CASSATION sur les pourvois formés par :
- X... Marie, Jules,
- l'administration des Douanes et des Droits Indirects, partie poursuivante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, du 12 janvier 1999, qui, pour importation sans déclaration de marchandises prohibées, a condamné le prévenu à une amende douanière de 273 810 francs, à une somme d'égal montant pour tenir lieu de confiscation et au paiement des droits éludés, et, après relaxe partielle du prévenu du même chef, a débouté l'Administration du surplus de ses demandes.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Rouergue Agneaux, dirigée par Marie, Jules X..., ayant pour objet le négoce du bétail, a procédé, courant 1991, à l'importation de 5 003 agneaux vivants en provenance de Pologne, en vue de les mettre à la consommation en France, par l'intermédiaire de son fournisseur habituel, la société hollandaise Van Veen, qui les avait achetés à un importateur allemand, sans être en mesure de produire les documents douaniers attestant de la régularité de ces importations ;
Que deux d'entre elles, portant sur 884 agneaux, ont été réalisées sous le régime du transit communautaire interne en vue de la réexpédition de ces ovins au Maroc ; qu'elles sont toutefois restées en France, sans que les droits de douanes communautaires aient été acquittés ;
Que, par suite de la mise en redressement judiciaire de la société Rouergue Agneaux puis de sa cession, Jean Y... a été désigné en qualité de représentant des créanciers puis de commissaire à l'exécution du plan ;
Que Marie, Jules X... et la société Rouergue Agneaux, représentée par Jean Y..., ont été poursuivis par l'administration des Douanes, pour importation sans déclaration de 5 003 agneaux, d'une valeur de 1 594 619 francs, ayant eu pour effet d'éluder le paiement des prélèvements agricoles et de la TVA ;
Que, par jugement du 12 juin 1996, le tribunal correctionnel, après avoir constaté le désistement de l'Administration à l'égard de la société Rouergue Agneaux, a déclaré le prévenu coupable des faits reprochés et l'a condamné à une amende douanière de 1 549 619 francs, au paiement d'une somme d'égal montant pour tenir lieu de confiscation et au paiement des droits éludés ;
Que, sur les appels du prévenu et de l'Administration, la cour d'appel a confirmé le jugement en ce qu'il avait constaté le désistement de celle-ci à l'égard de la société précitée, a déclaré le prévenu coupable de deux importations sans déclaration de marchandises prohibées, l'une portant sur 444 agneaux, du 19 août 1991, et l'autre sur 440 agneaux, du 29 août 1991, l'a condamné pour ces faits à une amende et à des pénalités douanières et, après l'avoir relaxé pour les autres importations sans déclaration de marchandises prohibées, a débouté l'Administration du surplus de ses demandes ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, proposé pour l'administration des Douanes, pris de la violation des articles 47 et 48 de la loi du 25 janvier 1985, 343 et 350 du Code des douanes, 6, 591 à 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a constaté le désistement d'action de l'administration des Douanes à l'égard de la SA Rouergue Agneaux ;
" aux motifs que tant Marie, Jules X... que la société Rouergue Agneaux ont été traduites devant le tribunal correctionnel de Rodez par actes de poursuites de l'administration des Douanes ; qu'à l'égard de la SA Rouergue Agneaux, une première citation a été délivrée le 4 octobre 1995, entre les mains de Me Y... ; qu'une seconde citation, en date du 26 mars 1996, a été délivrée à la SA Rouergue Agneaux " prise en la personne de son représentant légal " mais de fait délivrée entre les mains de Me Y... qui a accepté l'acte ès qualités de commissaire à l'exécution du plan ; que les premiers juges ont, sur la base de ces actes, donné acte à l'administration des Douanes de ce qu'elle se désistait à l'égard de la SA Rouergue Agneaux ; qu'en cause d'appel l'administration des Douanes, partie poursuivante, précise qu'elle s'est désistée à l'égard de Me Y... puisqu'il était liquidateur et selon elle non habilité à représenter la société mais qu'elle maintenait son action à l'égard de la SA Rouergue Agneaux elle-même ;
