l'égard de la société Dupasquier Nord ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Douai, en date du 7 mars 1995, mais en ses seules dispositions ayant condamné solidairement Thomas X..., la société Dupasquier Nord, Gilbert Y... et la société Remat, au paiement d'une somme de 65 707 francs au titre de la TVA éludée, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi dans la limite de la cassation prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai, autrement composée.