" qu'en droit, une telle position ne peut guère se concevoir ; qu'en effet, à supposer que, comme l'Administration l'indique, elle ait assigné la SA Rouergue Agneaux à une personne qui n'avait pas qualité pour représenter cette société, force serait de constater que la SA Rouergue Agneaux ne serait pas citée valablement et qu'en conséquence, les poursuites ne seraient pas en cours à son encontre ;
" qu'il résulte de l'ensemble des pièces versées aux débats que la SA Rouergue Agneaux a été admise par décision du 25 novembre 1993 du tribunal de commerce à la procédure de règlement judiciaire simplifiée avec désignation d'un représentant des créanciers et octroi d'un délai de 30 jours pour enquêter ;
" que, par décision du même tribunal en date du 9 décembre 1993, un plan de cession partielle de l'entreprise a été arrêté, le même jugement maintenant Me Y... en qualité de représentant des créanciers pour la durée nécessaire à la vérification du passif et commissaire à l'exécution du plan pour l'exécution de la décision ;
" or, attendu qu'il apparaît que les faits de la poursuite se situent courant 1991 et plus exactement entre le 19 août et le 12 septembre 1991, soit antérieurement au jugement déclaratif de redressement judiciaire ; que c'est donc à bon droit que Me Y... fait valoir qu'en l'état de la règle d'ordre public de suspension des poursuites individuelles à l'égard des entreprises admises au redressement judiciaire, l'action à l'encontre de la SA Rouergue Agneaux intentée par la Douane est parfaitement irrecevable dès lors que la créance invoquée par la Douane trouverait son origine antérieurement à l'état de cession de paiement fixé au 10 novembre 1993 ;
" que, dès lors, si l'appel de l'administration des Douanes est en la forme recevable, force est de constater que c'est à bon droit que les premiers juges lui ont donné acte de son désistement d'action à l'égard de la société Rouergue Agneaux ;
" 1o alors que l'action pour l'application des sanctions fiscales que l'administration des Douanes poursuit à titre principal en vertu de l'article 343 du Code des douanes ne saurait être assimilée à l'action civile ; que cette Administration est recevable à réclamer, devant la juridiction répressive, la condamnation solidaire aux amendes et confiscations douanières d'une société en redressement judiciaire, sans avoir à produire sa créance entre les mains du représentant des créanciers ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" 2o alors que si l'administration des Douanes doit produire sa créance au titre des droits fraudés entre les mains du représentant des créanciers, elle a, en l'espèce, exécuté cette obligation comme cela résulte d'un arrêt du 4 novembre 1997 rendu par la cour d'appel de Montpellier, produit devant les juges du fond ; qu'une fois cette créance produite, l'instance suspendue est reprise en vue de la constation de la créance et de la fixation de son montant ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" 3o alors que l'action publique pour l'application des sanctions fiscales ne peut faire l'objet d'un désistement en dehors des cas prévus par la loi ; qu'aux termes de l'article 350 du Code des douanes, après mise en mouvement par l'administration des Douanes ou le ministère public d'une action judiciaire, l'administration des Douanes ne peut transiger que si l'autorité judiciaire admet le principe d'une transaction ; qu'en jugeant que l'administration des Douanes s'est prétendument désistée de son action contre la société Rouergue Agneaux sans relever l'existence d'une transaction admise par l'autorité judiciaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes visés au moyen " ;
Vu les articles 343-2 du Code des douanes, ensemble les articles 47 et 50 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Attendu que l'administration des Douanes, qui exerce à titre principal l'action pour l'application des sanctions fiscales, est recevable à réclamer, devant la juridiction répressive, la condamnation solidaire aux amendes et confiscations douanières d'une société en redressement judiciaire, sans avoir à produire sa créance entre les mains du représentant des créanciers ; qu'elle n'a cette obligation que pour obtenir la condamnation au paiement des droits fraudés qui n'ont pas le caractère de pénalités ;
Attendu que, pour confirmer le jugement ayant donné acte à l'administration des Douanes de son désistement à l'égard de la société Rouergue Agneaux, la juridiction du second degré, après avoir relevé que les faits de la poursuite se situent courant 1991, soit antérieurement au jugement de redressement judiciaire, énonce qu'à bon droit le représentant des créanciers fait valoir que la règle d'ordre public de suspension des poursuites individuelles à l'égard des entreprises admises au redressement judiciaire rend irrecevable l'action exercée par l'administration des Douanes à l'encontre de la société précitée, dès lors que la créance invoquée par l'Administration trouverait son origine antérieurement à l'état de cessation des paiements fixé au 10 novembre 1993 ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que, d'une part, l'Administration ne s'était pas désistée de son action à l'égard de la société Rouergue Agneaux, d'autre part, l'action pour l'application des sanctions fiscales exercée à titre principal par l'administration des Douanes sur le fondement de l'article 343-2 du Code des douanes, ne saurait être assimilée à l'action civile prévue par les articles 2 et suivants du Code de procédure pénale, et qu'enfin, l'Administration justifie avoir produit sa créance au titre des droits fraudés, entre les mains du représentant des créanciers, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Et sur le deuxième moyen de cassation proposé pour l'administration des Douanes, pris de la violation des articles 110 et 111 de la loi du 17 juillet 1992, 7, 38, 343, 377 bis, 382, 406, 407, 414, 423. 1° et 435 du Code des douanes, 244 du Code rural, et 591 à 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a partiellement relaxé Marie, Jules X... du chef d'importation sans déclaration de marchandises prohibées ;
" aux motifs qu'il est reproché au prévenu Marie, Jules X... d'avoir procédé entre le 19 août 1991 et le 12 septembre 1991 à l'importation de 5 003 agneaux en provenance de pays de l'Est (Pologne) sans avoir réglé les prélèvements agricoles et la TVA, c'est-à-dire ce qui est communément appelé les droits de Douanes à l'importation ;
" qu'en vertu de l'article 7 nouveau de la 6e directive, les biens en provenance de pays tiers de la Communauté sont considérés comme importés dans la Communauté européenne dès lors qu'ils entrent sur le territoire d'un des Etats membres ;
" que la notion d'importation doit donc se situer au lieu et au moment où les biens importés d'un Etat tiers entrent dans l'Etat communautaire et donc à l'intérieur du Marché unique ;
" qu'ainsi donc, l'importation se fait dans l'Etat membre sur le territoire duquel le bien est soumis au régime douanier, il s'ensuit qu'en vertu du titre 12 de la même directive communautaire le redevable de la TVA envers le Trésor à l'importation est la personne désignée ou reconnue par l'Etat membre d'importation ;
" qu'il résulte pour la quasi-totalité des faits retenus à la prévention que les agneaux en provenance de Pologne ont été importés sur le Marché unique par un importateur allemand, lequel les a, par la suite, vendus à Van Veen, fournisseur de la SA Rouergue Agneaux ; qu'il s'ensuit que le redevable de la TVA envers le Trésor est l'importateur allemand ;
" que rien dans le dossier ne permet de prouver que Marie, Jules X... aurait été complice d'une importation sur le Marché unique communautaire en fraude des textes de loi de l'importateur allemand qui d'ailleurs a été déclaré coupable pour ces mêmes faits et condamné par la juridiction de Potsdam ;
" que les taxes antérieures douanières telles que les prélèvements agricoles doivent suivre le même régime que la TVA à l'importation des pays tiers ;
" que, dès lors, l'ensemble des droits mis en recouvrement par l'administration des Douanes et poursuivis par cette dernière ne peut s'exercer sur le territoire français à l'encontre de Marie, Jules X... ;
" 1o alors qu'une loi nouvelle qui modifie une incrimination ou les sanctions applicables à une infraction ne s'applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés qu'à la condition que cette loi n'ait pas prévu de dispositions expresses contraires ; que si l'article 11 de la loi du 17 juillet 1992 dispose que le Code des douanes ne trouve plus à s'appliquer à l'entrée sur le territoire douanier des marchandises communautaires, il n'en demeure pas moins que l'article 110 de ce même texte précise que ces dispositions ne font pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures ; qu'il résulte des propres constatations des juges du fond que les faits poursuivis ont été commis entre le 19 août 1991 et 12 septembre 1991 ; qu'à cette époque, l'importation d'animaux vivants sans certificat sanitaire, sans certificat de transport international d'animaux vivants, sans délivrance à la frontière française d'un laisser-passer sanitaire délivré par un vétérinaire inspecteur, sans soumission D 48 et sans dépôt d'une déclaration de mise à la consommation dans les délais impartis constituait le délit d'importation sans déclaration de marchandises prohibées ; qu'en relaxant néanmoins Marie, Jules X... du chef de ce délit, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" 2o alors qu'en cas d'introduction irrégulière d'une marchandise dans la Communauté européenne, suivie d'une opération de transit à travers plusieurs Etats membres, si seul l'Etat où la marchandise a été introduite est compétent pour procéder au recouvrement de la dette douanière née de cette introduction, chaque Etat membre concerné est compétent pour constater et poursuivre les infractions commises sur son territoire, résultant du transit irrégulier, et procéder au recouvrement des droits correspondants ; qu'en l'espèce, Marie, Jules X... était poursuivi du chef d'importation sans déclaration de marchandises prohibées ayant permis d'éluder notamment la TVA due à l'importation en France, et de violer les règles sanitaires applicables en 1991 ; qu'en jugeant que ce fait n'était pas légalement punissable, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
Vu l'article 110 de la loi du 17 juillet 1992, ensemble les articles 38-1, 414, 423. 1° et 435 du Code des douanes ;
Attendu que la suppression des taxations et contrôles douaniers décidée à compter du 1er janvier 1993 par la directive CEE 91-680 du Conseil des Communautés, en date du 16 décembre 1991, mise en oeuvre par la loi du 17 juillet 1992, ne fait pas obstacle, selon l'article 110 de cette loi, à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures ;
Attendu que, pour prononcer la relaxe partielle de Marie, Jules X..., du chef d'importation sans déclaration de marchandises prohibées, la juridiction du second degré, après avoir constaté que, pour la quasi-totalité des faits retenus à la prévention, les agneaux en provenance de Pologne ont été importés sur le marché unique communautaire par un importateur allemand, lequel les a, par la suite, vendus à la société Van Veen, fournisseur de la société Rouergue Agneaux, énonce que " l'ensemble des droits mis en recouvrement par l'administration des Douanes et poursuivis par celle-ci ne peut s'exercer sur le territoire français à l'encontre de Marie, Jules X... " ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que, d'une part, il résulte des constatations des premiers juges qu'entre le 19 août et le 12 septembre 1991, ont été introduits en France 5 003 agneaux, sans les documents, notamment sanitaires, exigés par la réglementation, et sans dépôt d'une déclaration de mise à la consommation dans les délais impartis, et que, d'autre part, les dispositions de l'article 36 du règlement n° 222-77 du Conseil, en date du 13 décembre 1976, qui réservent l'action en recouvrement des droits éludés au seul Etat membre où est née la dette douanière, ne font pas obstacle à l'application sur le territoire d'un autre Etat membre, des dispositions pénales réprimant les infractions qui y sont commises, dès lors qu'elle ne conduisent pas, en violation de ce texte, au paiement des droits éludés par ailleurs, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est également encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen proposé pour l'administration des Douanes et les moyens proposés pour Marie, Jules X... :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, du 12 janvier 1999, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.